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31/12/2012 | FRANCE | N°10PA02517

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 10ème chambre, 31 décembre 2012, 10PA02517


Vu la requête, enregistrée le 21 mai 2010, présentée pour la société anonyme (SA) Ségame, dont le siège est au 75 rue des Saints Pères à Paris (75006), représentée par M. Gérard l'Hermenault, liquidateur amiable, par Me Schiele ; la SA Ségame demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0615750/1-3 du 5 mars 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser une indemnité de 600 000 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice subi

du fait des fautes commises par les services fiscaux ayant conduit à sa liquidati...

Vu la requête, enregistrée le 21 mai 2010, présentée pour la société anonyme (SA) Ségame, dont le siège est au 75 rue des Saints Pères à Paris (75006), représentée par M. Gérard l'Hermenault, liquidateur amiable, par Me Schiele ; la SA Ségame demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0615750/1-3 du 5 mars 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser une indemnité de 600 000 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice subi du fait des fautes commises par les services fiscaux ayant conduit à sa liquidation judiciaire ;

2°) de condamner l'État à lui verser cette indemnité, assortie des intérêts au taux légal, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de l'État les entiers dépens de l'instance ainsi qu'une somme de 300 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de commerce ;

Vu l'arrêté du 7 novembre 1814 ;

Vu la loi du 29 avril 1926, notamment son article 104 ;

Vu la loi du 25 juin 1928 et notamment son article 11 ;

Vu le décret n° 53-714 du 9 août 1953, modifié ;

Vu la loi n° 63-156 du 23 février 1963, et notamment son article 60 ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, ensemble la décision n° 83-167 DC du 19 janvier 1984 du Conseil constitutionnel ;

Vu la loi n° 85-98 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 décembre 2012 :

- le rapport de M. Paris, rapporteur,

- les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public,

- et les observations de Me Cazin d'Honincthun, représentant la SA Ségame ;

1. Considérant que par deux jugements du Tribunal de commerce de Paris en date du 13 septembre et du 8 novembre 1993, la SA Ségame a été placée en redressement, puis en liquidation judiciaire ; que par un arrêt du 20 janvier 1995, la Cour d'appel de Paris a confirmé dans toutes ses dispositions le jugement prononçant la liquidation judiciaire de cette société ; que la clôture des opérations de liquidation judiciaire pour extinction de passif a été prononcée le 21 décembre 2004 ; que la SA Ségame, dont la personnalité morale subsiste aussi longtemps que l'ensemble des droits et obligations à caractère civil nés de la procédure collective dont elle a fait l'objet n'auront pas été éteints, a, par un courrier du 10 juillet 2006 adressé au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, demandé la réparation des préjudices subis par elle du fait de l'action des services fiscaux et des services du Trésor ayant conduit à sa liquidation judiciaire ; qu'en l'absence de réponse du ministre, la SA Ségame, représentée par M. Gérard L'Hermenault, liquidateur amiable, a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme de 600 000 000 euros en réparation des mêmes préjudices ; qu'elle relève appel du jugement en date du 5 mars 2010 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, ainsi que le fait valoir la SA Ségame, que les premiers juges n'ont pas répondu à sa demande mettant en cause la responsabilité de l'État du fait de la faute qu'auraient commise les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie en faisant état de manière erronée de ce que des procédures de contrôle fiscaux étaient encore en cours, dans les écritures produites devant la Cour d'appel de Paris, à l'occasion du pourvoi formé par la société requérante à l'encontre du jugement prononçant sa liquidation judiciaire ; qu'ainsi, dans la mesure où sa demande tendant à la condamnation de l'État résultait de l'invocation de cette faute, la SA Ségame est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que la SA Ségame soutient que les premiers juges n'auraient pas répondu à sa demande mettant en cause la responsabilité de l'État du fait des fautes personnelles non dénuées de tout lien avec le service commises par M. Edouard, inspecteur du Trésor, chef du service de dépôt de fonds des particuliers de la Recette générale des finances ; que, toutefois, le tribunal administratif a jugé que les conclusions mettant en cause la responsabilité de l'État qu'aurait engagée M. Edouard ne se rattachaient pas au litige qui lui était soumis, dans lequel n'était pas partie l'intéressé ; que le tribunal qui, compte tenu notamment du motif ainsi retenu, n'était pas tenu de répondre aux autres arguments présentés par la SA Ségame, a ainsi répondu au moyen invoqué ;

4. Mais considérant que, dans la gestion des dépôts des particuliers qui leur étaient confiés sur le fondement d'un arrêté du ministre des finances du 7 novembre 1814, jusqu'à la suppression de ce service du fait de l'arrêté du 2 février 2001 relatif à l'activité de service de dépôts de fonds particuliers exercée par les trésoriers-payeurs généraux, les trésoriers-payeurs-généraux agissaient pour leur propre compte et sous leur responsabilité personnelle ; qu'en outre, la loi du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit se référait, au troisième alinéa de son article 8, aux comptables du Trésor qui assurent le " service de fonds de particuliers " et prévoyait que les opérations effectuées de ce chef étaient susceptibles d'être régies par les règlements du comité de la réglementation bancaire ;

5. Considérant qu'il ne résulte, ni des termes de l'article 60 de la loi du 23 février 1963, ni des débats parlementaires qui ont précédé son adoption, que le législateur ait entendu revenir sur le régime de responsabilité personnelle suivant les règles du droit privé afférent à ces opérations, qui résultait, notamment, de l'abrogation par l'article 11 de la loi monétaire du 25 juin 1928 des dispositions antérieures du décret du 11 décembre 1914 ratifié par la loi du 26 décembre 1914, et de l'article 104 de la loi du 29 avril 1926 ; que, par suite, la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître d'un litige relatif au fonctionnement du service de dépôt des fonds de particuliers relevant d'un trésorier payeur général ;

6. Considérant que les fautes personnelles qui, selon la SA Ségame, auraient été commises par M. Édouard, en sa qualité de responsable du service de dépôt des fonds de particuliers de la Recette générale des finances, ne sont pas détachables du fonctionnement de ce service ; que, par suite, la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de la demande en responsabilité de la SA Ségame mettant en cause la responsabilité personnelle de M. Édouard, celle-ci fût elle non dénuée de tout lien avec le fonctionnement du service dont il avait la responsabilité ; que c'est par suite à tort que le Tribunal administratif de Paris a rejeté au fond cette demande ; qu'il y a ainsi lieu d'annuler le jugement attaqué, en tant qu'il statue sur cette dernière ;

7. Considérant, en troisième lieu, que la SA Ségame soutient que les premiers juges n'auraient pas répondu au moyen qu'elle invoquait, tiré de ce que le court délai s'étant écoulé entre la déclaration de créance à titre provisionnel et la notification des redressements au titre de l'année 1990, qui faisait état d'impositions d'un montant trois fois inférieur à la déclaration de créance, serait qualifiable de concussion au sens de l'article 432-10 du code pénal ; que, toutefois, le tribunal administratif a répondu à ce moyen en jugeant qu'il était porté devant une juridiction incompétente pour en connaître ; que, par suite, le moyen invoqué par la SA Ségame ne peut qu'être écarté ;

8. Considérant qu'il y a donc lieu de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les demandes présentées par la SA Ségame devant le Tribunal administratif de Paris, mettant en cause la responsabilité de l'État du fait, d'une part, de la faute qu'auraient commise les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie en faisant état d'indications erronées à l'occasion de l'instance devant la Cour d'appel de Paris et du fait, d'autre part, des fautes personnelles qu'aurait commises M. Edouard en sa qualité de responsable du service des dépôts de fonds des particuliers de la Recette générale des finances, et de statuer par la voie de l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées par la SA Ségame ;

Sur la faute résultant de la transmission d'informations erronées à la Cour d'appel de Paris :

9. Considérant, ainsi qu'en a jugé le Tribunal des conflits par une décision n° 3255 du 19 novembre 2001, que si la responsabilité civile qui peut incomber aux personnes publiques, ou à leurs agents agissant dans l'exercice de leurs fonctions, pour les dommages causés par l'activité de services publics administratifs relève, conformément au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, de la compétence de la juridiction administrative, l'indépendance de l'autorité judiciaire implique que les juridictions de l'ordre judiciaire soient seules compétentes pour connaître des litiges touchant à leur fonctionnement ; qu'en particulier, les actes intervenus au cours d'une procédure judiciaire ne peuvent être appréciés, soit en eux-mêmes, soit dans leurs conséquences, que par l'autorité judiciaire ;

10. Considérant que la faute alléguée par la SA Ségame, qui résulterait selon elle de déclarations inexactes faites par les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie devant la Cour d'appel de Paris à l'occasion de l'instance introduite à l'encontre du jugement du tribunal de commerce prononçant sa liquidation judiciaire, implique une appréciation, en elles-mêmes, ou dans leurs conséquences, des écritures produites par l'administration fiscale à l'occasion d'une instance devant l'autorité judiciaire ; qu'il n'appartient dès lors pas à la juridiction administrative d'en connaître ; qu'il y a lieu, ainsi, de rejeter la demande de la SA Ségame mettant en cause la responsabilité de l'État du fait de cette faute comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

Sur les fautes personnelles commises par M. Edouard :

11. Considérant, ainsi qu'il a été dit, que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître d'un litige relatif au fonctionnement du service de dépôt des fonds de particuliers relevant d'un trésorier payeur général et que les fautes personnelles qu'aurait commises, selon la société requérante, M. Ary Edouard, ne sont pas détachables des fonctions qu'il exerçait en qualité de responsable du service de dépôt de fonds des particuliers de la Recette générale des finances ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter la demande de la SA Ségame mettant en cause la responsabilité de l'État du fait des fautes personnelles commises par M. Edouard comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

Sur les fautes résultant de l'activité du service de dépôt de fonds de particuliers du Trésor :

12. Considérant que la SA Ségame soutient que le Trésor, en sa qualité de gestionnaire des dépôts de fonds de particuliers aurait commis des fautes de nature à engager la responsabilité de l'État, d'une part, en déclarant au passif de la procédure collective un montant erroné au titre des découverts qui avaient été indument autorisés dans le cadre de son activité de dépôt de fonds de particuliers et en ne rectifiant pas ce montant, d'autre part, en déclarant deux fois au passif de la procédure collective les créances résultant de son activité bancaire et, enfin, en déclarant au passif de la procédure collective le montant de traites que le Trésor n'entendait pas honorer et qui, ayant été mises sous scellé, ne pouvaient plus être présentées ;

13. Considérant que l'ensemble des fautes ainsi invoquées par la SA Ségame ont pour origine, soit le fonctionnement du service de dépôt des fonds de particuliers du Trésor, soit les déclarations faites par le Trésor public au passif de la procédure collective dont faisait l'objet la SA Ségame de créances résultant de l'activité de ce service ; que, par suite, et alors que la SA Ségame ne saurait utilement invoquer, en l'absence d'identité de parties et d'objet avec le présent litige, l'autorité relative de chose jugée qui s'attache au jugement rendu par le Tribunal administratif de Paris le 11 avril 2002, il n'appartient pas à la juridiction administrative de statuer sur ces contestations ; que la SA Ségame n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, sa demande mettant en cause la responsabilité de l'État du fait de ces fautes ;

Sur les fautes pénales :

14. Considérant que la SA Ségame soutient que le court délai s'étant écoulé entre la déclaration de créance à titre provisionnel et la notification des redressements au titre de l'année 1990, qui faisait état d'impositions d'un montant trois fois inférieur à la déclaration de créance, serait qualifiable de concussion au sens de l'article 432-10 du code pénal ; qu'elle soutient également que les services fiscaux auraient méconnu les dispositions de l'article L. 626-9 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur avant 2005, qui punissait pénalement les déclarations frauduleuses de créances supposées ; qu'elle fait également valoir que les services fiscaux se seraient également rendus coupables de concussion au sens de l'article 432-10 du code pénal en ne retirant pas dans un délai raisonnable la créance d'impôt sur les sociétés d'un montant de 16 266 616 F au titre de l'année 1991, déclarée à titre provisionnel au passif de la procédure collective, alors que les redressements correspondants n'ont finalement jamais été notifiés ; qu'elle ajoute que la déclaration de créance faite par le Trésor à raison du montant des traites indument avalisées par M. Ary Edouard revêtiraient le caractère d'une escroquerie au jugement ; que, toutefois, ces fautes, qui tendent à faire reconnaître par le juge administratif la responsabilité pénale de l'État ou de ses agents ne peuvent qu'être écartés comme portés devant une juridiction incompétente pour en connaître ; que la SA Ségame n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande, en tant que celle-ci mettait en cause la responsabilité pénale de l'État ou de ses agents ;

Sur les fautes commises par les services d'assiette et du recouvrement en relation, tant avec les déclarations des créances fiscales faites au passif de la procédure collective qu'avec des remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée :

15. Considérant que pour contester l'invocation, régulièrement effectuée par l'administration fiscale, de la prescription quadriennale sur la créance qui serait née de la responsabilité de l'État du fait des fautes commises par les services d'assiette et du recouvrement à l'occasion des déclarations de créances fiscales faites au passif de procédure collective dont elle faisait l'objet, et du fait des fautes commises à l'occasion de deux remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée, la SA Ségame fait valoir, en premier lieu, qu'elle peut être légitimement regardée comme ayant ignoré l'existence de sa créance avant l'intervention du jugement en date du 21 décembre 2004 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a prononcé la clôture des opérations de liquidation judiciaire pour extinction de passif ;

16. Considérant que la SA Ségame invoque, ce faisant, les dispositions de l'article 3 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, en vertu desquelles la prescription ne court pas contre le créancier qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement, et dont il résulte que le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine du dommage ou, du moins, de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration ;

17. Considérant que le dommage à raison duquel la SA Ségame recherche la responsabilité de l'État est constitué par sa mise en liquidation judiciaire et, plus particulièrement, par la confirmation de cette mise en liquidation judiciaire du fait de l'arrêt du 20 janvier 1995 par lequel la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du tribunal de commerce du 8 novembre 1993 prononçant sa liquidation judicaire ; que cet arrêt de la Cour d'appel de Paris, qui faisait explicitement état du montant total des créances déclarées par le Trésor au passif de la procédure collective, permettait en lui-même à la SA Ségame, qui était partie à l'instance, de connaître, tant l'existence du dommage qu'elle invoquait, que l'étendue de ce dommage, constitué par la confirmation de sa liquidation judiciaire, ce, même si, il est vrai, le montant total des préjudices résultant de ce dommage n'a pu être évalué qu'à l'issue de la clôture des opérations de liquidation judicaire ; que les motifs de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris révèlent également, d'ailleurs, que la SA Ségame, représentée au cours de l'instance par M. Melki, en sa qualité de dirigeant de la société jusqu'à la liquidation judiciaire de celle-ci, contestait d'ores et déjà le montant total de ces créances ; qu'ainsi, cet arrêt du 20 janvier 1995 donnait à la SA Ségame des indications suffisantes selon lesquelles le dommage constitué par sa liquidation judiciaire pouvait être imputable, à tout le moins pour partie, au fait de l'administration ; que dès lors, ainsi qu'il a été dit, que la seule connaissance d'indications suffisantes permettant d'imputer à l'administration l'origine d'un dommage suffisent à faire courir le délai de la prescription quadriennale, la circonstance invoquée par la SA Ségame, à la supposer établie d'ailleurs, qu'elle n'ait pas disposé de tous les éléments de preuve nécessaires pour établir la faute de l'administration ou le quantum du préjudice, tant que la procédure collective était en cours, dans la mesure où, selon elle, l'ensemble de ses archives n'étaient pas accessibles, est sans incidence sur le point de départ de ce même délai ; que, par suite, le moyen invoqué par la SA Ségame ne peut qu'être écarté ;

18. Considérant, en second lieu, que la SA Ségame soutient que, tant le comportement du liquidateur judiciaire que l'action personnelle du président du Tribunal de commerce de Paris au cours de la procédure collective dont elle faisait l'objet auraient fait obstacle à ce qu'elle puisse agir, pendant que la procédure collective était encore en cours, en vue de rechercher la responsabilité de l'État pour les fautes qu'elle invoque, commises par les services d'assiette et de recouvrement à l'occasion des déclarations de créance au passif de sa liquidation judiciaire, comme à l'occasion de remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'elle fait valoir, à titre subsidiaire, que l'action personnelle du président du Tribunal de commerce de Paris serait constitutive d'un cas de force majeure ; qu'elle déduit de l'ensemble de ces circonstances que la prescription quadriennale ne peut avoir couru, en application des dispositions du même article 3 de la loi du 31 décembre 1968 aux termes desquelles la prescription quadriennale ne court pas à l'égard du créancier " qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure " ;

19. Considérant que la SA Ségame produit, au soutien de ses allégations, un courrier daté du 10 novembre 2005 que lui a adressé, à sa demande, le mandataire judiciaire nommé par le Tribunal de commerce de Paris pour procéder à sa liquidation ; que ce courrier, il est vrai, fait état de ce que la raison pour laquelle la responsabilité du Trésor public n'a pas été recherchée " au même titre que les banques qui ont été poursuivies ", " repose exclusivement sur la démarche volontariste du président du tribunal de commerce de l'époque " qui aurait émis " de façon extrêmement claire sa demande de ne pas voir poursuivre l'administration fiscale aux côtés des banques " ; que, toutefois, ce seul témoignage, au demeurant vague et peu circonstancié, établi dix ans après les faits, qui se rapporte exclusivement à l'engagement de la responsabilité de l'activité de nature bancaire alors exercée par le Trésor, et qui n'est corroboré par aucun autre élément au dossier, ne permet pas d'établir que l'action du président du tribunal de commerce aurait constitué un événement irrésistible susceptible de constituer un cas de force majeure au sens des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 ;

20. Considérant, il est vrai, que ce courrier pourrait, le cas échéant, être regardé comme révélant l'inaction du liquidateur judicaire qui, sous l'effet des dispositions alors en vigueur de l'article 152 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 avait la qualité de représentant légal de la SA Ségame ; que, toutefois, une telle inaction, qui se rapporte au demeurant, ainsi qu'il a été dit, à la recherche de la responsabilité du Trésor du fait de l'activité de nature bancaire alors exercée par celui-ci et non à la recherche de la responsabilité du Trésor en raison des fautes qu'auraient commises les services d'assiette et du recouvrement, ne saurait être regardée comme assimilable au fait que la SA Ségame aurait été dans l'impossibilité d'agir, au sens de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 ; que si la SA Ségame invoque également, à cet égard, la circonstance que M. Melki, en sa qualité de président directeur général de la SA Ségame, ne pouvait agir au non de la société dès lors qu'il avait été dessaisi de l'administration de celle-ci sous l'effet de la liquidation judiciaire, cette circonstance ne saurait, non plus, être regardée comme rendant impossible une action de la SA Ségame tendant à rechercher la responsabilité de l'administration fiscale dès lors, d'une part, ainsi qu'il a été dit, que le liquidateur judicaire avait la qualité de représentant légal de cette société et dès lors, d'autre part, qu'il n'est pas allégué ni, a fortiori, établi, que M. Melki ou les autres actionnaires de la société auraient adressé des demandes au liquidateur tendant à l'exercice d'une telle action, ni que de telles demandes auraient été rejetées ; qu'ainsi, le moyen invoqué par la SA Ségame ne peut qu'être écarté ;

21. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que la prescription quadriennale a valablement commencé à courir à compter de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris confirmant la liquidation judiciaire de la SA Ségame ; qu'en application de l'article 1er de la loi du n° 68-1250 du 31 décembre 1968, aux termes duquel " Sont prescrites, au profit de l'État [...] toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ", le délai de cette prescription expirait le 31 décembre 1999 ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a opposé cette prescription à la demande de réparation du préjudice formulée par la SA Ségame le 10 juillet 2006 ;

22. Considérant que dès lors, ainsi qu'il vient d'être dit, que la créance dont pourrait se prévaloir la SA Ségame sur l'État est prescrite, il n'y a pas lieu de statuer sur les moyens invoqués tendant à la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat du fait des fautes commises à l'occasion des déclarations de créances fiscales et des remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'il en résulte également que la SA Ségame n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État du fait de ces mêmes fautes ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Considérant, d'une part, que la présente instance n'a occasionné aucun dépens ; que, par suite, les conclusions de la SA Ségame tendant au remboursement des entiers dépens de l'instance ne peuvent qu'être rejetées ;

24. Considérant, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à la SA Ségame la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 5 mars 2010 est annulé en tant qu'il a statué, d'une part, sur la faute qu'auraient commise les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie en faisant état d'indications erronées à l'occasion de l'instance devant la Cour d'appel de Paris et, d'autre part, sur les fautes personnelles qu'aurait commises M. Edouard en sa qualité de responsable du service des dépôts de fonds des particuliers de la Recette générale des finances.

Article 2 : Les demandes présentées par la SA Ségame devant le Tribunal administratif de Paris visées à l'article 1er sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 3 : Les conclusions de la requête d'appel de la SA Ségame tendant à la mise en cause de la responsabilité de l'État, d'une part, du fait des fautes nées de l'activité du service de dépôt des fonds de particulier du Trésor et, d'autre part, du fait des fautes pénales commises par l'État ou ses agents, sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SA Ségame est rejeté.

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N° 10PA02517


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 10PA02517
Date de la décision : 31/12/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LOOTEN
Rapporteur ?: M. Timothée PARIS
Rapporteur public ?: M. OUARDES
Avocat(s) : SCHIELE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2012-12-31;10pa02517 ?
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