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03/05/2024 | FRANCE | N°22NT00240

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 03 mai 2024, 22NT00240


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 26 avril 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 25 juillet 2019 des autorités consulaires françaises en Guinée refusant de délivrer des visas de long séjour aux jeunes E... A... B... et G... A... C..., en qualité de membres de famille de réfugié, et la décision du

30 juillet 2020 par laquelle la commission de recours a expressément rejeté ce même recours...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 26 avril 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 25 juillet 2019 des autorités consulaires françaises en Guinée refusant de délivrer des visas de long séjour aux jeunes E... A... B... et G... A... C..., en qualité de membres de famille de réfugié, et la décision du 30 juillet 2020 par laquelle la commission de recours a expressément rejeté ce même recours.

Par un jugement n°s 2004763, 2010558 du 8 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 janvier et 18 juillet 2022, Mme C..., représentée par Me Guilbaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté sa demande dirigée contre la décision expresse du 30 juillet 2020 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;

2°) d'annuler la décision du 30 juillet 2020 de la commission de recours ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés et que le motif tiré de l'absence de jugement de délégation à Mme C... de l'autorité parentale sur l'enfant G... C... serait de nature à légalement fonder le refus de visa opposé à celle-ci.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mas,

- et les observations de Me Guilbaud, pour Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante guinéenne née le 5 mars 1986, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision du 31 juillet 2018 H... français de protection des réfugiés et apatrides. Des visas de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié ont été sollicités pour ses enfants allégués G... C..., née le 15 novembre 2005, et E... B..., né le 11 juin 2007. Par une décision du 25 juillet 2019, les autorités consulaires de France en Guinée ont refusé de délivrer les visas sollicités. Mme C... a contesté, le 26 février 2020, ces décisions consulaires devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Elle a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation, d'une part, de la décision implicite née le 26 avril 2020 du silence gardé par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France sur le recours qu'elle a formé contre les décisions consulaires, d'autre part, de la décision du 30 juillet 2020 par laquelle la commission de recours a expressément rejeté ce recours. Elle relève appel du jugement du 8 mars 2021 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision expresse du 30 juillet 2020 de la commission de recours.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / II. Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code alors applicable : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. " Aux termes de l'article

L. 411-3 de ce code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. "

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. "

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Pour rejeter les demandes de visas de long séjour, la commission de recours s'est fondée sur ce que l'identité et le lien de filiation des enfants G... C... et E... B... avec Mme C... n'étaient pas établis.

6. Pour justifier de l'identité des enfants et de leur lien de filiation, Mme C... a produit, à l'appui de la demande de visa, deux jugements supplétifs d'acte de naissance du 5 septembre 2018, ainsi que deux actes de naissance établis en transcription de ces jugements, le 15 octobre 2018, pour le jeune E... B..., et le 17 octobre 2018, pour la jeune G... C.... Ces documents ont toutefois été annulés par deux jugements du tribunal de première instance de Boké du 4 novembre 2021 rendus, sous le n° 168, pour la jeune G... C... et, sous le n° 169, pour le jeune E... B..., au motif que les deux enfants disposaient, chacun, d'un acte de naissance établi, sur déclaration, au moment de leur naissance.

7. Pour l'enfant G... C... est produite la copie intégrale du volet n° 1 de l'acte de naissance n° 2112/2005 établi par un officier d'état-civil de la commune de Boké le 22 novembre 2005. Le ministre de l'intérieur fait valoir que, conformément aux pratiques administratives locales attestées par le Guide des officiers d'état-civil et agents auxiliaires, édité par le ministère de l'administration du territoire et de la décentralisation en Guinée, qu'il produit, chaque acte de naissance doit être enregistré de manière continue sur un registre composé de cent feuillets, de sorte que l'acte n° 2112 devrait figurer sur le feuillet n° 12 du registre 22 et non, comme en l'espèce, sur le feuillet n° 12 du registre 7. En outre, la date de naissance de l'intéressée est indiquée en chiffres, en méconnaissance de l'article 179 du code civil guinéen, aux termes duquel " aucune date ne sera mise en chiffres ". Enfin, le ministre produit la photographie de la personne qui s'est présentée sous ce nom aux services consulaires le 18 mars 2019, dans le cadre de la demande de visa, dont l'apparence physique est incompatible avec l'âge déclaré de 13 ans de l'enfant. Par suite, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 3 en estimant que les actes d'état-civil produits étaient irréguliers et donc non probants.

8. Pour l'enfant E... B... est produite la copie intégrale du volet n° 1 de l'acte de naissance n° 2048/2007 établi par un officier d'état-civil de la commune de Boké le 19 juin 2007. Le ministre de l'intérieur fait valoir, comme précédemment, que, conformément aux pratiques administratives locales attestées par le Guide des officiers d'état-civil et agents auxiliaires, édité par le ministère de l'administration du territoire et de la décentralisation en Guinée, qu'il produit, chaque acte de naissance doit être enregistré de manière continue sur un registre composé de cent feuillets. Ainsi, l'acte n° 2048 devrait figurer sur le feuillet n° 48 du registre 21 et non, comme en l'espèce, sur le feuillet n° 68 du registre 7. En outre, la date de naissance de l'intéressée est indiquée en chiffres, en méconnaissance de l'article 179 du code civil guinéen, aux termes duquel " aucune date ne sera mise en chiffres ". Enfin, le ministre produit la photographie de la personne qui s'est présentée sous ce nom aux services consulaires le 18 mars 2019, dans le cadre de la demande de visa, dont l'apparence physique est incompatible avec l'âge déclaré de 11 ans de l'enfant, le passeport de l'intéressé établi le 29 octobre 2018 indiquant une taille de 1,79 mètres, également incohérente avec l'âge déclaré. Par suite, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 3 en estimant que les actes d'état-civil produits étaient irréguliers et donc non probants.

9. Aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ". Selon l'article 311-2 du même code : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. "

10. Pour établir les liens de filiation par possession d'état, Mme C... produit un formulaire de demande d'asile attestant de ce qu'elle a déclaré ses enfants auprès H... français de protection des réfugiés et apatrides le 2 février 2018. Elle produit également des justificatifs de transfert d'argent au profit de tiers depuis 2020, dont aucun n'est à destination de la personne qui atteste assurer la garde des enfants. Elle produit encore des certificats de scolarité, sur lesquels elle est mentionnée comme mère des enfants, ainsi que des échanges de message et un historique d'appels téléphoniques récents avec G... C.... Ces éléments sont toutefois insuffisants pour établir une possession d'état continue, paisible, publique et non équivoque.

11. Il résulte de ce qui précède qu'en refusant de délivrer les visas sollicités au motif que l'identité et les liens de filiation allégués n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 2.

12. Les liens de filiation allégués n'étant pas établis, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.

13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la demande de substitution de motifs présentée par le ministre de l'intérieur, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 30 juillet 2020 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme C... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par Mme C... sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2024.

Le rapporteur,

B. MASLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. F...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00240


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00240
Date de la décision : 03/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Benoît MAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : GUILBAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-03;22nt00240 ?
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