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21/12/2006 | FRANCE | N°06PA02092

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 21 décembre 2006, 06PA02092


Vu la requête, enregistrée le 9 juin 2006, présentée pour M. et Mme Z Y, demeurant 41 rue de Chatel Sommesous (51320), par Me Ludot ; M. et Mme Y en qualité d'héritiers de Y demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 030728/5-1 en date du 4 mai 2006 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur requête tendant d'une part, à la condamnation de l'Etat français à leur payer la somme de 152 450, 54 euros en réparation du préjudice qu'a subi M. Y dont ils sont les héritiers à la suite du travail forcé auquel il aurait été astreint et, d'autre part,

à l'annulation de la décision du 12 juillet 2004 par laquelle le ministre...

Vu la requête, enregistrée le 9 juin 2006, présentée pour M. et Mme Z Y, demeurant 41 rue de Chatel Sommesous (51320), par Me Ludot ; M. et Mme Y en qualité d'héritiers de Y demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 030728/5-1 en date du 4 mai 2006 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur requête tendant d'une part, à la condamnation de l'Etat français à leur payer la somme de 152 450, 54 euros en réparation du préjudice qu'a subi M. Y dont ils sont les héritiers à la suite du travail forcé auquel il aurait été astreint et, d'autre part, à l'annulation de la décision du 12 juillet 2004 par laquelle le ministre de la défense leur a opposé la déchéance quadriennale ;

2°) de faire droit à leur demande de réparation en condamnant l'Etat français à lui verser la somme de 152 450, 54 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761 ;1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 décembre 2006 :

- le rapport de Mme Briançon, rapporteur,

- et les conclusions de M. Bachini, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. Y, contraint au travail obligatoire en Allemagne du 8 septembre 1943 au 11 avril 1945, en application de lois de l'Etat français, a sollicité le 17 mars 2003 la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de ce travail forcé ; que, par décision du 12 juillet 2004, le ministre de la défense a opposé la déchéance quadriennale à la demande présentée par ses héritiers, M. et Mme Y ; que ces derniers sollicitent l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Paris qui a rejeté leur demande ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que si M. et Mme Y soutiennent que l'Etat français doit être solidairement condamné avec l'Etat allemand, il ressort des pièces du dossier que les conclusions de la demande sont uniquement dirigées contre l'Etat français, comme l'a indiqué à juste titre le tribunal ; que, par suite, en rejetant pour incompétence la demande en tant qu'elle pourrait être dirigée contre l'Etat allemand, le tribunal, qui n'avait pas à soulever d'office cette incompétence régulièrement opposée par le ministre et qui, par ailleurs, était compétent pour connaître du litige relatif à l'éventuelle créance de l'Etat français n'a entaché d'aucune irrégularité le jugement attaqué ;

Sur la prescription opposée par le ministre à la demande indemnitaire présentée devant l'administration par M. et Mme Y :

Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, dans sa rédaction issue du décret du 30 octobre 1935 : « Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat (…) toutes créances qui, n'ayant pas été acquittées avant la clôture de l'exercice auquel elles appartiennent, n'auraient pu, à défaut de justifications suffisantes, être liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de quatre années à partir de l'ouverture de l'exercice pour les créanciers domiciliés en Europe (…) » ; que l'article 3 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifiée dispose : « La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ni par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou la créance de celui qu'il représente légalement » ; qu'aux termes de l'article 9 de la même loi : « Les dispositions de la présente loi sont applicables aux créances nées antérieurement à la date de son entrée en vigueur et non encore atteintes de déchéance à cette même date. / Les causes d'interruption et de suspension prévues aux articles 2 et 3, survenues avant cette date, produisent effet à l'égard de ces mêmes créances » ;

Considérant, en premier lieu, que la créance dont se prévalent M. et Mme Y du fait du travail obligatoire auquel M. Y a été contraint en Allemagne est née au plus tard en mai 1945, date de son retour en France ; qu'à cette date, en effet, M. Y avait nécessairement connaissance de la circonstance qu'il avait travaillé sans être rémunéré ; que, par application de l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, la prescription était acquise le 31 décembre 1948, sauf à ce que la déchéance ait été interrompue ou suspendue ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'à l'appui de leur demande indemnitaire M. et Mme Y invoquent les préjudices moral et physique subis par M. Y et le préjudice financier correspondant aux salaires non versés au titre de son travail obligatoire en Allemagne ; que M. et Mme Y ne versent aucune pièce au dossier de nature à établir que M. Y aurait été victime d'une blessure, d'une maladie ou d'une invalidité directement et certainement imputable au service du travail obligatoire auquel il a été astreint et que son état de santé n'aurait été consolidé qu'à une date suffisamment tardive pour faire obstacle au départ ou à l'expiration du délai de prescription fixé par les textes susrappelés ; que dès lors, M. Y ne peut être regardé comme n' ayant pas connu dans toute leur étendue avant le 31 décembre 1948 les conséquences dommageables du travail forcé auquel il a été astreint non plus que comme ayant été dans l'impossibilité d'agir avant cette date ;

Considérant, en troisième lieu, que le caractère imprescriptible des crimes contre l'humanité posé par l'article 213-5 du code pénal ne s'attache qu'à l'action pénale et à l'action civile engagées devant la juridiction répressive ; qu'en revanche, l'action en réparation dirigée par des particuliers contre l'Etat français est soumise en l'absence de texte les écartant expressément, aux règles de prescription fixées par les dispositions législatives précitées ; que par suite, M. et Mme Y ne peuvent utilement soutenir, pour faire échec à la déchéance quadriennale qui leur est opposée, que les actes fautifs commis par l'Etat et à l'origine des préjudices qu'ils invoquent seraient constitutifs de crimes contre l'humanité ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune (…) » ; que cet article prohibe les discriminations dans la mise en oeuvre des droits garantis par la convention, au nombre desquels figure le droit à un procès équitable et au respect de ses biens rappelé par l'article 6-1 de la convention et l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention ; que l'action dirigée contre l'Etat devant la juridiction administrative n'étant pas exclusive d'une action devant la juridiction répressive, la différence de régime de prescription entre les actions engagées devant les juridictions administratives et les juridictions répressives ne crée pas de discrimination entre les individus ; que, par suite, le moyen tiré de la violation des articles 6 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'article 1er du premier protocole additionnel à celle-ci doit être écarté ;

Considérant qu'il résulte de tout de qui précède que le ministre de la défense a pu régulièrement opposer la prescription de la créance à la demande indemnitaire de M. et Mme Y ; que, dès lors, M. et Mme Y ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par M. et Mme Y qui sont, dans la présente instance, la partie perdante ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme Y est rejetée.

N°06PA02092 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 06PA02092
Date de la décision : 21/12/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pré SICHLER-GHESTIN
Rapporteur ?: Mme Claudine BRIANCON
Rapporteur public ?: M. BACHINI
Avocat(s) : LUDOT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2006-12-21;06pa02092 ?
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