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19/02/2021 | FRANCE | N°20PA02235

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 19 février 2021, 20PA02235


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... et Mme E... F... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à verser à M. A... la somme totale de 1 068 000 euros en réparation des préjudices subis à l'occasion de la trachéotomie dont il a fait l'objet le 5 juillet 2018 à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et à Mme A... la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la situation de son époux.

Par un jugement n° 19037

48/6-2 du 21 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... et Mme E... F... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à verser à M. A... la somme totale de 1 068 000 euros en réparation des préjudices subis à l'occasion de la trachéotomie dont il a fait l'objet le 5 juillet 2018 à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et à Mme A... la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la situation de son époux.

Par un jugement n° 1903748/6-2 du 21 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande et mis les dépens à leur charge définitive.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 août 2020 et 17 décembre 2020,

M. et Mme A..., représentés par Me H..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 21 juillet 2020 ;

2°) de condamner l'AP-HP à verser à M. A... la somme totale de 1 068 000 euros, ainsi que la somme de 50 000 euros à Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP les dépens ainsi que la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les services de l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière ont commis plusieurs fautes de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP dans le cadre de la prise en charge du cancer des cordes vocales qui a été diagnostiqué à M. A... en avril 2018 ;

- le diagnostic ayant entraîné une laryngectomie était erroné au regard des examens réalisés ;

- la chirurgie pratiquée le 5 juillet 2018 n'était pas indiquée, dès lors que la tumeur n'était pas infiltrante et que le traitement aurait pu être limité aux cordes vocales ;

- M. A... n'a pas été correctement informé sur les résultats de ses examens et sur l'existence d'alternatives thérapeutiques non mutilantes ;

- la faute a été reconnue par le chirurgien ;

- son déficit fonctionnel permanent doit être indemnisé à hauteur de 50 000 euros ;

- les souffrances endurées doivent être indemnisées à hauteur de 10 000 euros ;

- le préjudice esthétique doit être réparé par la somme de 8 000 euros ;

- les frais relatifs aux soins infirmiers doivent être pris en charge par l'AP-HP ;

- il a subi un préjudice moral qui doit être indemnisé à hauteur d'un million d'euros ;

- Mme A... subit des troubles dans ses conditions d'existence qui doivent être indemnisés à hauteur de 50 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 3 décembre 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 23 024,73 euros en remboursement des prestations déjà versées, et le montant des prestations à échoir au fur et à mesure de leur engagement, pour un capital s'élevant à la somme de 27 981,35 euros, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2020 pour les prestations déjà versées et au fur et à mesure de leur engagement pour les prestations à échoir ;

2°) de réserver les prestations non connues à ce jour ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, ainsi que la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle a versé des prestations au titre des dépenses de santé résultant de l'intervention subie par M. A... le 5 juillet 2018.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 décembre 2020, l'AP-HP, représentée par Me I..., demande à la cour de rejeter la requête ou, à titre subsidiaire, de ramener l'évaluation des préjudices subis à de plus justes proportions.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction est intervenue le 4 janvier 2021.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les observations de Mme Pena, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., alors âgé de quatre-vingt-quatre ans, a subi le 5 juillet 2018 une laryngectomie pratiquée à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, qui relève de l'AP-HP, en raison d'un cancer des cordes vocales diagnostiqué en avril 2018. Estimant que l'administration hospitalière a commis dans le cadre de sa prise en charge plusieurs fautes susceptibles d'engager sa responsabilité, il a demandé à l'AP-HP d'indemniser ses préjudices par courrier du 20 octobre 2018. Sa demande a été rejetée le 15 janvier 2019. Par un jugement du 21 juillet 2020 dont ils relèvent appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. et Mme A... tendant à la condamnation de l'AP-HP à leur verser la somme de 1 068 000 euros en réparation des préjudices subis par M. A... à l'occasion de l'intervention du 5 juillet 2018, et la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi par Mme A... du fait de la situation de son époux.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur les fautes invoquées :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1111-2 du même code : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 de ce code : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. (...) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 1110-5 dudit code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ".

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise déposé le 29 novembre 2019 au cours de la première instance, que M. A..., atteint d'un cancer des cordes vocales, a subi entre avril et juin 2018 divers examens médicaux en vue d'affiner le diagnostic de la tumeur et de procéder à un traitement chirurgical adapté. Ainsi, le 6 avril 2018, une laryngoscopie a été réalisée à l'hôpital de Montfermeil, montrant l'atteinte des cordes vocales. Puis, le 16 mai 2018, un scanner pratiqué à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière a conclu à une extension aux tissus graisseux para-glottiques gauches et à une lyse du cartilage thyroïde au contact, ces éléments classant la lésion " T4 ". Une biopsie a été réalisée le 29 mai 2018, qui montre des " aspects suspects de micro-infiltration ", ainsi qu'un nouveau scanner le 28 juin 2018, et une réunion de concertation pluridisciplinaire a eu lieu le 7 juin 2018. Les experts citent une note de l'un des médecins qui souligne que toutes les images ainsi obtenues ont été " lues et relues par plusieurs spécialistes " et que " leurs avis ont été concordants. L'infiltration du cartilage thyroïde a été confirmée ". Les experts ont pour leur part fait relire lesdites images par un cabinet de radiologie indépendant, qui a conclu à une extension cartilagineuse de la lésion, compatible avec une atteinte tumorale. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les examens préopératoires faisaient naître un doute, dont M. A... n'aurait pas été informé, quant à l'extension de sa tumeur et à son classement " T4 ", classement qui a été porté à sa connaissance le 2 juillet 2018. La circonstance que les analyses biologiques réalisées sur les prélèvements pratiqués au cours de l'opération du 5 juillet 2018 ont finalement montré une absence de caractère infiltrant de la tumeur, analyses postérieures à ladite opération, est sans incidence sur le diagnostic posé avant le 5 juillet 2018. De même, si des médecins ont, a posteriori, affirmé au patient que la chirurgie avait été trop invasive et qu'il pouvait envisager de demander réparation auprès de l'ONIAM, une telle allégation ne saurait à elle seule établir la commission d'une faute.

4. En deuxième lieu, s'agissant de l'indication opératoire de laryngectomie, les experts estiment qu'en présence d'une tumeur classée " T4 ", l'indication de laryngectomie était légitime et en accord avec les recommandations de bonnes pratiques en usage. Ils indiquent en outre que " même en l'absence de ganglions palpables et/ou visibles sur l'imagerie scanner, une tumeur ORL classée T4 DOIT faire l'objet d'une chirurgie cervicale ". Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le choix de procéder à une laryngectomie, au regard des caractéristiques de la maladie, aurait été fautif. Si les experts estiment par ailleurs qu'il aurait été possible de proposer au patient des alternatives thérapeutiques avant d'envisager éventuellement une laryngectomie, ils précisent que ces traitements ne relevaient pas du protocole habituel. Il ne saurait donc davantage être reproché à l'administration hospitalière de ne pas avoir évoqué de tels traitements " hors référentiel " avec l'intéressé, alors même que le strict protocole, prévoyant une chimiothérapie préalable, n'a pas été suivi dans le cas de M. A..., ce qui est expliqué dans le rapport par les antécédents du patient, marqués notamment par un important tabagisme, une pathologie cardiovasculaire, une bronchite chronique asthmatiforme et un précédent cancer broncho-pulmonaire.

5. En dernier lieu, il résulte du rapport d'expertise que M. A... a été informé des bénéfices et des risques liés à l'opération pratiquée, le chirurgien ayant porté à sa connaissance, le 2 juillet 2018, le classement " T4 " de sa tumeur. Les experts relèvent que l'extension au cartilage vue sur le scanner lui a bien été expliquée, et qu'un exposé lui a présenté la prothèse qui lui serait installée après laryngectomie. Enfin, comme dit au point 4 du présent arrêt, l'équipe médicale n'était pas tenue d'informer M. A... de l'existence d'alternatives thérapeutiques hors référentiel telles que le pelage des cordes vocales au laser ou l'irradiation. Les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que les services de l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière auraient manqué à leur devoir d'information et qu'ils n'auraient pas permis au patient de donner son consentement libre et éclairé à l'intervention du 5 juillet 2018.

Sur l'intervention de la solidarité nationale :

6. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) II. Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ".

7. À supposer que M. et Mme A... aient entendu, en dirigeant également leur demande à l'encontre de l'ONIAM, à la première page de leur requête, solliciter la réparation de leurs préjudices au titre de la solidarité nationale, il résulte de l'instruction, comme il a été exposé ci-dessus, que M. A... n'a pas été victime d'un accident médical, dès lors que l'intervention de laryngectomie a été décidée au regard des résultats des examens préopératoires pratiqués ; les conséquences de l'opération, assumées, n'ont au demeurant pas été anormales au regard de l'état de santé antérieur du patient et de l'évolution prévisible de sa pathologie. Les conditions d'intervention de la solidarité nationale fixées par les dispositions précitées ne sont donc pas réunies en l'espèce.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes. Pour les mêmes motifs, les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge l'AP-HP, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. et Mme A... ainsi que par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme A... et les conclusions d'appel de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à Mme E... F... épouse A..., à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.

Délibéré après l'audience du 2 février 2021, à laquelle siégeaient :

- M. C..., premier vice-président,

- M. Bernier, président-assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2021.

Le rapporteur,

G. B...Le président,

M. C...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA02235


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02235
Date de la décision : 19/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : ALBERTINI

Origine de la décision
Date de l'import : 04/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-02-19;20pa02235 ?
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