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24/06/2021 | FRANCE | N°19PA01919

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 24 juin 2021, 19PA01919


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Navajo a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2011, à concurrence d'un montant, en droits et majorations, de 147 600 euros.

Par un jugement n° 1801447 du 17 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 juin 2019 et le

18 novembre 2019, la société Navajo, représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Navajo a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2011, à concurrence d'un montant, en droits et majorations, de 147 600 euros.

Par un jugement n° 1801447 du 17 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 juin 2019 et le 18 novembre 2019, la société Navajo, représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1801447 du 17 avril 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge demandée ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Navajo soutient que :

- elle n'a pas été informée du motif du dégrèvement et du rétablissement de l'imposition, ce défaut de motivation portant atteinte aux droits de la défense ;

- l'avis de mise en recouvrement est irrégulier, faute de mentionner la décision de dégrèvement du 30 juillet 2015 ;

- ces irrégularités justifient une décharge sur le fondement de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales ;

- la provision pour risque était justifiée dans son principe et son montant à la clôture de l'exercice 2011, conformément au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts ;

- la majoration pour manquement délibéré n'est pas fondée.

Par des mémoires en défense enregistrés le 29 août 2019 et le 26 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Le ministre soutient que les moyens invoqués par la société Navajo ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E... ;

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public ;

- et les observations de Me C..., pour la société Navajo.

Une note en délibéré, présentée pour la société Navajo, a été enregistrée le 4 juin 2021.

Considérant ce qui suit :

1. La société Navajo, créée le 25 octobre 2007 par M. A... et qui a pour objet social la gestion et la valorisation de tout droit incorporel des auteurs et artistes-interprètes, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 2010 et 2011, à l'issue de laquelle une proposition de rectification du 19 novembre 2013 lui a été notifiée suivant la procédure contradictoire. A l'issue de ce contrôle, elle a notamment été assujettie à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2011, assortie d'intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré prévue au a) de l'article 1729 du code général des impôts, mise en recouvrement le 12 mars 2014. L'administration a prononcé le 30 juillet 2015 un dégrèvement partiel de cette imposition, à concurrence de 147 600 euros en droits, intérêts de retard et pénalités, correspondant à une rectification relative à la reprise d'une provision pour risques d'un montant de 300 000 euros. L'imposition a été remise à la charge de la société Navajo pour le même montant par un avis de mise en recouvrement du 24 novembre 2016. La société Navajo fait appel du jugement du 17 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et majorations, de cette imposition.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. D'une part, il résulte des dispositions du livre des procédures fiscales relatives tant à la procédure de rectification contradictoire qu'aux procédures d'imposition d'office, et, en particulier de celles des articles L. 57 et suivants de ce livre, qu'après avoir prononcé le dégrèvement d'une imposition, l'administration ne peut établir, sur les mêmes bases, une nouvelle imposition sans avoir, préalablement, informé le contribuable de la persistance de son intention de l'imposer.

3. Il résulte de l'instruction que par un courrier du 30 juillet 2015, dont la réception n'est pas contestée, l'administration a informé la société Navajo qu'elle prononçait un dégrèvement partiel de l'imposition à concurrence de 147 600 euros et qu'elle n'entendait pas renoncer à sa mise en recouvrement ultérieure. Elle a ainsi rempli les obligations qui lui incombait, qui n'incluent pas l'obligation de motiver le dégrèvement et l'intention de procéder à une nouvelle mise en recouvrement. La société Navajo n'est ainsi pas fondée à soutenir que l'absence de motivation du dégrèvement et du rétablissement de l'imposition ont porté atteinte aux droits de la défense.

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis (...) Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 (...) et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications (...) ".

5. L'avis de mise en recouvrement du 24 novembre 2016 fait référence à la proposition de rectification du 19 novembre 2013, qui constitue le document adressé au contribuable l'informant des droits et majorations résultant des rectifications, qui n'ont pas été ultérieurement modifiés, y compris en ce qui concerne l'imposition procédant de l'imposition initiale dégrevée, la décision de dégrèvement du 30 juillet 2015 n'emportant aucune modification sur ce point. Contrairement à ce que soutient la société Navajo les dispositions de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales ont ainsi été respectées.

6. Il résulte de ce qui ce qui précède que la société Navajo disposait de tous les éléments nécessaires pour exercer ses droits à la défense et n'a été privée d'aucune garantie. Par suite, elle n'est pas fondée, en l'absence de toute irrégularité, à demander la décharge de l'imposition en litige en application de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

7. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5 notamment (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.

8. Il résulte de l'instruction que la société Navajo, M. A..., son associé unique, et la société Jean-Claude Camus Productions, ont créé le 25 octobre 2007, à hauteur respective de 79 %, 1 % et 20 % de ses parts, une société en participation (SEP) dénommée " Johnny D... - M'arrêter là ", dont l'objet était de produire une série de spectacles de l'artiste en 2009 et 2010. La société Navajo s'engageait à mettre à disposition de la SEP des droits incorporels de l'artiste relatifs à cette tournée et la société Jean-Claude Camus Productions était chargée de souscrire à son nom l'ensemble des conventions nécessaires à sa bonne exécution. Cette société a ainsi souscrit à son nom, auprès d'un ensemble d'assureurs, une police d'assurance couvrant la SEP des conséquences financières d'une éventuelle annulation des concerts, notamment dans l'hypothèse de l'indisponibilité de l'artiste. A partir du 7 décembre 2009, M. A... a été hospitalisé et son indisponibilité en raison de son état de santé a entraîné l'annulation des concerts qui devaient se dérouler à compter du 8 janvier 2010. Le préjudice a été établi, à l'issue d'une évaluation des dommages avec des experts mandatés par les assureurs, à la somme de 6 592 306 euros, qui a été prise en charge par les assureurs, à l'exception de deux d'entre eux qui ont refusé d'indemniser un montant de 2 043 611,67 euros. La société Jean-Claude Camus Productions a engagé des procédures judiciaires à l'encontre de ces assureurs à la fin de l'année 2009, poursuivies en 2010 et 2011. Une expertise judiciaire, portant notamment sur les conditions d'une opération chirurgicale subie par M. A... le 26 novembre 2009 dans une clinique à Paris, a également été diligentée.

9. La société Navajo, M. A... et la société Jean-Claude Camus Productions ont toutefois conclu un protocole d'accord transactionnel le 1er février 2012, selon lequel " pour des raisons qu'ils n'entendent pas exprimer dans le présent protocole, la société Navajo et M. B... D... ne souhaitent pas entreprendre immédiatement une procédure en recouvrement des sommes dues à l'encontre des compagnies d'assurances défaillantes ". Ce protocole stipule que " Monsieur B... D... intervient en qualité d'associé de la SEP mais également pour procéder à tout paiement au lieu et place de la société Navajo, que cette dernière consentirait à octroyer, dans le cadre du présent protocole, à la société Jean-Claude Camus Productions afin de terminer le différend qui les oppose ", différend sur la stratégie judiciaire pour recouvrer les sommes dues " ayant pour conséquence de priver la société Jean-Claude Camus Productions de la possibilité d'agir pour récupérer la quote-part d'indemnisation devant lui revenir sur le solde de l'indemnité non perçue par les assureurs ". Afin de régler ce différend, le protocole stipule une indemnité compensatoire au profit de la société Jean-Claude Camus Productions, en précisant que " M. B... D... s'engage pour le compte de la société Navajo à régler à la société Jean-Claude Camus Productions une somme, globale, forfaitaire et définitive de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts compensatoires de la perte de chance de recouvrer la part d'indemnité restant due par les sociétés " d'assurance qui ont refusé une indemnisation. Au cours de la vérification de comptabilité dont la société Navajo a fait l'objet, le vérificateur a constaté que la société a comptabilisé une provision pour risque d'un montant de 1 300 000 euros le 31 décembre 2011. Elle a exposé qu'une partie de cette somme, à hauteur de 300 000 euros, était justifiée par les faits précédemment décrits, en vue de l'indemnisation du préjudice subi par la société Jean-Claude Camus Productions. L'administration a remis en cause cette provision au motif qu'elle n'était pas justifiée dans son principe.

10. La société Navajo soutient que la provision pour risque de 300 000 euros comptabilisée le 31 décembre 2011 était justifiée dans son principe et son montant à la clôture de l'exercice 2011, conformément au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, du fait du litige avec la société Jean-Claude Camus Productions qui a donné lieu au versement d'une indemnité de ce montant effectué pour le compte de la société Navajo par M. A..., en exécution de l'accord transactionnel du 1er février 2012. Elle fait ainsi valoir que l'indemnité à pour cause la rupture de son engagement envers la société Jean-Claude Camus Productions de mise à disposition de la SEP " Johnny Halliday - M'arrêter là " des droits incorporels de l'artiste pour la réalisation de la tournée et qu'elle était débitrice de cette indemnité, sans qu'ait d'incidence son versement par M. A....

11. Il résulte toutefois des termes mêmes du protocole transactionnel que l'indemnité n'a pas la cause invoquée par la société Navajo, mais fait suite à un différend sur la stratégie judiciaire privant la société Jean-Claude Camus Productions de la possibilité d'agir pour récupérer la quote-part d'indemnisation devant lui revenir sur le solde de l'indemnité non perçue des assureurs, l'engagement d'indemnisation étant pris par M. A... au lieu et place de la société Navajo, excluant ainsi tout risque de paiement par cette société. En outre, aucun élément n'est produit de nature à justifier l'existence d'un litige avec la société Jean-Claude Camus Productions quant à la mise à disposition des droits incorporels de l'artiste ou quant aux conséquences d'un refus d'agir en vue de récupérer le solde de l'indemnité non perçue des assureurs devant revenir à cette société, dont la société Navajo aurait probablement dû prendre en charge les conséquences à la clôture de l'exercice 2011. Dans ces conditions, la société Navajo n'apporte pas la preuve qui lui incombe en vertu de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, dès lors qu'il est constant qu'elle n'a pas répondu dans le délai imparti à la proposition de rectification. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé que la provision en litige au titre de l'exercice clos en 2011 n'était pas justifiée et en a refusé la déduction.

Sur les pénalités :

12. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".

13. En faisant valoir que la société Navajo ne pouvait ignorer que la provision d'un montant de 300 000 euros qu'elle a comptabilisée le 31 décembre 2011 dans les conditions précédemment décrites était injustifiée en l'absence de risque et minorait indûment son résultat imposable, alors qu'il est d'ailleurs constant qu'au cours de la vérification de comptabilité, le service a pris note de la copie d'un courriel du 12 avril 2012 du gérant de la société reconnaissant que son conseil " a fait baisser l'impôt sur les sociétés " en " faisant inscrire une provision pour risques de 1 300 000 euros (qui sera reprise l'an prochain sans doute) ", l'administration établit que la société a sciemment minoré l'impôt sur les sociétés qu'elle devait. Elle justifie ainsi du bien-fondé de l'application la majoration pour manquement délibéré prévue au a) de l'article 1729 du code général des impôts.

14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en première instance, que la société Navajo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête doit dès lors être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

15. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

16. Les dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Navajo demande au titre des frais qu'elle a exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Navajo est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Navajo et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au directeur national des vérifications de situations fiscales.

Délibéré après l'audience du 27 mai 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- M. E..., président assesseur,

- Mme Marion, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juin 2021.

Le rapporteur,

F. E...Le président,

S.-L. FORMERY

La greffière,

F. DUBUY-THIAM

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

N° 19PA01919


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01919
Date de la décision : 24/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt - Contrôle fiscal.

Contributions et taxes - Règles de procédure contentieuse spéciales - Questions communes - Compétence juridictionnelle.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Bénéfices industriels et commerciaux - Détermination du bénéfice net - Provisions.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : PRADIE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-06-24;19pa01919 ?
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