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21/11/2019 | FRANCE | N°18PA03953

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 21 novembre 2019, 18PA03953


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2012.

Par un jugement n° 1617768 du 24 octobre 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 décembre 2018 et 31 octobre 2019,

M. D..., représe

nté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1617768 du 24 octobre 2018 du Tri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2012.

Par un jugement n° 1617768 du 24 octobre 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 décembre 2018 et 31 octobre 2019,

M. D..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1617768 du 24 octobre 2018 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2012 ;

3°) de renvoyer au Tribunal de grande instance de Paris la question préjudicielle relative à l'appréciation de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé, et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge judiciaire ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur en ce qui concerne la dévolution de la charge de la preuve ; le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit, d'une erreur d'appréciation des faits de l'espèce et d'une erreur de qualification juridique ;

- l'indemnité de licenciement transactionnelle qui lui a été versée n'est pas imposable en application des dispositions de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dès lors que le licenciement a été prononcé sans cause réelle et sérieuse ;

- l'appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement en application de l'article 80 duodecies du code général des impôts soulève une difficulté sérieuse quant à la charge de la preuve, dès lors que devant le juge des prud'hommes, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve de l'existence de la cause du licenciement ; l'employeur qui n'est pas partie à l'instance devant le juge administratif, le juge judiciaire pourrait-il confirmer l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, dès lors qu'en outre, la lettre de licenciement énonce comme seul motif du licenciement le désaccord du salarié licencié sur l'évolution stratégique de l'entreprise, sans faire référence à d'éventuelles conséquences négatives pour l'entreprise vis-à-vis des tiers.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 avril 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., qui exerçait depuis 2007 les fonctions de directeur au sein de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild Banque (LCFEDR Banque), chargé du développement de la société Edmond de Rothschild Asset Management (EdRAM), a été licencié le 12 juillet 2012. Il a, le même jour, et à la suite de la notification de la rupture de son contrat de travail, démissionné de la fonction de président du directoire qu'il exerçait à la tête de la société EdRAM, filiale de la société LCFEDR Banque. Pour mettre fin au litige les opposant, la LCFEDR Banque et la société EdRAM ont signé avec M. D..., au cours de l'année 2012, un protocole transactionnel prévoyant le versement des sommes qui étaient dues à ce dernier en application du code du travail et des conventions collectives, ainsi que d'une indemnité globale et forfaitaire d'un montant net de 4 463 902 euros, qu'il a intégralement déclarée au titre de ses revenus de l'année 2012. M. D... relève appel du jugement du 24 octobre 2018 du Tribunal administratif de Paris par lequel ce dernier a rejeté sa demande tendant à la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2012 à raison de l'imposition de cette indemnité globale et forfaitaire d'un montant net de 4 463 902 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La circonstance que le tribunal aurait commis une erreur dans la dévolution de la charge de la preuve n'a pas d'incidence sur la régularité du jugement. Si M. D... soutient également que le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit, d'une erreur d'appréciation des faits de l'espèce et d'une erreur de qualification juridique, ces moyens relèvent du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes. / Ne constituent pas une rémunération imposable : / 1° Les indemnités mentionnées aux articles L. 1235-2, L. 1235-3 et L. 1235-11 à L. 1235-13 du code du travail ; (...) ". Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail : " Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. / Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à

l'article L. 1234-9 ". L'article L. 1235-1 du même code dispose : " en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier (...) le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ".

4. Pour déterminer si une indemnité versée en exécution d'une transaction conclue à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail est imposable, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, de rechercher la qualification à donner aux sommes qui font l'objet de la transaction. Ces dernières ne sont susceptibles d'être regardées comme une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mentionnée à l'article L. 1235-3 du code du travail que s'il résulte de l'instruction que la rupture des relations de travail est assimilable à un tel licenciement. Dans ce cas, les indemnités accordées au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse sont exonérées. Il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, au vu de l'instruction, de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction, en recherchant notamment si elles ont entendu couvrir, au-delà des indemnités accordées au titre du licenciement, la réparation de préjudices distincts, afin de déterminer dans quelle proportion ces sommes sont susceptibles d'être exonérées. A cet égard, les sommes perçues par un salarié en exécution d'une transaction conclue avec son employeur à la suite d'un licenciement ne sont susceptibles d'être regardées comme des indemnités mentionnées à l'article L. 1235-3 du code du travail que si le salarié apporte la preuve que ce licenciement est sans cause réelle et sérieuse en raison de faits de nature à justifier la rupture du contrat aux torts de l'employeur.

5. Il résulte de l'instruction que M. D... a été recruté au mois d'avril 2007 par la Compagnie Financière Edmond de Rothschild Banque (LCFEDR Banque) pour diriger la société EdRAM, dont il était également, depuis le 30 mai 2007, président du directoire. A l'occasion de la fusion entre cette société et la société EdRIM, toutes deux filiales du groupe Edmond de Rothschild, un litige est apparu entre la direction du groupe et M. D... au début de l'année 2012, à la suite duquel ce dernier a été licencié par une décision du 12 juillet 2012, la position de M. D... ayant été considérée comme " préjudiciable à la stratégie et au développement " de ce groupe. Le requérant estimant ne plus être en mesure d'exercer son mandat social en raison de la rupture de son contrat de travail, a remis à cette même date du 12 juillet 2012 au directeur général du groupe Edmond de Rothschild sa décision de se démettre de sa fonction de président du directoire de la société EdRAM, après que celui-ci lui a notifié la rupture de son contrat de travail. Ayant, lors de l'entretien préalable à son licenciement, indiqué son intention de saisir le conseil des prud'hommes, un accord transactionnel a été conclu en 2012 avec la société EdRAM et son employeur, la LCFEDR Banque, en vue de mettre fin à ce litige au terme duquel M. D... a perçu une indemnité transactionnelle d'un montant net de 4 463 902 euros.

6. M. D... soutient que l'indemnité transactionnelle de 4 463 902 euros qui lui a été versée ne constituait pas une rémunération imposable en application du 1° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dès lors que le licenciement dont il a fait l'objet était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il résulte du protocole d'accord transactionnel qu'il a été fait grief au requérant, qui occupait les fonctions de président du directoire de la société EdRAM depuis une décision de son conseil de surveillance du 30 mai 2017, et qui en assurait la direction dans le cadre de ses fonctions de salarié de LCFEDR Banque, d'avoir, dès l'annonce au mois de janvier 2012 d'un projet de fusion entre les sociétés EdRAM et EdRIM, manifesté son désaccord, au point d'être dans l'impossibilité de conduire la direction opérationnelle de ce nouveau projet souhaité par le groupe Edmond de Rothschild pour accélérer son développement en " assets management ". M. D... fait valoir que les divergences stratégiques qu'il a exprimées ne suffisaient pas à justifier ce licenciement, et que le renouvellement des principaux cadres dirigeants accompagnant la nomination d'un nouveau dirigeant ne saurait constituer un motif réel et sérieux de licenciement des anciens cadres de LCFEDR Banque. Alors que le remplacement du président du directoire de la LCFEDR Banque et la suppression éventuelle des postes de président du directoire et de directeur général de la banque n'impliquaient pas le départ de M. D... de ses fonctions, ainsi qu'en atteste l'article de presse versé au dossier, eu égard cependant à son rôle de direction de la société EdRAM, filiale de la LCFEDR Banque, qui lui était confié par son employeur, les refus qu'il a constamment formulés sur le projet de fusion entre cette société et la société EdRIM et qui portaient sur la stratégie de fusion opérée, allaient au-delà d'un simple désaccord sur les modalités de développement et d'organisation souhaitées.

7. Dans ces conditions, compte tenu notamment des termes du protocole d'accord, le licenciement dont a fait l'objet M. D... ne peut être regardé comme dépourvu de cause réelle et sérieuse. La somme de 4 463 902 euros qu'il a reçue ne constituait dès lors pas une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mentionnée à l'article L. 1235-3 du code du travail, exonérée en application des dispositions précitées du 1° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts. C'est, par suite, à bon droit que l'administration a regardé la somme en cause comme imposable à l'impôt sur le revenu du contribuable au titre de l'année 2012.

8. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré des difficultés d'appréciation du caractère réel et sérieux de la cause du licenciement de M. D... résultant de la charge de la preuve devant le juge administratif ne soulève aucune difficulté sérieuse devant être tranchée par la voie d'une question préjudicielle au sens de l'article R. 771-2 du code de justice administrative. Il n'y a, dès lors, pas lieu, par application de ces dispositions, de transmettre cette question à la juridiction judiciaire compétente, et de surseoir à statuer sur la requête de M. D... jusqu'à la décision de cette juridiction sur cette question préjudicielle.

9. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris, pôle contrôle fiscal et affaires juridiques.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme Poupineau, président assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 novembre 2019.

Le rapporteur,

C. B...Le président,

S.-L. FORMERY

Le greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA03953


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03953
Date de la décision : 21/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur le revenu.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: Mme Christine LESCAUT
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : CABINET CAZALS, MANZO (AARPI)

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-11-21;18pa03953 ?
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