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26/03/2024 | FRANCE | N°22NT03901

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 26 mars 2024, 22NT03901


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 janvier 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 15 septembre 2021 de l'autorité consulaire française à Tunis (Tunisie) refusant de délivrer à M. C... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint de français.



Par un jugement

n° 2202382 du 17 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 janvier 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 15 septembre 2021 de l'autorité consulaire française à Tunis (Tunisie) refusant de délivrer à M. C... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint de français.

Par un jugement n° 2202382 du 17 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 décembre 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 octobre 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... et Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- le mariage a été contracté pour des fins étrangères à l'intention matrimoniale et est entaché de fraude ; les éléments produits par M. C... et Mme B... ne permettent pas d'établir une communauté de vie ;

- le motif tiré de ce que M. C... représente une menace pour l'ordre public substitué au motif de la décision contestée est de nature à la fonder légalement.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 janvier 2023, M. A... C... et Mme D... B..., représentés par Me Rodrigues Devesas, doivent être regardés comme concluant au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés ;

- la décision contestée méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant tunisien né le 23 janvier 1983, a déposé une demande de visa de long séjour en qualité de conjoint de français auprès de l'autorité consulaire française à Tunis (Tunisie), laquelle a rejeté cette demande par une décision du 15 septembre 2021. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 6 janvier 2022. M. C... et Mme B..., son épouse, ont alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement de ce tribunal du 17 octobre 2022 annulant la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et lui enjoignant de délivrer le visa de long séjour sollicité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises à Tunis, sur la circonstance que le mariage de M. C... et Mme B... a été contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale.

3. Aux termes de l'article L. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de ressortissant français. Il ne peut être refusé qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public ".

4. Il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, de l'établir, la seule circonstance que l'intention matrimoniale d'un seul des deux époux ne soit pas contestée n'y faisant pas obstacle.

5. M. C..., ressortissant tunisien, a épousé le 12 octobre 2019 Mme B..., ressortissante française. Pour établir que ce mariage a été contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, la commission de recours a considéré qu'hormis des conversations " Messenger " et " Whatsapp ", aucun justificatif ne permet d'établir le maintien d'échanges réguliers entre les époux, ni l'existence d'un projet de vie commune et relevé que M. C... a séjourné irrégulièrement en France entre 2015 et 2019 puis du 26 novembre 2019 au 20 octobre 2020. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. C... et Mme B... ont commencé à cohabiter au cours de l'année 2019 après s'être rencontrés en 2017. Ils produisent quelques attestations de proches témoignant de leur relation, des relevés attestant d'échanges électroniques réguliers, ainsi qu'une attestation d'assurance responsabilité civile en date du 23 mai 2019 établissant que M. C... est assuré dans le cadre du contrat d'habitation de Mme B..., des factures d'énergie établies les 4 décembre 2019 et 26 août 2020 à leurs deux noms, un contrat de bail pour la location d'un appartement, des quittances de loyer pour les mois d'octobre 2020 et de juin 2021. Si le ministre fait valoir que les factures produites démontrent que les époux n'auraient pas partagé le même appartement, il ressort toutefois des pièces produites que ceux-ci ont loué successivement deux appartements. Si le ministre fait également valoir que les mentions en marge de l'acte de naissance de M. C... ne comportent pas la mention du même régime matrimonial que celui qui a été choisi par les époux lors de la célébration de mariage, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. C... serait à l'origine de cette mention erronée et, en outre, cette seule circonstance n'est pas de nature à établir l'insincérité de l'intention matrimoniale. Si M. C... a séjourné irrégulièrement en France, cette seule circonstance ne suffit pas à établir le caractère complaisant du mariage. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce mariage aurait été célébré dans le seul but de faire obstacle à une décision portant obligation de quitter le territoire français ni que le contenu des échanges entre M. C... et Mme B... démontrerait l'absence d'intention matrimoniale des époux. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'administration ne peut être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, du caractère frauduleux du mariage de M. C.... Dans ces conditions, en se fondant sur le caractère complaisant du mariage contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Toutefois, pour établir que la décision contestée était légale, le ministre a fait valoir en première instance comme en appel, un nouveau motif fondé sur la menace à l'ordre public représentée par M. C....

7. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

8. En l'espèce, pour établir la menace à l'ordre public, le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que le requérant aurait fait usage de faux document de séjour ou d'identité afin de faire renouveler son passeport au consulat de Tunisie à Strasbourg, lequel n'aurait pas été compétent territorialement pour le faire. Toutefois, ni cette démarche, ni les autres éléments versés aux débats ne permettent d'établir la fraude dont le ministre se prévaut et il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... présenterait une menace à l'ordre public. Il résulte de ce qui précède que la substitution de motifs demandée par le ministre ne peut être accueillie.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 6 janvier 2022 de la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer le visa de long séjour sollicité.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. C... et Mme B... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. C... et à Mme B... une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... C... et à Mme D... B....

Délibéré après l'audience du 7 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.

La rapporteure,

A.-M. DUBOST

Le président,

S. DEGOMMIERLa présidente,

C. BUFFETLa greffière,

S. PIERODÉ

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03901


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03901
Date de la décision : 26/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Anne-Maude DUBOST
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : RODRIGUES DEVESAS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-26;22nt03901 ?
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