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19/01/2024 | FRANCE | N°22NT02498

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 19 janvier 2024, 22NT02498


Vu la procédure suivante :



Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 juillet 2022, 4 et 10 juillet et 15 décembre 2023, la SAS Cleadis, représentée par Me Meillard, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 30 mai 2022 par lequel le maire de la commune de Vitré a délivré un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la SAS Société des magasins Sainte-Anne (SMSA) ;



2°) de mettre à la charge de la commune de Vitré, de l'Etat et de la SMSA une somme de 5 500 euros au titr

e de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soutient que :

- il n...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 juillet 2022, 4 et 10 juillet et 15 décembre 2023, la SAS Cleadis, représentée par Me Meillard, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 30 mai 2022 par lequel le maire de la commune de Vitré a délivré un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la SAS Société des magasins Sainte-Anne (SMSA) ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Vitré, de l'Etat et de la SMSA une somme de 5 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'est pas démontré que tous les participants à la séance de la commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) ont reçu notification des cinq documents prévus à l'article R. 752-35 du code de commerce dans un délai raisonnable ;

- il n'est pas établi qu'ils ont eu connaissance des avis des ministres prévus à l'article R. 752-36 du code de commerce, avant leur délibération du 10 mars 2022 ;

- des modifications substantielles ont été apportées au parti architectural et paysager du projet, qui faisaient obstacle à la saisine directe de la CNAC sur le fondement de l'article L. 752-21 du code de commerce ;

- le projet est incompatible avec le schéma de cohérence territoriale (SCoT) du Pays de Vitré ;

- le projet a des effets négatifs sur l'animation de la vie urbaine et rurale et ne contribue pas à la préservation du tissu commercial de centre-ville ; le renforcement d'une offre commerciale, notamment alimentaire généraliste, déjà très importante à Vitré risque de déstabiliser le commerce en place et ne contribuera pas à équilibrer le maillage commercial dans la zone de chalandise ; l'offre en format et concept hypermarché est déjà excessive au niveau de la zone de chalandise ; le projet ne diversifie pas l'offre existante et ne participe pas à l'essor du commerce de centre-ville et aux actions pour le préserver ; il présente des risques pour les communes rurales limitrophes de la commune d'implantation ;

- l'insertion paysagère et architecturale du projet est insuffisante compte tenu du caractère massif du parking couvert qui longe la voie publique dans la partie sud du site ; les couleurs choisies, notamment le rouge de la partie en rez-de-chaussée, ne contribuent pas à une intégration harmonieuse et discrète ; aucun effort n'a été fait pour l'intégration de la partie nord du site ; les efforts en matière de végétalisation ne sont pas établis ;

- le projet est insuffisant en termes de développement durable ; les panneaux solaires ne représenteront que 6,46% de la surface totale de la toiture et la toiture végétalisée n'est que de 36 m² pour 9 899 m² de toiture ;

- le projet entraine une consommation d'espace supplémentaire et un étalement d'une zone commerciale déjà extrêmement vaste et la démolition de trois maisons d'habitation, en méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce ;

- il aggrave les nuisances et les risques pour l'environnement proche, en méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce alors qu'il implique le déplacement de la station-service et de lavage existante sur des parcelles occupées par des maisons d'habitations et leur jardin d'agrément, une structure d'accueil des enfants de 0 à 6 ans, un parc attenant à un château en cours de rénovation destiné à accueillir notamment un établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et un château d'eau ; les nuisances de voisinage sont également susceptibles d'être aggravées à l'est du site, où la pétitionnaire a semble-t-il acquis ou doit acquérir un terrain composé d'une maison individuelle et son jardin d'agrément, en étendant les limites de la zone commerciale et la rapprochant de maisons individuelles et de l'école maternelle Sainte-Bernadette ;

- les flux de circulation seront dégradés compte tenu de la faible réserve capacitaire de certains aménagements ; l'étude des flux de circulation est ancienne, lacunaire et biaisée.

Par des mémoires, enregistrés les 19 décembre 2022, 24 et 27 novembre 2023 et 15 décembre 2023, la SAS Société des magasins Sainte-Anne (SMSA), représentée par Me Renaux, conclut au rejet de la requête de la SAS Cleadis, subsidiairement à ce que la cour sursoit à statuer jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois, afin de permettre la régularisation du vice tiré de l'irrégularité formelle de l'avis de la CNAC et à ce qu'elle mette à la charge de la SAS Cleadis la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la SAS Cleadis ne sont pas fondés ou sont inopérants et qu'en cas d'illégalité du permis de construire litigieux, pour vice de forme, la cour devrait sursoir à statuer en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme de manière à permettre sa régularisation.

Par des mémoires, enregistrés les 9 janvier et 11 octobre 2023, la commune de Vitré, représentée par le cabinet Coudray, conclut au rejet de la requête de la SAS Cleadis et à ce que la cour mette à la charge de celle-ci la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la SAS Cleadis ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;

- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me Meillard, pour la société Cleadis, de Me Lapprand, pour la commune de Vitré et de Me de Cirugeda, substituant Me Renaux, pour la SAS SMSA.

Une note en délibéré, présentée pour la société Cleadis, a été enregistrée le 3 janvier 2024.

Une note en délibéré, présentée pour la SAS SMSA, a été enregistrée le 5 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La société des magasins Sainte-Anne (SMSA) a déposé, le 16 décembre 2020, une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour procéder à l'extension de la surface de vente et au réaménagement de l'ensemble commercial, situé à Vitré, constitué par ses magasins " Hyper U " et " U Technologie ", des boutiques composant la galerie marchande attenante et de son " drive ". Le projet doit faire passer la surface de vente totale de cet ensemble commercial de 5 153 m² à 6 099 m², soit une augmentation de 946 m², et celle de l'hypermarché " Hyper U " de 4 113 m² à 5 240 m², soit 1 127 m² en plus. Le 2 mars 2021, la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) d'Ille-et-Vilaine a émis un avis favorable sur le projet. Sur recours de la SAS Cleadis, exploitante d'un magasin à l'enseigne " Intermarché ", le 24 juin 2021 la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a émis un avis défavorable au projet. La SMSA a toutefois modifié son projet et déposé une nouvelle demande de permis de construire, le 22 novembre 2021. Saisie directement sur le fondement des dispositions de l'article L. 752-21 du code de commerce, la CNAC a rendu un avis favorable le 10 mars 2022. En conséquence, le maire de Vitré, par un arrêté du 30 mai 2022, a délivré le permis de construire sollicité par la SMSA. La SAS Cleadis demande à la cour de prononcer l'annulation de cet arrêté en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.

Sur la légalité de l'arrêté du maire de Vitré du 30 mai 2022 :

En ce qui concerne la légalité externe de l'avis de la CNAC du 10 mars 2022 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 752-35 du code de commerce : " La commission nationale se réunit sur convocation de son président. / Cinq jours au moins avant la réunion, chacun des membres reçoit, par tout moyen, l'ordre du jour ainsi que, pour chaque dossier : / 1° L'avis ou la décision de la commission départementale ; / 2° Le procès-verbal de la réunion de la commission départementale ; / 3° Le rapport des services instructeurs départementaux ; / 4° Le ou les recours à l'encontre de l'avis ou de la décision ; / 5° Le rapport du service instructeur de la commission nationale. ".

3. Si la SAS Cleadis soutient qu'il n'est pas démontré que tous les participants à la séance de la CNAC ont reçu dans un délai raisonnable notification des documents prévus à l'article R. 752-35 du code de commerce, celle-ci, en produisant une attestation de la société Dematis, son prestataire de convocations électroniques, établit avoir envoyé à ses membres, par courriel du 22 février 2022, une convocation à la séance du 10 mars 2022, au cours de laquelle a été examiné le projet en litige, cette convocation les informant de la mise à la disposition des documents nécessaires pour l'examen du dossier au moins cinq jours avant cette séance sur la plateforme de téléchargement dédiée, avec les précisions suivantes : " Les documents relatifs à ces dossiers seront disponibles sur la plateforme de téléchargement 5 jours au moins avant la tenue de la séance. Ces documents ne seront pas imprimés par le secrétariat de la commission. / En application de l'article R. 752-35 du code de commerce, chaque dossier est composé de : - l'avis ou la décision de la commission départementale - le procès-verbal de la réunion de la commission départementale - le rapport des services instructeurs départementaux - le ou les recours à l'encontre de l'avis ou de la décision - le rapport du service instructeur de la commission nationale. / En complément, ces dossiers pourront comporter une sélection de cartes ou de plans et la demande d'autorisation d'exploitation commerciale. ". Il n'est ni établi, ni même allégué par des objections circonstanciées, que les membres de la CNAC n'auraient pas été mis en mesure d'accéder par ces moyens aux documents en cause, dans le délai de cinq jours prévu par ce même article, eu égard notamment à la capture d'écran produite par la CNAC attestant du partage des fichiers correspondants à compter du 3 mars 2017 à 17h22 et jusqu'au 17 mars 2022, aux termes du compte-rendu de la séance du 10 mars 2022 et au contenu de l'avis du même jour. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que les membres de la Commission n'auraient pas été en mesure de prendre connaissance en temps utile des documents prévus au deuxième alinéa de l'article R. 752-35 précité du code de commerce. Par suite le moyen tiré de l'irrégularité de la convocation de la CNAC doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 752-36 du code de commerce : " (...) Le secrétariat de la commission nationale instruit et rapporte les dossiers. Le commissaire du Gouvernement présente et communique à la commission nationale les avis des ministres chargés de l'urbanisme et du commerce. Après audition des parties, il donne son avis sur les demandes. ".

5. Ces dispositions se bornent à définir le rôle du commissaire du gouvernement, qui est d'exprimer devant la Commission la position des ministres intéressés lorsqu'il rapporte le dossier, sans exiger que soient versés au dossier remis aux membres de la Commission les avis écrits de ces ministres. Par suite, la société Cleadis ne peut utilement soutenir qu'il n'est pas établi que les membres de la CNAC ont eu connaissance des avis des ministres prévus à l'article R. 752-36 du code de commerce, avant les délibérations du 10 mars 2022. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions de l'avis de la CNAC et du procès-verbal de sa séance du 10 mars 2022, que l'avis favorable du 23 février 2022 du ministre chargé du commerce et l'avis favorable du 8 mars 2022 du ministre chargé de l'urbanisme ont été présentés en séance par le commissaire du Gouvernement. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article R. 752-36 du code de commerce auraient été méconnues doit être écarté.

6. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 752-21 du code de commerce : " Un pétitionnaire dont le projet a été rejeté pour un motif de fond par la Commission nationale d'aménagement commercial ne peut déposer une nouvelle demande d'autorisation sur un même terrain, à moins d'avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l'avis de la commission nationale. / Lorsque la nouvelle demande ne constitue pas une modification substantielle au sens de l'article L. 752-15 du présent code, elle peut être déposée directement auprès de la Commission nationale d'aménagement commercial. ". Aux termes de l'article L. 752-15 du même code : " (...) Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d'instruction ou lors de sa réalisation, subit, du fait du pétitionnaire, des modifications substantielles au regard des critères énoncés à l'article L. 752-6 (...) ".

7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la simple substitution du bardage en bois des façades du bâtiment accueillant le parking par une composition végétale, pour en favoriser l'intégration architecturale et paysagère, et le transfert de la station-service et de la station de lavage existantes sur un autre site de l'autre côté de la route de Redon, accueillant le parking du personnel, alors que la surface globale de l'ensemble commercial reste la même avant et après mise en œuvre du projet, constitueraient une modification substantielle au sens de l'article L. 752-15 du code de commerce. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 752-21 du code de commerce auraient été méconnues en ce que la CDAC aurait dû être saisie préalablement à la CNAC doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne de l'avis de la CNAC du 10 mars 2022 :

8. Aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial (...) ". Aux termes du troisième alinéa de l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat : " Les pouvoirs publics veillent à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l'emploi ". Aux termes de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine./ Dans le cadre d'une concurrence loyale, ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l'amélioration des conditions de travail des salariés. ". Aux termes de l'article L. 752-6 du même code : " I.- L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme. La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : 1° En matière d'aménagement du territoire : a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; 2° En matière de développement durable : a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; 3° En matière de protection des consommateurs :a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ;b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ;c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ;d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs (...) ".

9. Il résulte de ces dispositions combinées que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Les dispositions ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce, par la loi du 23 novembre 2018, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.

S'agissant de la compatibilité du projet avec le schéma de cohérence territoriale (SCoT) du Pays de Vitré :

10. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial non de vérifier la conformité des projets d'exploitation commerciale qui leur sont soumis aux énonciations des schémas de cohérence territoriale, mais d'apprécier la compatibilité de ces projets avec les orientations générales et les objectifs qu'ils définissent.

11. La société Cleadis soutient que le projet, en tant qu'il renforcera la plus vaste zone commerciale du Pays de Vitré et de la zone de chalandise, qui réunit déjà de nombreux commerces à prédominance alimentaire, serait incompatible avec le SCoT au motif que celui-ci a pour objectif le renforcement des centres villes, notamment ceux de Vitré et Janzé, et le confortement et le développement d'autres communes qu'il identifie. Toutefois, il ressort du document d'orientations et d'objectifs du SCoT du Pays de Vitré qu'il prévoit également des orientations visant à privilégier le développement de l'offre commerciale vers la qualification, la réorganisation et l'extension des sites commerciaux existants et à affirmer des polarités complémentaires. Il développe également l'objectif de structurer l'offre commerciale dans chaque bassin de vie, ce qui passe notamment par le souhait de renforcer les centres villes de Vitré et Janzé et de qualifier les sites périphériques existants ou en cours de développement sur chacune des deux communes, afin de diversifier et optimiser le niveau de service à l'ensemble de la population de chacun des deux bassins de vie mais aussi de limiter les flux de déplacement vers l'agglomération rennaise. Enfin, il n'est pas contesté que le projet s'implante dans un secteur identifié comme localisation préférentielle pour le commerce ou " pôle de bassin ". Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet de la société des magasins Sainte-Anne serait incompatible avec le SCoT. Le moyen doit donc être écarté.

S'agissant de l'objectif d'aménagement du territoire :

12. Dès lors que, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, la densité d'équipement commercial de la zone de chalandise concernée ne figure plus au nombre des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce, la société Cleadis ne peut utilement soutenir que l'offre en format et concept hypermarché est déjà excessive au niveau de la zone de chalandise, ni que le projet qu'elle critique serait de nature à compromettre l'équilibre entre les différentes formes de commerce.

13. Il ressort des pièces du dossier qu'entre 2007 et 2017 la population de la zone de chalandise a augmenté de 9% et celle de Vitré de 8% et qu'à l'horizon 2025, elle devrait encore augmenter significativement. Il n'est pas non plus contesté que le taux de vacance à Vitré n'était que de 7% en 2021, en nette amélioration alors que 14 locaux vides ont été recensés en septembre 2021 contre 24 en septembre 2020. Si cette commune a signé une convention " Action Cœur de Ville " convertie en opération de revitalisation de territoire (ORT), il ressort de cette convention que " la Ville de Vitré jouit d'une situation commerciale plutôt confortable et la vacance est relativement faible (inférieure à 10%) quoiqu'inégale en fonction des rues. En outre, le territoire de Vitré Communauté bénéficie d'une dynamique économique et industrielle favorable ; le taux de chômage sur le territoire est l'un des plus faibles de France " et que " les difficultés les plus notables sont la petite taille des cellules commerciales et la quasi-impossibilité de recourir au remembrement de cellules commerciales en secteur patrimonial remarquable. En outre, le montant des loyers n'est pas toujours cohérent et constitue un frein à l'installation de porteurs de projet qui débutent dans leur activité commerciale ". Il ressort en outre des pièces du dossier que le tissu commercial des communes limitrophes de Vitré est peu dense, avec une offre alimentaire limitée voire absente dans certaines communes et que s'agissant des communes rurales de la zone de chalandise on observe de faibles taux de vacance commerciale. Dans ces conditions, quand bien même le projet se situe à 5 minutes environ en voiture du centre-ville de Vitré, la société Cleadis n'est pas fondée à soutenir que le projet a des effets négatifs sur l'animation de la vie urbaine ou rurale et ne contribue pas à la préservation du tissu commercial de centre-ville.

14. En outre, si la société Cleadis conteste l'étude des flux de circulation réalisée en septembre 2020 pour apprécier l'effet du projet sur les flux de transports, elle ne fait état d'aucun élément probant pour en contester la pertinence et l'actualité seulement deux années après sa réalisation. Il ressort du rapport de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) d'Ille-et-Vilaine qu'une " étude de trafic au niveau des accès a été réalisée en septembre 2020 par un cabinet extérieur (CDVIA). Le nombre de véhicules générés par l'ensemble commercial est d'environ 600 entrants et sortants en heure de pointe du samedi matin et 450 en heure de pointe du vendredi soir. La fréquentation supplémentaire après extension est estimée à une soixantaine de véhicules entrants et sortants le samedi matin et environ 45 le vendredi soir (+10 %). Il est bien signalé que des ralentissements existent aux heures de pointe le vendredi soir sur les ronds-points de la Guerche et de la Baratière, avec une propagation rue de Redon. Malgré cela, l'impact du projet sur le trafic est qualifié de très modéré. Les réserves de capacité des voies sont proches de celles existantes. " et de l'avis du ministre chargé du commerce du 23 février 2022 que " (...) les impacts sur les flux de circulation seront quasiment nuls ". Par ailleurs, si la société Cleadis fait état des conséquences du transfert de la station-service et de la station de lavage existantes, il ressort des pièces du dossier, notamment du même avis du ministre chargé du commerce que " (...) le déplacement de la station-service permettra de garantir une meilleure fluidité de la circulation aux abords du centre commercial. ".

15. Enfin, la société Cleadis n'est pas fondée à soutenir que le projet ne ferait pas une consommation économe de l'espace au motif en particulier qu'il nécessitera le déplacement de la station-service et de la station de lavage sur un autre site, alors qu'il ressort des pièces du dossier, en particulier des tableaux de synthèse établis, que, compte tenu des divers réaménagements, la surface globale occupée par l'équipement commercial litigieux restera la même avant et après mise en œuvre du projet. D'ailleurs, dans son avis du 23 février 2022, le ministre chargé du commerce a noté que : " L'aire de stationnement restera identique : l'augmentation de la surface de vente n'entrainera aucune création de places de stationnement supplémentaire. De plus, la majeure partie des nouvelles surfaces de plancher créées sera édifiée en hauteur (R+l et R+2), limitant la consommation foncière du projet et garantissant ainsi la compacité du projet. " et il n'est pas contesté que le ratio d'emprise au sol du stationnement qui était de 1,33 a été ramené à 0,92. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que le projet ne concerne que des terrains situés en zone urbanisée.

16. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la CNAC a commis une erreur d'appréciation en considérant que le projet de la SMSA ne portera pas atteinte à l'objectif d'aménagement du territoire mentionné à l'article L. 752-6 du code de commerce.

S'agissant de l'objectif de développement durable :

17. La société Cleadis critique l'insertion paysagère et architecturale du projet compte tenu du caractère massif du parking couvert et des couleurs choisies, notamment le rouge. Toutefois, s'agissant d'une simple extension d'un équipement commercial existant, dans un environnement urbain dénué de caractère particulier, le choix de remplacer le bardage en bois des façades de ce bâtiment par un double rideau végétalisé composé de cyprès et de plantes basses, ainsi que de murets en gabions, nécessitant la plantation de 40 arbres et la création de 384 m² de surface de pleine terre supplémentaires, apparaît de nature à améliorer l'insertion paysagère et architecturale de l'équipement commercial de la société SMSA. D'ailleurs, dans son avis favorable du 23 févier 2022, le ministre chargé du commerce a estimé que : " l'habillage du parking couvert a été revu et amélioré permettant ainsi une meilleure intégration paysagère et architecturale. Il ne s'agit plus d'un bardage bois ajouré mais de deux rideaux de végétation composés de cyprès et de plantes basses. Des tons naturels ont été choisis pour l'encadrement des poteaux de l'habillage. ". Par ailleurs, la couleur rouge critiquée d'une partie de la façade du rez-de-chaussée est limitée à la signalisation du " drive ".

18. En outre, si la société Cleadis soutient que le projet ne justifie pas d'une qualité environnementale suffisante, en faisant valoir que les panneaux solaires ne représenteront que 6,46% de la surface totale de la toiture et que la toiture végétalisée n'est que de 36 m² pour 9 899 m² de toiture, il ressort des pièces du dossier qu'il s'accompagne d'évolutions significatives en faveur de la prise en compte de l'environnement puisque la toiture doit être équipée de panneaux solaires photovoltaïques sur une surface de 639 m² à fin d'autoconsommation, alors que la réglementation n'impose que 307,80 m², que par anticipation il respecte les obligations issues de la règlementation environnementale RE 2020 applicable et qu'il doit mettre en œuvre des systèmes vertueux d'autoconsommation, de récupération de chaleur, de " free-cooling ", de matériaux LEDS, de dispositifs de récupération des eaux pluviales, de traitement des déchets organiques et de recyclage des emballages, et plusieurs dispositifs de limitation de l'impact visuel, sonore et lumineux de l'ensemble commercial avec pour résultats prévus de réduire de 33% l'énergie primaire consommée, de 44% l'émission de gaz à effet de serre, de 25% la consommation énergétique du chauffage et de 30% la consommation sur l'éclairage et sur le froid commercial. Dans son avis du 23 févier 2022, le ministre chargé du commerce a d'ailleurs considéré que : " Le projet permet, d'un point de vue global, une diminution de l'imperméabilisation car les places de stationnement dédiées au personnel seront rendues perméables sur le site spécifique accueillant ces parkings, de l'autre côté de la rue de Redon. L'extension projetée mettra en œuvre, de manière anticipée, les prescriptions de la RE 2020 tandis que le bâtiment existant verra également son isolation thermique améliorée. Le déplacement de la station-service et de la station de lavage sur le site accueillant le parc de stationnement dédié au personnel permettra une diminution des nuisances sonores pour les riverains se trouvant à proximité. De plus, l'ancien site sera dépollué. En réponse au second considérant de la CNAC, la surface des espaces verts de pleine terre sera augmentée, passant ainsi de 2 273 m² à 2 657 m² (contre 2 023 m² pour le projet initial). Les surfaces perméables seront elles aussi augmentées passant de 15 m² aujourd'hui à 678 m² (contre 500 m² pour le projet initial) notamment grâce à la création d'une piste cyclable perméable le long de la rue de Redon. En outre, 40 arbres de hautes tiges seront plantés en plus des 86 existants. La surface de panneaux photovoltaïques passera de 480 m2 dans le projet initial à 639 m² dans celui-ci et celle de la toiture végétalisée de 14m² à 36 m². Une cuve de récupération des eaux pluviales de 30 m3 sera installée et la station de lavage sera équipée d'un système de recyclage des eaux usées. ".

19. Enfin, la société Cleadis n'établit pas que les nuisances qu'impliqueraient, selon elle, le déplacement de la station-service et de lavage existantes sur une parcelle à proximité de terrains occupés par des maisons d'habitations et leur jardin d'agrément, une structure d'accueil des enfants de 0 à 6 ans, un parc attenant à un château en cours de rénovation destiné à accueillir notamment un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), un château d'eau et une école maternelle seraient plus graves que celles qu'elles génèrent actuellement alors qu'en outre il ressort des pièces du dossier que cette opération améliorera la lisibilité en entrée / sortie de l'ensemble commercial en réduisant la mixité des flux de circulation, ce qui sera de nature à éviter les conflits d'usage accidentogènes entre les flux de clientèle des piétons et voitures et les camions citerne. En outre, dans son avis du 23 février 2022, le ministre du commerce a estimé que : " (...) le déplacement de la station-service permettra de garantir une meilleure fluidité de la circulation aux abords du centre commercial. " et " Le déplacement de la station-service et de la station de lavage sur le site accueillant le parc de stationnement dédié au personnel permettra une diminution des nuisances sonores pour les riverains se trouvant à proximité. De plus, l'ancien site sera dépollué. ".

20. Il en ressort que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la CNAC aurait commis une erreur d'appréciation en considérant que le projet de la SMSA ne portera pas atteinte à l'objectif de développement durable mentionné à l'article L. 752-6 du code de commerce.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Cleadis doit être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

22. Les conclusions présentées par la société Cleadis au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées dès lors qu'elle a la qualité de partie perdante. En revanche, il y lieu de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser respectivement à la SAS SMSA et à la commune de Vitré.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Cleadis est rejetée.

Article 2 : La société Cleadis versera une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, respectivement à la SAS SMSA et à la commune de Vitré.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Cleadis et SMSA, à la commune de Vitré et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée, pour information à la Commission nationale d'aménagement commercial.

Délibéré après l'audience du 2 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2024.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au préfet d'Ille-et-Vilaine en ce qui les concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02498


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02498
Date de la décision : 19/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : CABINET COUDRAY CONSEIL & CONTENTIEUX

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-19;22nt02498 ?
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