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18/11/2014 | FRANCE | N°13PA04666

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 10ème chambre, 18 novembre 2014, 13PA04666


Vu la requête, enregistrée le 19 décembre 2013, présentée pour Mme D... E...-C..., demeurant..., par MeA...,

Mme E...-C... demande à la Cour :

1° de réformer le jugement n° 1209738/5-3 en date du 16 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser la somme de 102 958,39 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 février 2012, et capitalisation desdits intérêts échus au

22 février 2013 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date, en tant que ledit jugement n'a pas fait droit à l'intégral

ité de ses conclusions indemnitaires ;

2° de condamner l'Etat à lui verser la somme de 370...

Vu la requête, enregistrée le 19 décembre 2013, présentée pour Mme D... E...-C..., demeurant..., par MeA...,

Mme E...-C... demande à la Cour :

1° de réformer le jugement n° 1209738/5-3 en date du 16 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser la somme de 102 958,39 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 février 2012, et capitalisation desdits intérêts échus au

22 février 2013 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date, en tant que ledit jugement n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions indemnitaires ;

2° de condamner l'Etat à lui verser la somme de 370 484,38 euros en réparation des préjudices résultant du décès de son époux M.B... C... ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

...........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la réclamation préalable en date du 20 février 2012 et reçue le 22 février 2012, présentée par Mme E... -C... ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 novembre 2014 :

- le rapport de M. Luben, président assesseur,

- et les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

1. Considérant aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés " ;

2. Considérant, en premier lieu, que le jugement attaqué a condamné l'Etat à indemniser Mme E...-C... au titre de la perte de revenus subi par elle du fait du décès de son époux en estimant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice financier subi en le chiffrant à 80 000 euros ; que si Mme E...-C... soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce que le choix, par les premiers juges, de la somme allouée au titre du préjudice financier ne repose sur aucune démonstration tenant compte des pièces du dossier, et notamment des revenus perdus et de la durée de cette perte, elle n'a produit, en première instance, que des éléments partiels et incomplets qui ne permettaient pas aux premiers juges de procéder à une exacte estimation du préjudice financier subi ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé doit être écarté ;

3. Considérant, en second lieu, que les premiers juges, dans le considérant n° 5 du jugement attaqué, ont estimé que Mme E...-C... n'établissait pas le préjudice de carrière allégué dès lors qu'elle avait pris sa retraite comme prévu au 1er avril 2011 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué n'aurait pas répondu à sa demande d'indemnisation relative à son préjudice de fin de carrière manque en fait ;

Sur la perte de chance subie par M. B...C...du fait du diagnostic erroné du médecin de prévention du ministère de la santé et la prise en charge médicale inappropriée de M.C... qui en a résulté :

4. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage constaté, mais le préjudice résultant de la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'administration doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médical du 27 juillet 2010 rédigé à la suite de l'ordonnance du juge d'instruction du Tribunal de grande instance de Paris et du rapport d'expertise complémentaire du 20 septembre 2011, qu'il existe une probabilité de 10 % de décès brutal non récupérable à la phase aigue de l'infarctus ; qu'ainsi, la perte de chance de M. C...d'avoir survécu au malaise cardiaque qu'il a eu sur son lieu de travail le 26 février 2008, du fait du diagnostic erroné du médecin de prévention du ministère de la santé et la prise en charge médicale inappropriée qui en a résulté, doit donc être estimée à 90 % ; que le jugement attaqué, qui a procédé à une réparation intégrale du préjudice, est ainsi entaché d'une erreur de droit ; qu'il doit par suite être annulé en tant seulement qu'il n'a pas limité l'étendue de la responsabilité de l'administration ;

Sur les conclusions indemnitaires :

6. Considérant, en premier lieu, que les frais du repas offert par Mme E...-C... après les obsèques de son mari, qui s'élèvent à la somme de 374,20 euros, ne peuvent être regardés comme la conséquence directe du diagnostic erroné du médecin de prévention du ministère de la santé et de la prise en charge médicale inappropriée qui en a résulté, comme l'ont à bon droit, se fondant sur ladite absence absence de liende causalité, estimé les premiers juges ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que les revenus annuels du couple formé par M. B...C...et par Mme E...-C... étaient, pour les trois dernières années de la vie de M. B...C..., de 2005 à 2007, en moyenne de 108 973 euros, que le salaire annuel de M. B...C...s'élevait, en moyenne, à

39 615,33 euros pour lesdites années et que le salaire annuel de Mme E...-C... s'élevait, en moyenne, à 56 117,67 euros pour lesdites années ; que si Mme E...-C... fait valoir que M. B...C... avait des revenus immobiliers de 13 240 euros par an

(en moyenne sur les trois dernières années de sa vie), elle ne précise pas si elle a continué à les percevoir au terme de la succession de son mari, qui n'a pas été versée au dossier, alors même que l'administration défenderesse avait contesté, notamment sur ce point, l'estimation faite par Mme E...-C... de son préjudice financier ; que, par suite, en l'absence de ces pièces et précisions sur le règlement de la succession de l' époux défunt, le jugement attaqué, qui a estimé qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice financier subi en le chiffrant à

80 000 euros, n'est ni entaché d'une erreur de droit, ni n'a fait une estimation insuffisante dudit préjudice financier ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que les époux C...avaient acheté un séjour d'un week-end à Londres du 29 au 31 mars 2008 pour un prix de

346 euros, ce séjour n'étant, au terme de la facture produite, ni modifiable ni remboursable ; qu'en choisissant d'acheter un séjour ni modifiable ni remboursable, les époux C...avaient pris un risque de ne pouvoir obtenir le remboursement de ce séjour dans l'hypothèse, qui s'est malheureusement réalisée, où ils n'auraient pas pu l'effectuer ; que, par suite, le risque ainsi accepté par les époux C...exonère l'administration du remboursement dudit préjudice allégué ;

9. Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de l'instruction que Mme E...-C..., à la suite du décès de son mari, a subi un long épisode anxio-dépressif, comme il ressort des arrêts de travail produits pour les périodes allant du 28 février au 14 mars 2008 puis du 3 juin 2008 au 4 janvier 2009 ; que les fiches d'aptitude et de visite du médecin du travail du 27 novembre 2008 et du 3 décembre 2008 indiquent que la reprise du travail est possible, mais que Mme E...-C... est inapte temporairement à son poste d'inspecteur corporel au sein d'une compagnie d'assurance ; que si Mme E...-C... soutient qu'elle a subi un préjudice de fin de carrière tenant à son incapacité de poursuivre son activité d'inspecteur corporel au sein d'une compagnie d'assurance que la conduisait à gérer quotidiennement des cas de préjudices corporels graves et de décès accidentels et à l'impossibilité, attestée par une lettre du 15 mars 2010 du responsable de l'inspection corporelle de la compagnie d'assurance où elle travaillait précisant qu'il n'existait pas de poste disponible pour une reconversion dans une fonction différente, ce qui l'a amené à partir à la retraite à l'âge de 62 ans alors qu'elle aurait pu, sans cette incapacité, demeurer dans ses fonctions jusqu'à l'âge de 65 ans, il n'existe pas de lien de causalité direct établi entre l'erreur de diagnostic et la prise en charge médicale inappropriée de M. C...et la décision prise par Mme E...-C... de prendre sa retraite par anticipation ; que, par suite, en l'absence de ce lien de causalité, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté cette demande indemnitaire ;

10. Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte de l'instruction que Mme E...-C... a utilisé le compte-épargne-temps qu'elle avait acquis auprès de son employeur, pour un montant de 38 392,29 euros brut, soit une somme nette de 29 946 euros, pendant la période allant du 5 janvier 2009, correspondant à la fin de son arrêt de travail, au 1er avril 2011, correspondant à son départ à la retraite ; que, toutefois, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, ce préjudice ne peut être regardé comme étant directement lié à l'erreur de diagnostic et la prise en charge médicale inappropriée de M. C...par le service de la médecine de prévention du ministère de la santé ;

11. Considérant, en sixième lieu, que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme E...-C... en portant à

20 000 euros la somme de 12 000 euros que le jugement attaqué avait condamné l'Etat à verser à la requérante à ce titre ;

Sur l'indemnité due par l'Etat (ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes) à Mme E...-C... :

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède l'indemnité totale, y compris les préjudices non contestés en appel correspondant d'une part aux souffrances physiques et morales subies par M. B...C...évaluées à 8 000 euros et d'autre part aux frais d'obsèques d'un montant de 2 958,39 euros, s'élève à la somme de 110 958,39 euros ; qu'eu égard à ce qui a été dit s'agissant de la faction du préjudice total dont l'indemnisation incombe à l'Etat en raison de la perte de chance de M. C...d'avoir survécu au malaise cardiaque qu'il a eu sur son lieu de travail le 26 février 2008, du fait du diagnostic erroné du médecin de prévention du ministère de la santé et de la prise en charge médicale inappropriée qui en a résulté, l'Etat doit être condamné à verser à Mme E...-C... 90 % de ladite indemnité totale, soit

99 862,55 euros ; que, par suite, la somme de 102 958,39 euros que le jugement attaqué a condamné l'Etat (ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes) à verser à Mme E...-C... doit être ramenée à la somme de 99 862,55 euros, cette somme portant intérêts au taux légal à compter du 22 février 2012, et les intérêts échus au

22 février 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date devant être capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme E...-C... et non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement susvisé du Tribunal administratif de Paris en date du 16 octobre 2013 est annulé en tant qu'il n'a pas limité l'étendue de la responsabilité de l'administration.

Article 2 : La somme de 102 958,39 euros que le jugement attaqué a condamné l'Etat à verser à Mme E...-C... est ramenée à la somme de 99 862,55 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 22 février 2012. Les intérêts échus au 22 février 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement susvisé du Tribunal administratif de Paris en date du 16 octobre 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Mme E...-C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme E...-C... est rejeté.

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N° 13PA04666


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 13PA04666
Date de la décision : 18/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. KRULIC
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: M. OUARDES
Avocat(s) : SCP SOULIE COSTE-FLORET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2014-11-18;13pa04666 ?
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