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24/11/2006 | FRANCE | N°05PA00095

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre - formation b, 24 novembre 2006, 05PA00095


Vu la requête, enregistrée le 10 janvier 2005, présentée pour la société SEGAME, dont le siège est situé 57, rue de Seine à Paris (75006), représentée par son liquidateur judiciaire, Me Isabelle Didier, par Me Renaud, avocat ; la société SEGAME demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9813172/1 en date du 4 novembre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur les objets d'art qui lui ont été réclamés au titre de la période de janvier 1991 à décembre 1993 et des pén

alités y afférentes ;

2°) de prononcer la décharge de ces droits et de ces pénal...

Vu la requête, enregistrée le 10 janvier 2005, présentée pour la société SEGAME, dont le siège est situé 57, rue de Seine à Paris (75006), représentée par son liquidateur judiciaire, Me Isabelle Didier, par Me Renaud, avocat ; la société SEGAME demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9813172/1 en date du 4 novembre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur les objets d'art qui lui ont été réclamés au titre de la période de janvier 1991 à décembre 1993 et des pénalités y afférentes ;

2°) de prononcer la décharge de ces droits et de ces pénalités ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 novembre 2006 :

- le rapport de M. Dalle, rapporteur ;

- les observations de Me Schiele, pour la Société SEGAME ;

- les conclusions de M. Bataille, commissaire du gouvernement ;

Sur l'étendue du litige :

Considérant que, par une décision en date du 13 février 2006, postérieure à l'introduction de la requête, l'administration a dégrevé, à concurrence de la somme de 910 549,93 euros, l'amende fiscale mise à la charge de la société SEGAME sur le fondement de l'article 1788 ter du code général des impôts, devenu 1770 octies en 1993 ; que les conclusions de la requête de la société SEGAME relatives à cette pénalité sont donc, dans cette mesure, devenues sans objet ;

Considérant, par ailleurs, que, par une décision en date du 6 juillet 2006, l'administration a dégrevé à hauteur de la somme de 28 735,12 euros le complément de taxe sur les objets d'art auquel la société SEGAME a été assujettie au titre de la période en litige, de janvier 1991 à décembre 1993 ; que les conclusions de la société SEGAME tendant à la décharge de cette taxe sont donc également, dans cette mesure, devenues sans objet ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 376 de l'annexe II au code général des impôts, applicable en l'espèce : « … seuls les fonctionnaires titulaires ou stagiaires appartenant à des corps des catégories A et B peuvent, dans le ressort territorial du service auquel ils sont affectés, fixer les bases d'imposition ou notifier des redressements… » ; qu'il résulte de l'instruction que l'inspecteur des impôts, signataire des notifications de redressements dont procèdent les impositions en litige, était affecté à la direction des vérification de la région Ile-de-France Est ; que le ressort territorial de cette direction s'étendait à la totalité de la région Ile-de-France ; que, par suite, et quelle que soit la brigade d'affectation de cet agent au sein de cette direction, celui-ci pouvait fixer les bases d'imposition et notifier des redressements à la société SEGAME, laquelle avait son siège et ses bureaux à Paris ;

Considérant, en deuxième lieu, que si les dispositions de l'article 302 bis B du code général des impôts, puis de l'article 150 V ter du même code, applicables à la période d'imposition en litige, prescrivaient que la taxe sur les objets et métaux précieux était supportée par le vendeur, elles mettaient son versement, à défaut d'intermédiaire ayant participé à la transaction, à la seule charge de l'acheteur, lequel devait par suite être regardé comme le redevable de la taxe ; qu'il suit de là qu'en exerçant son droit de reprise à l'encontre de la société SEGAME, qui était l'acheteur des tableaux litigieux, et en notifiant les différentes pièces de la procédure de redressement à cette société plutôt qu'aux vendeurs des tableaux, l'administration fiscale n'a commis aucune irrégularité ;

Considérant, par ailleurs, qu'à l'appui d'un moyen ayant trait à la régularité de la procédure d'imposition, la requérante ne peut pas se prévaloir, sur le fondement de l'article L 80 A du livre des procédures fiscales, d'extraits de la documentation administrative de base en vigueur au cours de la période en litige, portant notamment sur le champ d'application de la taxe sur les objets et métaux précieux et désignant le vendeur de ces objets comme le redevable de la taxe ;

Considérant, en troisième lieu, que la société SEGAME a été déclarée en redressement judiciaire par jugement du 13 septembre 1993 ; que le vérificateur a adressé le 12 octobre 1993 deux avis de vérification de comptabilité, l'un au siège de l'entreprise, l'autre à l'administrateur judiciaire désigné par le tribunal ; que la société SEGAME a été mise en liquidation judiciaire par un jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 8 novembre 1993 ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté qu'à compter du 8 novembre 1993, l'administration fiscale a suivi la procédure de redressement avec le mandataire liquidateur désigné par le tribunal de commerce ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, le service pouvait poursuivre avec le mandataire liquidateur la vérification de comptabilité commencée avec l'administrateur judiciaire et n'était pas tenu d'adresser un nouvel avis de vérification au mandataire liquidateur ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article R 256-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : « L'avis de mise en recouvrement individuel prévu à l'article L 256 comporte : 1° Les indications nécessaires à la connaissance des droits, taxes, redevances, impositions ou autres sommes qui font l'objet de cet avis… » ;

Considérant que les droits supplémentaires litigieux de taxe sur les objets et métaux précieux ont été réclamés à la société SEGAME par un avis de mise en recouvrement en date du 24 janvier 1995 ; que cet avis comportait la mention « taxe sur les bijoux, les objets d'art, de collection et d'antiquité » ainsi que celle « majorations : amende », faisait référence à l'article 302 bis A du code général des impôts et mentionnait les notifications de redressements des 10 mai et 6 octobre 1994, lesquelles permettaient d'identifier aisément les impositions et les pénalités dont le recouvrement était poursuivi par l'avis litigieux ; que cet avis satisfaisait par suite aux exigences de l'article R 256-1 précité ; que la circonstance qu'à la date dudit avis, l'article 302 bis A du code général des impôts avait été remplacé par l'article 150 V bis du même code ou que cet avis ne mentionnait pas l'article 302 bis B, lequel prévoit qu'à défaut d'intermédiaire participant à la transaction la taxe doit être versée par l'acheteur, n'a aucune incidence sur la régularité de la procédure d'imposition dès lors que les notifications de redressements, ainsi qu'il a été dit, avisaient précisément la requérante des droits et pénalités mis à sa charge et qu'elles permettaient d'identifier facilement la cause de chaque redressement ; que la circonstance qu'en ce qui concerne les majorations l'avis renvoie à des lettres de motivation du 10 mai et du 6 octobre 1994 que la société requérante n'aurait jamais reçues n'a pas non plus d'incidence sur la régularité de la procédure d'imposition dès lors qu'il résulte des circonstances de l'espèce que ces lettres de motivation correspondent nécessairement aux notifications de redressements susmentionnées, distribuées par voie postale à la requérante les 10 mai et 6 octobre 1994 ;

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

Considérant, en premier lieu, que la taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d'art, de collection et d'antiquité instituée par l'article 10 de la loi du 19 juillet 1976 portant imposition des plus-values et création d'une taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d'art, de collection et d'antiquité, dont les dispositions étaient, au cours de la période en litige, codifiées aux articles 302 bis A et suivants puis 150 V bis et suivants du code général des impôts, constitue une modalité d'imposition particulière des plus-values réalisées à l'occasion de la vente de biens entrant dans les catégories énumérées par l'article 150 V bis ; que les dispositions des articles 302 bis B puis 150 V ter du code général des impôts prévoyaient que la taxe était supportée par le vendeur et qu'elle était versée par l'intermédiaire participant à la transaction ou, à défaut, par l'acheteur, dans les trente jours et sous les mêmes garanties qu'en matière de taxes sur le chiffre d'affaires ; que, en cas de vente réalisée dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, la taxe était versée dans les mêmes conditions par l'intermédiaire participant à la transaction s'il était domicilié en France ou, à défaut, par le vendeur ; que, enfin, aux termes du II de l'article 13 de la loi précitée du 19 juillet 1976 dont était issu l'article 150 V quinquies : les conditions d'application de la présente loi, et notamment les obligations incombant aux intermédiaires, sont précisées, en tant que de besoin, par un décret en Conseil d'Etat ; qu'ainsi, en désignant, par les dispositions de l'article 22 du décret du 29 décembre 1976, lesquelles étaient codifiées au cours de la période en litige à l'article 383 quater de l'annexe II au code général des impôts, la recette des impôts, habilitée à percevoir la taxe, le pouvoir réglementaire s'est borné, comme il aurait d'ailleurs pu le faire même sans habilitation du législateur à cette fin, laquelle rend en tout état de cause inopérante la critique de l'article 383 quater tirée de l'inconstitutionnalité de cet article, à préciser les modalités de recouvrement de la taxe en cause conformément aux prévisions du II de l'article 13 de la loi du 19 juillet 1976 et n'a, ainsi, pas excédé sa compétence ni les termes de la délégation qui lui était consentie ; qu'il s'ensuit que la requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article 383 quater de l'annexe II au code général des impôts sont illégales pour avoir été prises par une autorité incompétente ;

Considérant, en deuxième lieu, que la société SEGAME soutient que l'assiette de la taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d'art, de collection et d'antiquité n'a pas été fixée, comme elle aurait dû l'être en vertu de l'article 34 de la Constitution, par le législateur - les dispositions de la loi du 19 juillet 1976, codifiées aux articles 302 bis A et suivants puis 150 V bis et suivants du code général des impôts ne contenant à cet égard, selon la requérante, aucune précision - mais par l'administration fiscale, dans la documentation de base référencée 8 O 22, dont les versions à jour au cours de la période en litige, c'est-à-dire successivement au 15 octobre 1989 puis au 15 juin 1993, assoient la taxe sur le prix de vente, y compris les frais de courtage, des métaux précieux, bijoux, objets d'art, de collection et d'antiquité ;

Considérant qu'aux termes de l'article 302 bis A du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur au 15 octobre 1989 : Les ventes de métaux précieux sont soumises à une taxe de 7 % (…). Les ventes de bijoux, d'objets d'art, de collection et d'antiquité sont soumises à une taxe de 6 % lorsque leur montant excède 20 000 F ; dans le cas où ce montant est compris entre 20 000 F et 30 000 F, la base d'imposition est réduite d'un montant égal à la différence entre 30 000 F et ledit montant ; que les modifications apportées à cet article, dont résulte sa rédaction en vigueur à la date du 15 juin 1993, se limitent à un relèvement des taux susmentionnés à hauteur, respectivement, de 7,5 et 7 % ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu implicitement mais nécessairement asseoir la taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d'art, de collection et d'antiquité sur le montant des ventes dont s'agit ; qu'en l'absence de précision sur ce point, le prix de vente pris en compte pour asseoir la taxe doit être compris comme incluant toutes les charges supportées par l'acheteur ; qu'ainsi, en prévoyant que la taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d'art, de collection et d'antiquité est assise sur leur prix de vente y compris les frais de courtage, le ministre s'est borné à donner l'interprétation qu'appelaient les dispositions de l'article 302 bis A précité du code général des impôts ; que, ce faisant, il n'a pas fixé de règles nouvelles et n'a, par suite, ni entaché sa décision d'incompétence ni méconnu les dispositions de l'article 34 de la Constitution ;

Considérant, en troisième lieu, que les dispositions des articles 302 bis A et suivants du code général des impôts, reprises à compter de 1993 aux articles 150 bis V de ce code, n'ont institué aucune disposition favorable à des contribuables mais ont, au contraire, ainsi qu'il a été dit plus haut, créé une modalité d'imposition particulière des plus-values réalisées à l'occasion de la vente de biens entrant dans les catégories énumérées par ces articles, ladite imposition étant acquittée, selon les cas, par le vendeur des biens, par l'intermédiaire participant à la transaction, par l'acheteur ou par l'exportateur ; que la société SEGAME, qui avait en l'espèce la qualité d'acheteur des objets d'art litigieux et qui était tenue au paiement de la taxe, en l'absence d'intermédiaire ayant participé aux transactions, n'est donc pas fondée à soutenir qu'en omettant d'imposer au vendeur de remettre à la personne tenue au paiement un exemplaire de l'acceptation par l'administration de l'option prévue aux articles 302 bis E et 150 V sexies du code général des impôts, empêchant ainsi ladite personne de vérifier si le vendeur avait effectivement exercé l'option et si elle était par suite déchargée du paiement, les dispositions de l'article 267 quater E de l'annexe II au code général des impôts, puis, à compter de l'année 1993, de l'article 74 S ter de la même annexe, ont illégalement restreint le champ de dispositions législatives favorables à cette personne ; qu'en tout état de cause, l'article 267 quater E de l'annexe II au code général des impôts prévoyait expressément, contrairement à ce que soutient la requérante, qu'un exemplaire de l'acceptation de l'option par l'administration devait être remis à la personne tenue au paiement de la taxe et que cette dernière se trouvait de ce fait déchargée du paiement ;

Considérant, en quatrième lieu, que la taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d'art, de collection et d'antiquité constitue, ainsi qu'il a été dit plus haut, une modalité particulière d'imposition des plus-values ; que par suite le moyen tiré de ce que les dispositions légales ayant institué cette taxe seraient contraires à l'article 1er de la première directive TVA du 11 avril 1967 et à l'article 33 de la sixième directive TVA du 17 mai 1977 ne peut qu'être écarté ;

Considérant, en cinquième lieu, que la circonstance que la requérante, dont l'ancien dirigeant a été condamné pénalement pour fraude fiscale le 27 novembre 1996 par le tribunal correctionnel de Paris, se trouverait dans une situation moins favorable qu'un contribuable ne faisant pas l'objet de poursuites pénales, dans la mesure où le juge de l'impôt pourrait être éventuellement lié par les constatations de fait opérées par le juge pénal, n'a aucune incidence sur le bien-fondé des impositions en litige ; qu'il en va de même du fait qu'en cas de décharge ordonnée par le juge de l'impôt, l'ancien dirigeant condamné pénalement ne pourrait demander la révision de son procès pénal ; que le moyen tiré d'une méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et des articles 6-1, 13 et 14 de cette convention doit donc être rejeté ;

Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes de l'article 302 bis B du code général des impôts, repris à compter de l'année 1993 à l'article 150 V ter, « la taxe n'est pas perçue lorsque le vendeur fait commerce des biens concernés, à titre professionnel » ; que la requérante soutient que certaines des ventes de tableaux litigieuses ont été effectuées par des vendeurs professionnels ou par des marchands « en chambre » devant être assimilés à des vendeurs professionnels et que les transactions correspondantes auraient dû en conséquence être exemptées de taxe sur les objets d'art ;

Considérant qu'en ce qui concerne les vendeurs X, Y, Z, A, B, C, D et E, la société SEGAME avait facturé aux intéressés la taxe sur les objets d'art, ce qui laisse présumer que ceux-ci étaient des vendeurs non professionnels ; que si la requérante soutient que certains de ces vendeurs effectuaient de nombreux achats et reventes de tableaux en sorte qu'ils doivent être regardés comme des professionnels du commerce des oeuvres d'art ou si elle verse au dossier différentes pièces afin d'établir que les personnes susmentionnées étaient des vendeurs professionnels, ces éléments sont trop imprécis et ne permettent pas d'établir que les ventes litigieuses auraient été effectuées à titre professionnel ;

Considérant qu'en ce qui concerne le vendeur F, la société SEGAME n'a pas facturé à l'intéressé la taxe sur les objets d'art ; qu'il ressort cependant de l'examen de la pièce n° 21 annexée au mémoire déposé le 3 avril 2006 par la société SEGAME que M. F n'est pas courtier en art, comme le soutient cette dernière, mais médecin ;

Considérant, par ailleurs, qu'il résulte de l'instruction que le service a constaté, en examinant la comptabilité de l'entreprise, que des ventes effectuées le 30 septembre 1992 par le fournisseur » n'avaient pas donné lieu au paiement de la taxe sur les objets d'art ; qu'il les a en conséquence soumises à celle-ci ; que la requérante soutient que les ventes en cause n'ont pas été effectuées par son ancien dirigeant, , mais par les galeries X et H; que, cependant, même si elles mentionnent les mêmes artistes que les ventes du 30 septembre 1992 et si elles portent sur des montants globaux identiques, les factures que la requérante produit à l'appui de ses allégations, établies les 13 et 21 février, 31 mars et 22 juillet 1992 par ces deux galeries au nom de la société SEGAME, ne permettent pas d'établir l'inexistence des ventes du 30 septembre 1992, dès lors qu'elles sont antérieures à celles-ci et qu'elles précisent que les règlements ont été effectués par chèque personnel ou privé de , lequel a donc pu acquérir les tableaux et les revendre ultérieurement à la société SEGAME ;

Considérant, en septième lieu, que la requérante conteste l'imposition à la taxe sur les objets d'art d'achats de tableaux effectués, d'une part, en 1991, 1992 et 1993 auprès de J, fils du peintre K, d'autre part en 1993 auprès de M, petit-fils du peintre L; qu'elle fait valoir qu'aucune taxe ne peut être due pour ces achats dès lors que la taxe sur les objets d'art constitue une modalité particulière d'imposition des plus-values et que, les intéressés ayant hérité les tableaux en cause de leur père et grand-père, décédés respectivement en 1969 et 1943, les plus-values correspondantes sont nécessairement exonérées par application de l'abattement par année de détention des biens prévu à l'article 150 M alors en vigueur du code général des impôts ;

Considérant qu'aux termes de l'article 302 bis E du code général des impôts, repris à compter de 1993 à l'article 150 V sexies : « Le vendeur des bijoux et objets … peut opter par une déclaration faite au moment de la vente pour le régime défini aux articles 150 A à 150 T [relatifs aux plus-values de cession à titre onéreux de biens ou de droits de toute nature] sous réserve qu'il puisse justifier de la date et du prix d'acquisition » ; qu'à défaut de dispositions particulières des articles 150 A à 150 T visant les plus-values sur biens meubles autres que les valeurs mobilières et les droits sociaux, l'administration, par une instruction en date du 30 décembre 1976, publiée à la documentation de base 8 M-1-76 n° 357, considérait que les règles de détermination des plus-values étaient les mêmes qu'en matière immobilière ; qu'aux termes de l'article 150 M du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en 1991 et 1992 : « Les plus-values immobilières réalisées plus de deux ans après l'acquisition du bien sont réduites de 3,33 % pour chaque année de détention au-delà de la deuxième » ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions et de cette instruction qu'un contribuable ayant cédé un bien meuble entre le 1er janvier 1991 et le 31 décembre 1992 peut obtenir l'exonération totale de la plus-value correspondant à cette cession à condition d'avoir été en possession du bien en cause pendant trente et un ans ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la société SEGAME, qui n'a d'ailleurs pas expressément invoqué l'instruction précitée du 30 décembre 1976, les plus-values réalisées en 1991 et 1992 par N à l'occasion de la vente de tableaux dont il aurait hérité de son père en 1969 n'étaient pas exonérées ;

Considérant, que s'agissant de l'oeuvre n° 1517, cédée le 7 octobre 1991 par N à la société SEGAME, l'administration a retenu un prix de vente de 1 725 000 F, alors que le prix apparaissant dans le registre des achats de la société SEGAME, à partir duquel l'administration a établi le redressement, est de 575 000 F ; que la requérante conteste que le prix de vente retenu pour asseoir la taxe et verse au dossier une lettre de la Galerie à O en date du 7 octobre 1991, mentionnant un prix de vente de 1 150 000 F ; que l'administration n'apportant pas d'explication sur ce point, il y a lieu de retenir comme prix de vente la somme de 1 150 000 F et d'accorder à la société SEGAME une décharge, en bases, de 575 000 F, correspondant à la réduction du prix de vente, de 1 725 000 F à 1 150 000 F ;

Considérant par ailleurs, que si la rédaction de l'article 150 M du code général des impôts avait changé en 1993, l'abattement annuel étant porté de 3,33 % à 5 %, ce qui aboutissait à exonérer les plus-values au bout de vingt et un ans seulement, la requérante n'établit pas par les pièces, dépourvues de précision, qu'elle verse au dossier que MJ et Denis avaient hérité de leur père et grand-père les tableaux cédés par eux en 1993 à la société SEGAME et par suite qu'ils avaient détenu ces tableaux durant plus de vingt et un ans ;

Considérant, en huitième lieu, qu'il résulte des dispositions des articles 302 bis B et 302 bis E du code général des impôts, transférées à compter de 1993 aux articles 150 V ter et 150 V sexies, que, dans l'hypothèse où le vendeur n'aurait pas opté pour le régime des plus-values défini aux articles 150 A à 150 T, la taxe sur les objets d'art doit être versée par l'intermédiaire participant à la transaction ou, à défaut, par l'acheteur ; que, même si ces dispositions prévoient que « la taxe est supportée par le vendeur », la circonstance, à la supposer établie, que la société SEGAME n'aurait pas répercuté sur les vendeurs la taxe qu'elle avait acquittée est sans incidence sur le bien-fondé des compléments de taxe sur les objets d'art mis à sa charge ; qu'en tout état de cause, il résulte de l'instruction que la société a reporté sur ses fournisseurs la taxe qu'elle avait acquittée, soit en leur facturant le montant de la taxe, soit par voie de compensation, en minorant le prix versé pour l'achat des tableaux ;

Considérant, en neuvième lieu, que la circonstance que certains vendeurs aient indiqué par écrit à la société SEGAME qu'ils acquitteraient eux-mêmes l'impôt sur les plus-values est sans incidence sur le bien-fondé des redressements dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué par la requérante que les intéressés ont expressément opté pour le régime des plus-values, dans les conditions prévues aux articles 302 bis E et 150 V sexies du code général des impôts ;

Considérant, en dixième lieu, que si les motifs du jugement rendu le 24 janvier 2001 par le tribunal de grande instance de Paris, statuant en matière correctionnelle, révèlent que la société SEGAME a procédé à des achats fictifs de tableaux, les quelques mentions que comportent sur ce point cette décision, dont il n'est d'ailleurs pas établi qu'elle soit devenue définitive, sont imprécises et ne permettent pas d'établir le caractère fictif des différents achats énumérés par la requérante dans son mémoire déposé le 3 avril 2006 ;

Considérant, en onzième lieu, que l'autorité de la chose jugée qui appartient aux décisions des juges répressifs devenues définitives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement, support nécessaire du dispositif, et à leur qualification sur le plan pénal ; qu'en revanche elle ne s'attache pas à l'appréciation de ces mêmes faits au regard de la loi fiscale, notamment en ce qui concerne l'évaluation des bases d'imposition et les montants des rehaussements correspondants ; qu'ainsi la société SEGAME n'est pas fondée à soutenir que la Cour méconnaîtrait l'autorité de la chose jugée si elle ne retenait pas le montant de droits éludés de 6 582 167 F mentionné par le tribunal correctionnel de Paris, dans son jugement du 27 novembre 1996, condamnant , représentant légal de la société SEGAME, pour fraude fiscale ;

Sur les pénalités :

Considérant qu'aux termes de l'article 1788 ter du code général des impôts, en vigueur en 1991 et 1992, devenu 1770 octies en 1993, « les infractions aux articles 302 bis A à 302 bis E donnent lieu à une amende fiscale égale aux droits éludés et recouvrée comme en matière de taxe sur le chiffre d'affaires » ;

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort de l'examen des notifications de redressements des 6 mai et 5 octobre 1994 que l'administration, après avoir rappelé et explicité dans ces documents les infractions commises en matière de taxe sur les objets d'art par la société SEGAME, laquelle s'était abstenue de déclarer des montants de taxe qu'elle savait devoir régler au Trésor et qu'elle avait du reste, en règle générale, facturés à ses fournisseurs, a indiqué à la société SEGAME qu'elle allait mettre à la charge de celle-ci les pénalités prévues à l'article 1788 ter du code général des impôts (ou 1770 octies), « les infractions aux articles 302 bis A à 302 bis E du code général des impôts (transférés aux articles 150 V bis à 150 V sexies) donnant lieu à une amende fiscale égale aux droits éludés » ; que l'administration précisait par ailleurs pour chacun des mois compris dans la période en litige, le montant des droits éludés et celui de l'amende fiscale correspondante ; qu'une telle motivation satisfait aux prescriptions de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;

Considérant, en deuxième lieu, que la société SEGAME, qui a été mise en redressement judiciaire le 13 septembre 1993 puis en liquidation judiciaire le 8 novembre 1993, ne peut se prévaloir de l'article 1740 octies du code général des impôts aux termes duquel « En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, les frais de poursuites et les pénalités fiscales encourues en matière d'impôts directs et de taxes assimilées dues à la date du jugement d'ouverture (…) sont remis (…) », dès lors que l'article 99 de la loi n° 94-475 du 10 juin 1994, d'où ces dispositions sont issues, prévoit que celles-ci sont applicables aux procédures ouvertes à compter du 1er octobre 1994 ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, la loi en cause, ayant institué l'article 1740 octies, qui n'a pas pour objet d'abroger une incrimination ou de prononcer une peine moins sévère que celle prévue par la loi ancienne mais prévoit seulement une remise de diverses pénalités en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, ne constitue pas une loi pénale nouvelle moins sévère susceptible de lui être appliquée rétroactivement ; que, par ailleurs, la taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d'art, de collection et d'antiquité n'ayant pas le caractère d'une taxe sur le chiffre d'affaires ou d'une taxe assimilée à une taxe sur le chiffre d'affaires, la société SEGAME ne peut pas non plus se prévaloir des dispositions antérieures à l'article 1740 octies, qui figuraient à l'article 1926 et selon lesquelles « Pour le recouvrement des taxes sur le chiffre d'affaires et des taxes assimilées, le Trésor a, sur les meubles et effets mobiliers appartenant aux redevables, en quelque lieu qu'ils se trouvent, un privilège qui a le même rang que celui de l'article 1920 et qui s'exerce concurremment avec ce dernier. Le privilège s'exerce dans les conditions prévues à l'article 1920-1. En cas de règlement judiciaire ou liquidation des biens, redressement ou liquidation judiciaire, le privilège porte sur le montant du principal, augmenté des intérêts de retard afférents aux six mois précédant le jugement déclaratif. Toutes amendes encourues sont abandonnées (…) » ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des termes mêmes des articles 1788 ter et 1770 octies du code général des impôts qu'alors même qu'ils visent des « infractions », l'amende fiscale qu'ils prévoient doit être infligée par l'autorité administrative compétente pour recouvrer les taxes sur le chiffre d'affaires et non par les tribunaux répressifs ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle... » ; que ces dispositions sont applicables à la contestation, devant la juridiction compétente, de l'amende fiscale prévue par les articles 1788 ter et 1770 octies du code général des impôts, qui constitue, même si le législateur, ainsi qu'il vient d'être dit, a laissé le soin de la prononcer à l'autorité administrative, une « accusation en matière pénale » au sens du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées des articles 1788 ter et 1770 octies qu'en cas d'infraction en matière de taxe sur les objets d'art, les droits éludés sont assortis d'une amende de 100 % ; que le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir la majoration infligée par l'administration, soit d'en prononcer la décharge s'il estime que le contribuable n'a pas contrevenu aux règles applicables en matière de taxe sur les objets d'art ; qu'il dispose, ainsi, d'un pouvoir de pleine juridiction conforme aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales lesquelles n'impliquent pas, alors même que le législateur a retenu un taux unique pour l'amende en cause, que le juge puisse moduler l'application de cette dernière en substituant un taux inférieur à celui de 100 % ; que, dans ces conditions, la société SEGAME n'est pas fondée à soutenir que les dispositions des articles 1788 ter et 1770 octies seraient incompatibles avec les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention ;

Sur les conclusions de la société tendant au remboursement des frais exposés :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société SEGAME tendant à l'octroi de frais irrépétibles ;

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société SEGAME à concurrence des sommes de 28 735,12 euros et 910 549,93 euros, en ce qui concerne respectivement la taxe sur les objets d'art qui a été mise à sa charge au titre de la période de janvier 1991 à décembre 1993 et l'amende fiscale qui lui a été assignée sur le fondement de l'article 1788 ter du code général des impôts.

Article 2 : La base de la taxe sur les objets d'art assignée à la société SEGAME au titre de l'année 1991 est réduite d'une somme de 87 658,18 euros (575 000 F).

Article 3 : La société SEGAME est déchargée des droits et pénalités correspondant à la réduction de base définie à l'article 2.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société SEGAME est rejeté.

Article 5 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 4 novembre 2004 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

6

N° 05PA00095


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre - formation b
Numéro d'arrêt : 05PA00095
Date de la décision : 24/11/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ESTEVE
Rapporteur ?: M. David DALLE
Rapporteur public ?: M. BATAILLE
Avocat(s) : SCHIELE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2006-11-24;05pa00095 ?
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