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22/03/2024 | FRANCE | N°23NT00130

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 22 mars 2024, 23NT00130


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... E... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Rennes : 1°) d'annuler la décision du 2 décembre 2020 par laquelle la ministre de la mer a refusé de procéder à l'abrogation ou au retrait de l'arrêté du 16 octobre 2003 par lequel le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer a prononcé le déclassement du domaine public maritime de la parcelle cadastrée AC 361 située sur le territoire de la commune de Roscoff ; 2°)

d'annuler les décisions prises au nom de la commune de Roscoff portant : - refus de régu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Rennes : 1°) d'annuler la décision du 2 décembre 2020 par laquelle la ministre de la mer a refusé de procéder à l'abrogation ou au retrait de l'arrêté du 16 octobre 2003 par lequel le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer a prononcé le déclassement du domaine public maritime de la parcelle cadastrée AC 361 située sur le territoire de la commune de Roscoff ; 2°) d'annuler les décisions prises au nom de la commune de Roscoff portant : - refus de régulariser l'erreur de simplification cadastrale de la parcelle AC 361, issue de la division de l'ex parcelle cadastrée 1005p par le titre de 1883, - refus de communication du dossier complet de la délibération d'achat du 7 septembre 2004 de la parcelle AC 361, - refus d'inscrire à l'ordre du jour du conseil municipal leur demande de retrait de cette délibération d'achat, - et refus de communiquer le certificat d'urbanisme opérationnel régularisé concernant la parcelle AC 361 ; 3°) d'annuler le refus de la maire de Roscoff, agissant au nom de l'État, de transmettre au procureur de la République un procès-verbal d'infraction au code de l'urbanisme concernant la construction sans autorisation d'urbanisme régulière édifiée sur les parcelles AC 360 et 361 ; 4°) d'enjoindre à la ministre de la mer de procéder au retrait de son arrêté de déclassement du 16 octobre 2003 dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte ; 5°) d'enjoindre à la maire de Roscoff de faire rectifier les erreurs cadastrales affectant la parcelle AC 361 dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte ; 6°) d'enjoindre à la maire de Roscoff de procéder à la communication des documents sollicité dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; 7°) d'enjoindre à la maire de Roscoff de retirer les actes viciés se rapportant à la cession falsifiée de 2005, dont la délibération du conseil municipal du 7 septembre 2004 dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte ; 8°) d'enjoindre à la maire de Roscoff d'établir les certificats d'urbanisme attestant de la régularisation des parcelles AC 360 et 361 et de la portion du terrain situé Quai d'Auxerre dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte ; 9°) d'enjoindre à la maire de Roscoff de joindre sans délai ces éléments à l'acte rectificatif déposé au service de publicité foncière en novembre 2020 ; 10°) de mettre à la charge de la commune de Roscoff le versement, à chacun, d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2005915 du 14 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision implicite par laquelle la maire de Roscoff a refusé d'engager toute démarche permettant de régulariser les informations cadastrales relatives à la parcelle AC 361 (article 1er), a enjoint au maire de Roscoff d'engager toute démarche permettant de régulariser les informations cadastrales relatives à cette parcelle, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de ce jugement (article 2), et a rejeté le surplus de la demande de M. B... et Mme E... (article 3).

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 janvier, 17 août et 25 septembre 2023, non communiqué, M. B... et Mme E..., représentés par Me Leclercq, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 14 novembre 2022 en tant qu'il a refusé, d'une part, d'annuler la décision du 2 décembre 2020 par laquelle la ministre de la mer a refusé de procéder à l'abrogation ou au retrait de l'arrêté du 16 octobre 2003 par lequel le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer a prononcé le déclassement du domaine public maritime de la parcelle AC 361 à Roscoff ainsi que de lui enjoindre, sous astreinte, de retirer cet arrêté et, d'autre part, d'annuler le refus de la maire de Roscoff de transmettre au procureur de la République un procès-verbal d'infraction au code de l'urbanisme concernant la construction sans autorisation d'urbanisme régulière de la construction édifiée sur les parcelles AC 360 et AC 361 ;

2°) d'enjoindre au secrétaire d'Etat à la mer de procéder au retrait, subsidiairement à l'abrogation, de l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, sur une durée de deux mois ;

3°) d'enjoindre à la maire de Roscoff de transmettre au procureur de la République un procès-verbal d'infraction au code de l'urbanisme concernant la construction édifiée sur les parcelles AC 360 et AC 361, dans un délai d'un mois à compter de la date de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, sur une durée de deux mois ;

4°) de rejeter les conclusions de la commune de Roscoff ;

5°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Roscoff et de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

s'agissant du retrait de l'arrêté du 16 octobre 2003 :

- la voie litigieuse a été déclarée d'utilité publique selon son immatriculation et n'a jamais cessé d'être affectée à l'usage du public depuis 1883 ;

- le délai de quatre mois n'a pas pu courir en l'absence de publicité et de publication de l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003 ;

- le déclassement devait comporter les clauses précisant que l'engagement de la personne publique propriétaire reste subordonné au maintien des charges, obligations et servitude issues de la division de l'ex-parcelle 1005P par le titre de 1883 ;

- le déclassement est frauduleux ;

- il y a détournement de pouvoir ;

- l'Etat n'est pas affectataire de la parcelle issue du titre de 1883 ;

- le conseil municipal avait précédemment délibéré sur le principe du maintien des services publics dans les lieux ;

- il n'y a eu aucune décision préalable de désaffectation ;

- les services de la ministre de la mer n'ont pas répondu à la Première ministre, qui les a interrogés le 9 mai 2023 au sujet de la publication de cet acte de déclassement au Bulletin Officiel du Ministère et au Journal officiel de la République française ;

- le déclassement n'était pas justifié pour une parcelle demeurée affectée au public et exploitée pour l'activité d'office du tourisme ;

s'agissant de l'abrogation de l'arrêté du 16 octobre 2003 :

- en l'absence de publicité de l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003, ils n'ont pas pu présenter de recours et les délais n'ont pas pu courir ;

- le jugement du 28 juillet 2005 du tribunal administratif de Rennes est un fait nouveau qui fait obstacle à l'application de dispositions de l'article L 243-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêt de la cour d'Appel de Rennes du 24 juin 2014 est un changement dans les circonstances de fait et de droit qui implique que l'administration abroge l'arrêté du 16 octobre 2003 ;

- l'administration a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne tirant pas les conséquences de la fausse origine de propriété et l'empiètement sur le bien déclassé ;

- le tribunal ne pouvait écarter tous les autres moyens comme inopérants ;

- l'administration doit abroger expressément un acte non réglementaire non créateur de droit devenu illégal en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à son édiction ;

- le déclassement de la parcelle n'aurait pas dû avoir lieu du fait que l'acquisition de la parcelle AC 361 a été décidée par la commune par l'exercice du droit de priorité issu de l'article 30 de la loi d'orientation pour la ville, qui est incompatible avec le déclassement de la parcelle publique demeurée affectée au public et exploitée pour l'activité d'office du tourisme ;

s'agissant du refus de dresser procès-verbal d'infraction :

- ils ont demandé la saisine du procureur de la République par courriel du 30 octobre 2020 ;

- le maire avait compétence liée pour saisir le procureur de la République ;

- l'action n'était pas prescrite ;

- depuis la décision du tribunal administratif de Rennes de 2012 et le déclassement, l'immeuble ne possède aucun permis de construire opposable et sa situation n'est pas régularisable ;

- il a méconnu l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme ;

- la situation de l'immeuble de la société CAP Ouest est irrégulière au regard des normes d'urbanisme car il ne dispose que d'un seul garage ;

s'agissant de l'obligation de rectifier le cadastre :

- la commune de Roscoff est tenue de rectifier le cadastre en application des décrets des 4 janvier et 30 avril 1955 et du jugement du tribunal administratif de Rennes du 25 juillet 2005 ;

- la cour d'appel de Rennes ne peut ni dénaturer ni rejuger les questions précédemment et définitivement tranchées par les juridictions ;

- l'Etat doit veiller à la légalité de ses actes, notamment au regard du BOI 11 C-1-04 n°58 du 26 mars 2004, du BOI-CADMAJ-20-10-20 1404 04, au décret du 30 avril 1955 et à l'article 1402 du code général des impôts et à la protection de son domaine ;

s'agissant des délibérations du conseil municipal d'acquisition et de demande de subvention du 7 septembre 2004 :

- elles sont entachées d'irrégularités ;

s'agissant de l'acte de vente du 2 décembre 2005 :

- le maire de Roscoff était incompétent pour le signer faute d'habilitation l'absence d'habilitation du conseil municipal ;

- la délibération exécutoire de l'assemblée délibérante du 7 septembre 2004 ne l'autorisait qu'à procéder à une acquisition par droit de priorité pour le maintien des services publics dans les lieux ;

- il a été rédigé dans la forme administrative sans notaire ;

- il repose sur des actes administratifs viciés entérinés par le conservateur des hypothèques ;

- le cadre procédural de cession a été mis en œuvre sans l'Etat, qui n'a produit ni délibération d'inutilité du bien public ni convention fixant les conditions d'utilisation et de rétrocession de ses biens publics à la commune de Roscoff ;

- le ministre de la mer était dépourvus de toute autorité pour s'immiscer dans les décisions relevant des attributions exclusives du conseil municipal de Roscoff et des services du ministre des finances, en charge de gérer les propriétés de l'Etat ;

s'agissant de la décision du 2 août 2004 d'acquisition par droit de priorité du maire de Roscoff :

- le maire n'a pas informé ni sollicité l'autorisation de son conseil municipal ;

- le maire n'a pas obtenu l'avis des Domaines ni l'avis du directeur des services fiscaux sur l'évaluation dépassant le seuil fixé, à l'époque, à 75 000 euros ;

- le maire n'a pas obtenu de document d'arpentage ;

- la décision n'a pas été transmise en préfecture pour publication au recueil des actes administratifs ;

s'agissant des autres moyens :

- les quatre autorités signataires à l'origine de l'acte de cession par déclassement devaient prendre conjointement la décision de valider l'acte rectificatif ordonné par la Cour d'Appel de Rennes de 2014, ce qui n'a pas été le cas.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2023, la commune de Roscoff, représentée par Me Bouvier et Gourvennec, demande à la cour, d'une part, de rejeter la requête de M. B... et Mme E..., d'autre part, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du 14 novembre 2022 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a annulé la décision implicite par laquelle la commune avait refusé d'engager toute démarche permettant de régulariser les informations cadastrales relatives à la parcelle AC 361 et lui a fait injonction d'engager toute démarche permettant de régulariser les informations cadastrales relatives à la parcelle AC 361 dans un délai de quatre mois à compter de sa notification et de mettre à leur charge une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la contestation devant la cour d'appel de Rennes sur la propriété de l'assiette du mur pignon litigieux faisait obstacle à ce que la commune rectifie le cadastre ;

- à titre subsidiaire, devrait être posée une question préjudicielle au juge judiciaire compte tenu de la difficulté sérieuse du litige ;

- l'authenticité du courriel du 30 octobre 2020 n'est pas avérée ;

- M. B... et Mme E... n'avaient pas demandé d'annuler une éventuelle décision de refus de transmission de procès-verbal d'infraction ;

- en tout état de cause, la saisine du parquet était vouée à l'échec.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour de rejeter la requête de M. B... et Mme E..., et, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du 14 novembre 2022 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a enjoint à la commune de Roscoff d'engager toute démarche permettant de régulariser les informations cadastrales relatives à la parcelle AC 361.

Il soutient que :

- la contestation devant la cour d'appel de Rennes sur la propriété de l'assiette du mur pignon litigieux faisait obstacle à ce que la commune rectifie le cadastre ;

- les moyens des requérants ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 18 août 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 septembre 2023.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions d'appel incident de la commune et de l'Etat comme relevant d'un litige distinct.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 20 février 2024, les requérants ont présenté leurs observations sur le moyen que la cour envisage de relever d'office.

Par un mémoire, enregistré le 21 février 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires soutient que ses conclusions incidentes présentent un lien avec son appel principal en ce qu'elles concernent les limites de la parcelle litigieuse cadastrée AC 361.

Par un mémoire, enregistré le 22 février 2024, la commune de Roscoff soutient qu'elle ne pouvait rectifier le cadastre à la date de son refus et avant que le juge judiciaire ne se soit prononcé et, qu'à titre subsidiaire, elle avait présenté des conclusions de sursis à statuer.

Une note en délibérée, présentée pour M. B... et Mme E..., a été enregistrée le 8 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me Leclercq, pour M. B... et Mme E..., et de Me Bouvier, pour la commune de Roscoff.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte du 30 juin 1883, les époux F... ont cédé gratuitement à l'État, en contrepartie de plusieurs engagements, une bande de terrain d'une superficie de 20 mètres carrés destinée à desservir, depuis la rue Amiral A..., le fanal à construire sur le domaine public maritime et la maison de son gardien. Au titre de ses engagements, l'État devait notamment construire un mur de clôture, dont il prendrait en charge l'entretien, ayant pour fonction de séparer ce chemin du reste du jardin des époux F... et avait garanti qu'il n'établirait en aucun cas de construction sur ce passage qui pût nuire à la vue sur le port de Roscoff dont dispose la maison d'habitation des vendeurs, située de l'autre côté de la rue Amiral A.... À l'occasion d'une rénovation du cadastre de la commune de Roscoff, cette bande de terrain et l'emprise de la maison du gardien ont été fusionnées en une seule parcelle cadastrée en section AC au numéro 361, le reste de l'ancien jardin des époux F... ayant été, pour sa part, cadastré à la même section au numéro 360. M. B... et Mme E... ont acquis l'ancienne maison d'habitation des époux F... par un acte du 4 août 1977. La société CAP Ouest, promoteur immobilier, a, quant à elle, par un acte des 5 juin et 16 juillet 1997, fait l'acquisition de la parcelle cadastrée AC 360 pour y édifier un immeuble de logements collectifs.

2. Par un arrêt du 4 mai 2005, la cour d'appel de Rennes a rejeté la demande de démolition formée par M. B... et Mme E... à l'encontre de la société CAP Ouest, au motif que la servitude non aedificandi dont ils faisaient état était éteinte. Toutefois, ils ont obtenu du tribunal administratif de Rennes, par un jugement du 28 juillet 2005, qu'il annule le refus du directeur départemental de l'équipement du Finistère du 27 octobre 2000 de mettre en œuvre ses pouvoirs de police de conservation du domaine public de l'État sur la parcelle cadastrée AC 361, sur laquelle il a été constaté que la société CAP Ouest avait empiété en faisant détruire le mur de clôture la séparant de son terrain pour y édifier le mur pignon Est de son immeuble. Cependant, par un arrêté du 16 octobre 2003, sur proposition de la direction départementale de l'équipement du Finistère, le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer a déclassé la parcelle cadastrée AC 361 du domaine public maritime. Par une délibération du 7 septembre 2004, le conseil municipal de Roscoff a approuvé l'achat, par la commune, de cette parcelle et, par un acte du 2 décembre 2005 enregistré au service de la publicité foncière de Morlaix, l'État lui a vendu ce bien, qui a servi à installer l'office du tourisme de la commune. Par un arrêt du 24 juin 2014, devenu irrévocable, la cour d'appel de Rennes a ordonné, sur demande de M. B... et Mme E..., aux frais de la commune de Roscoff et de l'État, la rectification de cet acte pour que, au titre de son chapitre " Origine de propriété ", il mentionne l'acte du 30 juin 1883 et reproduise les engagements alors pris par l'État concernant la servitude non altius tollendi. Sur le fondement de ce dernier arrêt, M. B... et Mme E... ont demandé au cours de l'année 2020, à diverses autorités de l'État ainsi qu'à la maire de Roscoff, de faire rectifier l'ensemble des actes qu'ils estiment avoir été viciés à défaut de mentionner ou de tirer les conséquences des engagements pris par l'État à l'occasion de l'acte de vente du 30 juin 1883 et de leur communiquer les actes de rectification sollicités.

3. M. B... et Mme E... ont saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande d'annulation de la décision du 2 décembre 2020 par laquelle la ministre de la mer a refusé de faire droit à leur demande de retrait ou d'abrogation de l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003, d'annulation des décisions implicites de la maire de Roscoff, prises au nom de la commune, qui porteraient refus de régularisation des erreurs cadastrales relatives à la parcelle AC 361, refus de communication du dossier complet de la délibération du conseil municipal du 7 septembre 2004, refus d'inscrire à l'ordre du jour du conseil municipal leur demande de retrait de cette délibération et refus de leur communiquer un certificat d'urbanisme pré-opérationnel rectifié et d'annulation d'une décision par laquelle la maire de Roscoff, agissant au nom de l'État, aurait refusé de dresser procès-verbal des infractions dont serait entaché l'immeuble édifié par la société CAP Ouest sur la parcelle AC 360. Par un jugement du 14 novembre 2022, le tribunal n'a fait droit à leur demande qu'en ce qui concerne la décision implicite par laquelle la maire de Roscoff a refusé d'engager toute démarche permettant de régulariser les informations cadastrales relatives à la parcelle AC 361. Ils demandent la réformation de ce jugement, d'une part, en tant qu'il a rejeté la demande d'annulation de la décision du 2 décembre 2020 de la ministre de la mer refusant de procéder à l'abrogation ou au retrait de l'arrêté du 16 octobre 2003 prononçant le déclassement du domaine public maritime de la parcelle AC 361 à Roscoff ainsi que la demande d'injonction de retirer ledit arrêté, et d'autre part, en tant que ce jugement a rejeté leur demande d'annulation du refus du maire de Roscoff de transmettre au procureur de la République un procès-verbal d'infraction au code de l'urbanisme concernant la construction selon eux irrégulière de l'immeuble édifié sur la parcelle AC 360 ; ils demandent également à la cour de prononcer les injonctions subséquentes. La commune et le ministre, par la voie de l'appel incident, contestent l'annulation et l'injonction correspondante prononcées par les articles 1er et 2 du jugement.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne la demande d'annulation de la décision de la ministre de la mer du 2 décembre 2020 refusant de retirer ou d'abroger l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003 :

S'agissant de la demande de retrait :

4. Aux termes de l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut retirer un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits que s'il est illégal et si le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant son édiction ".

5. Il résulte de ces dispositions que le retrait de l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003 ne pouvait légalement survenir que dans le délai de quatre mois suivant son édiction, soit jusqu'au 16 février 2004. Les moyens soulevés par M. B... et Mme E... pour demander l'annulation de la décision de la ministre de la mer du 2 décembre 2020 sont donc inopérants. Par ailleurs, s'ils soutiennent que ce déclassement serait frauduleux au motif que l'administration aurait sciemment occulté la servitude limitant la constructibilité de la parcelle cadastrée AC 361, cette circonstance, d'ailleurs non établie, est sans influence sur la légalité de l'acte de déclassement du 16 octobre 2003, qui n'emporte aucune prise de décision sur sa destination ultérieure susceptible de résulter de la cession alors envisagée. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté leur demande d'annulation de la décision de la ministre de la mer du 2 décembre 2020 refusant de retirer l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003.

S'agissant de la demande d'abrogation :

6. Aux termes de l'article L. 243-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits peut, pour tout motif et sans condition de délai, être modifié ou abrogé sous réserve, le cas échéant, de l'édiction de mesures transitoires dans les conditions prévues à l'article L. 221-6. ". Aux termes de l'article L. 243-2 du même code : " (...) L'administration est tenue d'abroger expressément un acte non réglementaire non créateur de droits devenu illégal ou sans objet en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à son édiction, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. ".

7. En premier lieu, M. B... et Mme E... ne peuvent utilement soutenir que l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003 n'a pas fait l'objet de mesures de publicité dès lors que cette circonstance n'est pas une circonstance de droit ou de fait postérieure à son édiction susceptible de l'avoir rendu illégal.

8. En deuxième lieu, la circonstance que le tribunal administratif de Rennes, dans son jugement du 28 juillet 2005, ait constaté un empiétement sur le domaine public n'implique pas que l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003, qui tend au surplus à régulariser cette situation, serait devenu illégal. Les requérants n'étaient donc pas fondés à s'en prévaloir pour demander l'abrogation de cet arrêté.

9. En troisième lieu, dans son arrêt du 24 juin 2014, la cour d'appel de Rennes a constaté que l'engagement de l'Etat dans l'acte du 30 juin 1883 était constitutif de droits réels qui n'étaient pas éteints et a ordonné la rectification de l'acte de vente du 2 décembre 2005 pour qu'il en fasse état. Cela reste toutefois sans influence sur la légalité de l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003 dont l'objet est uniquement de décider la sortie de la parcelle cadastrée AC 361 du domaine public de l'Etat, le cas échéant après avoir constaté sa désaffectation. Les requérants n'étaient donc pas fondés à s'en prévaloir pour demander l'abrogation de cet arrêté.

10. En quatrième lieu, la circonstance relevée par les requérants tirée de ce que l'exercice par la commune de Roscoff de son droit de priorité pour acquérir le bien afin d'y installer son office de tourisme, également affecté au public, aurait rendu inutile le déclassement n'est pas une circonstance de droit ou de fait postérieure à l'arrêté du 16 octobre 2003 dont ils peuvent se prévaloir pour en demander l'abrogation dès lors que l'utilisation ultérieure du bien pour un service communal ne saurait avoir rendu illégal son déclassement du domaine public de l'Etat. Il en va de même des autres moyens soulevés devant les premiers juges, tirés de la méconnaissance du principe du parallélisme des formes quant à la compétence du ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, de l'imprécision de l'acte de déclassement du 16 octobre 2003, de la méconnaissance des principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public mentionnés à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques et du défaut de désaffectation préalable du bien déclassé, qui sont donc inopérants.

11. En cinquième lieu, si M. B... et Mme E... soutiennent que ce déclassement serait frauduleux au motif que l'administration aurait sciemment occulté la servitude limitant la constructibilité de la parcelle cadastrée AC 361, cette circonstance, d'ailleurs non établie, est sans influence sur la légalité de l'acte de déclassement du 16 octobre 2003, qui n'emporte aucune prise de décision sur sa destination et n'avait dès lors pas à comporter obligatoirement une telle information.

12. Enfin, l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003 n'ayant pas le caractère d'un acte réglementaire dont les intéressés peuvent demander à l'administration, après l'expiration du délai de recours, l'abrogation au motif qu'il serait, depuis l'origine, illégal, les moyens de M. B... et Mme E... tendant à le démontrer sont inopérants. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté leur demande d'annulation de la décision de la ministre de la mer du 2 décembre 2020 refusant d'abroger l'arrêté de déclassement du 16 octobre 2003.

En ce qui concerne la demande d'annulation de la décision par laquelle la maire de Roscoff aurait refusé de dresser procès-verbal des infractions au code de l'urbanisme du fait d'un empiétement sur la parcelle cadastrée AC 361 :

13. M. B... et Mme E... n'établissent pas avoir transmis, notamment par courriel, la lettre du 30 octobre 2020 qu'ils soutiennent avoir envoyée à la maire de Roscoff pour lui demander de saisir le procureur de la République d'un procès-verbal d'infractions au code de l'urbanisme du fait d'un empiétement sur la parcelle cadastrée AC 361. Dans ces conditions, ils ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable leur demande d'annulation de la décision par laquelle la maire de Roscoff aurait refusé au nom de l'État de dresser procès-verbal de telles infractions, faute de demande ayant pu faire naître une décision susceptible de recours, quand bien même la maire aurait eu compétence liée pour saisir le procureur de la République dans ce cadre.

Sur les conclusions d'appel incident de la commune de Roscoff et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires :

14. Par leur requête, Mme E... et M. B... ont sollicité l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 14 novembre 2022 dans la seule mesure où, par son article 3, il a rejeté leur demande d'annulation de la décision du 2 décembre 2020 de la ministre de la mer et du refus du maire de Roscoff de transmettre au procureur de la République un procès-verbal d'infraction au code de l'urbanisme. Les conclusions d'appel incident de la commune de Roscoff et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires dirigées contre les articles 1er et 2 de ce même jugement soulèvent, s'agissant d'une décision distincte régie par des dispositions spécifiques, un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal. Elles ne sont dès lors pas recevables. Dès lors qu'elles ont été présentées après l'expiration du délai d'appel, elles ne sauraient davantage être requalifiées et recevables en tant qu'appel principal.

Sur les conclusions aux fins d'injonctions, sous astreinte :

15. Le présent arrêt, qui rejette la requête de M. B... et Mme E..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions des intéressés aux fins d'injonction, sous astreinte, doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle, à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Roscoff et de l'Etat, qui ne sont pas, dans la présente instance, partie perdante.

17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. B... et Mme E... la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Roscoff sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... et Mme E... est rejetée.

Article 2 : M. B... et Mme E... verseront une somme de 1 500 euros à la commune de Roscoff au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Roscoff et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., désignée comme représentante unique des requérants, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la commune de Roscoff.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2024.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet du Finistère en ce qui les concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00130


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00130
Date de la décision : 22/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : LECLERCQ

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-22;23nt00130 ?
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