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26/06/2019 | FRANCE | N°18PA01755

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 26 juin 2019, 18PA01755


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...E...a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Lagny-sur-Marne à lui verser la somme globale de 12 531 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis dans la gestion de sa carrière.

Par un jugement n° 1201121 du 14 octobre 2014, le Tribunal administratif de Melun a condamné la commune de Lagny-sur-Marne à lui verser une somme de 1 000 euros et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 14PA05057 du 12 octobre 2015, la

Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. E...contre ce juge...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...E...a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Lagny-sur-Marne à lui verser la somme globale de 12 531 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis dans la gestion de sa carrière.

Par un jugement n° 1201121 du 14 octobre 2014, le Tribunal administratif de Melun a condamné la commune de Lagny-sur-Marne à lui verser une somme de 1 000 euros et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 14PA05057 du 12 octobre 2015, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. E...contre ce jugement.

Par une décision n° 396107 du 16 mai 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la Cour n° 14PA05057 du 12 octobre 2015 et a renvoyé le jugement de cette affaire devant la Cour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 12 décembre 2014, le 22 janvier 2015, le

27 mai 2015, le 30 juillet 2018 et le 25 février 2019, M.E..., représenté par la

SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1201121 du

14 octobre 2014 en tant que, par ce jugement, celui-ci a limité à la somme de 1 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune de Lagny-sur-Marne ;

2°) de condamner la commune de Lagny-sur-Marne à lui verser la somme totale de 15 886,18 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2013 et de la capitalisation de ces intérêts ;

3 °) de mettre à la charge de la commune de Lagny-sur-Marne le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient dans le dernier état de ses écritures que :

- il a travaillé sans discontinuer pour la commune sur une période de 13 ans, sur le fondement de 57 arrêtés ;

- sa demande indemnitaire est recevable dès lors qu'il a lié le contentieux s'agissant du préjudice constitué par le recours abusif à des contrats à durée déterminée ;

- le préjudice subi du fait du non respect du délai de prévenance a été insuffisamment évalué par le Tribunal et doit être porté à 1 800 euros ;

- le préjudice subi du fait du recours abusif à des contrats à durée déterminée doit être arrêté à la somme de 8 650 euros ou, à titre subsidiaire, à la somme de 7 512,67 euros ;

- il a subi un préjudice moral qui doit être indemnisé.

Par des mémoires en défense enregistrés le 21 avril 2015, le 25 août 2015 et le

22 janvier 2019, la commune de Lagny-sur-Marne, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. E...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les demandes relatives à l'indemnisation du recours abusif aux contrats à durée déterminée sont irrecevables, faute d'avoir fait l'objet d'une demande préalable fondée sur cette faute ;

- les autres moyens soulevés par M. E...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 modifié pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamon,

- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,

- les observations de Me D...pour M.E...,

- et les observations de Me C...pour la commune de Lagny-sur-Marne.

Considérant ce qui suit :

1. M. E...a exercé la fonction d'agent d'entretien contractuel au profit de la commune de Lagny-sur-Marne, du 1er janvier 2000 jusqu'au 21 octobre 2011, en application de cinquante-six contrats à durée déterminée successifs. Estimant que la conclusion de ces contrats successifs présentait un caractère abusif, il a demandé la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la décision du 19 octobre 2011 refusant de renouveler son dernier contrat. Le Tribunal administratif de Melun a, par un jugement du 14 octobre 2014, condamné la commune de

Lagny-sur-Marne à lui verser une somme de 1 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions. Par une décision du 16 mai 2018, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 12 octobre 2015 par lequel la Cour avait rejeté l'appel formé par M. E...contre ce jugement, et a renvoyé le jugement de l'affaire à la Cour.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune :

2. En premier lieu, aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration. Lorsque ce mémoire en défense conclut à titre principal, à l'irrecevabilité faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond, ces conclusions font seulement obstacle à ce que le contentieux soit lié par ce mémoire lui-même.

3. En l'espèce si, à la date du 2 février 2012 à laquelle M. E...a saisi le tribunal, il ne justifiait d'aucune décision expresse ou tacite lui refusant les sommes qu'il demandait, il a, par une lettre du 10 septembre 2013, demandé à la commune de Lagny-sur-Marne de lui allouer des indemnités en réparation des préjudices qu'il estime résulter de l'illégalité de la décision portant refus de renouvellement de contrat. La commune de Lagny-sur-Marne ayant implicitement rejeté la demande indemnitaire de M.E..., aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut dès lors être opposée aux conclusions indemnitaires présentées par l'intéressé devant le tribunal administratif fondées sur l'illégalité de la décision de non renouvellement du contrat de l'intéressé.

4. En second lieu, il résulte des termes de la réclamation préalable adressée à la commune par M. E...le 10 septembre 2013, que celui-ci demandait la réparation des préjudices de toute nature résultant du fait que son employeur ne lui a pas proposé de contrat à durée indéterminée malgré la durée cumulée de ses contrats et l'a maintenu pendant de nombreuses années en situation de précarité. M. E...doit, dans ces conditions, être regardé comme ayant saisi la commune d'une demande préalable tendant à l'indemnisation des préjudices résultant d'un recours abusif à des contrats à durée déterminée. La commune de Lagny-sur-Marne n'est dès lors pas fondée à soutenir que les conclusions de la requête tendant à la réparation des conséquences de cette faute seraient irrecevables en l'absence de décision préalable.

Sur la responsabilité de la commune :

5. Il résulte des premier et deuxième alinéas de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, que les collectivités territoriales de plus de 2000 habitants ne peuvent recruter des agents non titulaires en vue d'assurer des remplacements momentanés ou d'effectuer des tâches à caractère temporaire ou saisonnier que par contrat à durée déterminée. Si ces dispositions offrent ainsi la possibilité à ces collectivités de recourir, le cas échéant, à une succession de contrats à durée déterminée, elles ne font cependant pas obstacle à ce qu'en cas de renouvellement abusif de tels contrats, l'agent concerné puisse se voir reconnaître un droit à l'indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Dans cette hypothèse, il incombe au juge, pour apprécier si le recours à des contrats à durée déterminée successifs présente un caractère abusif, de prendre en compte l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment la nature des fonctions exercées, le type d'organisme employeur ainsi que le nombre et la durée cumulée des contrats en cause.

6. Il résulte de l'instruction que M. E...a exercé des fonctions polyvalentes d'agent d'entretien au sein de la commune de Lagny-sur-Marne de manière ininterrompue du

1er janvier 2000 jusqu'au 21 octobre 2011. Si la commune fait valoir que ces fonctions ont été exercées en remplacement d'agents indisponibles, elles ont toutefois donné lieu à cinquante-six contrats successifs. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, M. E...est fondé à soutenir que la commune de Lagny-sur-Marne a recouru abusivement à une succession de contrats à durée déterminée. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a refusé de faire droit à sa demande d'indemnisation fondée sur cette faute et à obtenir réparation des préjudices qu'il a subis lors de l'interruption de la relation d'emploi avec la commune.

Sur l'évaluation des préjudices :

7. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 45 du décret du 15 février 1988 susvisé, pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale, applicable en l'espèce : " La rémunération servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement est la dernière rémunération nette des cotisations de la sécurité sociale et, le cas échéant, des cotisations d'un régime de prévoyance complémentaire, effectivement perçue au cours du mois civil précédant le licenciement. Elle ne comprend ni les prestations familiales, ni le supplément familial de traitement, ni les indemnités pour travaux supplémentaires ou autres indemnités accessoires. ". En application des dispositions de l'article 46 de ce même décret, l'indemnité de licenciement est égale à la moitié de la rémunération de base définie à l'article 45 précité pour chacune des douze premières années de services, au tiers de la même rémunération pour chacune des années suivantes, sans pouvoir excéder douze fois la rémunération de base.

8. Il résulte de l'instruction que la dernière rémunération nette perçue par M.E..., qui exerçait ses fonctions à mi-temps, s'élevait à la somme de 696 euros. En outre, le nombre d'années de service de M. E...s'élève à onze années, les services antérieurs au 1er janvier 2000 ayant été effectués sous le régime de droit privé des contrats emploi-solidarité et ayant pris fin au mois de juillet 1999. Compte tenu de ces éléments, le montant des avantages financiers auxquels M. E...aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée doit être fixé à 7 656 euros.

9. En second lieu, M. E...est fondé à soutenir que la décision de rupture brutale des relations contractuelles qu'il avait entretenues avec la commune de Lagny-sur-Marne depuis onze années lui a causé un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en mettant à la charge de la commune une somme de 1 000 euros.

10. Enfin, les premiers juges n'ont pas insuffisamment évalué le préjudice subi par M. E... du fait du non respect par la commune du délai de préavis de huit jours imposé par l'article 38 du décret susvisé du 15 février 1988, pour l'informer du non-renouvellement de son contrat, en lui allouant à ce titre une somme de 1 000 euros.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. E...est seulement fondé à demander que l'indemnité mise à la charge de la commune de Lagny-sur-Marne soit portée de la somme de 1 000 euros à la somme de 9 656 euros, et à demander que le jugement attaqué soit réformé dans cette mesure.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

12. M. E...a droit aux intérêt au taux légal sur la somme de 9 656 euros à compter de la date de réception par la commune de sa réclamation préalable du 10 septembre 2013. Ces intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à l'échéance annuelle à compter de cette date de réception.

Sur les conclusions présentées au titre des frais de justice :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M.E..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Lagny-sur-Marne demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a en revanche lieu de mettre à la charge de la commune de Lagny-sur-Marne une somme de 1 500 euros à verser à M.E... sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : L'indemnité que la commune de Lagny-sur-Marne a été condamnée à verser à M. E... est portée de la somme de 1 000 euros à la somme de 9 656 (neuf mille six cent cinquante-six) euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la date de réception par la commune de sa réclamation préalable du 10 septembre 2013. Ces intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à l'échéance annuelle à compter de cette date de réception.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1201121 du 14 octobre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Lagny-sur-Marne versera à M. E...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E...est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Lagny-sur-Marne présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...E...et à la commune de Lagny-sur-Marne.

Délibéré après l'audience du 4 juin 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 juin 2019.

Le rapporteur,

P. HAMON Le président,

B. EVENLe greffier,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01755


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01755
Date de la décision : 26/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Agents contractuels et temporaires - Fin du contrat - Refus de renouvellement.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : ADAMAS AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-06-26;18pa01755 ?
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