La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/02/2024 | FRANCE | N°23NT02225

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 13 février 2024, 23NT02225


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 16 juin 2022 du préfet de la Loire-Atlantique portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixation du pays de destination.



Par un jugement n° 2208926 du 21 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requ

ête enregistrée le 20 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Gueguen, demande à la cour :



1°) d'annuler ce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 16 juin 2022 du préfet de la Loire-Atlantique portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixation du pays de destination.

Par un jugement n° 2208926 du 21 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Gueguen, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 juin 2022 du préfet de la Loire-Atlantique ;

3°) d'enjoindre au préfet de Loire-Atlantique de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet se serait estimé à tort être en situation de compétence liée, méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur les conséquences de cette décision sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour, est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet se serait estimé à tort être en situation de compétence liée, méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur les conséquences de cette décision sur sa situation personnelle ;

- la décision portant fixation du délai de départ volontaire de trente jours doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant fixation du pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, méconnaît les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 novembre 2023, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Quillévéré ;

- et les observations de Me Gueguen, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante guinéenne, née le 6 octobre 1993, est entrée en France en novembre le 10 novembre 2016 sous couvert d'un visa de court séjour et a bénéficié d'un titre de séjour en raison de son état de santé durant la période allant d'août 2017 à septembre 2021. Le préfet de la Loire-Atlantique a, par un arrêté du 16 juin 2022, refusé le renouvellement, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme A... relève appel du jugement du 21 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté son recours contre cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Mme A... ne peut donc utilement se prévaloir, pour demander l'annulation comme irrégulier du jugement attaqué, de l'erreur manifeste d'appréciation que les premiers juges auraient commise.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

3. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. / La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".

4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'accès effectif ou non à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

5. Il ressort de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 3 novembre 2021 que si l'état de santé de Mme A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

6. Mme A..., qui a levé le secret médical, souffre d'une drépanocytose homozygote S/S majeure ayant entraîné des complications chroniques comprenant des atteintes cardiaques, rénales, cérébrales et de l'oreille interne, hypodermite, hépatomégalie et splénomégalie, séquelles d'infarctus, rétinopathie et crise vaso-occlusive. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressée qui, en raison du handicap occasionné par sa pathologie, s'est vue reconnaître la qualité de travailleuse handicapée par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) Loire-Atlantique depuis le 12 mai 2020 et jusqu'au 31 mai 2023, bénéficie d'une prise en charge très rigoureuse ainsi qu'en atteste le docteur D..., médecin traitant de l'appelante depuis 2017, se traduisant par un suivi comportant des analyses et un traitement médicamenteux et est exposée à des crises aigües susceptibles d'entrainer une rupture des globules rouges ce qui peut imposer son hospitalisation et une transfusion sanguine. Il ressort également des pièces médicales du dossier que l'état de santé de Mme A... requiert un traitement à base d'acide folique et d'anti-douleurs de plusieurs classes jusqu'à l'administration de morphine lors des crises. Si le préfet produit la liste des médicaments essentiels en Guinée de 2021 sur laquelle figure l'acide folique, il n'établit pas par ce seul document que l'acide folique serait effectivement disponible en Guinée auprès des postes de santé, centres de santé, les centres médicaux communaux, et hôpitaux préfectoraux, régionaux et nationaux. Par ailleurs, si le paracétamol dont les effets consistent à réduire la douleur est disponible en Guinée dans les mêmes conditions ainsi qu'en service à base communautaire, la douleur intense entraînée par les crises vaso-occlusives ne peut être combattue par ce seul médicament. En outre, la seule existence à Conakry et pour toute la Guinée d'un centre médical dédié à la lutte contre la drépanocytose, géré par une ONG médicale ne suffit pas à démontrer la disponibilité des médicaments nécessaires à Mme A..., pas davantage que la possibilité pour elle de bénéficier dans son pays d'origine du suivi qu'imposent son état de santé et notamment des soins urgents lors des crises aigües auxquelles elle est sujette. En outre, alors qu'une des modalités de traitement essentiel de la drépanocytose dont souffre Mme A... est le recours à des transfusions sanguines, le préfet n'établit pas la possibilité de cette prise en charge en Guinée alors qu'il ressort des pièces au dossier que M. B..., médecin à l'ambassade de France à Conaky, dans un certificat du 03 novembre 2016, a attesté que l'état de santé de Madame A... nécessitait une prise en charge en France. Compte tenu de tous ces éléments, Mme A... est fondée à soutenir qu'en lui refusant le séjour, le préfet de la Loire-Atlantique a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'ensuit que la décision du 16 juin 2022 du préfet de la Loire-Atlantique portant refus de séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination d'une mesure d'éloignement.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent jugement implique nécessairement de délivrer à Mme A... un titre de séjour en qualité d'étranger malade dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Sur les frais d'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Gueguen une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2208926 du 21 juin 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique du 16 juin 2022 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de délivrer à Mme A... un titre de séjour en qualité d'étranger malade dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me Gueguen au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Gueguen renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président de chambre,

- M. Geffray, président-assesseur,

- M. Viéville, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

Le président-rapporteur

G. QUILLÉVÉRÉ

Le président-assesseur

J.E. GEFFRAYLa greffière

H. DAOUD

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23NT022252

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02225
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur ?: M. le Pdt. Guy QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : GUEGUEN MORGANE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;23nt02225 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award