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24/06/2021 | FRANCE | N°19PA01941

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 24 juin 2021, 19PA01941


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Navajo a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2008, 2009, 2010 et 2011, de la retenue à la source mise à sa charge au titre des années 2008, 2009, 2010 et du rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er octobre 2007 au 31 décembre 2009, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 142

9569-1429570 du 17 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Navajo a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2008, 2009, 2010 et 2011, de la retenue à la source mise à sa charge au titre des années 2008, 2009, 2010 et du rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er octobre 2007 au 31 décembre 2009, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1429569-1429570 du 17 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement de 147 600 euros prononcé en cours d'instance au titre du complément d'impôt sur les sociétés de l'exercice clos en 2011, ramené les pénalités appliquées aux droits issus des rectifications effectuées selon la procédure de répression des abus de droit au taux de 40 % et rejeté le surplus des conclusions des demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 14 juin 2019, le 16 mars 2020 et le 30 novembre 2020, la société Navajo, représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1429569-1429570 du 17 avril 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge demandée ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge pénal se soit prononcé sur la régularité de la production d'une pièce couverte par le secret professionnel et jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la régularité d'une procédure de visite et de saisie diligentée sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales et sur la régularité de la production de cette pièce ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Navajo soutient que :

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de l'utilisation d'une pièce couverte par le secret professionnel, a commis des erreurs de droit et a omis de statuer sur l'une de ses demandes ;

- la saisie et l'utilisation sans son accord de la note d'un avocat, qui a fondé les rectifications et est couverte par le secret professionnel, entache de nullité la procédure ;

- l'administration a méconnu l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales et son devoir de loyauté et a violé les droits de la défense, au sens de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ne mentionnant pas la nature et la consistance de l'ensemble des documents obtenus des autorités fiscales luxembourgeoises ;

- l'administration a méconnu l'article L. 57 du livre des procédures fiscales s'agissant des actes non opposables qui auraient été commis et les textes qui auraient été contournés ;

- la cession des droits incorporels de l'artiste n'est pas un montage purement artificiel ; les droits à l'image et les prestations de services sont dissociables des prestations scéniques ; l'économie du contrat n'est pas déséquilibrée ; son activité est réelle ; l'opération poursuivait un objectif économique ; l'interposition de la société Nerthus Invest n'a pas permis une économie fiscale ; la réalité économique de ses activités démontre l'absence de but exclusivement fiscal ;

- l'administration ne démontre pas l'existence d'un avantage fiscal, le débiteur de la retenue à la source ne pouvant être qualifié de contribuable ;

- le service ne fait pas référence aux objectifs d'auteurs de textes ;

- l'administration a étendu à deux contribuables distincts la procédure d'abus de droit et amalgame deux causes juridiques étrangères l'une à l'autre, sans se référer à un dispositif de faveur ; le vérificateur devait se limiter à prendre en compte les actes auxquels elle était partie, l'acquisition d'une concession temporaire de droits incorporels d'un artiste et la conclusion d'un contrat de prêt avec une société tierce, qui ne constituent pas un montage ; la cession d'un usufruit temporaire et une convention de prêt prévoyant le versement au prêteur d'intérêts fixés au taux annuel Euribor ne sont pas constitutives d'un abus de droit par fraude à la loi ; l'abus de droit ne peut résulter que de l'utilisation de dispositifs fiscaux ;

- elle n'avait pas connaissance d'un abus de droit, les actes incriminés, dont elle n'est pas l'auteur, ne lui étant pas imputables ; l'administration n'établit ainsi pas l'élément intentionnel ;

- l'abus de droit par fraude à la loi ne peut être appliqué aux conventions qui contiennent une clause générale anti-abus ;

- l'administration pouvait se placer sur le terrain de l'acte anormal de gestion et a commis un détournement de procédure ;

- en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, les honoraires de prestations juridiques étaient déductibles, l'administration ayant en outre commis une violation du secret professionnel ;

- le profit sur le Trésor n'est pas fondé ;

- en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée, l'administration ne peut pas modifier la base taxable en cas de prix anormalement bas et n'établit pas l'existence de factures fictives ou de complaisance ;

- les revenus distribués et la majoration de 40 % ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense enregistrés le 14 janvier 2020 et le 26 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Le ministre soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées par un courrier du 6 mai 2021, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la solution du litige était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des moyens tirés de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif, qui se rattachent à une cause juridique distincte de celle dont relèvent les moyens soulevés avant l'expiration du délai d'appel.

La société Navajo a présenté des observations enregistrées le 10 mai 2021, par lesquelles elle renonce au moyen tiré de l'omission d'examen d'un moyen et soutient que ses autres moyens doivent être interprétés comme dirigés contre le bien-fondé du jugement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 9 septembre 1966 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... ;

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public ;

- et les observations de Me C..., pour la société Navajo.

Une note en délibéré, enregistrée le 4 juin 2021, a été présentée pour la société Navajo.

Considérant ce qui suit :

1. La société Navajo a fait l'objet d'une première vérification de comptabilité au titre de la période du 25 octobre 2007 au 31 décembre 2009, à l'issue de laquelle une proposition de rectification du 23 décembre 2011 lui a été notifiée, une proposition de rectification du 25 septembre 2012 s'y substituant en ce qui concernent les rectifications fondées sur l'abus de droit. Elle a fait l'objet d'une seconde vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 2010 et 2011, à l'issue de laquelle une proposition de rectification du 19 novembre 2013 lui a été notifiée. Au terme de ces contrôles, elle a été assujettie à des compléments d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2008, 2009, 2010 et 2011, à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 25 octobre 2007 au 31 décembre 2009 et à la retenue à la source au titre des années 2008, 2009, 2010, assortis d'intérêts de retard et des majorations prévues au a) et au b) de l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement du 17 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement de 147 600 euros prononcé en cours d'instance s'agissant de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2011, ramené les pénalités appliquées aux droits issus des rectifications effectuées selon la procédure de répression des abus de droit au taux de 40 % et rejeté le surplus des conclusions des demandes de la société Navajo, qui fait appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 199 C du livre des procédures fiscales : " L'administration, ainsi que le contribuable dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités, peuvent faire valoir tout moyen nouveau (...) devant la cour administrative d'appel, jusqu'à la clôture de l'instruction (...) ".

3. La société Navajo, qui a renoncé au moyen tiré de l'omission d'examen d'un moyen, fait valoir que les premiers juges, outre les erreurs de droit qu'ils auraient commises, ont omis de statuer sur l'une des deux demandes qu'elle avait présentées au tribunal administratif de Paris. Elle n'a toutefois présenté ces moyens que dans son mémoire enregistré le 16 mars 2020, après l'expiration du délai d'appel, les dispositions précitées de l'article L. 199 C du livre des procédures fiscales ne s'appliquant qu'aux moyens relatifs à la procédure d'imposition, au bien-fondé de l'imposition et aux pénalités. Les moyens tirés de l'irrégularité du jugement attaqué, qui ne sont pas d'ordre public et se rattachent à une cause juridique distincte de celle dont relevaient les moyens soulevés avant l'expiration du délai d'appel, doivent dès lors être écartés comme irrecevables.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de L. 57 du livre des procédures fiscales :

4. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article ".

5. Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, afin de permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend ni du bien-fondé de ces motifs, ni des précisions apportées par l'administration sur l'origine des documents sur lesquels elle s'est fondée pour prononcer les redressements envisagés.

6. Il résulte des propositions de rectification du 25 septembre 2012 et du 19 novembre 2013 que, contrairement à ce que soutient la société Navajo, celles-ci énoncent précisément les motifs sur lesquels l'administration s'est fondée pour justifier les rectifications en matière de retenue à la source, permettant à la société Navajo de formuler ses observations de façon entièrement utile. Ainsi, les propositions de rectification mentionnent d'abord les faits constatés puis énoncent avec précision les motifs pour lesquels le service a estimé être en présence d'un montage constitutif d'un abus de droit par fraude à la loi, ainsi que les conséquences à en tirer en matière d'impôt sur les sociétés et de retenue à la source, en précisant les textes fiscaux que ce montage permettait de contourner. Les propositions de rectification sont ainsi suffisamment motivées, leur régularité ne dépendant pas du bien-fondé des motifs retenus. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales doit dès lors être écarté.

En ce qui concerne les moyens tirés du défaut d'information :

7. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 (...) Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Aux termes de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter ".

8. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en oeuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Cette obligation ne s'impose à l'administration que pour les seuls renseignements effectivement utilisés pour fonder les rectifications.

9. Il résulte des propositions de rectification qu'ont été mentionnés explicitement les renseignements obtenus des autorités fiscales luxembourgeoises dans leur réponse du 2 décembre 2011 faisant suite à la demande d'assistance administrative du 27 juin 2011, qui ont fondé les rectifications. Contrairement à ce que soutient la société Navajo, ces mentions lui permettaient de demander non seulement que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent, mais aussi l'intégralité des documents obtenus, qui sans fonder directement l'imposition, pouvaient être utiles à l'exercice des droits de la défense, ce qu'elle n'a pas fait. Dans ces conditions, la société Navajo, qui n'allègue d'ailleurs pas que certains documents ou renseignements obtenus des autorités luxembourgeoises lui auraient permis de combattre la qualification de montage artificiel des opérations en litige, n'est pas fondée à soutenir que le service, qui n'était pas tenu d'établir une liste des documents obtenus et de reproduire le contenu de l'intégralité de la réponse des autorités luxembourgeoises au stade de la proposition de rectification, aurait méconnu l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales et, en tout état de cause, l'article 47 de la charte des droits fondamentaux.

10. Par ailleurs, compte tenu de ce qui précède, la société Navajo n'est pas plus fondée à soutenir que l'administration aurait méconnu son devoir de loyauté et porté atteinte aux droits de la défense et au principe d'égalité des armes, en s'abstenant de produire la liste de toutes les pièces reçues et en n'utilisant que certaines de ces pièces.

11. Enfin, si la société Navajo soutient que le ministre mentionne en défense un droit de communication lui ayant permis d'obtenir des documents, dont les propositions de rectification ne font pas état, il résulte de l'instruction que le droit de communication ainsi mentionné a été exercé le 22 janvier 2013 auprès de la société Jean-Claude Camus Productions en vue de répondre aux observations de la société Navajo du 26 avril 2012 sur la première proposition de rectification, ainsi qu'en atteste la réponse aux observations du contribuable du 3 septembre 2013, qui mentionne précisément l'origine et la teneur des renseignements obtenus. Le société Navajo n'est dès lors pas plus fondée à soutenir que l'administration aurait méconnu l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales pour ce motif.

En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du secret professionnel :

12. Aux termes de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable : " I. Lorsque l'autorité judiciaire, saisie par l'administration fiscale, estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou de la taxe sur la valeur ajoutée en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l'administration des impôts (...) à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus et procéder à leur saisie, quel qu'en soit le support. II. Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter (...) Le procès-verbal et l'inventaire mentionnent le délai et la voie de recours. Le premier président de la cour d'appel connaît des recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie (...) ".

13. La société Navajo fait valoir qu'à l'occasion d'une procédure de visite et de saisie dont a fait l'objet la société Nerthus Invest le 2 décembre 2010 sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, une note établie par un avocat, Me B..., intitulée " note sur les aspects fiscaux liés à l'organisation de la tournée des stades de 2009 " et qui lui a été transmise par cet avocat, a été saisie, ce document étant coté 020046. Elle soutient que l'administration a irrégulièrement saisi et utilisé cette note couverte par le secret professionnel.

14. D'une part, si la note précitée, contrairement à ce qu'a soutenu le ministre, émane d'un avocat, il résulte de l'instruction, notamment de l'ordonnance du 17 mars 2020 du président de la Cour d'appel de Versailles rendue dans la cadre de la procédure de contestation des opérations de visite et de saisie initiée par M. A... et reprise par Mme A..., concluant au retrait des pièces couvertes par le secret professionnel, en particulier de la pièce enregistrée sous la cote 020046, que le juge compétent, après avoir rappelé que la confidentialité des correspondances échangées entre l'avocat et son client ne s'impose qu'au premier et non au second qui, n'étant pas tenu au secret professionnel, peut les rendre publiques, a constaté que le représentant légal de la société Navajo, seule cliente de Me B..., a volontairement transmis la note en litige à M. A..., qui n'était ni client de cet avocat s'agissant de la consultation en cause, ni représentant légal ou salarié de la société Navajo, en dévoilant ainsi son contenu à un tiers au regard de la relation entre l'avocat et sa cliente. Il a dès lors rejeté la demande tendant au retrait de la note des pièces saisies au regard des obligations de secret professionnel. Dans ces conditions, sans qu'il ne soit plus besoin de surseoir à statuer sur la régularité des opérations de visite et de saisie, le moyen tiré de l'irrégularité de la saisie de la note en litige et, par suite, de l'irrégularité de la procédure d'imposition doit être écarté. A cet égard, la société Navajo ne peut utilement faire valoir que M. A... était associé unique de la société dotée du statut d'EURL et était par ailleurs lui-même client de Me B..., dès lors que la pièce en litige a été régulièrement saisie et pouvait dès lors être régulièrement utilisée, dans la mesure où elle n'a pas été obtenue dans des conditions ultérieurement déclarées illégales par le juge compétent.

15. Par ailleurs, la société Navajo conteste également la légalité de la saisie de la pièce cotée n° 020154 qui constitue la lettre adressée par son représentant légal à M. A..., lui transmettant la note de Me B.... Toutefois, par son ordonnance du 17 mars 2020 précitée, le président de la Cour d'appel de Versailles a estimé que M. A... ne pouvait être considéré comme le client de Me B..., qui avait pour seule cliente la société Navajo, M. A... n'en étant ni représentant légal ni salarié. Ce dernier étant un tiers, le président a jugé que la lettre en cause ne pouvait bénéficier du secret professionnel et avait ainsi été régulièrement saisie. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité de la saisie de cette lettre et, par suite, de l'irrégularité de la procédure d'imposition doit également être écarté.

16. D'autre part, la société Navajo soutient qu'elle n'a pas donné son accord pour que soit utilisée la note précitée, son utilisation constituant ainsi une infraction susceptible de poursuites pénales. Toutefois, dès lors que cette pièce a été régulièrement saisie dans la cadre d'une procédure autorisée par le juge des libertés et de la détention et validée par le président de la Cour d'appel de Versailles, l'administration pouvait régulièrement l'utiliser, sans avoir à solliciter l'accord préalable de la société Navajo, ses conditions d'obtention n'étant pas illicites compte tenu de ce qui a été dit précédemment. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'administration aurait irrégulièrement utilisé un document couvert par le secret professionnel de l'avocat doit être écarté, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge répressif se soit prononcé sur la régularité de cette utilisation.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'abus de droit par fraude à la loi :

17. D'une part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles (...) ".

18. Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

19. D'autre part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges celles-ci comprenant (...) notamment : (...) 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation (...) ". Aux termes de l'article 119 bis du même code : " (...) 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source (...) lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". Aux termes du paragraphe 5 de l'article 15 de la convention franco-suisse : " Les gains provenant de l'aliénation de tous biens autres que ceux qui sont mentionnés aux paragraphes 1, 2 et 3 ne sont imposables que dans l'Etat dont le cédant est un résident ". Aux termes de l'article 11 de cette convention : " 1. Les dividendes provenant d'un Etat contractant et payés à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. 2. a) Les dividendes visés au paragraphe 1 sont aussi imposables dans l'Etat contractant d'où ils proviennent, et selon la législation de cet Etat, mais si le bénéficiaire effectif des dividendes est un résident de l'autre Etat contractant, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 15 p. cent du montant brut des dividendes ".

20. Il résulte de l'instruction que la société Navajo a été créée le 25 octobre 2007 par M. A... ayant pour nom d'artiste Johnny Halliday, son associé unique, résident fiscal suisse. Le même jour a été créée une société en participation (SEP) dénommée " Johnny Hallyday - M'arrêter là ", dont l'objet est la production des spectacles de l'artiste et dont le capital est détenu par M. A..., la société Jean-Claude Camus Productions et la société Navajo, à concurrence respective de 1 %, 20 % et 79 % des parts. Selon ses statuts, l'objet de la SEP est de produire une série de spectacles de la tournée " M'arrêter là ", l'artiste étant rémunéré de son activité d'artiste-interprète par des cachets d'un montant fixe par soirée, la société Navajo mettant à disposition les droits incorporels de l'artiste dès qu'elle en serait devenue titulaire et étant rémunérée au travers de sa quote-part de résultat social, et la société Jean-Claude Camus Productions étant en charge de la production artistique et exécutive. Par une convention de cession à titre temporaire de droits incorporels conclue le 11 décembre 2007, M. A... a cédé à la société Navajo pour une durée de 37 mois ses droits incorporels nécessaires, indépendamment de sa prestation scénique d'artiste-interprète, à la conception, à la mise en oeuvre et à la commercialisation de la tournée, pour un prix de 12 millions d'euros hors taxe, payable au terme de la tournée. Selon cette convention, qui excluait des droits cédés des éléments du patrimoine incorporel de M. A... tels que les droits afférents aux contrats phonographiques, publicitaires et de merchandising, les droits cédés à la société Navajo le sont exclusivement dans la limite et pour les besoins de la tournée et sont incessibles sauf accord de l'artiste. La créance de 12 millions d'euros a été inscrite au crédit du compte courant de M. A... dans la comptabilité de la société Navajo. Le 28 février 2009, M. A... a conclu avec la société Nerthus Invest, située au Luxembourg et qu'il détient par l'intermédiaire de la société Gedar, située au Liberia, une convention ayant pour objet de lui céder sa créance sur la société Navajo à concurrence de 6 millions d'euros. Le même jour, un contrat de prêt à hauteur de 6 millions d'euros a été accordé par M. A... à la société Nerthus Invest pour une durée de cinq ans et remboursable au terme, portant intérêts dus au 31 décembre de chaque année au taux de l'Euribor, et la société Nerthus Invest a signé avec la société Navajo un contrat de prêt accordant à cette dernière un prêt de 6 millions d'euros, de mêmes caractéristiques.

21. Après examen des pièces saisies dans le cadre de la visite domiciliaire précitée, des pièces présentées au cours des vérifications de comptabilité et des éléments obtenus auprès des autorités fiscales luxembourgeoises, plusieurs constatations ont été faites par le service. Ainsi, la SEP " M'arrêter là " a effectué des avances sur recettes au profit de la société Navajo, comptabilisées par cette dernière en produits d'exploitation, par plusieurs virements réalisés au cours de l'année 2009 pour un montant total de 10,55 millions d'euros et au cours de l'année 2010 pour un montant total de 2,55 millions d'euros. Les droits incorporels cédés à titre temporaire par M. A... ont fait l'objet d'une inscription à l'actif de la société Navajo et de la constatation d'un amortissement de 5 777 777 euros en 2008 et de 6 222 222 euros en 2009, l'amortissement des droits incorporels ayant été réduit de 37 à 27 mois afin de tenir compte de l'arrêt prématuré de la tournée " M'arrêter là " en novembre 2009. Le 30 novembre et le 21 décembre 2009, la société Navajo a opéré deux virements à la société Nerthus Invest, de 2 millions et de 91 485 d'euros, en remboursement partiel du prêt obligataire de 6 millions d'euros et à titre d'intérêts. La société Navajo a accusé des résultats fiscaux déficitaires en 2008 et en 2010 de 5 291 102 et de 553 907 euros, et des résultats fiscaux bénéficiaires en 2009 et 2011 de 774 502 euros et de 430 323 euros. Enfin, l'associé unique de la société Navajo, M. A..., a obtenu le paiement intégral de sa créance le 9 septembre 2009.

22. Au vu de ces faits, l'administration a estimé qu'elle était d'en présence d'un montage ayant pour objet, d'une part, de réduire l'imposition de la société Navajo au travers de la comptabilisation de l'amortissement des droits d'exploitation acquis à titre temporaire sur le fondement du 2° de l'article 39 du code général des impôts, et, d'autre part, au travers de la mise en place du contrat de cession temporaire des droits incorporels et des conventions de prêts et de cession de créance, de verser les bénéfices de la tournée à M. A... sous forme de remboursement de créances non imposables et non pas sous forme de dividendes, sans ainsi acquitter la retenue à la source prévue à l'article 119 bis du même code, par application du paragraphe 5 de l'article 15 de la convention franco-suisse, alors que l'article 11 de cette convention aurait dû s'appliquer. Elle en a conclu que l'interposition de la société Navajo entre la SEP et M. A... et la cession temporaire des droits incorporels de l'artiste à la société Navajo n'avaient d'autres finalités que celle de dissimuler l'appréhension en franchise d'imposition des revenus générés par la tournée et de neutraliser l'imposition de la société Navajo par la pratique des amortissements, caractérisant un abus de droit par fraude à la loi.

23. L'administration fait ainsi valoir que la cession temporaire des droits incorporels de l'artiste était artificielle, dès lors, d'une part, que ces droits sont juridiquement indissociables de la prestation scénique, et, d'autre part, qu'en l'espèce, la conclusion du contrat de cession n'est pas justifiée, les autres tournées de l'artiste ayant été réalisée au travers de sociétés sans cession de droits incorporels ni apport de ces droits à ces sociétés.

24. L'administration soutient également que la cession en litige concernait en fait les droits de l'artiste pour une tournée qu'il réalisait lui-même, dès lors que la cession était consentie à la société Navajo qu'il contrôlait, celle-ci détenant 79 % des parts de la SEP " M'arrêter là " qui exploitait la tournée de l'artiste, les droits incorporels cédés ne pouvant être exploités indépendamment de l'activité de chanteur et des prestations scéniques réalisées, leur valorisation étant ainsi intrinsèquement liés à cette activité.

25. L'administration indique par ailleurs que la cession, dont le prix était valorisé par rapport aux résultats des précédentes tournées et devait ainsi coïncider avec les recettes de la tournée revenant à M. A..., était en fait dépourvue d'intérêt économique, de substance et de portée réelle, dès lors que les droits liés à la publicité et au merchandising étaient exclus et que ces droits, limités dans leur objet et leur durée à la réalisation de la tournée, étaient incessibles par la société Navajo sans accord de l'artiste, qui, au travers du contrôle de l'ensemble des entités concernées, conservait en réalité l'entière maîtrise des droits en cause pour un montant sensiblement équivalent à la quote-part de résultat opérationnel de la SEP qui était attribuée à la société Navajo, dépourvue de moyens financiers propres, les flux de trésorerie de la SEP étant immédiatement appréhendés par cette société, sans potentiel de développement futur, et, par suite, par l'artiste, en franchise d'impôt, sous couvert du remboursement apparent d'une cession de droits.

26. L'administration fait enfin valoir, par référence à ses écritures de première instance, que la société luxembourgeoise Nerthus Invest, qui se borne à détenir les titres de deux sociétés, est dénuée de substance et de logique économique, son activité se limitant à l'encaissement de dividendes des sociétés Artistes et Promotion et Pimiento Music sans potentiel de valorisation futur, la cession partielle à cette société, détenue par M. A... au travers d'une société établie au Libéria et qui n'avait pas la capacité de financer effectivement le prêt qu'elle a consenti à la société Navajo, de la créance de celui-ci sur cette société ne constituant qu'un jeu d'écritures comptables permettant d'opacifier le montage en vue d'appréhender une partie des revenus résultant de la tournée sous le couvert du remboursement d'un emprunt par la société Navajo à la société Nerthus Invest.

27. Compte tenu des faits ainsi rappelés, l'administration apporte des éléments suffisamment précis attestant de l'intention de la société Navajo d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales, en neutralisant les recettes appréhendées par les amortissements des droits d'exploitation acquis à titre temporaire afin d'éluder l'impôt sur les sociétés et en transformant en remboursement de créance des dividendes, afin d'éluder le paiement de la retenue à la source, au travers d'une cession artificielle des droits incorporels de M. A... à une société créée à cet effet et d'emprunts contractés artificiellement par la société Navajo auprès de la société Nerthus Invest et par cette dernière auprès de M. A.... Il incombe ainsi à la société Navajo d'apporter des éléments en sens contraire, justifiant l'opération précédemment décrite par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

28. En premier lieu, la société Navajo soutient ainsi que la cession des droits incorporels n'est pas artificielle, dès lors qu'elle était prévue dans les statuts de SEP " M'arrêter là " constituée avec un tiers, la société Jean-Claude Camus Productions, qui a contracté sur la base d'une mise à disposition future de ces droits, et que les prestations prévues par la convention de cession des droits ont été exécutées. Ces éléments, qui se bornent à constater l'exécution du contrat de SEP, sont toutefois sans portée pour contester le but exclusivement fiscal des opérations précitées.

29. En deuxième lieu, la société Navajo fait valoir que l'objectif économique poursuivi avec M. A... était de coproduire un spectacle avec la société Jean-Claude Camus Productions, l'organisation juridique permettant à l'artiste d'intervenir dans les choix artistiques et de participer aux bénéfices dégagés par la tournée au travers de la SEP. Toutefois, dès lors que le litige ne porte pas sur l'artificialité de la SEP, qui n'a jamais été invoquée par le service, cette argumentation est sans portée pour justifier d'une substance économique des opérations remises en cause par l'administration.

30. En troisième lieu, la société Navajo soutient que les droits incorporels et les prestations de services mentionnés dans la convention de cession en cause étaient dissociables des prestations scéniques. Toutefois, à supposer même qu'une telle dissociabilité soit juridiquement possible, cette argumentation est sans incidence sur l'intérêt économique des opérations précédemment décrites, dès lors qu'en l'espèce, d'une part, les droits cédés sont limités dans leur objet et leur durée à la réalisation de la tournée, et, d'autre part, que le prix de la cession a été établi en vue de coïncider avec les recettes escomptées de la tournée devant revenir à M. A..., qui a conservé la maîtrise de tous ses droits, directement ou indirectement.

31. En quatrième lieu, la société Navajo soutient que l'économie du contrat n'était pas déséquilibrée, dès lors qu'elle a été créée près de deux ans avant le début de la tournée et a exercé une réelle activité et qu'elle a dégagé une marge nette globale de 14,2 % au 31 décembre 2013 générée par la cession des droits, sans même tenir compte de l'interruption de la tournée du fait d'un accident de santé de M. A.... Toutefois, ces circonstances ne contredisent pas les constatations de l'administration selon lesquelles le prix de cession a été fixé à 12 millions d'euros hors taxes, exclusivement valorisé par rapport aux résultats des précédentes tournées.

32. En cinquième lieu, la société Navajo fait valoir que sa création n'a pas un but exclusivement fiscal compte tenu de son activité, dès lors qu'elle a participé aux négociations avec les assureurs à la suite de l'annulation des concerts, qu'elle disposait de statuts réguliers et était dirigée par un tiers, qu'elle a procédé à une augmentation de capital et a acquis et comptabilisé des valeurs mobilières, qu'elle a conclu une convention de prêt, qu'elle a remboursé, adossée à une cession de créance, qu'elle a exposé des charges et qu'elle a été partie à des conventions conclues avec des tiers. Toutefois, à supposer que ces éléments établissent que la société Navajo a eu par ailleurs une activité, alors que le ministre fait au demeurant valoir sans être contredit que la société Navajo n'avait aucun potentiel de développement futur, ils sont sans portée pour justifier d'une substance économique du montage précédemment décrit.

33. En sixième lieu, la société Navajo soutient que le contrat lui a permis de mobiliser des avances de trésorerie auprès d'une banque, à la suite d'un accord de découvert bancaire garanti par une délégation de paiement de ses droits sur la SEP, justifiant d'une trésorerie équilibrée et d'une épargne en 2009 qui établissent sa substance. Le ministre fait toutefois valoir sans être contredit que les avances de trésorerie n'ont été accordées que par la constitution d'une garantie à première demande accordée par M. A... et non pas au regard du contrat de cession et que la situation financière évoquée en 2009 est une analyse ponctuelle sans portée, la société Navajo ayant été en déficit dès le 12 janvier 2010 après avoir effectué un virement au profit de la société Nerthus Invest.

34. En septième lieu, la société Navajo soutient que la cession de créance au profit de la société Nerthus Invest le 10 avril 2009 lui a permis de conclure une convention de prêt avec cette société lui offrant une sécurité financière. Toutefois, dès lors que l'ensemble des structures est contrôlé par la même personne physique, l'intérêt économique ou financier du montage précédemment décrit, notamment la conclusion du contrat de prêt et la cession de créance, ne résulte pas de ces éléments.

35. En huitième lieu, la société Navajo soutient que l'interposition de la société Nerthus Invest étant sans influence sur l'économie fiscale alléguée, le débat sur la substance de cette société est dépourvu de portée. Ce faisant, alors même que l'absence de substance de cette société n'est pas indispensable à la qualification du montage artificiel, la société Navajo ne conteste pas utilement les éléments du montage précédemment décrits relatifs à l'intervention de cette société luxembourgeoise, également détenue indirectement par la même personne physique caractérisant un montage financier fermé sans substance économique.

36. Dans ces conditions, la société Navajo n'apporte aucun élément de nature à justifier que les opérations précédemment décrites auraient un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. L'administration apporte ainsi la preuve de l'existence d'une succession d'opérations sans intérêt ni substance économique mais poursuivant un but exclusivement fiscal, dont la combinaison a permis à la société Navajo de bénéficier artificiellement de la déduction des amortissements prévue par le 2 de l'article 39 du code général des impôts et d'éluder le paiement de la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du même code au taux stipulé à l'article 11 de la convention franco-suisse, en entrant artificiellement dans le champ d'application de l'article 15 de cette convention, les auteurs de ces textes de droit national et de cette convention ne pouvant être regardés comme ayant entendu en faire bénéficier les situations procédant de montages artificiels dépourvus de toute substance économique, et, par suite, de l'existence d'un abus de droit par fraude à la loi au sens des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

37. A cet égard, la société Navajo n'est pas fondée à soutenir qu'elle est seulement payeur de la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du code général des impôts et n'a pas la qualité de contribuable, dès lors qu'elle est bien un contribuable susceptible de faire l'objet d'une procédure d'imposition et que le paiement de la retenue à la source constitue une charge fiscale qu'elle aurait normalement dû supporter eu égard à sa situation réelle, charge qu'elle a éludée du fait de la mise en place du montage précédemment décrit, la cession d'un usufruit temporaire et une convention de prêt prévoyant le versement au prêteur d'intérêts fixés au taux annuel Euribor ne pouvant être par principe exclues de la notion de montage artificiel.

38. Par ailleurs, la société Navajo n'est pas plus fondée à soutenir que l'administration aurait étendu à deux contribuables distincts le champ d'application de la procédure d'abus de droit et amalgamé deux causes juridiques étrangères l'une à l'autre, le 2° du 1 de l'article 39 du code général des impôts et les articles 11 et 15 de la convention franco-suisse, sans se référer à un dispositif fiscal de faveur, dès lors que l'objet de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales est de replacer le contribuable dans sa situation réelle s'il n'avait pas eu recours à un montage lui permettant d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales. Or, dès lors que l'existence d'un montage ayant un but exclusivement fiscal est démontrée, l'administration s'est bornée à replacer la société Navajo, qui est le contribuable visé par la présente procédure et l'auteur de l'acquisition des droits incorporels et de la conclusion du contrat de prêt, dans la situation qui aurait été la sienne sans ce montage au regard de l'impôt sur les sociétés et de la retenue à la source, chacun relevant de dispositions différentes, quand bien même ce montage, dont la société Navajo, contrôlée par la même personne physique que les autres personnes morales intervenant dans ce montage et qui ne saurait ainsi sérieusement soutenir qu'elle ignorait l'existence des actes qualifiés d'abusifs, n'en a pas eu l'initiative principale et n'en est pas le bénéficiaire principal, ce qui ne fait pas obstacle à ce qu'elle soit replacée dans sa situation réelle sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

39. En outre, la société Navajo n'est pas fondée à soutenir, compte tenu de ce qui précède, que l'administration aurait méconnu le " caractère subsidiaire de la procédure de répression de l'abus de droit " et aurait pu se fonder sur l'acte anormal de gestion, en l'absence d'autre texte qui permettant de remettre en cause le montage précité, et aurait commis un détournement de procédure.

40. Enfin, la société Navajo soutient que la procédure de répression de l'abus de droit ne peut être appliquée aux conventions qui contiennent une clause générale anti-abus, telle que celle prévue à l'article 14 de la convention franco-suisse, aux termes duquel : " 1. Lorsqu'un résident d'un Etat contractant reçoit un élément de revenu provenant de l'autre Etat contractant et reverse, directement ou indirectement, à un moment et sous une forme quelconques, la moitié au moins de ce revenu à une personne ou une entité qui n'est pas un résident de cet autre Etat contractant, cet élément de revenu ne peut bénéficier des avantages de la présente convention (...) ". Toutefois, ces stipulations sont en l'espèce et en tout état de cause dépourvues de portée utile, dès lors qu'elles résultent de l'avenant à la convention entre la France et la Suisse, signé le 27 août 2009, entré en vigueur le 4 novembre 2010 et applicable aux revenus afférents à toute année civile ou à tout exercice commençant à compter du 1er janvier 2011, soit postérieurement aux années en litige. De surcroît, ainsi que le mentionne son titre, cet article vise le cas des personnes morales recevant des dividendes, intérêts et redevances par personne interposée, ce qui ne couvre pas le montage en litige en matière de retenue à la source, consistant à dissimuler des dividendes soumis à une retenue à la source au taux de 15 % sous couvert de remboursements de créances non imposables. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'existence d'une clause anti-abus faisant obstacle à ce que les rectifications en matière de retenue à la source soient fondée sur l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

41. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis.

42. Il résulte de la proposition de rectification du 23 décembre 2011 que le service a constaté que la société Navajo a comptabilisé en charges déductibles au titre des exercices 2008 et 2009 des notes d'honoraires facturés par le cabinet Belnet, bureau d'études fiscales et juridiques, et par la société d'avocats Moisand B... et Associés, pour des montants totaux de 86 920 euros hors taxes et de 86 686 euros hors taxes. Estimant que ces charges étaient disproportionnées par rapport au chiffre d'affaires déclaré, que la société Navajo n'a pas produit de convention détaillant la nature et la consistance des prestations délivrées, que l'intérêt au regard de l'exploitation commerciale n'était pas établi et que des études avaient été fournies par le cabinet Belnet impliquant la société Navajo mais pour le compte de M. A... dans le cadre de sa situation fiscale personnelle, ainsi qu'il ressortait d'études juridiques saisies dans le cadre de la procédure de visite domiciliaire concernant la mise en place de montages fiscaux, il en a conclu que ces dépenses n'avaient pas été exposées dans l'intérêt de la société Navajo et les a dès lors réintégrées.

43. Face aux éléments avancés par le service, la société Navajo fait valoir que si la nature de son activité impliquait la réalisation d'un chiffre d'affaires limité, elle nécessitait toutefois de s'entourer de conseils, que le cabinet Belnet lui a effectivement rendu des services et que les prestations effectuées par le cabinet Moisand B... en faveur de M. A... lui étaient facturées directement. Toutefois, alors que l'administration a admis la déduction de certaines prestations facturées, les arguments ainsi avancés ne permettent pas d'expliquer la réalité et la valeur des prestations fournies, disproportionnées par rapport au chiffre d'affaires déclaré et ne reposant pas sur une convention en détaillant la nature et ne combattent pas utilement les constatations du service quant à la portée des pièces saisies s'agissant des prestations fournies par le cabinet Belnet. A cet égard, dès lors que la saisie des pièces précitées n'a pas été déclarée ultérieurement illégale par le juge compétent, la société Navajo n'est pas fondée à soutenir que cette saisie et l'utilisation des pièces ainsi obtenues pour fonder les rectifications serait illégale. Par ailleurs, il ne résulte pas des termes de la proposition de rectification mentionnée par la requérante que l'administration aurait irrégulièrement consulté des pièces établies par la cabinet Moisand B... couvertes par le secret professionnel pour fonder la rectification en litige.

44. Dans ces conditions, la société Navajo n'est pas fondée à contester la remise en cause par le service de la déductibilité des charges en litige, la proposition de rectification étant suffisamment motivée, notamment en ce qui concerne les trois factures établies par le cabinet Moisand B... qui sont précisément identifiées, la société Navajo n'apportant par ailleurs aucun élément probant à l'appui de ses allégations selon lesquelles elle aurait été privée de débat oral et contradictoire sur ce chef de rectification.

En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :

45. Aux termes du 1 du II de l'article 271 du code général des impôts qui prévoient que la taxe sur la valeur ajoutée est déductible par les redevables " dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables ".

46. Il résulte de la proposition de rectification du 23 décembre 2011 que le service a remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur les factures d'honoraires du cabinet Belnet et du cabinet Moisand B... précitées, pour des montants de 17 036 euros en 2008 et de 16 990 euros en 2009, en se fondant sur les dispositions du 1 du II de l'article 271 du code général des impôts. Pour les mêmes motifs que ceux précédemment cités, l'administration établit que les prestations mentionnées sur les factures en litige n'ont pas été utilisées pour les besoins des opérations imposables de la société Navajo. La rectification est ainsi bien fondée, la requérante ne pouvant utilement soutenir que l'administration ne peut pas modifier la base taxable en cas de prix anormalement bas et n'établit pas l'existence de factures fictives ou de complaisance, dès lors que cette rectification n'est pas fondée sur ces motifs.

47. Par ailleurs, la société Navajo conteste la rectification en matière de profit sur le Trésor en conséquence de la remise en cause du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur les factures précitées. Pour les motifs précédemment cités, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne les revenus distribués correspondant aux charges réintégrées :

48. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes (...) ".

49. La société Navajo conteste la retenue à la source appliquée aux sommes correspondant aux prestations facturées hors taxes par le cabinet Belnet et le cabinet Moisand B... précédemment citées, regardées comme des revenus distribués à M. A..., imposables entre ses mains sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts, la société Navajo étant, compte tenu de la résidence fiscale en Suisse de l'intéressé, redevable de la retenue à la source mentionnée au 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, au taux de 15% prévu au 2 de l'article 11 de la convention franco-suisse. Dès lors que la société Navajo se borne à soutenir que la rectification est contestée par les mêmes motifs qu'en matière d'impôt sur les sociétés, le moyen doit être écarté par voie de conséquence de ce qui a été dit précédemment.

Sur les pénalités :

50. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ; b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; elle est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire (...) ".

51. D'une part, la société Navajo conteste la majoration de 40 % maintenue à sa charge par le tribunal sur le fondement du b) de l'article 1729 par voie de conséquence de ses moyens en matière de bien-fondé. Compte tenu de ce qui précède, le moyen doit ainsi être écarté.

52. D'autre part, pour justifier la majoration de 40 % pour manquement délibéré appliquée aux rehaussements afférents aux factures du cabinet Belnet et du cabinet Moisand B... précitées, le service s'est fondé sur l'absence d'intérêt pour la société Navajo de prendre en charge ces dépenses, alors qu'elle ne pouvait ignorer que les charges en cause n'avait pas été exposées dans son intérêt, caractérisant un acte anormal de gestion, qu'elles étaient disproportionnées et qu'elles correspondaient en réalité à des prestations effectuées au profit de son associé à titre personnel. Dans la mesure où, ainsi qu'il a été dit précédemment, ces éléments sont établis, l'administration apporte la preuve des manquements délibérés et, par suite, justifie du bien-fondé de l'application de la majoration prévue au a) de l'article 1729 du code général des impôts.

53. Il résulte de tout ce qui précède que la société Navajo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes. Sa requête doit dès lors être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

54. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

55. Les dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Navajo demande au titre des frais qu'elle a exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Navajo est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité Navajo et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au directeur national des vérifications de situations fiscales.

Délibéré après l'audience du 27 mai 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- M. D..., président assesseur,

- Mme Marion, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juin 2021.

Le rapporteur,

F. D...Le président,

S.-L. FORMERY

La greffière,

F. DUBUY-THIAMLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

16

N° 19PA01941


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01941
Date de la décision : 24/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt - Contrôle fiscal.

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt - Abus de droit et fraude à la loi.

Contributions et taxes - Règles de procédure contentieuse spéciales - Questions communes - Compétence juridictionnelle.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : PRADIE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-06-24;19pa01941 ?
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