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11/02/2020 | FRANCE | N°19PA00706

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 11 février 2020, 19PA00706


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Partenaires et Associés a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française la condamnation du gouvernement de la Polynésie française à lui verser une indemnité d'un montant total de 191 571 572 francs CFP, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi consécutivement à un redressement fiscal découlant de l'application des dispositions, selon elle inintelligibles, de l'article 374-1 ancien du code des impôts de la Polynésie française.

Par un jugement n° 1800312 du 11

décembre 2018, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa deman...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Partenaires et Associés a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française la condamnation du gouvernement de la Polynésie française à lui verser une indemnité d'un montant total de 191 571 572 francs CFP, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi consécutivement à un redressement fiscal découlant de l'application des dispositions, selon elle inintelligibles, de l'article 374-1 ancien du code des impôts de la Polynésie française.

Par un jugement n° 1800312 du 11 décembre 2018, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 février et 1er juillet 2019, la société Partenaires et Associés, représentée par Me Brice Dumas, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1800312 du 11 décembre 2018 du Tribunal administratif de la Polynésie Française ;

2°) de condamner la Polynésie française à lui verser, en réparation de ses préjudices, une somme de 141 571 572 francs CFP au titre du préjudice économique correspondant au redressement fiscal, une somme de 50 000 000 francs CFP au titre du préjudice financier indirect résultant de sa situation de cessation de paiement et de redressement judiciaire et une somme de 50 000 000 francs CFP au titre de son préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 226 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la rédaction imprécise de l'article 374-1 du code des impôts de la Polynésie française méconnait l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi et constitue par conséquent une faute ne nature à engager la responsabilité de cette collectivité à son égard.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 mai 2019, le gouvernement de la Polynésie française, représenté par Me Vincent Dubois, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société appelante d'une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

La clôture d'instruction a été fixée au 1er juillet 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code des impôts de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Partenaires et Associés, qui a déclaré avoir participé à une opération de défiscalisation telle que prévue par les articles 374-1 et 375-1 du code des impôts polynésien et consistant dans le co-financement d'un projet de résidence hôtelière porté par la société Povea III, a bénéficié, à ce titre, de crédits d'impôt au titre des années 2005 à 2008. A la suite d'un contrôle opéré en 2010, le service des contributions de la Polynésie française a remis en cause ces crédits d'impôt au titre de ces cinq années et a assujetti en conséquence la société à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés assortis de majorations pour manœuvres frauduleuses. Par un jugement

n° 1400361 du 24 mars 2015, le Tribunal administratif de la Polynésie française, saisi par la société Partenaires et Associés, a déchargé celle-ci de ces suppléments d'imposition en ce qui concerne les années 2005 et 2006, au motif que le délai de reprise de trois ans dont disposait l'administration était expiré et la prescription acquise au profit de la SAS. Ce jugement, confirmé par un arrêt de la Cour de céans 15PA02962, 15PA03193 du 17 juillet 2017 a, en revanche, estimé fondée la remise en cause du crédit d'impôt afférent aux exercices clos en 2007 et 2008. Le juge de l'impôt a en effet relevé que la société Partenaires et Associés avait souscrit, en tant qu'investisseur du projet immobilier réalisé par la société Povea III, pour financer les apports en compte courant effectués au profit de cette société, plusieurs contrats par lesquels la banque de Polynésie lui a prêté les fonds nécessaires au financement de ce projet et que ces contrats de prêt prévoyaient que les emprunts seraient remboursés en une seule fois avec libération du gage espèces conclu aux mêmes dates que les contrats de prêts entre la société Povea III et la banque de Polynésie, dès lors qu'à titre de garantie de remboursement des sommes ainsi prêtées, la société Povea III en avait accepté le nantissement pour le même montant au profit de cette banque. Il en a déduit que si le projet de résidence hôtelière avait bien été réalisé par la société Povea III pour un montant total de 1 614 000 000 francs CFP, il ne résultait pas de l'instruction que les prêts souscrits par la société Partenaires et Associés auraient effectivement contribué au paiement des travaux de construction de cette résidence, dès lors que la société Povea III, qui en a supporté le coût, n'avait en réalité pas débloqué les sommes apportées en compte courant par la société Partenaires et Associés. En conséquence, le bien-fondé des rappels de crédits d'impôt imputés sur les années 2007 et 2008 a été confirmé par l'arrêt susmentionné. Après que le pourvoi formé devant le Conseil d'Etat contre cet arrêt a fait l'objet, le 13 avril 2018, d'une décision de non admission, la société Partenaires et Associés a adressé le 27 juillet 2018 à l'administration fiscale polynésienne une demande d'indemnisation du préjudice résultant selon elle de la faute qu'aurait commise le gouvernement de la Polynésie française du fait de l'imprécision de la rédaction de l'article 374-1 du code des impôts.

2. Cette demande indemnitaire préalable ayant été rejetée, la société Partenaires et Associés a porté le litige devant le Tribunal administratif de la Polynésie française, demandant la condamnation du gouvernement de la Polynésie française au versement, en réparation des préjudices subis, d'une somme de 141 571572 francs CFP correspondant au montant du redressement fiscal et une somme de 50 000 000 francs CFP au titre du préjudice résultant de l'atteinte portée à sa réputation auprès des banques et de sa mise en redressement judiciaire. Par la requête susvisée, la société Partenaires et Associés relève appel du jugement n° 1800312 du 11 décembre 2018 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande, et demande en outre l'allocation d'une somme supplémentaire de 50 000 000 francs CFP en réparation de son préjudice moral.

3. La société appelante fait valoir que le gouvernement de la Polynésie française a engagé sa responsabilité à son égard en raison de l'inintelligibilité fautive des dispositions du code des impôts de la Polynésie française relatives au crédit d'impôt pour investissement et notamment de son article 374-1.

4. Le code des impôts de la Polynésie française, dans sa version en cause dans le présent litige comportait, concernant le crédit d'impôt pour la construction d'hôtels, un article 374-1, issu d'une délibération n° 2002-161 APF du 5 décembre 2002, aux termes duquel : " Les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés bénéficient d'un crédit d'impôt de 60 % pour tout financement égal ou supérieur à 10 millions de francs réalisé dans un projet de construction à vocation hôtelière, d'un coût total égal ou supérieur à 200 millions de francs, la valeur du terrain n'étant pas prise en compte./ L'investissement ouvrant droit à crédit d'impôt comprend le terrain, la construction, l'installation, les agencements et les matériels concourant à l'exploitation, mais ne comprend ni les matériels roulants ou de loisirs ni le mobilier. Par ailleurs, le projet devra faire l'objet d'une demande de permis de construire déposée avant le 31décembre 2002./ (...) Sont considérés comme financements au sens du présent article, les souscriptions d'actions et de parts en numéraire, les apports de terrains affectés au projet, effectués lors de la constitution ou de l'augmentation du capital de la société réalisant le projet ainsi que les apports en compte courant non rémunérés dans ladite société, le financement étant réputé effectué à la date de libération du capital ou à la date de versement effectif des fonds. Dans ce dernier cas, la société est tenue de produire chaque année un extrait du grand livre relatif à ces comptes courants, annexé à sa déclaration de résultats. Ces financements peuvent intervenir soit directement, soit par le biais de sociétés dont l'objet social est la participation au capital de sociétés réalisant les projets définis au présent article. Ces financements doivent en toute hypothèse intervenir avant la date de délivrance du certificat de conformité. Le bénéfice du crédit d'impôt est subordonné : - à l'engagement pris par le bénéficiaire de conserver les actions, parts, ou apports au moins jusqu'à la date de délivrance du certificat de conformité ainsi qu'à l'engagement de maintenir l'affectation de l'immeuble à sa destination hôtelière pendant au moins les cinq années suivant l'année du début de l'exploitation ; - au dépôt auprès du service des contributions, préalablement à la réalisation du projet, d'une déclaration qui en précise la nature, le coût et les modalités de financement. / Ce crédit d'impôt est soumis à présentation d'une attestation précisant les modalités du financement délivrée par le, constructeur. Il est imputable sur la totalité de l'impôt sar les sociétés dû, établi au titre de l'exercice de· la réalisation du· financement et de l'exercice suivant. / Le solde éventuel du crédit d'impôt est imputable sur les trois quarts de l'impôt sur les sociétés dû, établi au titre des quatre exercices suivants. / Ces avantages peuvent se cumuler avec ceux du code des investissements, à l'exception de ceux relatifs aux bénéfices réinvestis. / Ces avantages sont remis en cause, et l'impôt dont le crédit a été préalablement accordé devient immédiatement exigible, nonobstant le cas· échéant l'expiration des délais de prescription, dans les circonstances suivantes : -non-respect des conditions prévues par les dispositions du présent article; non présentation du certificat de conformité à l'issue du quarante huitième mois suivant celui de la délivrance du permis de construire ; - tout manquement, par le contribuable qui a obtenu le crédit d'impôt, à ses obligations déclaratives prévues par le présent code, après avoir été mis en demeure par le service des contributions de régulariser sa situation. Cette disposition s'applique jusqu'à la date de délivrance du-certificat de conformité. / Toutefois, ces avantages ne sont pas remis en cause lorsque pour un cas de force majeure ou de difficultés liées à l'obtention de l'agrément de défiscalisation en loi Pons empêchant la construction pour laquelle la* demande de permis de construire a été déposée (...) ".

5. L'article 375-1 du même code était ainsi rédigé : " Les personnes assujetties à l'impôt sur les transactions bénéficient d'un crédit d'impôt de 60 % pour tout financement égal ou supérieur à 10 millions de francs réalisé dans un projet de construction à vocation hôtelière, d'un coût total égal ou supérieur à. 200 millions de francs, la valeur terrain n'étant pas prise en compte. / L'investissement ouvrant droit à crédit d'impôt comprend le terrain, la construction, l'installation, les agencements et les matériels concourant à l'exploitation, mais ne comprend ni les matériels roulants ou de loisirs ni le mobilier. Par ailleurs, le projet devra faire l'objet d'une demande de permis de construire avant le 31 décembre 2002.(...) / Sont considérés comme financements au sens du présent article, les souscriptions d'actions et de parts en numéraire, (...), effectués lors de la constitution ou de l'augmentation du capital de la société réalisant le projet, ainsi que les apports en compte courant non rémunérés dans ladite société, le financement étant réputé effectué à la date de libération du capital ou à la date de versement effectif des fonds. (...). / (...) Ces avantages sont remis en cause, et l'impôt dont le crédit a été préalablement accordé devient immédiatement exigible (...), dans les circonstances suivantes : - non-respect des conditions prévues par les dispositions du présent article (...)

6. Contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions du code des impôts de la Polynésie française, sur le fondement desquelles ont été remis en cause les crédit d'impôts obtenus par elle, et notamment les articles 374-1 et 375-1 rappelés ci-dessus, dont la rédaction est suffisamment claire et compréhensible, ne méconnaissent pas l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme, cela nonobstant les circonstances, d'une part, qu'ils n'excluaient pas expressément du champ de cet avantage les montages de financement apparent, du type de celui décrit au point 1., élaboré par elle, la banque de Polynésie et la société Povea III, et d'autre part, que les versions ultérieures de ces textes aient apporté des précisions supplémentaires sur les modalités de défiscalisation.

7. Il suit de là que la faute alléguée par la société Partenaires et Associés n'est pas établie et que la responsabilité du gouvernement de la Polynésie française ne saurait être engagée à son égard en conséquence de cette prétendue faute et lui ouvrir droit à réparation des préjudices qu'elle soutient avoir subis en conséquence de la remise en cause des crédits d'impôt dont elle avait bénéficié. Les conclusions de la société Partenaires et Associés tendant à la condamnation de la Polynésie française à lui verser une somme de 50 000 000 francs CFP au titre du préjudice résultant de l'atteinte portée à sa réputation auprès des banques et de la mise en redressement judiciaire de son entreprise, ne peuvent qu'être rejetées. Il en va de même, sans qu'il soit besoin d'examiner leur recevabilité, de celles tendant à la condamnation du gouvernement de la Polynésie française au versement, d'une part, d'une somme de 141 571 572 francs CFP, dont le montant correspond, selon ses écritures, aux rappels d'impôt sur les sociétés et pénalités correspondantes opérés à son encontre au titre des années 2007 et 2008, et d'autre part, d'une somme de 50 000 000 francs CFP au titre de son préjudice moral.

8. De tout ce qui précède il résulte que la société Partenaires et Associés n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Les conclusions de la requête tendant à l'annulation du jugement et à la condamnation du gouvernement de la Polynésie française au versement de sommes en réparation de préjudices doivent être écartées. Il en va de même de celles présentées sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative, le gouvernement de la Polynésie française n'ayant pas dans la présente instance la qualité de partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du gouvernement de la Polynésie française présentées sur le fondement du même article.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Partenaires et Associés est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le gouvernement de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Partenaires et Associés et au gouvernement de la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 29 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme A..., président assesseur,

- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.

Lu en audience publique le 11 février 2020.

Le rapporteur,

S. APPECHELe président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 19PA00706


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00706
Date de la décision : 11/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sylvie APPECHE
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ
Avocat(s) : DUMAS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-02-11;19pa00706 ?
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