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14/02/2020 | FRANCE | N°18PA01741

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 14 février 2020, 18PA01741


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Air Tahiti a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française, à titre principal, de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 316 937 785 F CFP correspondant au déficit d'exploitation de lignes aériennes imposées par voie réglementaire au cours de l'année 2016 et une somme correspondant au même déficit au titre de l'année 2017 jusqu'à la décision à intervenir et, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise tendant à déterminer le montant de ce déficit

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Par un jugement n° 1700163 du 27 février 2018, le Tribunal administratif de la Pol...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Air Tahiti a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française, à titre principal, de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 316 937 785 F CFP correspondant au déficit d'exploitation de lignes aériennes imposées par voie réglementaire au cours de l'année 2016 et une somme correspondant au même déficit au titre de l'année 2017 jusqu'à la décision à intervenir et, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise tendant à déterminer le montant de ce déficit.

Par un jugement n° 1700163 du 27 février 2018, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 mai 2018, le 19 mars 2019, le

15 avril 2019 et le 14 juin 2019, la société Air Tahiti, représentée par Me F... et Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 644 564 846 F CFP, assortie des intérêts moratoires à compter du 17 février 2016, ainsi que des intérêts compensatoires à hauteur de 148 087 576 F CFP et de la capitalisation de l'ensemble de ces intérêts à compter du 18 février 2017, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'exploitation déficitaire, au titre des années 2016 et 2017, de lignes aériennes imposées par voie réglementaire ou, à défaut, à lui verser la somme de 591 741 881 F CFP, assortie des mêmes intérêts précités, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait que la Polynésie française n'a pas pris les textes d'application de la loi du pays n° 2016-3 du 25 février 2016 ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin de déterminer le montant du déficit d'exploitation imputable à l'exploitation de ces lignes pour les exercices 2016 et 2017 ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en lui imposant, à partir de 2016, des contraintes de service public non compensées, la Polynésie française a commis une faute de nature à engager sa responsabilité dès lors que

celles-ci n'étaient prévues par aucun texte applicable ;

- le refus de la Polynésie française de lui verser la subvention de 182 386 000 F CFP inscrite au budget de l'exercice 2016 est entaché d'illégalité fautive ;

- le refus de la Polynésie française de lui verser la subvention de 182 386 000 F CFP inscrite au budget de l'exercice 2016 constitue une promesse non tenue qui engage sa responsabilité ;

- en lui imposant des contraintes de service public non prévues par la loi et non assorties d'une compensation financière, la Polynésie française a méconnu la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie ;

- la Polynésie française a méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques en refusant de l'indemniser de ces contraintes, étrangères à l'activité de transport aérien ;

- l'argument de la Polynésie française selon lequel il était loisible à la compagnie de modifier la tarification de ses lignes ou de demander des modifications de programme est fallacieux dès lors que ces possibilités étaient purement virtuelles et dépourvues d'effectivité ;

- la rupture d'égalité devant les charges publiques générée par les contraintes de service public non compensées engage en tout état de cause la responsabilité sans faute de l'administration ;

- la spécialité du préjudice, révélée notamment par l'octroi d'une licence de transporteur aérien non assortie de contraintes de service public à une compagnie concurrente, ainsi que son anormalité, sont établies ;

- la Polynésie française a également commis une faute en s'abstenant de prendre les textes d'application de la loi de pays n° 2016-3 du 25 février 2016 relative à l'organisation du transport interinsulaire maritime et aérien ;

- sa demande indemnitaire relative à l'année 2017, qui repose sur la même cause juridique que celle concernant 2016, est recevable dès lors qu'elle n'a pu être évaluée avec précision qu'au regard d'éléments nouveaux intervenus postérieurement au jugement attaqué ;

- le montant de son préjudice global pour 2016 et 2017 s'élève à 644 564 846 F CFP, ainsi qu'il résulte des attestations des commissaires aux comptes ;

- outre les intérêts moratoires, des intérêts compensatoires sont dus en raison du préjudice spécifique subi par elle du fait de la mauvaise foi de la Polynésie française.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 février 2019, le 29 mai 2019 et le

23 décembre 2019, la Polynésie française, représentée par Me C..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que soit ordonnée une expertise afin de déterminer le montant du déficit imputable à l'exploitation des lignes aériennes imposées par voie réglementaire à la société Air Tahiti pour l'exercice 2016. Elle demande en outre à ce que soit mise à la charge de la société Air Tahiti la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande formée par la société Air Tahiti devant le tribunal administratif est irrecevable en tant qu'elle porte sur les années 2017 et 2018, à défaut d'un quelconque chiffrage et d'une demande préalable ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Un mémoire a été enregistré le 26 décembre 2019 pour la Polynésie française représentée par Me C....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la loi de pays n° 2016-3 du 25 février 2016 relative à l'organisation du transport interinsulaire maritime et aérien ;

- la délibération n° 99-128 APF du 22 juillet 1999 modifiée de l'assemblée de la Polynésie française, réglementant l'autorisation donnée aux entreprises de transport aérien établies en Polynésie française d'exercer une activité de transport aérien public ;

- la délibération n° 2015-99 APF du 10 décembre 2015 approuvant le budget général de la Polynésie française pour l'exercice 2016 ;

- l'arrêté n° 2111 CM du 23 décembre 2015 portant modification de l'arrêté n° 1768 CM du 4 octobre 2010 portant octroi de licence de transport aérien à la société Air Tahiti ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- et les observations de Me D... pour la société Air Tahiti.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention " pour le développement harmonieux du transport aérien interinsulaire ", en date du 5 octobre 1990, la société Air Tahiti et la Polynésie française ont défini un cadre contractuel permettant d'assurer la continuité territoriale du territoire polynésien, octroyant à la compagnie un agrément de transport aérien pour une durée de vingt ans, assorti d'un volume minimal annuel d'activité ainsi que d'avantages fiscaux et douaniers, en contrepartie de l'engagement d'assurer un programme minimal de vols réguliers approuvé par le conseil des ministres, incluant des contraintes de service public à sa charge. La convention prévoyait en outre, au titre de la politique de désenclavement d'îles isolées, un programme de dessertes complémentaires, nécessitant des appareils spécifiques, pour lequel la Polynésie française s'engageait notamment à prendre en charge l'éventuel déficit d'exploitation supporté par la compagnie. A compter du 5 octobre 2010, la convention a été prorogée par avenants successifs, en dernier lieu jusqu'au 31 décembre 2015. A compter du 1er février 2014 et jusqu'à la date d'expiration de la convention, de nouvelles conventions successives conclues entre les parties ont consisté à définir les conditions d'exploitation des dessertes de désenclavement à la charge de la société Air Tahiti, en contrepartie desquelles une compensation financière de la Polynésie française était forfaitairement fixée. La Polynésie française a ainsi versé à la compagnie, au titre de ces conventions, une compensation financière de 180 000 000 F CFP au titre de chacune des deux années 2014 et 2015. Par un arrêté du 23 décembre 2015, le président de la Polynésie française a renouvelé la licence de transport aérien de la société Air Tahiti, assortissant celle-ci d'un programme défini " au titre de l'intérêt général ", incluant les dessertes aériennes de désenclavement précitées. Par une lettre du 19 février 2016, la société Air Tahiti a demandé à la Polynésie française de reconduire, au titre de l'exercice 2016, sa participation financière au déficit d'exploitation de ce programme, à hauteur de la somme de 180 000 000 F CFP. La Polynésie française ne s'est acquittée d'aucun versement au titre de cette dernière demande. Par une lettre du 19 décembre 2016, reçue le 23 décembre 2016 par la Polynésie française, la société Air Tahiti a demandé à cette dernière de lui verser la somme de 380 000 000 F CFP, correspondant, selon la compagnie, à la totalité des frais exposés, au titre de l'exercice 2016, pour assurer son programme d'exploitation des dessertes de désenclavement. La société Air Tahiti relève appel du jugement du 27 février 2018 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Polynésie française à lui verser la somme de 316 937 785 F CFP au titre du déficit d'exploitation de ce programme pour l'année 2016 et à l'indemniser du même déficit pour l'année 2017.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

En ce qui concerne le déficit d'exploitation de l'année 2016 :

Sur la responsabilité :

2. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des écritures en défense de la Polynésie française non contestées que, dans le cadre d'une demande d'agrément des investissements en Polynésie française présentée en avril 2016 par la société Air Tahiti au titre des articles 217 undecies et duodecies du code général des impôts, celle-ci a déclaré, dans un chapitre relatif à la présentation du régime juridique relatif à l'organisation des dessertes de transport aérien interinsulaires : " i. Définition d'un seuil minimum des dessertes aériennes sur les îles de Polynésie française sur la base des conventions et licences existantes après discussion avec les opérateurs de transport. / Cette étape a été franchie dès le mois de décembre 2015. En effet, la Direction Générale d'Air Tahiti et le ministère des transports ont convenu de ne pas proroger la convention relative au développement harmonieux du transport aérien en Polynésie française laquelle est arrivée à échéance le 31 décembre 2015. Pour autant, les parties ont convenu du maintien du programme de vols minimum défini par ladite convention. Le conseil des ministres a, en conséquence, pris un arrêté modifiant l'arrêté octroyant à Air Tahiti sa licence d'exploitation (arrêté n° 2111/CM du 23 décembre 2015). En contrepartie de l'exécution du programme de vols minimum, Air Tahiti a demandé au Pays l'octroi d'une participation au financement de ces dessertes à hauteur de 180 millions de FCP, participation versée dans le cadre des dispositions de la loi de Pays 2009-15 du 24 août 2009. Cette participation financière a été inscrite par le Pays au budget 2016 ". En second lieu, la Polynésie française a déclaré, dans ses écritures en défense, par des propos également non contestés, s'agissant des pourparlers relatifs à la mise en place, à la fin de l'année 2015, d'un dispositif nouveau d'organisation du transport aérien interinsulaire, que : " deux réunions sont intervenues entre le ministère de la Polynésie française en charge des transports et la société Air Tahiti, une première le

17 novembre 2015, puis une seconde le 9 décembre 2015. Un "programme minimum" a été établi suite à la première réunion et accepté, dans ses grandes lignes, par la société Air Tahiti lors de la seconde ". Enfin, il résulte également de l'instruction que la Polynésie française a inscrit à son budget de l'année 2016, qui a été approuvé par délibération n° 2015-99 APF de l'assemblée de la Polynésie française du 10 décembre 2015, à l'article 611 " prestations de services " du chapitre 975 " Transports " de la section de fonctionnement, un montant de 182 386 000 F CFP en dépenses. S'il est constant que la délibération précitée ne mentionne pas que cette somme devait être allouée à la société Air Tahiti au titre de la participation financière relative au déficit d'exploitation des dessertes de désenclavement, la Polynésie française a toutefois déclaré, dans son mémoire enregistré le 25 février 2019, que cette inscription " a été opérée à la demande de la direction de l'aviation civile, en prévision d'une éventuelle reconduction du dispositif prévalant en 2014 et 2015 (de participation financière), et sans préjuger de l'issue de la concertation menée avec la société Air Tahiti ".

3. Ainsi qu'il a été dit au point 2, à la fin de l'année 2015, période de mise en place d'un nouveau mode d'organisation du transport aérien interinsulaire devant succéder au régime de la convention du 5 octobre 1990, des pourparlers se sont engagés entre la société Air Tahiti et la Polynésie française, portant notamment sur le maintien des dessertes aériennes de désenclavement par la société et, en contrepartie, sur la participation financière de la Polynésie française au déficit d'exploitation de ces dessertes. A cet égard, la société Air Tahiti pouvait escompter, compte tenu, en premier lieu, des assurances données par la collectivité, matérialisées par une inscription budgétaire, en deuxième lieu, d'un contexte d'élaboration en cours d'un régime juridique rénové pour l'organisation des dessertes interinsulaires relevant d'obligations de service public, et, enfin, compte tenu de la circonstance que la collectivité s'était régulièrement acquittée, au cours des deux années 2014 et 2015, de cette participation sur une base conventionnelle, à hauteur de 180 000 000 F CFP par an, que la Polynésie française allait lui verser cette même participation au titre de l'année 2016. Dans ces conditions, la société Air Tahiti doit être regardée comme n'ayant accepté d'effectuer un programme de vols minimum au titre de l'intérêt général incluant les dessertes des îles de Ua Huka, Ua Pou, Apataki, Fakahine et Takume, à compter du 1er janvier 2016, qu'en considération de l'engagement pris par la Polynésie française de lui verser cette participation. Par suite, en refusant de verser, pour l'exercice 2016, une participation financière au titre du déficit d'exploitation de ces dessertes à la société Air Tahiti, qui avait expressément réitéré sa demande par une lettre du 19 février 2016 que la Polynésie française ne conteste pas avoir reçue, cette dernière a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à raison de l'engagement non tenu.

4. Il ne résulte pas de l'instruction que la société Air Tahiti aurait commis une faute de nature à atténuer la responsabilité de la Polynésie française.

Sur le préjudice :

5. La société Air Tahiti demande la condamnation de la Polynésie française à lui verser la somme de 316 937 785 F CFP, correspondant à la totalité du déficit d'exploitation pour 2016 des dessertes de désenclavement, ainsi qu'il résulte de l'attestation des commissaires aux comptes de la société, en date du 13 juillet 2017. Toutefois, alors même qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, la Polynésie française a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en faisant la promesse, sans la tenir, qu'elle verserait une participation financière à la société Air Tahiti, cette promesse ne concernait pas la prise en charge de la totalité de ce déficit. Par suite, le préjudice dont il est demandé réparation n'est en lien de causalité directe avec la faute de la Polynésie française qu'à hauteur du montant de la promesse de celle-ci, qui doit être regardé comme équivalent à sa participation financière au titre des années 2014 et 2015, soit 180 000 000 F CFP annuels. En conséquence, il sera fait une juste appréciation du préjudice indemnisable de la société Air Tahiti en le fixant à la somme de 180 000 000 F CFP, le surplus de 2 386 000 F CFP résultant de l'inscription budgétaire évoquée ci-dessus ne pouvant être pris en compte dès lors qu'il n'est pas établi qu'il était également prévu au titre de cette participation financière.

En ce qui concerne le déficit d'exploitation de l'année 2017 :

Sur la responsabilité :

6. Aux termes de l'article 1er de la délibération du 22 juillet 1999 susvisée modifiée, réglementant l'autorisation donnée aux entreprises de transport aérien établies en Polynésie française d'exercer une activité de transport aérien public : " La présente délibération définit les conditions d'octroi et de maintien en vigueur des autorisations de transport aérien public accordées aux transporteurs aériens établis en Polynésie française ; ceci tant pour les compagnies désirant exercer une activité domestique de vols intérieurs que pour les compagnies désirant réaliser des liaisons internationales à partir de la Polynésie ". Aux termes de l'article 3 de cette délibération : " Nul ne peut exercer une activité de transport aérien public, s'il n'y a été autorisé par arrêté pris en conseil des ministres (...) La validité de l'autorisation de transport aérien est subordonnée à la détention d'un certificat de transporteur aérien ou l'inscription du ou des aéronefs exploités sur une liste de flotte délivrée par les autorités compétentes de l'Etat (...) ". Aux termes de l'article 4 : " Seules peuvent être autorisées les entreprises exerçant, à titre principal, une activité aérienne commerciale et ayant leur siège social en Polynésie française. / Dans les sociétés par actions, le capital doit être représenté, pour moitié au moins, par des titres nominatifs appartenant à des actionnaires de nationalité française. / Dans les sociétés à responsabilité limitée, le capital doit être représenté, pour moitié au moins, par des parts sociales appartenant à des associés de nationalité française (...) ". Aux termes de l'article 5 : " Toute entreprise de transport aérien, demandant une autorisation de transport aérien pour la première fois, doit pouvoir démontrer qu'elle est en mesure :- de répondre, à compter du début de l'exploitation, pendant une période de vingt-quatre mois, à ses obligations actuelles et potentielles, évaluées sur la base d'hypothèses réalistes; - d'assumer, pendant une période de trois mois à compter du début de l'exploitation, les frais fixes et les dépenses d'exploitation découlant de ses activités, sans avoir recours aux recettes tirées de ses activités ". Aux termes de l'article 6 : " Les dispositions, liées à la capacité financière de l'article 5, ne s'appliquent pas aux transporteurs aériens qui exploitent exclusivement, en transport aérien régulier ou en vols à la demande, des appareils d'une masse maximale au décollage inférieure à 10 tonnes et/ou d'une capacité inférieure à 20 sièges. / Ces transporteurs doivent à tout moment être en mesure d'apporter la preuve que leurs fonds propres s'élèvent au moins à neuf millions six cent mille francs CFP (9.600.000 F CFP) ". Enfin, aux termes de l'article 7 : " Afin de permettre, le cas échéant, à la Polynésie française de prendre en compte les contraintes d'infrastructures aéronautiques, les entreprises autorisées informent les autorités du gouvernement de la Polynésie française de leurs programmes généraux d'achat et de location de matériel volant ".

7. En premier lieu, la société Air Tahiti soutient que la Polynésie française ne pouvait subordonner l'octroi et le maintien de sa licence de transporteur aérien à des conditions non prévues par les dispositions de la délibération n° 99-128 APF du 22 juillet 1999 susvisée. Elle fait en outre valoir qu'aucun texte, et notamment pas cette délibération, ne prévoyait de conditionner l'autorisation de transport aérien qui lui a été délivrée, en dernier lieu par l'arrêté n° 2111 CM du 23 décembre 2015 susvisé, à l'exécution d'obligations de service public qu'elle n'avait dès lors aucune obligation d'assumer sans contrepartie. Il résulte de l'instruction que la licence accordée par le conseil des ministres de la Polynésie française à la société Air Tahiti par l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015, pris sur le fondement de la délibération du

22 juillet 1999 précitée, a été délivrée " selon le programme défini en annexe du présent arrêté au titre de l'intérêt général ". Ce programme comprenait notamment l'ensemble des dessertes aériennes de désenclavement déficitaires mentionnées au point 3. Il ne résulte d'aucune des dispositions susvisées de la délibération du 22 juillet 1999 ni d'aucune autre que l'octroi et le maintien de l'autorisation donnée aux entreprises de transport aérien établies en Polynésie française d'exercer une activité de transport aérien public soient conditionnés par l'accomplissement par celles-ci d'obligations de service public relatives à des dessertes d'îles lointaines et enclavées telles que celles mentionnées au point 3. La délibération du

22 juillet 1999 n'autorisait dès lors pas la Polynésie française à soumettre l'accès de la société Air Tahiti à l'exercice de l'activité de transport aérien à d'autres limitations ou contraintes que celles découlant des dispositions de cette délibération. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 2, notamment par des déclarations de la société elle-même reprises par la Polynésie française dans ses écritures en défense et non contestées, que le programme défini au titre de l'intérêt général dont était assortie la licence de la société Air Tahiti ne lui a pas été imposé mais a fait l'objet d'une négociation entre la Polynésie française et la compagnie, cette dernière l'ayant accepté en considération de l'engagement pris par la collectivité territoriale de lui verser une participation financière au titre de l'année 2016. Dans ces conditions, la société Air Tahiti n'est pas fondée à soutenir que la Polynésie française aurait commis une faute en subordonnant son autorisation d'exercice de l'activité de transport aérien à l'exécution d'un programme incluant des contraintes de service public.

8. En deuxième lieu, la société Air Tahiti soutient que la Polynésie française ne pouvait légalement refuser de lui verser la compensation financière qui avait été votée par délibération de l'assemblée de la Polynésie française et inscrite au budget de la collectivité de l'année 2016, dès lors que cette délibération constituait une décision créatrice de droits pour la compagnie. Toutefois, s'il résulte de l'instruction que le chapitre 975 intitulé "Transports" de la section de fonctionnement du budget de la Polynésie française pour l'exercice 2016 comportait un article 611 intitulé "Prestations de service" (délégation mission de service public) : 182 386 000 F CFP, cette inscription, dont il n'est pas contesté par la Polynésie française qu'elle a bien été opérée, selon les temes de ses écritures, " en prévision d'une éventuelle reconduction du dispositif prévalant en 2014 et 2015 ", ne concernait que l'exercice 2016 et non l'exercice 2017. En tout état de cause, cette ligne de crédit budgétaire, qui ne comporte pas la désignation de son bénéficiaire et n'est en outre pas reprise dans la liste prévisionnelle des subventions de fonctionnement figurant dans la délibération du 10 décembre 2015 approuvant le budget général de la Polynésie française pour l'exercice 2016, ne pouvait valoir décision d'attribution de subvention au bénéfice de la compagnie. Par suite, la société Air Tahiti n'est pas fondée à soutenir que la Polynésie française aurait commis une faute en refusant de lui verser la somme de 182 386 000 F CFP inscrite à son budget de l'année 2016.

9. En troisième lieu, à supposer que la société Air Tahiti, qui demande la condamnation de la Polynésie française à lui verser une indemnité en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi au titre de l'année 2017, doive être regardée comme soutenant que la promesse que lui a faite la collectivité de lui verser une compensation financière n'aurait pas été limitée à l'exercice 2016, elle ne pouvait en tout état de cause considérer que le contexte qui prévalait à la fin 2015 et les assurances données par la Polynésie française à cette époque pour 2016, tels que mentionnés au point 3, seraient également constitutifs d'une promesse de la part de cette dernière de verser une compensation au titre de l'exercice 2017. La société ne soutient en outre ni même n'allègue que les pourparlers relatifs à la compensation financière de la Polynésie française au titre de l'exercice 2016, ayant eu lieu avec cette dernière au cours de l'année 2016, auraient également concerné l'exercice 2017. Aucune faute ne peut, dès lors, être imputée à la Polynésie française sur le fondement d'une promesse non tenue pour 2017.

10. En quatrième lieu, la société Air Tahiti soutient qu'en lui imposant des contraintes de service public non compensées, la Polynésie française a porté atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et à sa liberté d'entreprendre. Toutefois et ainsi qu'il a été dit au point 7, le programme défini au titre de l'intérêt général dont était assortie la licence de la société Air Tahiti, constitutif d'obligations de service public à sa charge, ne lui a pas été imposé mais a fait l'objet d'une négociation avec la Polynésie française et a été accepté par la compagnie en considération de l'engagement pris par la collectivité territoriale de lui verser une participation financière au titre de l'année 2016. Par suite, aucune violation des principes précités ne saurait être imputable à la Polynésie française.

11. En cinquième lieu, la société Air Tahiti soutient qu'en ne faisant peser que sur elle la charge des obligations de service public du transport aérien, la Polynésie française aurait méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques consacré à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Toutefois, et pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10 tenant à ce que la compagnie ne s'est pas vue imposer un programme défini au titre de l'intérêt général mais en a librement négocié l'existence, aucune faute ne saurait être imputée à la Polynésie française sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques.

12. En sixième lieu, la société Air Tahiti soutient que la Polynésie française a commis une faute à raison de son abstention à prendre les textes d'application de la loi de pays n° 2016-3 du 25 février 2016 relative à l'organisation du transport interinsulaire maritime et aérien. Toutefois, à supposer même la responsabilité de la Polynésie française engagée à ce titre, le préjudice invoqué par la requérante, consistant dans le déficit d'exploitation pour 2017 de certaines lignes aériennes assurées au titre de l'intérêt général, n'en résulte pas directement. Par suite, sa demande d'indemnisation sur ce fondement ne peut être que rejetée.

13. Enfin, la société Air Tahiti soutient que l'obligation d'assurer l'exploitation des dessertes déficitaires en cause sans compensation financière de la part de la Polynésie française lui cause un préjudice anormal et spécial dont elle demande en tout état de cause réparation sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société Air Tahiti ne pouvait ignorer les aléas liés à l'effectivité de la participation financière de la Polynésie française au déficit d'exploitation de ces dessertes, dès lors que cette participation faisait l'objet, depuis 2011, malgré le caractère répété des demandes de la société et des assurances données par la Polynésie française, d'un versement irrégulier dans son montant voire, comme pour l'exercice 2013, d'une absence complète de versement. La société Air Tahiti ayant, dès lors, assumé ce risque en toute connaissance de cause, ne saurait demander réparation du préjudice résultant de cette situation.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air Tahiti est seulement fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la Polynésie française à la demande d'indemnisation présentée au titre de l'année 2017, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'exploitation déficitaire de certaines lignes aériennes au titre de l'année 2016. Il y a lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5, de fixer cette indemnité à 180 000 000 F CFP.

En ce qui concerne les intérêts moratoires :

15. Aux termes de l'article 1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire ".

16. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-6 du code civil, qui sont les intérêts au taux légal, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. Par suite, la société a droit aux intérêts de la somme mentionnée au point 5 à compter du 23 décembre 2016, date de réception par la Polynésie française de sa première demande.

En ce qui concerne les intérêts compensatoires :

17. Aux termes de l'article 1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. / Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire ".

18. la société Air Tahiti soutient que le défaut de versement par la Polynésie française de sa contribution financière caractérise sa mauvaise foi depuis 2016. Elle fait notamment valoir que ce défaut de participation au financement des dessertes de désenclavement a en outre obéré sa capacité d'auto-financement, ce qui l'a contrainte à emprunter davantage lors du renouvellement de sa flotte en 2016 et 2017. Il en est résulté, selon la société, un préjudice de paiement d'intérêts supplémentaires à hauteur d'une somme globale de 148 087 576 F CFP. Toutefois, les tableaux d'amortissement de prêts produits par la société, qui ne portent la validation d'aucun des établissements financiers qui y sont mentionnés en tant qu'organismes prêteurs, sont insuffisants à établir la réalité du préjudice de la requérante. Par suite, les conclusions tendant au paiement de dommages et intérêts sur le fondement du dernier alinéa de l'article 1231-6 du code civil, sans qu'il soit besoin de se prononcer ni sur la recevabilité de ces conclusions ni sur la prétendue mauvaise foi de la Polynésie française, doivent être rejetées.

Sur la capitalisation :

19. Aux termes de l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ". La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par la société Air Tahiti le 19 mars 2019, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts. Dès lors, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 19 mars 2019 et, le cas échéant, à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Air Tahiti qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la Polynésie française demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 1 500 euros à verser à la société Air Tahiti sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1700163 du 27 février 2018 du Tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.

Article 2 : La Polynésie française est condamnée à verser à la société Air Tahiti la somme de 180 000 000 F CFP. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2016. Ces intérêts seront capitalisés au 19 mars 2019 et à toute échéance annuelle postérieure.

Article 3 : La Polynésie française versera à la société Air Tahiti une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Air Tahiti est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air Tahiti et à la Polynésie française.

Copie en sera adressée au Haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme A..., président de chambre,

- Mme E..., présidente-assesseure,

- M. B..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 14 février 2020.

Le rapporteur,

P. B...

Le président,

M. A... Le greffier,

S. GASPAR

La République mande et ordonne à la ministre des Outre-Mer en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01741


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01741
Date de la décision : 14/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Outre-mer - Droit applicable - Statuts - Polynésie française.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique - Promesses.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : SELARL JURISPOL

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-02-14;18pa01741 ?
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