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05/11/2019 | FRANCE | N°17PA03803,18PA03893

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 05 novembre 2019, 17PA03803,18PA03893


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande enregistrée le 17 mai 2017, la société Broadband Pacifique a demandé au tribunal administratif de Wallis et Futuna de condamner in solidum l'administration supérieure de Wallis et Futuna, c'est-à-dire en tant que de besoin le territoire de Wallis et Futuna et l'Etat pris in solidum, à lui verser la somme de 3 118 000 000 F CFP, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2016.

Par un jugement n° 1760006 du 12 octobre 2017, le tribunal administratif de

Wallis et Futuna a rejeté sa demande.

Par une seconde demande enregistrée le 21...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande enregistrée le 17 mai 2017, la société Broadband Pacifique a demandé au tribunal administratif de Wallis et Futuna de condamner in solidum l'administration supérieure de Wallis et Futuna, c'est-à-dire en tant que de besoin le territoire de Wallis et Futuna et l'Etat pris in solidum, à lui verser la somme de 3 118 000 000 F CFP, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2016.

Par un jugement n° 1760006 du 12 octobre 2017, le tribunal administratif de Wallis et Futuna a rejeté sa demande.

Par une seconde demande enregistrée le 21 novembre 2017, la société Broadband Pacifique a demandé au tribunal administratif de Wallis et Futuna, sur renvoi du Conseil d'Etat, de condamner in solidum l'administration supérieure de Wallis et Futuna, c'est-à-dire en tant que de besoin le territoire de Wallis et Futuna et l'Etat pris in solidum, à lui verser la somme de 3 118 000 000 F CFP, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2013 avec capitalisation annuelle à compter du 4 octobre 2017 ; en sus, 14 979 648 F CFP avec intérêts au taux légal à compter du 21 novembre 2017 pour le reste des demandes, avec capitalisation.

Par un jugement n° 1760019 du 12 octobre 2018, le tribunal administratif de Wallis et Futuna a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I°) Par une requête enregistrée le 13 décembre 2017 sous le n° 17PA03803, la société Broadband Pacifique, représentée par la SELARL Altana, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Wallis et Futuna du 12 octobre 2017 ;

2°) de condamner in solidum l'Administration supérieure de Wallis et Futuna, c'est-à-dire en tant que de besoin le territoire de Wallis et Futuna et l'Etat, à lui verser la somme de 3, 118 milliards de F CFP augmentée de la capitalisation au 30 septembre 2017, soit 1,91 milliard, à titre subsidiaire de la capitalisation au 30 décembre 2016, soit 1,49 milliard, avec intérêts au taux légal à compter de cette dernière date ; en sus, 14 979 648 F CFP avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2016 pour le reste des demandes ;

3°) de mettre à la charge in solidum de l'administration supérieure de Wallis et Futuna, c'est-à-dire en tant que de besoin le territoire de Wallis et Futuna et l'Etat, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement, qui ne tient pas compte des précisions contenues dans la note en délibéré qu'il n'a pas visée, et a mal interprété les faits, est irrégulier ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les services de téléphonie sont une catégorie de communications électroniques incluse dans l'autorisation dont elle bénéficiait ;

- sa demande d'interconnexion ne répondait pas à la volonté d'exploiter un réseau de téléphonie mobile, ce que l'autorisation ne permettait pas ;

- le tribunal n'a pas motivé le fondement du monopole sur les communications intérieures dont il est fait état dans le jugement ;

- l'administration supérieure n'a jamais précisé si elle agissait au nom de l'Etat ou du territoire de Wallis et Futuna ;

- la demande qui vise à la fois l'Etat et le territoire est recevable ;

- leur responsabilité est engagée à titre principal par leur refus de conclure une convention d'interconnexion et d'attribuer des numéros de téléphone alors qu'ils avaient octroyé des droits d'exploitation à la société requérante ;

- l'interconnexion est de droit ;

- elle ne constitue pas une éventualité aléatoire ;

- l'administration supérieure a méconnu le principe de concurrence loyale, de bonne foi et de traitement des opérateurs sur un pied d'égalité posé par l'article 11.1.1 de la convention et consacré par le droit international ;

- il n'existait pas de risque de détournement de l'interconnexion aux fins de mise en place d'un service de téléphonie mobile exclu du champ de la convention ;

- à titre subsidiaire, si l'administration supérieure avait d'emblée exclu toute possibilité d'interconnexion, elle aurait engagé sa responsabilité en signant une convention qui condamnait l'opérateur à un échec économique ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'administration supérieure a commis une faute lourde dans l'exercice de sa mission de régulateur des télécommunications ;

- à titre encore plus subsidiaire, la responsabilité de l'Etat ou du territoire de Wallis et Futuna est engagée au titre de l'égalité devant les charges publiques ;

- le préjudice de la société requérante est anormal et imprévisible ;

- la société a été privée d'une chance sérieuse de développer son activité ;

- l'arbitre a sous-évalué son préjudice, mieux apprécié par les expertises Sorgem et B....

Par un mémoire enregistré le 3 décembre 2018, l'Etat et le territoire des iles Wallis et Futuna, représentés par l'administrateur supérieur, représentés par la SCPA Seban et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros à verser à l'Etat et la somme de 5 000 euros à verser au territoire des iles Wallis et Futuna soient mises à la charge de la société Broadband Pacifique sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'Etat et le territoire des iles Wallis et Futuna soutiennent que :

- la note en délibéré, adressée par télécopie ou par courriel et non régularisée, n'avait pas à être visée à peine d'irrégularité du jugement ;

- si le tribunal a cru devoir distinguer entre les services de téléphonie et les communications électroniques, et s'il s'est prononcé sur l'existence d'un monopole du service des postes et télécommunications sur les communications intérieures, il n'en n'a tiré aucune conséquence en sorte que les critiques de la requérante sur ce point sont inopérantes ;

- le monopole de l'Etat pour les communications extérieures et du territoire pour les communications intérieures, qui tire sa base légale de l'article 7 de la loi du 29 juillet 1961 n'a pas été mis en cause par les modifications législatives ultérieures et par le droit communautaire qui ne s'applique pas dans ce territoire ;

- la requête n'identifie pas le défendeur, l'administration supérieure des Iles Wallis et Futuna n'ayant pas d'existence légale et ne distingue pas entre la part de responsabilité qui incomberait à l'Etat et celle qui incomberait au territoire ;

- il n'existe pas de droit à l'interconnexion ;

- la société Broadband n'a sollicité l'interconnexion et la numérotation que pour se livrer à des activités de téléphonie mobile et de communications extérieures qui étaient exclues du champ de la convention ;

- les clauses-type du cahier des charges ne trouvaient pas à s'appliquer en l'espèce ;

- l'administration n'ayant pas renoncé à un projet, sa responsabilité sans faute n'est pas engagée ;

- la société requérante a signé en connaissance de cause la convention qui lui interdisait les activités de téléphonie mobile et de communications extérieures ;

- les demandes indemnitaires, infondées, sont excessives ;

- les investissements ont été réalisés alors que la société ne disposait pas d'autorisations ;

- la faute lourde commise par le territoire dans son rôle de régulateur n'est justifiée par aucun argument.

Par deux mémoires en réplique enregistrés les 7 janvier 2019 et 14 mai 2019, la société Broadband Pacifique demande à la cour de condamner in solidum l'Etat et le territoire des Iles Wallis et Futuna représentés respectivement par le préfet et l'administrateur supérieur à lui verser l'indemnité réclamée dans sa requête et de mettre à la charge de l'Etat et du territoire in solidum la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la jurisprudence relative à la confirmation des notes en délibéré ne saurait s'appliquer au tribunal administratif de Wallis et Futuna compte tenu des délais postaux et de l'absence de possibilité de transmission par télérecours ;

- l'Etat ne dispose pas d'un monopole légal sur les communications extérieures et le Territoire sur les communications intérieures ;

- en l'absence de monopole fondé sur un texte, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et celui de la liberté de la communication au public par voie électronique posé par l'article 57-1° de la loi du 21 juin 2004 s'appliquent ;

- elle peut demander la condamnation in solidum de l'Etat et du territoire sans individualiser les sommes réclamées à l'Etat d'une part, au Territoire d'autre part ;

- l'interconnexion et l'attribution d'une numérotation sont de droit ;

- à défaut la responsabilité sans faute des intimés est engagée.

Par deux mémoires en réplique enregistrés les 18 janvier 2019 et 27 mai 2019, l'Etat et le territoire des Iles Wallis et Futuna concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures.

Ils soutiennent que :

- la société Broadband n'a pas initialement demandé la condamnation in solidum, les fautes respectives de l'Etat et du territoire sont alternatives, et les sommes réclamées ne sont pas individualisées ;

- elle a tardé à régulariser sa note en délibéré par voie postale, ou en la déposant au greffe du tribunal ;

- la loi du 21 juin 2004 n'a pas mis fin au monopole de l'Etat et du territoire sur les communications.

La clôture de l'instruction est intervenue le 12 septembre 2019.

II) Par une requête enregistrée le 12 décembre 2018 sous le n° 18PA03893, la société Broadband Pacifique, représentée par la SELARL Altana, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°1760019 du tribunal administratif de Wallis et Futuna du 12 octobre 2018 ;

2°) de condamner in solidum l'Administration supérieure de Wallis et Futuna, c'est-à-dire en tant que de besoin le territoire de Wallis et Futuna et l'Etat, à lui verser la somme de

3, 118 milliards de F CFP augmentée de la capitalisation au 4 octobre 2017, soit 1,91 milliard, à titre subsidiaire de la capitalisation au 30 décembre 2016, soit 1,49 milliard, avec intérêts au taux légal à compter de cette dernière date ; en sus, 14 979 648 F CFP avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2016 pour le reste des demandes ;

3°) de mettre à la charge in solidum de l'administration supérieure de Wallis et Futuna, c'est-à-dire en tant que de besoin le territoire de Wallis et Futuna et l'Etat, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du 12 octobre 2017, qui fait l'objet d'un appel n'était pas revêtu de l'autorité de la chose jugée ;

- ses demandes sont fondées sur les mêmes moyens que ceux dont est assortie sa requête 17PA03803.

L'Administration supérieure de Wallis et Futuna, à qui la requête a été communiquée, n'a pas produit de mémoire.

La clôture de l'instruction est intervenue le 12 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n°61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux iles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer ;

- le code des postes et des communications électroniques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Péna, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant la société Broadband Pacifique et de Me F..., représentant l'Administrateur supérieur des Iles Wallis et Futuna.

Une note en délibéré, présentée pour la société Broadband Pacifique, a été enregistrée le 16 octobre 2019.

Une note en délibéré, présentée pour l'Administrateur supérieur des Iles Wallis et Futuna, a été enregistrée le 17 octobre 2019.

1. Par un arrêté du 18 mai 2009, l'administrateur supérieur des îles Wallis-et-Futuna a autorisé pour cinq ans la société Broadband Pacifique à établir et exploiter un réseau de communications électroniques sur le territoire de cette collectivité. Après avoir vainement sollicité, après la délivrance de l'autorisation du 18 mai 2009, la conclusion d'une convention d'interconnexion avec le service des postes et télécommunications des îles Wallis-et-Futuna et l'attribution de ressources en numérotation, la société Broadband Pacifique a demandé à l'administrateur supérieur des îles Wallis-et-Futuna de l'indemniser des préjudices résultant des refus opposés à ces demandes, mais sa réclamation préalable a été rejetée. La société Broadband Pacifique relève appel des jugements n°1760006 du 12 octobre 2017 et n°1760019 du 12 octobre 2018 par lesquels le tribunal administratif de Wallis et Futuna a rejeté ses demandes tendant à ce que l'Administration supérieure de Wallis et Futuna, c'est-à-dire en tant que de besoin l'Etat et le territoire de Wallis et Futuna pris in solidum, soient condamnés à lui verser une indemnité de 3, 118 milliards de francs CFP.

2. Les requêtes 17PA03803 et 18PA03893 qui portent sur un même litige ont le même objet et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur la requête 17PA03803 :

S'agissant de la régularité du jugement :

3. En premier lieu, si le tribunal administratif peut être valablement saisi d'une note en délibéré adressée par courrier électronique dès lors qu'elle est enregistrée avant la date de lecture de sa décision, c'est à la condition que, en dehors du cas où l'auteur de cette note dispose d'une signature électronique, celui-ci l'authentifie ultérieurement, mais avant la même date, par la production d'un document dûment signé reproduisant le contenu de cette note ou en apposant, au greffe de la juridiction saisie, sa signature au bas du document imprimé de ce courrier électronique. En l'espèce, s'il résulte de l'instruction qu'après l'audience publique, qui s'est tenue le 3 octobre 2017, la société Broadband Pacifique a adressé au tribunal administratif le

9 octobre 2017, par voie électronique, une note en délibéré, elle n'a pas authentifié ce document par un courrier écrit et signé, avant la lecture du jugement intervenue le 12 octobre 2017. Par suite, la circonstance que les visas de ce jugement ne font pas état de cette note en délibéré ne l'entache pas d'irrégularité.

4. En second lieu, les critiques de la société Broadband Pacifique qui fait valoir que l'autorisation d'exploiter un réseau de communication électronique n'excluait que la téléphonie mobile et qui conteste l'existence d'un monopole légal du service des postes et télécommunications sur les communications intérieures portent sur le bienfondé de l'appréciation des premiers juges et non sur la régularité du jugement. La décision du tribunal administratif de Wallis et Futuna, qui n'est pas insuffisamment motivée, n'est donc pas entachée d'irrégularité.

S'agissant de la fin de non-recevoir opposée par le territoire des Iles Wallis et Futuna et par l'Etat :

5. Dans la demande introductive d'instance dont elle a saisi le tribunal administratif, la société Broadband Pacifique s'est bornée à demander la condamnation de " l'administration supérieure des iles Wallis et Futuna " qui est dépourvue de personnalité juridique sans préciser si elle mettait en cause la responsabilité de l'Etat ou celle du territoire que représente l'administrateur supérieur des iles. Dans son mémoire complémentaire enregistré le 28 avril 2017, elle a régularisé sa demande en demandant la condamnation in solidum du territoire des iles de Wallis et Futuna et de l'Etat, l'un et l'autre représentés par l'administrateur supérieur. Elle a repris ces dernières conclusions en appel. Ses conclusions qui identifient les collectivités mises en cause sont donc recevables. Si le territoire et l'Etat font valoir en appel que leurs responsabilités alléguées ne peuvent être cumulatives mais sont alternatives et que les conditions d'une condamnation in solidum ne sont pas remplies, des conclusions présentées par erreur contre une personne publique dont l'activité n'est pas à l'origine du dommage et qui ne saurait être condamnée à payer, en réparation de celui-ci, une somme qu'elle ne doit pas, ne peuvent qu'être rejetées au fond. La fin de non-recevoir opposée par les défendeurs doit donc être rejetée.

S'agissant du droit applicable à Wallis et Futuna :

6. En vertu de l'article 8 de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer : " L'administrateur supérieur du territoire, nommé par décret en conseil des ministres, dépositaire des pouvoirs de la République, représente chacun des membres du Gouvernement. Il a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois ". Aux termes de l'article 9 de cette même loi : " L'administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna exerce les fonctions de chef du territoire. / Il prend, après avis du conseil territorial, tous actes réglementaires propres à assurer l'exécution des délibérations de l'assemblée territoriale et tous actes réglementaires qui relèvent de sa compétence de chef de territoire aux termes des lois, décrets et règlement ". Il en résulte que les actes de l'administrateur supérieur peuvent être pris en sa qualité de représentant de l'Etat ou en sa qualité de chef de l'exécutif du territoire en fonction du domaine dans lequel ils interviennent.

7. Il résulte de l'article 7 de la loi du 29 juillet 1961 que les communications extérieures relèvent du domaine de compétence exclusive de l'Etat. Celui-ci exerce ses missions par l'opérateur France Cable Radio. Les communications intérieures relèvent quant à elles de la compétence exclusive du territoire des iles Wallis et Futuna. Jusqu'à l'intervention de l'arrêté du 18 mai 2009, les communications intérieures étaient entièrement assurées par le service des postes et télécommunications des îles Wallis et Futuna, géré en régie directe par l'administrateur supérieur du territoire.

8. En vertu de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961, le territoire des îles Wallis et Futuna est régi d'une part par les lois de la République et par les décrets applicables, en raison de leur objet, à l'ensemble du territoire national et, dès leur promulgation dans le territoire, par les lois, décrets et arrêtés ministériels déclarés expressément applicables aux territoires d'outre-mer ou au territoire des îles Wallis et Futuna, d'autre part par les règlements pris pour l'administration du territoire par l'administrateur supérieur du territoire des îles Wallis et Futuna. S'agissant du code des postes et des communications électroniques, ses dispositions ne sont applicables au territoire des îles Wallis et Futuna que si le texte le prévoit expressément. Enfin, les règles du droit communautaire en la matière ne s'appliquent pas à cette collectivité d'outre-mer.

9. Si les dispositions mentionnées au point 5 de la loi du 29 juillet 1961 confèrent à l'Etat une compétence exclusive en matière de communications extérieures et au territoire une compétence exclusive en matière de communication intérieures, aucun texte et notamment les dispositions du code des postes et des communications électroniques applicables à Wallis et Futuna ne confère à un opérateur donné une situation de monopole légal, pas plus qu'il n'impose ni n'interdit l'ouverture à la concurrence. Il était donc loisible à l'administrateur supérieur, agissant en sa qualité d'exécutif du territoire, d'ouvrir le marché des communications intérieures, jusque-là exclusivement assuré le service des postes et télécommunications, à d'autres opérateurs.

S'agissant de l'arrêté du 18 mai 2009 et du cahier des charges annexé :

10. Par un arrêté du 18 mai 2009, l'administrateur supérieur des Iles Wallis et Futuna a autorisé la société Broadband Pacifique à établir et exploiter pour une durée de cinq ans un réseau de communications électroniques ouvert au public utilisant des bandes de fréquences déterminées sur le territoire de la collectivité. L'article 1.2.1 du cahier des charges prévoyait que l'opérateur pouvait " fournir tous services de communications électroniques ". Si l'opérateur était autorisé à proposer une offre nomade, l'autorisation lui interdisait cependant de " proposer une offre de téléphonie mobile de quelque type que ce soit ". L'article 1.2.2 prévoyait par ailleurs que les clients de l'opérateur raccordés directement à son réseau devaient pouvoir accéder à des services de données à haut débit notamment pour accéder au réseau Internet. L'article 7.1 traitait de l'obligation faite à l'opérateur d'acheminer gratuitement les appels vers les numéros d'appel d'urgence des services publics d'urgence. Les articles du chapitre IX prévoyaient que l'opérateur utiliserait les ressources en numérotation " de la forme [code pays 681] PQ MC DU] " qui lui seraient attribuées dans les conditions définies par l'administrateur supérieur. L'article 10.1.1 prévoyait que l'interconnexion entre le réseau de l'opérateur et celui du service des postes et télécommunications ferait l'objet d'une convention qui déterminerait les conditions techniques et financières de l'interconnexion des réseaux et que de manière générale, les conventions d'interconnexion, régies par le chapitre X, seraient soumises à l'administrateur supérieur. L'article 11.1.1 disposait que " L'administrateur supérieur veille, à ce que dans l'intérêt supérieur d'une concurrence loyale les différents opérateurs soient traités de bonne foi et sur un pied d'égalité, notamment par les administrations ".

S'agissant de la faute :

11. Par une lettre du 10 juillet 2009, la société Broadband Pacifique a demandé à l'administrateur supérieur de lui attribuer 1 000 numéros de téléphone en application des articles 9.1.1 et 9. 2.2 du cahier des charges et de conclure en urgence une convention avec le service des postes et télécommunications du territoire définissant les conditions d'utilisation des infrastructures utiles à son activité. Le 18 août 2009, l'administrateur supérieur a demandé à la société de lui faire connaître les raisons précises de l'utilisation des numéros par la société et ce qui la motivait à utiliser le réseau public de télécommunications. Par lettre du 11 septembre 2009, la société Broadband a répondu s'agissant de l'attribution de numéros porteurs du préfixe 681, qu'ils étaient nécessaires pour que les clients puissent être joints par des personnes extérieures au territoire et s'agissant de l'interconnexion, qu'elle était nécessaire pour que les clients de la société et les abonnés du service des postes et télécommunications puissent s'appeler entre eux. Malgré des relances réitérées notamment en 2011, les demandes de la société Broadband sont demeurées sans réponse.

12. L'autorisation accordée le 18 mai 2009 par l'administrateur supérieur des Iles Wallis et Futuna à la société Broadband Pacifique à établir et exploiter un réseau de communications électroniques ouvert au public tendait à ouvrir le secteur des communications intérieures du Territoire à un nouvel opérateur dans " l'intérêt supérieur d'une concurrence loyale " et impliquait que " les différents opérateurs soient traités de bonne foi et sur un pied d'égalité, notamment par les administrations " ainsi que le prévoyait l'article 11.1.1 du cahier des charges. Il ne ressort pas de l'économie générale du cahier des charges ni d'une disposition particulière que l'administrateur supérieur n'aurait autorisé la société Broadband Pacifique qu'à exploiter qu'un réseau en circuit fermé limité aux échanges entre ses seuls abonnés. L'autorisation qui couvrait l'ensemble des communications électroniques, et notamment la téléphonie fixe et internet, n'excluait que " la téléphonie mobile de quelque type que ce soit ". La société Broadband Pacifique devait à cet égard, et sous cette seule réserve, être traitée sur un pied d'égalité avec le service des postes et télécommunications des îles Wallis et Futuna, géré en régie directe par l'administrateur supérieur du territoire. L'autorisation impliquait nécessairement que l'administrateur supérieur, en sa qualité de régulateur des télécommunications sur le territoire, et non de représentant de l'Etat quand bien même chaque numéro comportait le préfixe des communications internationales, fasse droit à une demande d'un nombre raisonnable, ce qui était le cas en l'espèce, de numéros de téléphone permettant un usage normal par la clientèle de la société des services de téléphonie fixe et d'internet auxquels ils auraient souscrit. Par ailleurs, si la conclusion d'une convention d'interconnexion avec l'opérateur historique n'est pas de droit, celle-ci ne saurait être refusée que pour un motif légitime, tenant par exemple au caractère déraisonnable des demandes, à une insuffisance des capacités, ou à des obstacles techniques. La circonstance que les dispositions du code des postes et des communications électroniques qui règlent ces questions en métropole ne soient pas applicables dans le territoire des iles Wallis et Futuna ne conféraient pas à l'administrateur supérieur un pouvoir d'appréciation discrétionnaire qui lui aurait permis de priver d'effet ou de réduire la portée de l'autorisation accordée le 18 mai 2009.

13. Si l'administrateur supérieur n'a pas motivé le refus de faire droit aux demandes présentées les 18 août et 11 septembre 2009 par la société Broadband Pacifique, il résulte de l'instruction, et notamment des écritures des défendeurs, que ce rejet a été exclusivement motivé par la crainte que la société propose à la clientèle un service de téléphonie mobile une fois que l'administration aurait attribué les numéros sollicités et conclu avec elle une convention d'interconnexion. Ce soupçon était notamment fondé sur la proposition formulée le 17 septembre 2009 par la société auprès du président de l'assemblée territoriale de faire une démonstration de téléphonie mobile, à titre expérimental avec des moyens et pour un temps limités. Cette offre avait été confirmée par une proposition, adressée le 25 octobre 2009 à l'administrateur supérieur, d'offrir rapidement un service de téléphonie mobile sur le territoire et, à cette fin, d'obtenir une modification de l'autorisation du 18 mai 2009. Le climat de défiance a été par ailleurs aggravé par les contentieux opposant la société Broadband Pacifique à la société France Cable Radio, opérateur historique de l'Etat pour les communications extérieures, pour la fourniture de services internet. Si ces éléments étaient de nature à justifier les soupçons que la société Broadband Pacifique qui envisageait de proposer une offre de téléphone mobile ce qu'excluait l'autorisation du 18 mai 2009, cherche à mettre l'administration du territoire devant le fait accompli, il n'en demeure pas moins que la société s'est bornée à solliciter régulièrement une modification du cahier des charges sans enfreindre ses obligations. S'il était loisible à l'administrateur supérieur de refuser cette modification, et de retirer l'autorisation aux frais et risques de la société dans l'hypothèse où celle-ci se serait affranchie de ses obligations en offrant à ses abonnés un service de téléphonie mobile sans en avoir préalablement obtenu l'autorisation, les soupçons entretenus sur les intentions finales de la société ne pouvaient justifier un refus de faire droit à la demande de numérotation et d'interconnexion qui était le corollaire de l'autorisation accordée le 18 mai 2009 et que le bénéficiaire n'avait pas violée. Il en résulte que la société Broadband Pacifique est fondée à soutenir que le refus de l'administrateur supérieur de faire droit à ses demandes engage la responsabilité du Territoire des iles Wallis et Futuna, compétent dans une matière qui concerne essentiellement les communications intérieures. En revanche, la responsabilité de l'Etat, compétent en matière de communications extérieures, dont ne relève pas directement le litige, ne saurait être recherchée.

S'agissant des préjudices :

14. La société Broadband Pacifique est fondée à obtenir l'indemnisation des préjudices directs et certains qui ont résulté pour elle des décisions fautives de l'administrateur supérieur du territoire des Iles Wallis et Futuna d'une part de ne pas faire droit à sa demande de lui attribuer 1 000 numéros de téléphone, d'autre part de ne pas faire droit à sa demande d'interconnexion avec le service des postes et télécommunications du territoire pour la période comprise entre la date à laquelle le territoire aurait pu satisfaire cette demande, qu'il y a lieu de fixer en l'espèce au 1er janvier 2010, et le 18 mai 2014, date à laquelle l'autorisation dont elle bénéficiait expirait.

15. Les décisions fautives de l'administrateur supérieur ont privé la société Broadband Pacifique d'étendre sa clientèle et d'offrir à ses rares abonnés une palette complète de services. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté par les défendeurs, que la société n'a, du fait de l'administration, jamais compté plus de 50 abonnés, ce qui ne lui permettait pas de couvrir ses coûts fixes. Le déficit d'exploitation pour les années 2010 à 2014, qui s'établit à

126 000 000 F CFP, est la conséquence directe et certaine de la situation dans laquelle a été placée la société. Il y a lieu de condamner le territoire de Wallis et Futuna à indemniser la société Broadband Pacifique de cette perte.

16. Les décisions fautives de l'administration ont également privé la société Broadband Pacifique d'une chance de s'imposer comme opérateur sur un marché qui s'entrouvrait à la concurrence dans les limites assez étroites fixées par l'arrêté d'autorisation du 18 mai 2009. Pour estimer son préjudice, la société requérante se réfère à ses plans de développement, aux rapports de M. A... B... et de la société Sorgem, et à la sentence arbitrale de M. G..., annulée par décision n°376018 du Conseil d'Etat du 23 décembre 2015, mais qui comporte des éléments de fait utiles à la résolution du litige. Ces documents n'ont pas fait l'objet d'une critique approfondie par les administrations défenderesses.

17. Pour procéder à une estimation du préjudice à partir des éléments fournis, il y a lieu pour la Cour de ne retenir que la période couverte par la convention, la société requérante ne pouvant se prévaloir d'aucun droit au renouvellement de l'autorisation accordée pour cinq ans le

18 mai 2009. Il n'y a pas lieu de retenir dans l'appréciation de la perte de chance les produits et les charges vendus au service des postes et télécommunications, et de manière générale tout élément qui reposerait sur une modification du régime des communications extérieures, assuré pour le compte de l'Etat par l'opérateur France Cable Radio, étranger au champ de l'autorisation et qui présente un caractère purement hypothétique. Il convient en revanche de tenir compte de l'étroitesse et des spécificités de ce marché insulaire, de l'incertitude sur ce qu'auraient pu être les politiques tarifaires du service des postes et télécommunications et de la société Broadband Pacifique dans une période d'ouverture du marché à la concurrence, et des étroites limites qu'imposait l'arrêté d'autorisation au développement des activités du nouvel opérateur.

18. Les prévisions de la société selon lesquelles le nombre des abonnés aurait pu passer de 421 en 2010, à 714 en 2011, 870 en 2012, 997 en 2013 et dépasser les 1 000 abonnés en 2014 si l'autorisation avait été renouvelée cette année-là ont été retenues par les experts et n'apparaissent pas irréalistes. En l'absence de contestation précise des estimations de M. G..., qui ne prenait en compte que le refus d'interconnexion mais non celui d'attribution de numéros, par les administrations, et des éléments de fait contenus dans les rapports produits par la requérante, il y a lieu d'accorder à la société Broadband Pacifique une somme forfaitaire de 150 000 000 F CFP au titre de la perte de chance de réaliser des bénéfices.

19. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner le territoire des iles Wallis et Futuna à verser à la société Broadband Pacifique la somme de 276 millions de francs pacifique. Cette somme portera intérêt à compter du 31 décembre 2013, date de la requête enregistrée au tribunal de grande instance de Nouméa. La capitalisation ayant été demandée par mémoire enregistré le 28 septembre 2017, les intérêts échus à cette date seront capitalisés chaque année pour porter eux-mêmes intérêts.

S'agissant des dépens :

20. La société Broadband Pacifique est fondée à demander le remboursement par le territoire des iles Wallis et Futuna des dépens constitués par les rapports d'expertise établis à sa demande par le cabinet John B... pour un montant de 957 726 F CFP et par le cabinet Sorgem pour un montant de 5 557 876 F CFP. En revanche, les demandes tendant au remboursement des frais d'avocat pour les procédures engagées devant l'arbitre désigné par le président du tribunal de grande instance de Nouméa, la cour d'appel de Paris, le tribunal des conflits, la cour administrative d'appel de Paris et le Conseil d'Etat, qui présentent le caractère de frais exposés et non compris dans les dépens, ne peuvent être indemnisés à ce titre.

Sur la requête n°18PA03893 :

21. La cour ayant statué par le présent arrêt sur les demandes indemnitaires de la société Broadband Pacifique, sa requête n°18PA03893 est dépourvue d'objet.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

22. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge du territoire des Iles Wallis et Futuna la somme de 1 500 euros à verser à la société Broadband Pacifique sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions du territoire des Iles Wallis et Futuna et de l'Etat présentées à ce titre.

DECIDE :

Article 1er : Le territoire des Iles Wallis et Futuna est condamné à verser à la société Broadband Pacifique la somme de 276 000 000 de F CFP. Cette somme portera intérêts au taux légal à la compter du 31 décembre 2013. Les intérêts échus le 28 septembre 2017 seront capitalisés à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2: Le territoire des Iles Wallis et Futuna est condamné à verser à la société Broadband Pacifique la somme de 6 515 602 de F CFP au titre des dépens. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2016.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18PA03893.

Article 4 : Le territoire des Iles Wallis et Futuna versera à la société Broadband Pacifique la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par l'Etat et le territoire des Iles Wallis et Futuna sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Broadband Pacifique, à l'administrateur supérieur des Iles Wallis et Futuna et au ministre des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. D..., premier vice-président,

- M. C..., président assesseur,

- Mme Mornet, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 5 novembre 2019.

Le rapporteur,

Ch. C...Le président,

M. D...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Nos17PA03803, 18PA03893


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA03803,18PA03893
Date de la décision : 05/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Outre-mer - Droit applicable - Statuts - Wallis et Futuna.

Postes et communications électroniques - Communications électroniques.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : CABINET ALTANA

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-11-05;17pa03803.18pa03893 ?
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