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30/01/2024 | FRANCE | N°22NT03720

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 30 janvier 2024, 22NT03720


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) SSI Logistics a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2012 et 2013, ainsi que des majorations correspondantes, à hauteur de la somme totale de 643 950 euros.



Par un jugement n° 1801753 du 30 septembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête de la SAS SSI

Logistics.



Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) SSI Logistics a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2012 et 2013, ainsi que des majorations correspondantes, à hauteur de la somme totale de 643 950 euros.

Par un jugement n° 1801753 du 30 septembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête de la SAS SSI Logistics.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 29 novembre 2022, 5 et 13 juin 2023,

28 juillet 2023, et 6 novembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SAS SSI Logistics, représentée par Mes Frionnet et Rontani demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°1801753 du 30 septembre 2022 rendu par le tribunal administratif de Nantes ;

2°) de faire droit à la demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge au titre des exercices 2012 et 2013 ainsi que des pénalités et intérêts de retard y afférents et de faire droit à la demande tendant à la décharge de la majoration de 40% pour manquement délibéré ;

3°) de condamner l'Etat au versement d'une somme de 10 000 euros en application de l'article L 761-1 du Code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle apporte la preuve dont elle a la charge en application de l'article 212-I-a du code général des impôts que le taux d'intérêt qu'elle a supporté correspond à un taux de marché en vigueur en 2012 et 2013 conformément au principe de pleine concurrence ; elle a fourni devant l'administration et à l'occasion de la première instance une documentation de prix de transfert établie par le cabinet Ernst et Young en mai 2013 au moyen du logiciel " RiskCalc Plus " développée par l'agence de notation Moody's, qui conclut que les taux d'intérêt des prêts qui lui ont été accordés par Bunge Finance BV à SSI Logistics étaient des taux de marché ; ce mode de preuve pour établir la réalité d'un taux de marché a été admis par le Conseil d'Etat dans une décision n° 433723 du 11 décembre 2020 ; une fois déterminée la note de crédit, le risque de défaut est indépendant du secteur d'activité concerné ; de même, le recours à des comparables non seulement français mais également européens est une pratique conforme à la réalité économique ; aucune critique à l'encontre des notations obtenues par le biais de l'outil " RiskCalc " à savoir Ba/BB au titre de l'exercice 2012 et B1/B+ au titre de l'exercice 2013 qui relèvent de la catégorie spéculative n'ont été émises par l'administration pas davantage que par le tribunal ;

- l'analyse de taux d'intérêt réalisée par le cabinet Ernst and Young avocats en 2023 qu'elle produit à l'instance d'appel confirme que le taux appliqué dans le cadre de la convention de prêt avec la société Bunge BV est comparable à celui qu'elle aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ; aligner la note de crédit de la société sur celle du groupe Bunge ou l'ajuster à la hausse du seul fait de son appartenance au groupe Bunge est contraire à la jurisprudence du Conseil d'État, notamment aux décisions General Electric France du 19 juin 2017 et SNC Siblu du 18 mars 2019 ; elle a produit les comptes de la société Baria Serece pour les exercices clos en 2012 et 2013 ;

- elle a aussi produit à l'instance un courrier électronique d'un directeur de banque ING à Bunge Finance BV qui fournit une indication des taux d'intérêt applicables, pour des sociétés ayant les caractéristiques de SSI Logistics à l'occasion d'une demande de prêt de même nature que celui en litige ; ce courrier électronique confirme le fait qu'une banque tierce aurait, toutes choses égales par ailleurs, prêté à la requérante à des conditions similaires aux conditions pratiquées dans le cadre du financement intra-groupe ;

- les sociétés SAS SSI Logistics et Bunge Finance BV sont des sociétés liées au sens de l'article 39-12 du code général des impôts ; sur demande de l'administration fiscale, la société SAS SSI Logistics devait apporter les justificatifs permettant de démontrer que Bunge Finance BV est assujettie à raison des intérêts perçus à un impôt dont le montant est au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices français, soit 8,1/3% ; toutefois, et cela résulte explicitement de la doctrine administrative l'objet du texte est uniquement de s'assurer que les intérêts sont compris dans le revenu imposable du créancier et non de démontrer l'existence d'une imposition effective ;

- Les intérêts reçus par la société Koninklijke Bunge BV étaient soumis à une imposition à un taux très supérieur à 8,1/3 % puisque le taux le plus faible applicable aux revenus de la société néerlandaise était de 20% ; une attestation du 11 novembre 2016 de la société Koninklijke Bunge BV sur laquelle l'administration fiscale hollandaise a apposé son tampon montre que les sociétés Bunge Finance BV et Koninklijke Bunge BV forment une seule entité fiscale imposée à un taux d'impôt sur les sociétés de 20 % ou de 25 % ; le fait qu'elle n'ait pas payé d'impôt au titre de l'exercice clos en 2013 en raison de l'imputation de déficits reportables est sans incidence sur la déductibilité des intérêts de son résultat fiscal au titre de l'exercice clos en 2013.

- elle a fourni le compte résultat 2013 de la société Bunge Finance BV retraçant chaque flux d'intérêt payés par SSI Logistics à Bunge Finance BV et les comptes définitifs de Bunge Finance BV au 31 décembre 2013 ; les exercices de SAS SSI logistics et de la société Bunge Finance BV n'étaient pas décalés pour les années en litige, les deux sociétés clôturant leurs comptes le 31 décembre 2013 ;

- elle est fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des commentaires publiés au Bulletin officiel des Finances publiques sous la référence BOI-IS-BASE-35-50, n° 60, n° 115 et n° 140 ;

- s'agissant de la pénalité de 40 % : le montant des rectifications n'est pas un motif justifiant l'application de la pénalité pour manquement délibéré ; la charge de la preuve en application de l'article L. 195 A du Livre des procédures fiscales incombe à l'administration ; les autres arguments (taille de l'entreprise, date de création, appartenance à un groupe international etc...) ne sont pas pertinents dans l'examen des conditions d'application de la pénalité de 40 % ; l'administration aurait dû démontrer que la société a méconnu sciemment la loi fiscale ; elle peut se prévaloir de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme pour contester l'application de la pénalité de l'article 1729 du code général des impôts ; en demandant une étude à un cabinet international, qui justifiait la normalité des intérêts pratiqués, appréciation corroborée par une banque tierce, elle pouvait légitimement considérer que les intérêts versés étaient déductibles au sens des dispositions de l'article 212-I a du code général des impôts ; s'agissant des dispositions de l'article 212-I b du code général des impôts, l'absence d'intentionnalité est encore plus flagrante : en l'absence de toute décision de jurisprudence et de toute clarification doctrinale, l'imposition des intérêts aux Pays-Bas à un taux compris entre 20% et 25% ne pouvait que justifier la déduction des intérêts au sens des dispositions de l'article

212-I b du code général des impôts.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 juin 2023, et des mémoires enregistrés le

21 juin et 24 octobre 2023, le ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Viéville,

- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) SSI Logistics qui exerce une activité financière est une filiale de la société de droit néerlandais Koninklijke Bunge BV. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 pour l'impôt sur les sociétés, étendue jusqu'au 31 décembre 2014 en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée. L'administration a adressé, le 9 juin 2015, une proposition de rectification à la SAS SSI Logistics, dans laquelle elle a remis en cause, partiellement sur l'exercice 2012 et en totalité sur l'exercice 2013, la déductibilité des intérêts d'un emprunt contracté le 25 novembre 2014 avec effet rétroactif au 1er janvier 2012, par acte sous seing privé auprès de sa société sœur néerlandaise Bunge Finance BV. Les rehaussements notifiés ont été maintenus dans la réponse aux observations du contribuable du 4 septembre 2015 et la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a émis un avis favorable à l'administration lors de sa séance du 9 juin 2016. Après rejet de sa réclamation contentieuse le 15 janvier 2018, la société SSI Logistics a saisi le tribunal administratif de Nantes. Par jugement du 30 septembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête. La société SSI Logistics relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé des impositions litigieuses :

En ce qui concerne la déductibilité des intérêts en raison des taux d'intérêt appliqués à la SAS SSI Logistics en 2012 et 2013 :

2. D'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux exercices en litige : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) 3° Les intérêts servis aux associés à raison des sommes qu'ils laissent ou mettent à la disposition de la société, en sus de leur part du capital, quelle que soit la forme de la société, dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises, d'une durée initiale supérieure à deux ans. (...) ".

3. D'autre part, l'article 212 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux exercices clos jusqu'au 25 septembre 2013, dispose : " I.- Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 sont déductibles dans la limite de ceux calculés d'après le taux prévu au premier alinéa du 3° du 1 de l'article 39 ou, s'ils sont supérieurs, d'après le taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues. ". Aux termes du même article 212, applicable à la société requérante au titre de son exercice clos le 31 décembre 2013 : " I.- Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée, directement ou indirectement, au sens du 12 de l'article 39, sont déductibles : a) Dans la limite de ceux calculés d'après le taux prévu au premier alinéa du 3° du 1 du même article 39 ou, s'ils sont supérieurs, d'après le taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues (...) ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise qui en détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social ou y exerce en fait le pouvoir de décision, ou qui est placée sous le contrôle d'une même tierce entreprise que la première, sont déductibles dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises d'une durée initiale supérieure à deux ans ou, s'il est plus élevé, au taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues. Le taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues s'entend, pour l'application de ces dispositions, du taux que de tels établissements ou organismes auraient été susceptibles, compte tenu de ses caractéristiques propres, notamment de son profil de risque, de lui consentir pour un prêt présentant les mêmes caractéristiques dans des conditions de pleine concurrence. L'entreprise emprunteuse, à qui incombe la charge de justifier du taux qu'elle aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants pour un prêt consenti dans des conditions analogues, a la faculté d'apporter cette preuve par tout moyen. Pour évaluer ce taux, elle peut le cas échéant tenir compte du rendement d'emprunts obligataires émanant d'entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables lorsque ces emprunts constituent, dans l'hypothèse considérée, une alternative réaliste à un financement intragroupe. Lorsque les sommes laissées ou mises à la disposition de la société par ses associés consistent dans le montant nominal d'obligations convertibles en actions souscrites par ces derniers, il y a lieu de corriger le taux de référence ainsi évalué pour tenir compte de la valeur de l'option de conversion associée aux obligations convertibles émises.

5. En premier lieu, la SAS SSI Logistics soutient que l'étude réalisée à la demande de la société Bunge Finance BV en mai 2013 complétée par une nouvelle étude du cabinet Ernst et Young conduite en 2023 selon les règles préconisées par l'OCDE et les recommandations du Conseil d'Etat en la matière démontrent que les taux d'intérêts consentis par la société liée Bunge Finance BV étaient pour l'application du a de l'article 212-I du code général des impôts, des taux de marchés.

6. Cependant, s'agissant de l'étude initiale de mai 2013, il résulte de l'instruction que la note de crédit établie à l'aide du logiciel " Risk Calc Plus " développé par l'agence de notation Moody's, fixée à BB pour l'année 2012 et B+ pour l'année 2013, a été déterminée à partir des seules données financières de la société sans appliquer de pondérations en fonction du risque pays et du secteur d'activité. Le profil de risque de la société a également été déterminé sans prendre en compte les données propres à la filiale vietnamienne, détenue à 50% par la société SSI Logistics.

7. Par ailleurs, les transactions utilisées par le cabinet Ernst et Young dans le cadre de l'étude comparative réalisée en 2013 pour déterminer un intervalle de taux d'intérêt de pleine concurrence concernent, pour l'essentiel, des sociétés non financières, de taille et profil de capitalisation très supérieures à celui de la SAS SSI Logistics. En outre, la majorité des transactions en cause ont trait à des opérations d'emprunt obligataire d'une durée et d'une maturité supérieures à celles concernant la société requérante. De plus, la fourchette des cotations des sociétés comparées est notablement étendue et comprend des cotations croissantes à la clôture des prêts allant par exemple de B à B+ qui traduisent selon le rapport une baisse de taux de 0,75 point de base. Ainsi, l'étude réalisée en 2013 ne prend pas suffisamment en compte les spécificités du contrat conclu par la SAS SSI Logistics, les fonctions exercées par chacune des parties à ce contrat, les caractéristiques des services rendus et le contexte économique du marché sur lequel les parties exercent leur activité.

8. Enfin, la circonstance que l'étude conduite par Ernst et Young en 2013 réponde aux exigences de la jurisprudence du Conseil d'Etat n'est pas de nature à justifier en l'espèce du caractère déductible des intérêts supportés par la SSI Logistics et la circonstance que la notation déterminée internalise certains facteurs de risques propres à l'entreprise n'interdisait pas à l'administration de contester la comparabilité du panel retenu, quand bien même il ne serait composé que d'entreprises ayant obtenu une notation identique. Dans ces conditions, cette première étude, qui prend insuffisamment en compte les conditions du prêt en cause ainsi que les caractéristiques propres à la SAS SSI Logistics, n'est pas de nature à établir que celle société aurait pu obtenir des taux d'intérêt de pleine concurrence comparables à ceux auxquels elle a conclu un prêt avec la société Bunge Finance BV de la part d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues.

9. En deuxième lieu, la SAS SSI Logistics produit en appel une analyse complémentaire du cabinet Ernst et Young établie en 2023. Dans cette étude, le cabinet a mis en œuvre une méthode basée sur des comparables externes. Il a dans un premier temps apprécié le risque de crédit de la société et pour cela estimé la notation de la SAS SSI Logistics, en s'appuyant sur la méthode "Global Commodity Merchandising et Processing Companies " élaborée par Moody's, et publiée le 20 décembre 2011 qui permet après pondération globale de tous les facteurs retenus par cette méthode, d'attribuer une note de crédit indicative de la SAS SSI Logistics correspondant à l'indice Ba3 en 2012 et 2013 (soit BB- en échelle Standard et Poor's), relevant de la catégorie des investissements spéculatifs.

10. Toutefois, cette méthode a été employée pour estimer la note de la SAS SSI Logistics en retenant l'activité principale du groupe auquel elle appartient qui évolue dans le secteur de l'industrie alimentaire, le commerce des céréales et des engrais et retenue en 2011 et 2012 pour noter le groupe alors que l'activité de la société appelante est celle d'une holding financière.

11. De plus, si la filiale unique de la société SSI Logistics est une société vietnamienne qui gère le port de Phu Myu situé au Vietnam et dont l'activité est le transport, l'analyse de la position concurrentielle de la filiale vietnamienne mentionnée dans l'analyse complémentaire ne permet pas d'apprécier avec suffisamment de précision sa situation économique et par voie de conséquence son profil de risque.

12. En outre, le service relève sans être utilement contredit que l'utilisation de l'outil " RiskCalc " pour noter la filiale vietnamienne et donc pour préciser la notation de la SAS SSI Logistics conclut à une probabilité de faire défaut à un an équivalant à une note A3, ainsi qu'une probabilité de faire défaut à cinq ans équivalant à une note Baa1, ces notes relevant de la catégorie non spéculative de la grille de notation de l'agence Moody's. D'ailleurs, il résulte de l'instruction que la filiale vietnamienne de la SAS SSI Logistics se finance en interne par l'intermédiaire du groupe Bunge, et, est en conséquence, moins exposée aux risques liés au financement.

13. Par ailleurs et s'agissant des comparables, le cabinet Ernst et Yong s'est appuyé sur les bases de données " Thomson Reuters Eikon " et " Dealscan " afin de rechercher des produits comparables au financement intragroupe, Deux séries de prêts commerciaux conclus en 2012 et 2013 ont ainsi été identifiés et retenus à partir de la seule base de données " DealScan ", les prêts obligataires identifiés sur la base de donnée " Thompson Reuters Eikon " n'ayant pas été considérés comme comparables. Les séries retenues qui comprenaient initialement 85 et 203 résultats ont été retraitées manuellement par le cabinet Ernst and Young qui a finalement pris en compte six comparables dans la première série et treize dans la seconde. Les comparables ont ensuite été ajustés par le cabinet pour gommer les différences avec le prêt à analyser. Cependant, les comparatifs retenus après deux retraitements par la société Ernst and Young en l'absence de comparables respectant à la fois le critère de notation de crédit et celui du secteur d'activité sur lequel opère la société SAS SSI Logistics, concernent des sociétés qui qui relèvent d'un secteur d'activité non financier, ont une taille et un profil de capitalisation très supérieurs à celui de la SAS SSI Logistics, la majorité des transactions en cause concernant des opérations d'emprunt d'une durée et d'une maturité différentes de celle retenue par la société appelante. En outre, la notation de la majorité des treize sociétés retenues dans les deux panels fait ressortir une évaluation inférieure à celle de la société requérante, alors que seulement cinq entreprises ont une notation équivalente à celle de la SAS SSI Logistics et une seule une notation supérieure.

14. Dans ces conditions, cette seconde étude établie en 2023 prend insuffisamment en compte les caractéristiques propres de la SAS SSI Logistics pour établir sa notation et s'appuie sur un panel de prêts qui n'est pas comparable à la SAS SSI Logistics. Par suite, la société appelante n'apporte pas la preuve qui lui incombe que les taux d'intérêts dont elle a bénéficié sont des taux de pleine concurrence pour l'application du a de l'article 212-I du code général des impôts et n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient dû reconnaitre le caractère déductible des intérêts d'emprunt qu'elle a supportés au titre des exercices clos en 2012 et 2013.

15. En troisième lieu, la société appelante soutient que même si le courrier de la banque ING, produit à l'occasion de l'instance devant le tribunal administratif ne pouvait pas, à lui seul, être considéré comme suffisant, il constitue néanmoins un élément qui vient étayer le fait qu'une banque tierce aurait prêté à la requérante à des conditions similaires aux conditions pratiquées dans le cadre du financement intra-groupe. Cependant, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, le courriel émanant de la banque ING Bank ne comprend aucun élément circonstancié et en particulier aucune analyse propre du profil de risque de la SAS SSI Logistics permettant de justifier du bien-fondé de la fourchette de taux d'intérêt évoquée dans ce document.

En ce qui concerne la déductibilité des intérêts à raison du taux d'imposition pratiqué sur ces derniers chez la société Bunge Finance BV :

16. Le b) du I de l'article 212 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'exercice clos le 31 décembre 2013, prévoit que les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée, directement ou indirectement, au sens du 12 de l'article 39, ne sont déductibles que sous réserve que l'entreprise débitrice démontre que la société qui a mis les sommes à sa disposition est, au titre de l'exercice en cours, assujettie à raison de ces mêmes intérêts à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices dont le montant est au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun.

17. La SAS SSI Logistics soutient que les sociétés Bunge Finance BV et Koninklijke Bunge BV forment une " unité fiscale " qui ne bénéficie pas d'un " tax ruling " et est soumise à un taux d'impôt sur les sociétés hollandaises de 20 % ou 25 % en fonction du résultat taxable, sans pouvoir opter pour un taux d'imposition inférieur. Elle ajoute que le résultat fiscal de Bunge Finance BV a été imposé au titre de l'exercice concerné au niveau de Koninklijke Bunge BV et que le fait que cette dernière société n'ait pas payé d'impôt au titre de l'exercice 2013 en raison de l'imputation de déficits reportables est sans incidence.

18. La requérante se prévaut en appel de documentations générales relatives à l'imposition des bénéfices au Pays-Bas applicables aux sociétés groupées. Elle se prévaut également d'un document attestant que l'unité fiscale formée par les sociétés Bunge Finance BV et Koninklijke Bunge BV est soumise à l'imposition de droit commun sur les bénéfices au Pays Bas et de documents financiers tendant selon elle à montrer l'intégration des intérêts versés par la SAS SSI Logistics au résultat fiscal de la société Bunge Finance BV puis au résultat fiscal la société Koninklijke Bunge BV, qui détient 100 % du capital de la société Bunge finance BV.

19. Cependant, il résulte de l'instruction que le montant porté sur le document comptable de la société Bunge Finance BV, soit 1 271 263.41 euros, présenté comme correspondant aux intérêts perçus de la SAS SSI Logistics pour l'année 2013, diffère de celui comptabilisé en 2013 dans les écritures de cette dernière alors même que la société appelante ne conteste pas que les dates d'ouverture et de clôture des exercices des deux sociétés coïncidaient en 2013 et qu'il ressort des pièces du dossier que la clôture de l'exercice 2013 pour les deux sociétés s'est effectuée au 31 décembre 2013. En outre, ce document comptable ne mentionne pas l'origine de la somme comptabilisée. Dans ces conditions, alors même que la société SSI Logistics soutient que le résultat fiscal de la société Bunge Finance BV a été pris en compte au sein de l'unité fiscale qu'elle forme avec la Société Koninklijke Bunge BV, pour lequel aucun impôt n'a été finalement payé en raison de l'existence de déficits reportables et que le bordereau de liquidation de l'impôt sur les sociétés de la société Koninklijke Bunge BV ne mentionne aucun impôt dû au titre de l'année 2013, il ne résulte pas de l'instruction que le montant présenté par la société appelante ait réellement correspondu à une charge supportée par la SAS SSI Logistics.

20. Il résulte de ce qui précède, que la SAS SSI Logistics ne démontre pas davantage en appel pas davantage que devant le tribunal administratif que la somme comptabilisée dans ses écritures d'un montant de 1 272 047 euros a été assujettie à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices dont le montant est au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun. C'est par suite à bon droit que l'administration fiscale a, sur le terrain de la loi fiscale, remis en cause la déductibilité des intérêts supportés par la SAS SSI Logistics au titre de l'exercice clos en 2013 sur le fondement des dispositions précitées du b) du1 de l'article 212 du code général des impôts.

Sur l'application des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts :

21. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ". Pour établir cette mauvaise foi, l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d'autre part, de l'intention de l'intéressé d'éluder l'impôt.

22. La SAS SSI Logistics conteste l'application de la majoration de 40 % prévue par l'article 1729 du code général des impôts en cas de manquement délibéré dont ont été assortis les rappels d'impôts contestés. En l'espèce, le service a motivé l'application de la pénalité en relevant que le montant des rectifications sur la période vérifiée correspond à environ la somme de 1.8 million d'euros pour les deux chefs de redressement, s'est fondé sur l'ancienneté de la constitution de la société en 2006, sa spécialisation financière, l'importance de ses actifs financiers et son appartenance à un groupe international dont la stratégie financière est nécessairement réfléchie en termes de conséquences fiscales. Il résulte de l'instruction, que les intérêts en litige ont été déduits au titre des exercices clos en 2012 et 2013 mais que le contrat de prêt entre la société SSI Logistics et la société Bunge Finance BV n'a été conclu que le 25 novembre 2014 et que les études de taux produites par la société n'ont été réalisées qu'en 2013 et 2023 soit postérieurement au début du prêt en 2012. Surtout, ainsi que l'a relevé le service la SAS SSI Logistics qui exerce habituellement une activité financière de prêt de fonds à ses filiales au sein d'un groupe international ne pouvait de bonne foi ignorer alors qu'elle ne s'est pas suffisamment assurée préalablement au début du prêt que les taux d'intérêts dont elle a bénéficié étaient des taux de pleine concurrence qu'elle outrepassait la déduction autorisée aux articles 212 I a) et b) du code général des impôts. Par suite, l'administration justifie le bien-fondé de l'application de la majoration de 40 % prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts. Pour les mêmes motifs, la méconnaissance des stipulations de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme doit être écartée.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la société SSI Logistics n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2012 et 2013, ainsi que des majorations correspondantes, à hauteur de la somme totale de 643 950 euros. Par voie de conséquence les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS SSI Logistics est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS SSI Logistics et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président de chambre,

- M. Penhoat, premier conseiller,

- M. Viéville, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2024.

Le rapporteur

S. VIÉVILLELe président de chambre

G. QUILLÉVÉRÉ

La greffière

A. MARCHAIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT03720020


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03720
Date de la décision : 30/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur ?: M. Sébastien VIEVILLE
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-30;22nt03720 ?
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