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12/01/2024 | FRANCE | N°23NT00510

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 janvier 2024, 23NT00510


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'entreprise agricole à responsabilité limitée (E... et M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société Eiffage Rail Express (ERE) à verser aux époux C... la somme de 80 879 euros et à E... la somme de 254 425,88 euros en réparation des dommages résultant pour eux des travaux de construction de la ligne à grande vitesse (LGV) Bretagne - Pays de la Loire.



Par un jugement n° 1801910 du 3 février 2020 le tribunal adm

inistratif de Rennes a condamné la société Eiffage Rail Express à verser la somme de 5 000 euros à M...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise agricole à responsabilité limitée (E... et M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société Eiffage Rail Express (ERE) à verser aux époux C... la somme de 80 879 euros et à E... la somme de 254 425,88 euros en réparation des dommages résultant pour eux des travaux de construction de la ligne à grande vitesse (LGV) Bretagne - Pays de la Loire.

Par un jugement n° 1801910 du 3 février 2020 le tribunal administratif de Rennes a condamné la société Eiffage Rail Express à verser la somme de 5 000 euros à M. et Mme C... et la somme de 101 847,18 euros à l'EAR C....

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 mars 2020 et 7 juillet 2021, E..., M. B... C... et Mme A... D..., épouse C..., représentés par Me Bernard, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1801910 du 3 février 2020 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de condamner la société Eiffage Rail Express à verser aux époux C... la somme de 80 879 euros et à E... celle de 254 425,88 euros en réparation de leurs préjudices ;

3°) de mettre à la charge de la société Eiffage Rail Express les dépens et la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier faute de motivation suffisante et en raison de l'omission de statuer sur leurs conclusions à fin d'annulation du rapport d'expertise ;

- il est également irrégulier car l'expertise n'a pas été réalisée de manière indépendante et impartiale compte tenu des liens professionnels existant entre la société Eiffage rail Express et l'expert désigné par le tribunal ;

- le préjudice des époux C... doit être réparé par le versement des sommes de 45 000 euros au titre de la perte de valeur du patrimoine bâti, de 8 303 euros au titre de la perte de débit du puits, de 10 000 euros au titre des difficultés d'accès à la parcelle ZR 41 et de 17 576 euros au titre du préjudice cynégétique ;

- le préjudice H... doit être réparé par le versement des sommes de 105 066 euros au titre des allongements de parcours, de 104 300 euros au titre de la défiguration d'unités culturales et de l'augmentation des coûts de mécanisation, de 21 714 euros au titre de la rupture d'unité d'exploitation, de 8 317,18 euros au titre des travaux de drainage et de

16 415 euros au titre de la perte de rendement.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 mai 2021 la société Eiffage Rail Express, représentée par Me Di Franceso, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. et Mme C... la somme de 5 000 euros au titre de la perte de valeur du patrimoine bâti et à verser à E... la somme de 20 000 euros au titre de la défiguration d'unités culturales, cette dernière somme devant être ramenée à 6 892 euros ;

3°) à ce que soit mis à la charge des requérants les dépens et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- s'agissant d'un dommage lié à la présence d'un ouvrage public, la demande indemnitaire est mal dirigée compte tenu des termes du contrat de partenariat conclu avec SNCF Réseau, qui est le maître d'ouvrage ;

- aucune dépréciation du bâti ne peut être observée ;

- le préjudice subi par G... en raison de la défiguration d'unités culturales peut être évalué à 6 892 euros comme l'indique l'expert ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que E... ne dispose pas d'un droit lui donnant intérêt pour agir dès lors que les dispositions de l'article L. 123-26 du code rural et de la pêche maritime ne confèrent qu'au propriétaire le droit d'obtenir, à titre de dommages de travaux publics, réparation des préjudices constatés à l'issue d'une opération d'aménagement foncier.

Un mémoire a été produit le 10 septembre 2021 par M. et Mme C... et E..., qui précisent que leur demande n'est pas fondée sur l'article L. 123-26 du code rural et de la pêche maritime.

Par un arrêt n° 20NT00853 du 1er octobre 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de M. et Mme C... et H... C... et sur appel incident de la société Eiffage Rail Express, annulé l'article 2 du jugement attaqué mettant à la charge de cette dernière la somme de 5 000 euros, ramené la somme que la société Eiffage Rail Express a été condamnée à verser à E... à 88 739,18 euros, mis à la charge de cette société les frais de l'expertise arrêtés à la somme de 7 681,91 euros, et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par une décision n° 459046 du 14 février 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé les articles 1er et 2 de cet arrêt, ainsi que son article 3 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions d'appel de M. et Mme C... et H... C..., et a renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 23NT00510.

Procédure devant la cour après cassation :

Par un mémoire, enregistré le 5 avril 2023, la société Eiffage Rail Express (ERE), représentée par Me Di Francesco, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il l'a condamnée à verser à M. et Mme C... la somme de 5 000 euros au titre de la perte de valeur du bâti et de ramener la somme de 20 000 euros qu'il l'a condamnée à leur verser au titre du préjudice de défiguration d'unités culturales à la somme de 6 892 euros ;

2°) de fixer à la somme globale de 88 739,18 euros l'indemnité à verser à E... ;

3°) de constater qu'elle a versé à E... la somme de 83 526 euros et trop versé aux époux C... la somme de 10 300 euros ;

4°) de rejeter le surplus des conclusions des appelants ;

5°) de mettre à la charge des appelants une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne les préjudices des époux C... :

- la dépréciation du bâti n'est pas établie ; ce chef de préjudice ne revêt pas le caractère d'un préjudice grave et spécial ; subsidiairement, il ne pourra pas être alloué à ce titre une somme supérieure à 5 000 euros ;

En ce qui concerne le préjudice H... :

- la somme de 20 000 euros qui leur a été allouée par les premiers juges au titre du préjudice de défiguration d'unités culturales doit être ramenée à la somme de 6 892 euros préconisée par l'expert ;

Par un mémoire, enregistré le 9 juin 2023, M. et Mme C... et G... C..., représentés par Me Bernard, maintiennent leurs précédentes conclusions, au soutien desquels ils invoquent les mêmes moyens que dans leurs précédentes écritures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 ;

- le décret n° 2011-917 du 1er août 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellouch,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- les observations de Me Bernard, représentant M. et Mme C... et E..., et celles de Me Palmer, représentant la société Eiffage Rail Express.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme C... sont propriétaires d'un ensemble immobilier situé sur le territoire de la commune de Domagné (Ille-et-Vilaine) et exploité par E.... Ces parcelles ont été affectées par les opérations d'aménagement foncier réalisées dans le cadre des travaux de construction de la ligne à grande vitesse (LGV) Bretagne - Pays de la Loire réalisés par la société Eiffage Rail Express. Le 15 février 2018, M. et Mme C... et G... C... ont saisi cette société d'une réclamation aux fins de réparation des préjudices qu'ils estimaient avoir subis. Insatisfaits de la proposition qui leur avait été faite, ils ont demandé que soit ordonnée une expertise, dont le rapport a été déposé le 7 avril 2017, puis, après avoir adressé à la société Eiffage Rail Express une réclamation indemnitaire, ils ont saisi le tribunal administratif de Rennes de conclusions tendant à ce que cette société soit condamnée à verser les sommes de 80 879 euros aux époux C... et de 254 425,88 euros à E..., en réparation des dommages de travaux publics subis. Par un jugement du 3 février 2020, le tribunal a condamné la société Eiffage Rail Express à verser à M. et Mme C... la somme de 5 000 euros et à E... celle de 101 847,18 euros, et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.

2. Par un arrêt du 1er octobre 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement en tant qu'il avait condamné la société à verser la somme de 5 000 euros à M. et Mme C... en réparation de la perte de valeur vénale de leur bâti, ramené la somme que la société a été condamnée à verser à E... à 88 739,18 euros et rejeté le surplus des conclusions des parties. Toutefois, par une décision du 14 février 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé les articles 1er et 2 de cet arrêt, ainsi que son article 3 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions d'appel de M. et Mme C... et H... C... et a renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 23NT00510.

Sur la détermination de la personne publique responsable :

3. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, applicable au litige : " I. - Le contrat de partenariat est un contrat administratif par lequel l'Etat ou un établissement public de l'Etat confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale ayant pour objet la construction ou la transformation, l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages, d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public, ainsi que tout ou partie de leur financement à l'exception de toute participation au capital. / Il peut également avoir pour objet tout ou partie de la conception de ces ouvrages, équipements ou biens immatériels ainsi que des prestations de services concourant à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée. / II. - Le cocontractant de la personne publique assure la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser. Après décision de l'Etat, il peut être chargé d'acquérir les biens nécessaires à la réalisation de l'opération, y compris, le cas échéant, par voie d'expropriation. (...) La rémunération du cocontractant fait l'objet d'un paiement par la personne publique pendant toute la durée du contrat. Elle est liée à des objectifs de performance assignés au cocontractant. (...) ". Aux termes de l'article 11 de cette ordonnance : " Un contrat de partenariat comporte nécessairement des clauses relatives : / a) A sa durée ; / b) Aux conditions dans lesquelles est établi le partage des risques entre la personne publique et son cocontractant ; / c) Aux objectifs de performance assignés au cocontractant, (...) / d) A la rémunération du cocontractant, (...) ".

4. Il résulte des dispositions citées au point précédent qu'un contrat de partenariat conclu sur le fondement des dispositions de l'ordonnance du 17 juin 2004, d'une part, a pour effet de confier la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser au titulaire de ce contrat, d'autre part, détermine le partage des risques liés à cette opération entre ce titulaire et la personne publique.

5. D'une part, par un contrat de partenariat approuvé par décret du 1er août 2011, l'établissement public industriel et commercial Réseau ferré de France, aux droits duquel est venue la société SNCF Réseau, et conclu pour une durée de 25 ans, a confié à la société Eiffage Rail Express la conception, la construction, le fonctionnement, l'entretien, la maintenance, le renouvellement et le financement de la ligne ferroviaire à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire entre Connerré et Cesson-Sévigné et des raccordements au réseau existant, ainsi que cela est précisé à l'article 2.1 du contrat. L'article 5.1 de ce contrat, qui porte sur le champ des obligations contractuelles générales de la société Eiffage Rail Express au titre de la réalisation de la ligne ferroviaire, prévoit qu'" en qualité de maître d'ouvrage de la Ligne, le titulaire réalise l'ensemble des opérations nécessaires à la réalisation de la Ligne, et notamment les acquisitions foncières, les études de conception et l'exécution des travaux dans les conditions prévues au Contrat et dans le respect de la réglementation et des Règles de l'art ".

6. D'autre part, le contrat de partenariat litigieux, conclu en avril 2011, prévoit en son article 36 relatif aux responsabilités que " le titulaire [la société Eiffage Rail Express] est responsable des dommages causés aux tiers, ainsi que des frais et indemnités qui en résultent, survenus à l'occasion de l'exécution, par le titulaire ou sous sa responsabilité, des obligations mises à sa charge au titre du contrat, à l'exclusion des dommages liés aux activités de gestion du trafic et des circulations imputables à RFF [Réseau Ferré de France]. (...) / (...) / Le titulaire supporte seul les conséquences pécuniaires de ces dommages. Il ne peut exercer d'action contre RFF à raison de ces dommages et garantit RFF contre toute action ou réclamation des tiers et toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encore pour de tels dommages ou préjudices. ".

7. Les époux C... et E... demandent à être indemnisés de divers préjudices inhérents à l'existence et au fonctionnement de la LGV Bretagne-Pays de la Loire située à proximité immédiate des biens dont ils sont propriétaires et de l'exploitation agricole, survenus à l'occasion de l'exécution par la société Eiffage Rail Express de la mission globale qui lui a été confiée par l'article 2.1 du contrat de partenariat, et donc à l'occasion de ses obligations. Dans ces conditions, et compte tenu notamment des termes précités de l'article

11 de l'ordonnance du 17 juin 2004 relatif au partage des risques entre l'attributaire du contrat de partenariat et la personne publique co-contractante et de l'article 36 de ce contrat, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la responsabilité de la société ERE pouvait être engagée au titre de la maîtrise d'ouvrage, y compris après l'achèvement des travaux, au titre des dommages permanents inhérents à la présence et au fonctionnement de l'ouvrage public.

Sur les dommages dont M. et Mme C... demandent réparation :

En ce qui concerne la perte de valeur du patrimoine bâti :

8. Lorsqu'il est saisi, par un requérant qui s'estime victime d'un dommage permanent de travaux publics, de conclusions indemnitaires à raison d'un préjudice grave et spécial, il appartient au juge administratif de porter une appréciation globale sur l'ensemble des chefs de dommages allégués.

9. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise judiciaire, que la ligne à grande vitesse est située à environ 250 mètres au sud de la longère de M. et Mme C... et qu'elle n'est pas visible depuis leur propriété, compte tenu du relief du terrain (en pente), de l'implantation de la ligne en décaissement par rapport aux fonds environnants, de la végétation (arbres) et de la présence d'un bâtiment annexe dans la cour, implanté au sud de la longère, masquant une partie de la vue. L'expert judiciaire, qui s'est prononcé avant la mise en place de la ligne ferroviaire, estime que les nuisances sonores devraient être atténuées pour les mêmes motifs. Ces considérations l'ont conduit à affirmer que la dépréciation de 15% de la valeur du patrimoine bâti retenue par l'expertise non contradictoire de Mme F..., du cabinet Esteve, dont se prévalent les requérants, était excessive. D'autre part, si M. et Mme C... produisent une estimation notariée de leur bien, datant de 2012, évaluant celui-ci entre 280 000 et 300 000 euros, l'expert judiciaire relève que cette estimation est ancienne et en décalage avec le niveau actuel du marché immobilier, et il considère que le bien en cause est surévalué au regard des nombreux éléments de comparaison produits par les intéressés eux-mêmes, faisant apparaître un prix médian de 153 000 euros et seulement quatre propriétés vendues à un prix supérieur à 250 000 euros, et compte tenu du fait que la maison d'habitation de type longère se situe au sein d'une exploitation agricole en activité. Toutefois, alors que l'expert n'a pu évaluer les nuisances sonores induites par la ligne ferroviaire, la proximité de la ligne à grande vitesse et la réduction de 70 mètres sur un linéaire de 170 mètres de l'allée arborée desservant leur propriété, plantée d'un côté de charmes et de l'autre de chênes, a entraîné une dégradation de l'environnement auparavant très calme de cette propriété et, par suite, une perte de valeur vénale de celle-ci, dont il sera fait une équitable appréciation en l'évaluant à la somme de 12 000 euros, correspondant à une dépréciation d'environ 5% de la valeur du bien.

En ce qui concerne l'insuffisance du débit du puits :

10. L'expert judiciaire a estimé que le lien entre la baisse de débit du puits de M. et Mme C... et la création de la ligne à grande vitesse litigieuse n'était pas établi, en s'appuyant sur une expertise hydrogéologique étayée, réalisée à la demande la société ERE après visite du site. Selon cette étude, le contexte hydraulique du site dans lequel se trouve le puits n'a pas été modifié par les travaux de la ligne à grande vitesse, en raison de la distance de 255 mètres séparant le puits du déblai, de la situation du puits à une altitude plus basse que celle du fil de l'eau du fossé de drainage, et de la circonstance que le chantier ne puise aucune eau dans la nappe à proximité du lieu-dit " La Sauvagère ". L'expertise déduit de ces éléments que les travaux de la LGV ne peuvent avoir eu d'impact sur les eaux qui alimentent le puits des époux C.... Ni la production par les requérants de factures portant sur les années 2014 et 2015, faisant apparaître une augmentation de la consommation d'eau potable par les requérants, ni l'étude réalisée par Réseau Ferré de France dans le cadre de la réalisation d'une autre ligne à grande vitesse reliant Poitiers à Limoges, se bornant à faire état de potentiels impacts quantitatifs sur les nappes souterraines d'une modification du fonctionnement hydraulique des nappes lorsqu'elles sont peu profondes ou lorsqu'elles se trouvent interceptées par un déblai, ne sont de nature à établir une baisse de débit du puits imputable à la création de la ligne à grande vitesse. Il s'ensuit que les époux C... ne peuvent prétendre à une indemnité à ce titre.

En ce qui concerne les difficultés d'accès à la parcelle ZD 41 :

11. La seule production d'un constat d'huissier établi le 6 mai 2015 à la demande des appelants, constatant une humidité importante sur le sol, ne permet pas d'établir que l'accès à la parcelle ZD 41, à l'état de champs, serait impossible ou particulièrement difficile, alors que l'expert judiciaire relève plusieurs possibilités d'accès à cette parcelle. Au surplus, à le supposer établi, un tel préjudice serait à rattacher aux difficultés d'exploitation H....

La demande présentée à ce titre par M. et Mme C... doit dès lors être rejetée.

En ce qui concerne le préjudice cynégétique :

12. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise judiciaire, que M. C... est titulaire d'un plan de chasse déclaré portant sur une surface de 96 hectares et que les parcelles situées au sud de la ligne à grande vitesse litigieuse, d'une superficie totale de 52 hectares, 15 ares et 95 centiares, vont être détachées de ce plan. Le protocole d'accord sur les conditions de réparation des dommages de travaux publics conclu le 21 juillet 2021 entre les associations départementales des expropriés des départements d'Ille-et-Vilaine, de la Mayenne et de la Sarthe et Réseau Ferré de France prévoit en son article 3.2.4 une indemnisation du préjudice cynégétique en cas de scission, du fait de l'emprise de la ligne, d'une propriété faisant partie d'un territoire de chasse. Par application des modalités d'indemnisation prévues par ce protocole, selon lequel l'indemnisation est calculée sur la seule partie détachée, et auquel l'expert judiciaire se réfère pour asseoir son évaluation, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 10 300 euros proposée par l'expert.

13. Il résulte de ce qui précède que les préjudices subis par M. et Mme C... en leur qualité de propriétaires, inhérents à l'existence et au fonctionnement de la LGV Bretagne Pays de la Loire, consistant en une perte de valeur vénale de leur bien et en un préjudice cynégétique s'élèvent à la somme globale de 22 300 euros. Ces dommages, dont l'appréciation doit être globale, revêtent un caractère spécial, et dans les circonstances de l'espèce, notamment en ce que la LGV affecte de manière radicale le territoire de chasse dont sont propriétaires les époux C..., présentent un caractère grave. M. et Mme C... sont donc fondés à demander la condamnation de la société Eiffage Rail Express à leur verser la somme de 22 300 euros, sous déduction de somme de 10 300 euros qui leur a déjà été versée à titre provisionnel.

Sur les dommages dont E... demande réparation :

En ce qui concerne l'allongement de parcours :

14. La création de la LGV Bretagne - Pays de la Loire a eu pour effet de couper en deux l'exploitation agricole H..., ce qui génère des allongements de parcours non contestables. Le protocole d'accord du 21 juillet 2011 mentionné au point précédent précise, en son point 4.1, que l'allongement de parcours exprimé en km.ha peut être apprécié par la différence des distances entre le siège d'exploitation et l'entrée courante et accessible de chacun des îlots de l'exploitation, et par la multiplication des distances ainsi obtenues par la surface des îlots à laquelle est appliqué un taux forfaitaire revalorisé annuellement.

15. En l'espèce, conformément à cette méthode, l'expert chiffre le préjudice d'allongement de parcours, dont la réalité n'est pas contestée en défense, à une somme de 61 124 euros, liquidée sur la base d'un allongement de parcours qu'il a évalué à 23,71 km.ha, auquel est appliquée une indemnité actualisée de 2 578 euros par km.ha, correspondant à une somme forfaitaire annuelle capitalisée sur 20 ans. Si E... conteste la réalité de trois des accès retenus par l'expert, celui-ci a longuement motivé son rapport pour répondre à ces objections et envisagé des trajets et parcours alternatifs. S'agissant en particulier de l'accès " A " retenu pour accéder à l'îlot 26, il résulte de l'instruction que cet accès n'est pas situé dans l'emprise de l'ouvrage public litigieux mais sur la partie de la parcelle ZK 34 située au nord de la LGV et exploitée par G..., et l'expert précise bien qu'il est praticable. A supposer que l'accès " C " retenu par l'expert pour accéder à l'îlot 25, situé sur la route départementale 99, aurait été refusé, l'expert a retenu l'existence d'autres possibilités d'accès à cet îlot et il a calculé une moyenne des différents trajets proposés, identique que l'on retienne ou non cet accès. Dès lors, il y a lieu d'évaluer le préjudice tenant à l'allongement de parcours à la somme de 61 124 euros proposée par l'expert judiciaire.

En ce qui concerne le préjudice de défiguration d'unités culturales :

16. Il résulte de l'instruction que les modifications parcellaires résultant de l'aménagement foncier consécutif à la réalisation de la LGV Bretagne - Pays de la Loire ont entraîné pour E... des rétrécissements de parcelles d'exploitation et la formation, pour certaines d'entre elles, d'angles aigus rendant leur exploitation plus difficile. Le préjudice de défiguration d'unités culturales dont G... demande réparation a pour objet d'indemniser les surcoûts d'exploitation en résultant sur ces seules zones.

17. L'expert a validé et appliqué la méthode d'évaluation de ce chef de préjudice proposée par le protocole d'accord du 21 juillet 2011 mentionné ci-dessus, lequel prévoit une indemnité correspondant à 50% de l'indemnité d'éviction pour un angle de 26 à 45° et à 70% de l'indemnité de jouissance pour ce qui est des rétrécissements d'unités culturales. Il résulte de l'instruction qu'une unique pointe a été créée en raison de l'ouvrage public à l'ouest de la parcelle ZK 34, formant un angle de 40° et que, s'agissant des rétrécissements, sont seules concernées une zone de 300 m² à l'extrémité nord-est de la parcelle ZR 27, une zone de

3 400m² dans la partie sud-est de la parcelle ZR 41 et une dernière de 1,09 hectare dans la partie nord-est de cette même parcelle. En application de cette méthode, l'expert chiffre le préjudice de défiguration d'unités culturales H... à la somme de 6 892 euros. Si G... conteste cette évaluation en se prévalant de l'étude établie par la chambre d'agriculture le 13 septembre 2017, laquelle retient une augmentation de la charge de mécanisation globale de l'exploitation de 8 839 euros par an en raison de l'évolution du parcellaire et des changements de mécanisation induits par la LGV, cette étude ne peut être retenue dès lors qu'elle évalue le surcoût d'exploitation globalement généré par l'évolution du parcellaire en lien avec l'aménagement foncier, alors que le préjudice de défiguration d'unités culturales a pour objet de compenser le surcoût d'exploitation résultant de la défiguration de seulement trois parcelles sur une superficie d'environ 2,5 hectares. Il s'ensuit qu'il y a lieu de retenir la somme de 6 892 euros calculée par l'expert pour rendre compte du préjudice de défiguration d'unités culturales subi par E....

En ce qui concerne la rupture d'unité de l'exploitation :

18. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la création de la LGV Bretagne- Pays de la Loire a eu pour conséquence de séparer des parcelles auparavant exploitées d'un seul tenant par E.... En l'espèce, il peut être fait application, conformément au rapport de l'expert, du barème d'indemnisation du protocole d'accord sur les conditions de réparation des dommages de travaux publics conclu le 21 juillet 2011 entre les associations départementales des personnes des départements d'Ille-et-Vilaine, de la Mayenne et de la Sarthe, d'une part, et Réseau ferré de France, d'autre part. Conformément à ce que prévoit ce protocole, le préjudice est indemnisable jusqu'à un plafond de 30 hectares, l'exploitation ne pouvant être considérée comme subissant un préjudice pour rupture d'unité d'exploitation au-delà de cette superficie. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi au titre de la rupture d'unité d'exploitation en l'évaluant à la somme de 15 510 euros proposée par l'expert judiciaire et retenue à bon droit par les premiers juges.

En ce qui concerne les travaux de drainage :

19. La somme de 8 317,18 euros allouée à E... par les premiers juges en remboursement des travaux de drainage de la parcelle H 478 n'est pas contestée par les parties. Il y a lieu dès lors de confirmer l'indemnité accordée à ce titre à G....

En ce qui concerne la perte de rendement :

20. En se bornant à produire un plan d'épandage, dont il ressort que 85 hectares et 8 ares des terres de l'exploitation C... sont situées dans le périmètre de ce plan, E... ne justifie, pas plus en appel qu'en première instance, que les parcelles perdues étaient irriguées et irrigables, ni de la réalité même de la perte de rendement alléguée, dont l'expert n'a pas considéré qu'elle était établie au vu des éléments qui lui avaient été fournis. La demande d'indemnisation présentée à ce titre doit par conséquent être rejetée.

21. Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des préjudices subis par E... s'élèvent à la somme globale de 91 843,18 euros. Ces préjudices, appréciés dans leur globalité, présentent un caractère à la fois grave et spécial, compte tenu de leurs effets négatifs sur les conditions d'exploitation de cette société agricole, qui excèdent les sujétions que doivent normalement supporter dans l'intérêt général les voisins d'un ouvrage public. E... est donc fondée à demander la condamnation de la société Eiffage Rail Express à lui verser la somme de 91 843,18 euros sous déduction de la somme de 45 000 euros déjà reçue à titre provisionnel.

22. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la société Eiffage Rail Express à verser à M. et Mme C... la somme de 22 300 euros et à E... la somme de 91 843,18 euros, sous déduction, respectivement, des sommes de 10 300 euros et 45 000 euros déjà versées à titre provisionnel, et de réformer en ce sens le jugement attaqué.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. et Mme C... et H... C... qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société ERE le versement à M. et Mme C... et H... C... d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : La société Eiffage Rail Express est condamnée à verser à M. et Mme C... la somme de 22 300 euros, sous déduction de la somme de 10 300 euros qui lui a déjà été versée à titre provisionnel.

Article 2 : La société Eiffage Rail Express est condamnée à verser à E... la somme de 91 843,18 euros sous déduction de la somme de 45 000 euros qui lui a déjà été versée à titre provisionnel.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 février 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er et 2 du présent arrêt.

Article 4 : La société Eiffage Rail Express versera à M. et Mme C... et à E... la somme globale de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à E..., à M. B... C..., à Mme A... D... épouse C... et à la société Eiffage Rail Express.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- M. Catroux, premier conseiller,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

Le président,

G.-V. VERGNE

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00510


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00510
Date de la décision : 12/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : BERNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-12;23nt00510 ?
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