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16/02/2021 | FRANCE | N°20PA00043

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 16 février 2021, 20PA00043


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La société Thomann Food a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la société du Grand Paris à lui verser la somme de 296 129 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2017, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des travaux relatifs au réseau de transport public du Grand Paris Express sur l'avenue Louis Aragon à Villejuif.

Par un jugement n° 1707104 du 8 novembre 2019, le tribunal administratif de Melun a prononcé un non-lieu à statuer sur

la créance éteinte par la transaction conclue le 13 janvier 2018 et a rejeté la dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La société Thomann Food a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la société du Grand Paris à lui verser la somme de 296 129 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2017, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des travaux relatifs au réseau de transport public du Grand Paris Express sur l'avenue Louis Aragon à Villejuif.

Par un jugement n° 1707104 du 8 novembre 2019, le tribunal administratif de Melun a prononcé un non-lieu à statuer sur la créance éteinte par la transaction conclue le 13 janvier 2018 et a rejeté la demande de la société requérante tendant à la condamnation de la société du Grand Paris à lui verser la somme de 255 000 euros en réparation de la perte de la valeur vénale de son fonds de commerce.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 7 janvier 2020 et le

28 janvier 2021, la société Thomann Food, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 novembre 2019 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 7 juillet 2017 de la société du Grand Paris rejetant la demande indemnitaire présentée le 20 juin 2017 par la société Thomann Food ;

3°) de condamner la société du Grand Paris à lui verser la somme à parfaire de 255 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2017, en réparation du préjudice subi résultant des travaux publics entrepris sur l'avenue Louis Aragon à Villejuif ;

4°) de prononcer la capitalisation des intérêts ;

5°) de mettre à la charge de la société du Grand Paris la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les protocoles transactionnels conclus avec la société du Grand Paris ne portent pas sur l'indemnisation du préjudice correspondant à la perte de valeur de son fonds de commerce, de sorte que ses conclusions tendant à l'indemnisation de ce préjudice sont recevables ;

- la responsabilité sans faute de la société du Grand Paris est engagée du fait des travaux relatifs au réseau de transport public du Grand Paris Express sur l'avenue Louis Aragon à Villejuif dès lors que les installations de chantier ont entrainé une perte de visibilité de son restaurant, la baisse de fréquentation du quartier et des difficultés d'accès à son commerce, à l'origine d'une baisse de son chiffre d'affaires et de la perte de valeur de son fonds de commerce et de son droit au bail ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu que la seule cession du droit au bail en 2017, pour un prix inférieur au montant versé pour l'acquisition de ce droit en 2011, ne permettait pas de justifier de la perte de valeur du fonds de commerce de la société requérante en raison des travaux de la société du Grand Paris ;

- son fonds de commerce ne comprenant pas d'enseigne, dans la mesure où l'enseigne est liée à un contrat de franchise avec la société Speed Rabbit Pizza, la composante principale de son fonds de commerce est donc en l'espèce le droit au bail ;

- la valeur du droit au bail dépend notamment de la commercialité de la situation de l'immeuble dans lequel est exploité le fond ; or les travaux de la société du Grand Paris ont rendu son fond moins visible ; par conséquent son droit au bail a perdu de la valeur et a dû être cédé pour un prix bien inférieur au prix d'acquisition ; ainsi la perte de valeur de son fonds de commerce s'établit à la somme de 255 000 euros, correspondant à la différence entre le prix auquel elle l'a acquis en 2011 et le prix auquel elle l'a cédé en 2017.

La société du Grand Paris, à qui la requête a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Péna, rapporteur publique,

- et les observations de Me B..., représentant la société Thomann Food.

Considérant ce qui suit :

1. La société Thomann Food a acquis le 2 mars 2011 un fonds de commerce situé

5, avenue Louis Aragon à Villejuif qu'elle a exploité sous la forme d'une franchise de l'enseigne " Speed Rabbit Pizza ". La société du Grand Paris (SGP) a démarré ses travaux pour la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris Express en septembre 2015 dans ce secteur de la commune de Villejuif et en particulier avenue Louis Aragon. La société, qui a saisi la commission d'indemnisation amiable mise en place par la société du Grand Paris, a reçu diverses indemnisations correspondant à l'activité manquée. Cependant, la société du Grand Paris a refusé de lui verser l'indemnité qu'elle lui réclamait au titre de la perte de valeur du droit au bail de son commerce qu'elle a cédé en 2017. La société Thomann Food relève appel du jugement du 8 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à ce que la société du Grand Paris soit condamnée à lui verser la somme de 255 000 euros en réparation de la perte de la valeur vénale de son fonds de commerce.

2. Les riverains des voies publiques ont la qualité de tiers par rapport aux travaux publics d'aménagement ou de réfection de ces voies. S'ils subissent un dommage à cette occasion, il incombe à la collectivité maîtresse d'ouvrage, même en l'absence de toute faute de sa part, d'en assurer l'indemnisation à la double condition pour le demandeur d'établir, d'une part, le lien de causalité présenté avec les travaux publics litigieux et, d'autre part, le caractère anormal et spécial du préjudice qu'il invoque. En outre, ne sont pas susceptibles d'ouvrir droit à indemnité les préjudices qui n'excèdent pas les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics et, en particulier, à ceux des voies publiques.

3. La somme de 255 000 euros que la société Thomann Food réclame au titre de perte de valeur de son fonds de commerce correspond à la différence entre la somme de 320 000 euros versée au précédent titulaire du fonds en mars 2011, et la somme de 65 000 euros reçue du repreneur de son commerce en mars 2017. La somme de 320 000 euros intégrait des éléments incorporels comprenant la clientèle, l'achalandage, le droit au bail ou " pas-de-porte " et le droit d'usage des lignes téléphoniques à hauteur de 300 000 euros sans que la valeur de ces différents éléments ait été décomposée, et des éléments corporels constitués par le matériel à hauteur de 20 000 euros. La somme de 65 000 euros à laquelle la société Thomann Food évalue la valeur de son fonds de commerce correspond au prix de la cession de son droit au bail.

4. D'une part, si la société Thomann Food pouvait espérer conformément aux usages commerciaux en la matière, percevoir un droit au bail ou "pas-de-porte", et qu'une éventuelle dépréciation de cet actif, du fait des travaux publics engagés par la société du Grand Paris Express est susceptible de constituer un élément de son préjudice, les pièces du dossier et notamment l'acte de vente du fonds de commerce par la société Chloé à la société requérante, qui ne fait état que d'une somme globale pour les actifs incorporels, ne permet pas de déterminer la valeur de ce droit au bail en 2011. La dépréciation du prix du " pas de porte " entre 2011 et 2017 n'est donc pas établie par les pièces qu'elle produit. S'il est vrai que les travaux engagés à proximité du fonds en 2015 ont sans doute contribué à ce que la cession ne se fasse pas aux conditions les plus avantageuses pour la société Thomann Food en 2017, il ne résulte pas de l'instruction qu'une dépréciation du droit au bail présenterait un caractère pérenne ni même durable, dans un quartier qui devrait bénéficier des travaux en cours. Le préjudice qui aurait pu résulter pour la société requérante d'une cession réalisée au mauvais moment n'excèderait pas en tout état de cause les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics et, en particulier, à ceux des voies publiques.

5. D'autre part, si en 2011 la société Thomann Food avait racheté la clientèle du précédent exploitant du fonds de commerce pour une somme non déterminée, incluse dans la somme de 300 000 euros correspondant à la valeur des actifs incorporels, et si la société qui a repris le fonds en 2017 ne lui a, semble-t-il, rien versé à ce titre, il résulte de l'instruction qu'à cette dernière date la pizzeria exploitée par la société requérante conservait une clientèle susceptible d'être rachetée par un preneur qui aurait été intéressé. Dès lors, la circonstance que la société Thomann Food n'ait rien reçu à ce titre, ce qui contribue également à expliquer la différence entre les prix de cession de 2011 et de 2017, résulte de choix commerciaux dont le lien avec les travaux engagés par la société du Grand Paris Express ne peut être établi. L'absence de rachat de la clientèle par le repreneur n'est pas, pour cette raison, susceptible d'être indemnisée.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Thomann Food n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge de la société du Grand Paris, qui n'est pas la partie perdante, les frais exposés par la société Thomann Food et non compris dans les dépens.

D E C I D E

Article 1er : La requête de la société Thomann Food est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Thomann Food et à la société du Grand Paris.

Copie en sera adressée pour information au préfet de Paris, préfet de la région Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 2 février 2021, à laquelle siégeaient :

- M. D..., premier vice-président,

- M. C..., président-assesseur,

- Mme Jayer, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2021.

Le rapporteur,

Ch. C...Le président,

M. D...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

2

N° 20PA00043


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00043
Date de la décision : 16/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité sans faute - Responsabilité encourue du fait de l'exécution - de l'existence ou du fonctionnement de travaux ou d'ouvrages publics.

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Lien de causalité - Absence.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : JORION

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-02-16;20pa00043 ?
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