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30/05/2017 | FRANCE | N°16PA00896

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 30 mai 2017, 16PA00896


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat au versement de la somme de 466 081 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des fautes résultant de la suspension de ses fonctions et de la privation de son traitement.

Par un jugement n° 1501764/5-1 du 7 janvier 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2016, M.B..., représenté par MeC..., de

mande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 7 janvie...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat au versement de la somme de 466 081 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des fautes résultant de la suspension de ses fonctions et de la privation de son traitement.

Par un jugement n° 1501764/5-1 du 7 janvier 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2016, M.B..., représenté par MeC..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 7 janvier 2016 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 466 081 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- l'arrêté du 17 septembre 2008 par lequel le ministre de l'intérieur l'a suspendu de ses fonctions à plein traitement est insuffisamment motivé ;

- cette suspension de fonctions aurait dû donner lieu à la consultation du conseil de discipline ;

- l'administration a méconnu les dispositions des articles 20 et 30 de la loi du 13 juillet 1983 et de l'article 2 du décret du 23 décembre 2004 et a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en décidant de le suspendre de ses fonctions ;

- elle a méconnu les même dispositions et a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en décidant d'interrompre le versement de son traitement ;

- en décidant de le suspendre de ses fonctions et d'interrompre le versement de son traitement, elle a méconnu le droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle a également méconnu le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'administration a par ailleurs commis une faute en exerçant sur lui des pressions afin qu'il sollicite son admission à la retraite ;

- elle a aussi engagé sa responsabilité sans faute pour rupture de l'égalité devant les charges publiques puisqu'il a subi un dommage anormal et spécial ;

- il a subi un préjudice financier qui doit être évalué à la somme de 406 081 euros ;

- il a également subi un préjudice moral qui doit être évalué à la somme de 60 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'action en responsabilité engagée à son encontre est irrecevable dès lors qu'elle est fondée sur l'illégalité d'une décision à objet purement pécuniaire devenue définitive ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 27 octobre 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, alors en vigueur ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- le décret n° 2004-1439 du 23 décembre 2004 portant statut particulier du corps d'encadrement et d'application de la police nationale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.

1. Considérant que M. A...B...est entré dans les cadres de la police nationale le 6 octobre 1981 et a été promu au grade de major de police le 1er janvier 2008 ; que, par une ordonnance du 12 septembre 2008, du juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Paris, il a été mis en examen pour corruption passive, sollicitation ou acceptation d'avantages par une personne dépositaire de l'autorité publique pour des faits commis entre septembre 2005 et septembre 2008 à Paris et sur le territoire national, et placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer les fonctions de policier ; que, par un arrêté du 17 septembre 2008, le ministre de l'intérieur a, d'une part, décidé de le suspendre de ses fonctions à plein traitement à compter de la levée de l'interdiction d'exercer les fonctions de policier, et, d'autre part, décidé qu'il serait privé de son traitement en raison de l'absence de service fait ; que, par un courrier du 23 octobre 2008, M. B... a demandé la liquidation de ses droits à pension à compter du 1er novembre 2008 ; que, par un arrêté du 13 mars 2009, le préfet de police l'a admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 15 mars 2009 ; que, par un jugement du 22 mai 2014, le Tribunal correctionnel de Paris a relaxé M. B...des chefs de poursuite retenus contre lui ; que, par un courrier du 28 novembre 2014, reçu le 1er décembre 2014, il a demandé au ministre de l'intérieur de l'indemniser des préjudices financiers et moraux qu'il estime avoir subis depuis le 12 septembre 2008 du fait de l'interruption du versement de son traitement et de sa suspension ; que le silence conservé par le ministre de l'intérieur sur sa demande a donné naissance à une décision implicite de rejet le 1er février 2015 ; que M. B...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat au versement de la somme de 466 081 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des fautes résultant de la suspension de ses fonctions et de la privation de son traitement ; qu'il fait appel du jugement du 7 janvier 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés " ; que le tribunal administratif a expressément répondu à l'ensemble des moyens que M. B...avait invoqués en première instance, notamment à ceux tirés de la méconnaissance du droit de propriété et du principe de la présomption d'innocence ; qu'ainsi, son jugement est suffisamment motivé ;

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (...) " ; qu'aux termes de l'article 30 de la même loi, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. / Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille " ;

4. Considérant que, si M. B...soutient que la responsabilité de l'Etat serait engagée à raison d'une faute résultant de l'illégalité de l'arrêté du 17 septembre 2008 par lequel le ministre de l'intérieur l'a suspendu de ses fonctions à compter de la levée de l'interdiction d'exercer les fonctions de policier, il a, ainsi qu'il été dit au point 1, été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 15 mars 2009, alors que l'interdiction d'exercer les fonctions de policier n'avait pas été levée ; qu'ainsi, la mesure de suspension décidée par le ministre n'a jamais été appliquée et n'a pu lui occasionner un quelconque préjudice ; que les moyens qu'il soulève à l'appui de ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices que cette décision lui aurait causé sont donc inopérants ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 que le droit du fonctionnaire au paiement de son traitement est subordonné à l'accomplissement de son service ; que si l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 dispose que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire peut prononcer la suspension d'un fonctionnaire, en cas de faute grave, "qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun", et que le fonctionnaire suspendu conserve son traitement jusqu'à la décision prise à son égard, qui doit intervenir dans les quatre mois, ces dispositions ne font pas obligation à l'administration de prononcer la suspension qu'elles prévoient à la suite d'une faute grave et ne l'empêchent pas d'interrompre, indépendamment de toute action disciplinaire, le versement du traitement d'un fonctionnaire pour absence de service fait, notamment en raison de l'interdiction d'exercer ses fonctions résultant d'une mesure de contrôle judiciaire ;

6. Considérant que le ministre de l'intérieur après avoir relevé dans son arrêté du 17 septembre 2008 que M. B...était dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions de policier en raison de l'interdiction imposée par le juge d'instruction, s'est borné à interrompre le versement de son traitement pour absence de service fait pendant la durée de cette interdiction sans prendre à son égard, durant cette période, de mesure de suspension sur le fondement de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ; que M. B...n'est donc pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée à son égard pour faute résultant de la méconnaissance des dispositions citées ci-dessus des articles 20 et 30 de la loi du 13 juillet 1983 et d'une erreur de droit ;

7. Considérant que la seule circonstance que M. B...a été relaxé des chefs de poursuite retenus contre lui, par un jugement du 22 mai 2014 du Tribunal correctionnel de Paris ne permet, en tout état de cause, pas de regarder la décision d'interrompre le versement de son traitement comme reposant sur une erreur manifeste d'appréciation et comme susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;

8. Considérant que, si M. B...soutient que l'administration est tenue de placer ses agents dans une situation régulière et de les affecter, dans un délai raisonnable, sur un emploi correspondant à des fonctions effectives, et invoque les dispositions de l'article 2 du décret du 23 décembre 2004, le ministre de l'intérieur ne peut être regardé comme ayant méconnu le délai raisonnable qui lui était imparti en s'abstenant de lui proposer une affectation entre le 12 septembre 2008, date de l'ordonnance du juge d'instruction, et le 15 mars 2009, date de sa mise à la retraite, et comme ayant ainsi commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

9. Considérant qu'en décidant d'interrompre le versement du traitement de M. B...pour absence de service fait, le ministre de l'intérieur n'a ni préjugé de la décision du juge pénal à intervenir ni présumé la culpabilité de l'intéressé en violation des dispositions de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 6, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

10. Considérant qu'en l'absence de service fait, M. B...ne saurait se prévaloir de l'existence d'une créance à laquelle la décision d'interrompre le versement de son traitement, aurait porté atteinte en méconnaissance des dispositions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

11. Considérant, en troisième lieu, que M. B...n'établit pas avoir, ainsi qu'il le soutient, subi des " pressions " de la part de l'administration en vue de demander son placement à la retraite ; qu'il n'est donc pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée à raison d'une faute constituée par ces agissements ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à rechercher la responsabilité pour faute de l'Etat ;

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :

13. Considérant, d'une part, que M. B...ne démontre pas que la mesure d'interruption du versement de son traitement pour absence de service fait qui a été prise en conséquence de l'ordonnance du 12 septembre 2008 par laquelle le juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Paris lui a interdit d'exercer les fonctions de policier, lui aurait causé un préjudice anormal et spécial ; que, d'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 4, la mesure de suspension prononcée par le ministre de l'intérieur n'a jamais été exécutée ; que M. B...n'est donc pas fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur, M. B...n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetée ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2017, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Labetoulle, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 mai 2017.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLe président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

T. ROBERT

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA00896


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA00896
Date de la décision : 30/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Statuts spéciaux - Personnels de police (voir : Police administrative).

Fonctionnaires et agents publics - Rémunération - Traitement.

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Suspension.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : LE CORRE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-05-30;16pa00896 ?
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