La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/12/2019 | FRANCE | N°18PA02386

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 décembre 2019, 18PA02386


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... épouse A... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Taiarapu-Est, d'une part, à lui verser une somme de 55 896 000 F CFP en réparation du préjudice subi du fait de la réalisation sur la parcelle cadastrée BM 14 dont elle est propriétaire, sans son autorisation, d'un exutoire et d'un caniveau aménagé pour l'écoulement des eaux de ruissellement et de trop pleins des réservoirs appartenant à la commune en provenance de la parcelle cadastrée

BM 7 située en surplomb et de l'aggravation de la servitude des eaux pluviale...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... épouse A... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Taiarapu-Est, d'une part, à lui verser une somme de 55 896 000 F CFP en réparation du préjudice subi du fait de la réalisation sur la parcelle cadastrée BM 14 dont elle est propriétaire, sans son autorisation, d'un exutoire et d'un caniveau aménagé pour l'écoulement des eaux de ruissellement et de trop pleins des réservoirs appartenant à la commune en provenance de la parcelle cadastrée BM 7 située en surplomb et de l'aggravation de la servitude des eaux pluviales, d'autre part, à lui rembourser les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 663 310 F CFP et, enfin, d'enjoindre à la commune de Taiarapu-Est de cesser l'emprise irrégulière des ouvrages publics sur sa parcelle.

Par un jugement n° 1700445 du 12 juin 2018, le tribunal administratif de la Polynésie française a constaté une emprise irrégulière de 450 m² sur la parcelle cadastrée BM 14 sur la commune de Taiarapu-Est et appartenant à Mme A..., a condamné la commune de Taiarapu-Est à verser à Mme A... une indemnité de 702 000 F CFP, a enjoint à la commune de Taiarapu-Est de supprimer l'exutoire et le caniveau implantés sur la parcelle cadastrée BM 14, a mis à la charge de la commune de Taiarapu-Est les frais d'expertise et une somme de 150 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 juillet 2018 et 14 mars 2019, Mme A..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1700445 du 12 juin 2018 du tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il a limité l'indemnité mise à la charge de la commune de Taiarapu-Est à la somme de 5 893,67 euros (702 000 F CFP) ;

2°) de condamner la commune de Taiarapu-Est à lui verser la somme de 563 132,96 euros (67 075 200 F CFP) en réparation du préjudice subi du fait de la réalisation sur la parcelle cadastrée BM 14 dont elle est propriétaire, sans son autorisation, d'un exutoire bétonné et d'un caniveau aménagé pour l'écoulement des eaux de ruissellement et de trop pleins des réservoirs appartenant à la commune en provenance de la parcelle cadastrée BM 7 située en surplomb de sa parcelle ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Taiarapu-Est une lourde astreinte ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Taiarapu-Est la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'indemnité sollicitée au titre de l'atteinte portée au droit de propriété, qui est un droit réel, ne peut être qualifiée de créance et, par suite, l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Taiarapu-Est en première instance doit être écartée ; il s'ensuit que son préjudice doit être indemnisé depuis 1984 ;

- l'ouvrage public en cause se trouvant au milieu de sa parcelle qui est un terrain constructible dans une partie résidentielle de la ville, le préjudice subi ne saurait être limité à la seule emprise de l'ouvrage lui-même ; la perte de la valeur locative de sa parcelle doit ainsi être évaluée à 1 972 800 F CFP par an soit un montant total de 67 075 200 F CFP pour la période de 34 ans qui doit être prise en compte ;

- dans l'hypothèse d'un appel incident, la responsabilité pour faute de la commune de Taiarapu-Est ne peut qu'être engagée ;

- le 13 mars 2019, la commune de Taiarapu-Est a consolidé l'exutoire situé sur son terrain en méconnaissance du jugement rendu par le tribunal ; il conviendra d'assortir l'arrêt à intervenir d'une lourde astreinte.

La requête a été communiquée à la commune de Taiarapu-Est, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... est propriétaire d'une parcelle cadastrée BM 15 à usage de servitude et d'une parcelle cadastrée BM 14 sur le territoire de la commune de Taiarapu-Est. Sur les parcelles attenantes et situées en surplomb des parcelles de Mme A..., la commune de Taiarapu-Est a édifié des ouvrages hydrauliques consistant en des réservoirs d'eau et des installations de forage, destinés à la distribution d'eau potable dans la commune. La parcelle BM14 reçoit les eaux de ruissellement et les eaux provenant des trop pleins des réservoirs d'eau par le biais d'un exutoire et d'un caniveau réalisés par la commune. Par un jugement du 12 juin 2018, le tribunal administratif de la Polynésie française, après avoir constaté une emprise irrégulière de 450 m² sur la parcelle cadastrée BM 14 appartenant à Mme A..., a notamment condamné la commune de Taiarapu-Est à verser à cette dernière une indemnité de 5 893,67 euros (702 000 F CFP) et lui a enjoint de supprimer l'exutoire et le caniveau implantés sur cette parcelle. Mme A... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas entièrement droit à sa demande indemnitaire.

Sur l'emprise irrégulière et la responsabilité de la commune de Taiarapu-Est :

2. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété. Si la décision d'édifier un ouvrage public sur la parcelle appartenant à une personne privée porte atteinte au libre exercice de son droit de propriété par celle-ci, elle n'a, toutefois, pas pour effet l'extinction du droit de propriété sur cette parcelle.

3. Il résulte de l'instruction que la mise en place d'un exutoire bétonné et d'un caniveau aménagé pour l'écoulement des eaux de ruissellement et de trop pleins des réservoirs en provenance de la parcelle BM 7 située en surplomb de la parcelle MB 14 de Mme A... et à destination du talweg en contrebas n'a pas été autorisée par cette dernière, ce qui n'est d'ailleurs plus contesté en appel. Par suite, l'implantation irrégulière de ces ouvrages publics sur le terrain de Mme A... constitue une emprise irrégulière qui engage la responsabilité de la commune de Taiarapu-Est et ouvre droit à indemnisation au profit de Mme A....

Sur l'exception de prescription quadriennale :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit (...)des communes (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Selon l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) ".

5. La requérante soutient que l'indemnité sollicitée au titre de l'atteinte portée au droit de propriété, qui est un droit réel, ne peut être qualifiée de créance et c'est donc à tort que les premiers juges ont accueilli l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Taiarapu-Est. Toutefois, lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée au titre d'un dommage causé à un tiers par un ouvrage public, les droits de créance invoqués par ce tiers en vue d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. Il en va différemment lorsque la créance indemnitaire alléguée est relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu qui doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. En conséquence, le préjudice résultant de la privation de jouissance ou d'immobilisation du terrain en cause est continu et se rattache à chacune des années durant lesquelles il est subi par les propriétaires.

6. Il résulte de l'instruction que la requérante a saisi le 25 août 2014 la commune de Taiarapu-Est d'une demande qui a interrompu le cours de la prescription quadriennale. En conséquence les créances nées antérieurement à l'année 2010 sont prescrites et ne peuvent donner lieu à indemnisation. Si la requérante invoque à nouveau en appel des courriers antérieurs à 2014 et notamment un courrier de 2007, le cours de la prescription a repris au 1er janvier 2008 pour s'achever le 31 décembre 2011, date à laquelle aucune demande de paiement n'avait été de nouveau formulée. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que Mme A... pouvait prétendre à une indemnisation de la privation de jouissance ou d'immobilisation d'une partie de sa parcelle seulement à compter du 1err janvier 2010.

Sur l'évaluation du préjudice :

7. En l'absence d'extinction du droit de propriété, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité moindre d'immobilisation réparant le préjudice résultant de l'occupation irrégulière de cette parcelle. En conséquence, comme l'a jugé le tribunal, la requérante peut seulement prétendre à une indemnité d'immobilisation ou de location de la parcelle en cause. Mme A... soutient devant la Cour que le caniveau en cause se trouvant au milieu de sa parcelle, l'indemnisation de l'emprise irrégulière de cet ouvrage public ne saurait être limitée à la perte de jouissance d'une bande de 450 m2 correspondant au caniveau lui-même et à la superficie nécessaire à son entretien délimitée par l'expert judiciaire. Toutefois, en réponse à un complément d'instruction du tribunal, cet expert a précisé qu'une division de la parcelle BM 14 en trois lots constructibles était possible même avec le maintien du caniveau. La requérante n'apporte aucun élément permettent de démontrer que la superficie à prendre en compte serait supérieure à celle de 450 m2 retenue par l'expert. Ainsi, seule l'occupation de la bande de terrain de 450 m2 correspondant à l'emprise irrégulière des ouvrages publics sur la parcelle de Mme A... doit être indemnisée.

8. Si Mme A... produit une attestation de l'agence immobilière JCM Immobilier en date du 4 octobre 2017 mentionnant que la valeur vénale de son terrain est évaluée à 552 091,14 euros (65 760 000 F CFP), soit 100,75 euros (12 000 F CFP ) le m2, ce document est insuffisant pour remettre en cause l'appréciation de l'expert judiciaire fixant la valeur vénale de sa parcelle à 54,57 euros (6 500 F CFP) le m². Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de la valeur locative de la parcelle en cause en estimant qu'elle correspondait à 3 % de sa valeur vénale, ce qui n'est pas contestée devant la Cour, et en fixant par voie de conséquence à 1,64 euros (195 F CFP) le prix du m² de la parcelle en cause, soit une indemnité due à Mme A... de 5 893,67 euros (702 000 F CFP) pour ses créances non prescrites nées du 1er janvier 2010 jusqu'au 1er janvier 2018 ainsi qu'elle le demandait et mise à la charge de la commune de Taiarapu-Est .

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française n'a que partiellement fait droit à sa demande indemnitaire.

Sur les conclusions tendant à la condamnation de la commune de Taiarapu-Est à une " lourde astreinte " :

10. Mme A... soutient que depuis que le jugement attaqué a été rendu par le tribunal administratif de la Polynésie française, la commune de Taiarapu-Est a procédé à des travaux sur le caniveau traversant sa parcelle consistant en un renforcement de l'ouverture de cet ouvrage par une couche de béton. Toutefois, les conclusions de Mme A... tendant à ce que la Cour prononce une " lourde astreinte " à l'encontre de la commune de Taiarapu-Est constituent un litige distinct du présent litige portant sur l'exécution du jugement attaqué qui relève d'une procédure spécifique. Il s'ensuit que ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Taiarapu-Est, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme A... demande au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... épouse A... et à la commune de Taiarapu-Est.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Collet, premier conseiller,

- Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 décembre 2019.

Le rapporteur,

V. D... Le président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

C. POVSELa République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 18PA02386


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02386
Date de la décision : 20/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Compétence - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction - Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel - Liberté individuelle - propriété privée et état des personnes - Propriété - Emprise irrégulière.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : EFTIMIE-SPITZ

Origine de la décision
Date de l'import : 07/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-12-20;18pa02386 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award