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12/01/2024 | FRANCE | N°23NT00607

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 janvier 2024, 23NT00607


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 24 juillet 2020 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Rennes a rejeté son recours contre la décision du 25 juin 2020 du président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Caen lui infligeant un avertissement.



Par un jugement n° 2002208 du 23 septembre 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 3 mars 2023, M. E..., représe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 24 juillet 2020 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Rennes a rejeté son recours contre la décision du 25 juin 2020 du président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Caen lui infligeant un avertissement.

Par un jugement n° 2002208 du 23 septembre 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 mars 2023, M. E..., représenté par Me David, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 septembre 2022 du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'annuler la décision de la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Rennes du 24 juillet 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du

10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement n'est pas signé, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- la décision contestée est entachée de vices de procédure, dès lors que la commission de discipline n'était pas régulièrement composée, que le compte-rendu d'incident ne comportait pas la mention de l'identité de son auteur et que l'auteur de la décision de poursuite ne bénéficiait pas pour ce faire d'une délégation de signature ayant fait l'objet d'un affichage ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que la décision contestée n'était pas contraire à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu des graves effets, sur la santé mentale notamment, des sanctions disciplinaires encourues par les personnes détenues ;

- elle méconnaît l'article R. 57-6-7 du code de procédure pénale, dès lors qu'elle porte atteinte au secret des communications entre l'avocat et son client détenu, s'agissant d'un courrier retenu émanant de son avocat ;

- elle est entachée d'une erreur de fait et d'appréciation, en l'absence d'intention de faire sortir cette lettre.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 septembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Catroux,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... est écroué au centre pénitentiaire de Caen depuis le 1er octobre 2019. Il a fait l'objet d'une sanction disciplinaire d'avertissement le 25 juin 2020 pour une tentative de sortie de correspondance au parloir. Par une décision du 24 juillet 2020, la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Rennes a rejeté son recours administratif contre cette sanction. M. E... relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du

23 septembre 2022 rejetant sa demande d'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort du jugement attaqué qu'il comporte l'ensemble des signatures prévues par les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, aucune disposition n'imposant, par ailleurs, que l'expédition notifiée aux parties comporte ces signatures. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de cet article doit, par suite, être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article R. 57-7-5, alors en vigueur, du code de procédure pénale : " Pour l'exercice de ses compétences en matière disciplinaire, le chef d'établissement peut déléguer sa signature à son adjoint, à un directeur des services pénitentiaires ou à un membre du corps de commandement du personnel de surveillance placé sous son autorité. (...) ". Aux termes de son article R. 57-7-6 alors en vigueur : " La commission de discipline comprend, outre le chef d'établissement ou son délégataire, président, deux membres assesseurs. ". Son article

R. 57-7-8 alors en vigueur précisait que les assesseurs sont désignés par le président de la commission de discipline, le premier étant choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement et le second parmi des personnes extérieures à l'administration pénitentiaire qui manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires, habilitées à cette fin par le président du tribunal de grande instance territorialement compétent. Enfin, aux termes de l'article R. 57-7-13 du même code alors en vigueur : " En cas de manquement à la discipline de nature à justifier une sanction disciplinaire, un compte rendu est établi dans les plus brefs délais par l'agent présent lors de l'incident ou informé de ce dernier. L'auteur de ce compte rendu ne peut siéger en commission de discipline. " et aux termes de son article R. 57-7-14 : " A la suite de ce compte rendu d'incident, un rapport est établi par un membre du personnel de commandement du personnel de surveillance, un major pénitentiaire ou un premier surveillant et adressé au chef d'établissement. Ce rapport comporte tout élément d'information utile sur les circonstances des faits reprochés à la personne détenue et sur la personnalité de celle-ci. L'auteur de ce rapport ne peut siéger en commission de discipline. (...). ". Il résulte de ces dispositions que la présence dans la commission de discipline d'un assesseur choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement, qui ne peut être ni l'auteur du compte rendu établi à la suite d'un incident, ni l'auteur du rapport établi à la suite de ce compte rendu, constitue une garantie reconnue au détenu, dont la privation est de nature à vicier la procédure, alors même que la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires, prise sur le recours administratif préalable obligatoire exercé par le détenu, se substitue à celle du président de la commission de discipline.

4. En premier lieu, aucune disposition n'impose la mention, dans le compte rendu d'incident prévu à l'article R. 57-7-13 du code de procédure pénale précité, du nom de son auteur. De plus, il ressort des pièces du dossier que le compte-rendu d'incident du 14 juin 2020 comportait l'initiale du nom de son auteur, M. A..., et la mention de sa qualité de surveillant. Cette initiale et cette qualité sont différentes tant de celles de l'auteur du rapport d'enquête, M. D., qui est premier surveillant, que de celles de M. M., brigadier, premier assesseur de la commission de discipline, qui avait siégé en cette qualité le 25 juin 2020 à cette commission pour connaître des faits en litige. Enfin, il ressort des pièces du dossier que la commission de discipline était composée, outre de son président, chef de détention, qui bénéficiait d'une délégation de signature consentie à cet effet par le chef d'établissement, d'un assesseur extérieur à l'administration, dont le patronyme figure sur les documents produits par le garde des sceaux, et d'un assesseur surveillant de l'administration pénitentiaire, dont le patronyme a été occulté ainsi que le permettent les dispositions de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale. Ainsi qu'il a été dit, les documents produits permettent de s'assurer que ni l'auteur du compte rendu d'incident ni l'auteur du rapport d'enquête n'ont siégé au sein de la commission de discipline du 25 juin 2020. Les moyens tirés de l'absence d'identification nominative de l'auteur du compte rendu d'incident et de l'irrégularité de la composition de la commission de discipline doivent, par suite, être écartés.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision du 17 juin 2020, prise sur rapport d'enquête, de poursuivre la faute disciplinaire en litige a été signée par M. D... B..., capitaine, chef de détention. Ce dernier s'était vu consentir par une décision du 1er février 2019 du chef d'établissement du centre pénitentiaire de Caen une délégation à l'effet de signer notamment les actes relatifs à l'engagement des poursuites disciplinaires. Il ressort des pièces du dossier que cette décision avait fait l'objet le 6 février 2019 d'une publication au recueil des actes administratifs de la préfecture du Calvados. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision de poursuite doit, dès lors, être écarté.

6. En troisième lieu, d'une part, eu égard à la nature et au degré de gravité des sanctions disciplinaires encourues par les personnes détenues, qui n'ont, par elles-mêmes, pas d'incidence sur la durée des peines initialement prononcées, les poursuites disciplinaires engagées à leur encontre ne sauraient être regardées comme une accusation en matière pénale au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, si les sanctions disciplinaires encourues par les personnes détenues peuvent entraîner des limitations de leurs droits et si, de ce fait, les contestations de ces sanctions doivent être regardées comme portant sur des droits à caractère civil au sens des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la nature administrative de l'autorité prononçant les sanctions disciplinaires fait obstacle à ce que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soient applicables à la procédure disciplinaire dans les établissements pénitentiaires. Par suite, la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne ne saurait être utilement invoquée contre la décision contestée.

7. En quatrième lieu, en vertu du 8° de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale alors en vigueur, le fait d'enfreindre ou de tenter d'enfreindre les dispositions législatives ou règlementaires, le règlement intérieur de l'établissement ou toute autre instruction de service applicable en matière de sortie de correspondance constitue une faute disciplinaire du deuxième degré. De plus, aux termes de l'article R. 57-6-7 du code de procédure pénale alors en vigueur :

" Le contrôle ou la retenue des correspondances entre les personnes détenues et leur conseil ne peut intervenir s'il peut être constaté sans équivoque que celles-ci sont réellement destinées au conseil ou proviennent de lui. "

8. Il ressort des pièces du dossier et notamment d'un rapport d'incident du 14 juin 2020 que le requérant portait dans la poche gauche de son short une correspondance, qui a été interceptée par un agent pénitentiaire au niveau du contrôle de sécurité avant parloir. Il en ressort également que M. E... a reconnu n'avoir pas respecté la procédure règlementaire en omettant de signaler l'existence de cet écrit au surveillant. Si M. E... soutient qu'il s'agissait d'un courrier qu'il entendait soumettre à son épouse avant de l'envoyer à son avocat, à qui il était destiné, il ne l'établit pas par la seule production d'un courrier adressé à cet avocat et daté du 15 juin 2020. Une telle circonstance, à la supposer même établie, n'aurait pas eu d'ailleurs par elle-même d'incidence sur le caractère de faute disciplinaire du comportement reproché à l'intéressé, au regard des dispositions de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale, les faits en cause constituant bien une infraction de l'intéressé aux règles applicables en matière de détention, de circulation et de sortie des correspondances, ce qu'il ne conteste d'ailleurs pas. Par suite, la décision contestée n'est entachée d'aucune erreur de fait et d'aucune erreur de droit au regard des dispositions citées au point précédent. Elle n'est pas non plus entachée d'erreur d'appréciation, dès lors que la sanction d'avertissement infligée n'est pas disproportionnée au regard de la gravité de la faute commise.

9. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 24 juillet 2020. Les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. C... E....

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- Mme Lellouch, première conseillère,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.

Le rapporteur,

X. CATROUXLe président,

G.-V. VERGNE

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00607


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00607
Date de la décision : 12/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-12;23nt00607 ?
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