La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/03/2011 | FRANCE | N°10PA01353

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 10 mars 2011, 10PA01353


Vu la requête, enregistrée le 16 mars 2010, présentée pour la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE, dont le siège est 11 rue de Seine à Boulogne-Billancourt (92100), par Me Goni ; la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801854/7-1 en date du 28 janvier 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 250 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à son honneur et à sa réputation ain

si qu'à ceux de ses fidèles ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la s...

Vu la requête, enregistrée le 16 mars 2010, présentée pour la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE, dont le siège est 11 rue de Seine à Boulogne-Billancourt (92100), par Me Goni ; la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801854/7-1 en date du 28 janvier 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 250 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à son honneur et à sa réputation ainsi qu'à ceux de ses fidèles ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 250 000 euros en réparation dudit préjudice ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Vu la loi n° 2008-1187 du 14 novembre 2008 relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaires ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 février 2011 :

- le rapport de Mme Folscheid, rapporteur,

- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,

- et les observations de Me Goni, pour la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE, et celles de Me Holleaux, pour le ministre du travail, de l'emploi et de la santé ;

Considérant que, par une résolution en date du 28 juin 2006, l'Assemblée nationale a décidé la création d'une commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs ; que, dans le cadre de cette commission, a été entendu le 12 juillet 2006

M. Emmanuel , chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires au ministère de la santé et des solidarités ; que, par lettre du 5 octobre 2007, la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE a demandé à la ministre de la santé réparation, à hauteur de 250 000 euros, du préjudice moral résultant des propos de M. ; que cette demande a été rejetée implicitement ; que la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE relève régulièrement appel du jugement du 28 janvier 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 250 000 euros ;

Considérant qu'aux termes de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans sa rédaction issue de la loi du 14 novembre 2008 relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaires : (...) Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d'enquête créée, en leur sein, par l'Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d'y déposer, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi (...) ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires ayant conduit à leur adoption, que les personnes entendues dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire ne peuvent être poursuivies pour diffamation, injure ou outrage, dès lors que leurs propos sont en lien avec l'objet de l'enquête ; que le législateur a ainsi entendu donner à ces personnes une protection similaire à celle des témoins devant les juridictions, afin de préserver la libre parole devant les commissions d'enquête et d'accroître la crédibilité de cet outil du pouvoir de contrôle du Parlement ;

Considérant toutefois que ces dispositions n'ont pas entendu exonérer tout agent public des devoirs qui s'imposent à lui dans l'exercice de ses fonctions ; qu'ainsi, dans le cas de l'audition par une commission d'enquête parlementaire d'une personne entendue en sa qualité d'agent public, cette dernière est tenue de se prononcer dans le respect des règles et des principes généraux du droit qui s'imposent à tout agent public, notamment les principes d'impartialité, de neutralité et de laïcité de l'Etat ; que les dispositions précitées de la loi du 29 juillet 1881, modifiées par la loi du 14 novembre 2008, n'exonèrent ainsi pas l'administration de toute responsabilité en cas de faute commise par l'un de ses agents publics entendu dans l'exercice de ses fonctions devant une commission d'enquête parlementaire ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant qu'aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ne pouvait être retenue du fait des déclarations de

M. lors de son audition le 12 juillet 2006 devant la commission d'enquête parlementaire relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire, dès lors que les propos de M. n'étaient pas étrangers à l'objet de l'enquête, que M. avait témoigné sous serment, qu'il ne ressortait d'aucune pièce du dossier que le bureau de l'Assemblée nationale aurait été saisi d'une plainte pour faux témoignage par l'association requérante et que le Tribunal de grande instance de Paris, par un jugement en date du 17 février 2009, avait rejeté la plainte pour diffamation engagée contre M. , les premiers juges ont commis une erreur de droit ; que ces circonstances sont en effet sans incidence sur l'éventuel engagement de la responsabilité de l'Etat mise en cause par l'association requérante à raison de la faute qu'aurait commise M. en sa qualité d'agent public par ses propos tenus lors de son audition le 12 juillet 2006 ;

Considérant, d'une part, qu'eu égard aux risques que peuvent présenter, notamment pour les jeunes, les pratiques de certains organismes communément appelés sectes , et alors même que certains de ces mouvements prétendent poursuivre également un but religieux, M. , chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires, a pu légalement, sans porter atteinte à la neutralité de l'Etat ni à la liberté des cultes et sans méconnaître le principe de laïcité, informer la commission d'enquête parlementaire des résultats d'une enquête conduite durant près de deux ans par le ministère de la santé et des solidarités auprès d'une vingtaine de jeunes ex-adeptes des Témoins de Jéhovah sur les pratiques dont s'agit et porter à la connaissance des membres de la commission des faits résultant de divers témoignages d'anciens membres de l'organisation et d'études de chercheurs ; que ces propos, tenus sous serment, ont permis d'éclairer la représentation nationale sur les dérives que pouvaient connaître certains organismes à caractère sectaire ; qu'ils ont également contribué à l'élaboration d'une réflexion sur l'amélioration de l'efficacité de l'action préventive et répressive des pouvoirs publics en cas de dérives sectaires ; qu'il ne ressort pas du procès verbal d'audition de M. , dont la requérante ne produit qu'une version tronquée dénaturant la tonalité générale des propos tenus par celui-ci, que cet agent public aurait méconnu le principe d'impartialité auquel il est soumis en cette qualité ; qu'il ressort au contraire dudit procès verbal que M. a pris soin de préciser que le travail dont il rendait compte ne [prétendait] pas décrire scientifiquement un groupe comme celui des Témoins de Jéhovah, ni donner des éléments sur le devenir prévisible des enfants qui s'y intègrent mais [devait] permettre de saisir le contexte dans lequel ces enfants se trouvent ; qu'il a fait montre d'une grande honnêteté et prudence dans l'exposé des résultats de l'enquête menée par le ministère et s'est efforcé de répondre aux questions des membres de la commission, lesquelles ne portaient d'ailleurs pas exclusivement sur la communauté des Témoins de Jéhovah mais également sur d'autres groupes à caractère sectaire et l'invitaient à donner sa propre appréciation sur les faits dont il avait eu connaissance ; que les circonstances que d'autres témoignages ou études démentiraient cette appréciation et que l'enquête sur laquelle elle s'appuyait n'ait pas été publiée ou communiquée à la fédération requérante ne sont pas de nature à faire douter de la sincérité de M. , ni à établir qu'il aurait violé son serment prêté devant la commission ;

Considérant, d'autre part, que le moyen tiré de l'atteinte à la présomption d'innocence garantie par l'article 6.2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'aurait commise M. doit être écarté dès lors que l'atteinte alléguée ne s'inscrit pas dans un contexte de poursuites en matière pénale ou quasi-pénale dont ferait l'objet la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE ; que doivent également être écartés les moyens tirés de la violation des stipulations des articles 9 et 14 de la même convention dès lors que la requérante ne démontre pas en quoi les propos de M. auraient porté atteinte à la liberté de pensée, de conscience ou de religion garantis par l'article 9 ou auraient méconnu l'interdiction de discrimination prévue à l'article 14 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE n'est pas fondée à soutenir que les propos tenus par M. sont constitutifs d'une faute de service de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'au surplus, et en tout état de cause, si la requérante fait valoir que les déclarations de M. lors de son audition le 12 juillet 2006 ont entraîné toutes sortes de mauvais traitements envers ses membres, des discriminations ainsi que des actes de vandalisme sur leurs lieux de culte, notamment depuis 2006, et ont porté gravement atteinte à son honneur et à sa réputation, elle n'établit pas, par les articles de presse et témoignages qu'elle produit - qui ne mentionnent même pas le nom de M. -, l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre lesdites déclarations et les préjudices allégués ; que, par suite, la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnisation ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE doit être rejetée ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le ministre de la santé et des sports ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE est rejetée.

Article 2 : La FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE versera à l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre du travail, de l'emploi et de la santé est rejeté.

''

''

''

''

2

N° 10PA01353


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Numéro d'arrêt : 10PA01353
Date de la décision : 10/03/2011
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : Mme VETTRAINO
Rapporteur ?: Mme Bénédicte FOLSCHEID
Rapporteur public ?: M. JARRIGE
Avocat(s) : GONI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2011-03-10;10pa01353 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award