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12/05/2022 | FRANCE | N°21PA04931

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 12 mai 2022, 21PA04931


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Belloy et la société Axa France, en sa qualité d'assureur subrogé dans les droits de la société Belloy, ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à verser à la société Axa France la somme de 21 569,81 euros, et à la société Belloy la somme de 727,38 euros, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2019 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices que la société Belloy estime avoir subis du fait des dommages occas

ionnés par des manifestants à un local dont elle est propriétaire, le 1er décembre 2018.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Belloy et la société Axa France, en sa qualité d'assureur subrogé dans les droits de la société Belloy, ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à verser à la société Axa France la somme de 21 569,81 euros, et à la société Belloy la somme de 727,38 euros, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2019 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices que la société Belloy estime avoir subis du fait des dommages occasionnés par des manifestants à un local dont elle est propriétaire, le 1er décembre 2018.

Par un jugement n° 1923133/3-1 du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2021, les sociétés Axa France et Belloy, représentées par Me Phelip, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à verser la somme de 21 569,81 euros à la société Axa ainsi que la somme de 727,38 euros à la société Belloy, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2019 et de la capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la responsabilité sans faute de l'Etat doit être engagée dès lors que les dégradations commises sont le fait d'un attroupement ou d'un rassemblement au sens des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ;

- en tout état de cause, les désordres constatés n'ont pu être causés qu'en raison d'une carence de l'Etat qui n'a pas mis en œuvre les moyens nécessaires pour les prévenir.

La requête a été communiquée au préfet de police qui n'a pas produit de mémoire en défense.

L'instruction a été close le 2 mars 2022 par une ordonnance du 15 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Le 1er décembre 2018 s'est déroulée une manifestation des " Gilets Jaunes ", à l'occasion de laquelle le local de la société Belloy, situé sis 37, avenue Kleber (75008) a subi plusieurs dégradations matérielles. La société Belloy et la société Axa France, agissant en qualité d'assureur subrogé dans les droits de la société Belloy, ont saisi le tribunal administratif d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 21 569,81 euros et de 727,38 euros, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2019 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices que la société Belloy estime avoir subis du fait des dommages occasionnés par les manifestants réunis le 1er décembre 2018. Par un jugement du

15 juillet 2021, dont les sociétés requérantes demandent l'annulation, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (...) ".

3. Pour rejeter la demande présentée par les sociétés Belloy et Axa France tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement des dispositions susvisées, le tribunal administratif de Paris a jugé que s'il était établi que les dommages avaient été commis à l'occasion de la manifestation du 1er décembre 2018, le mode opératoire et les moyens utilisés par les auteurs des dégradations, et en particulier l'usage d'une disqueuse, mais également leur ampleur ainsi que la circonstance que ces auteurs aient pris part à plusieurs actions violentes, était de nature à établir que ces dégradations étaient imputables à des " casseurs " animés par la seule intention de commettre des délits. Toutefois, selon les déclarations du gérant, retranscrites dans le procès-verbal de plainte, selon lesquelles des manifestants étaient amassés devant le café de la rue, les dégâts ont été commis concomitamment au passage de ces manifestants. En outre, l'utilisation d'une disqueuse ne permet pas d'établir avec certitude que les auteurs des dégradations auraient été animés d'une intention purement délictuelle dès lors qu'il ressort du procès-verbal d'ambiance que des manifestants étaient parvenus, plus tôt dans la journée, à faire démarrer une pelleteuse, en profitant de la présence de travaux à proximité de la brasserie de la société Belloy et dont pourrait provenir la disqueuse, excluant ainsi toute organisation ou préméditation. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la manifestation du 1er décembre 2018 a eu un caractère particulièrement violent, en particulier aux alentours de 17 heures, où de nombreux heurts ont été recensés dans le procès-verbal d'ambiance, avec notamment des véhicules et des barricades en feu mais également des vitrines cassées et des enseignes pillées. Ainsi, ces éléments ne permettent pas de considérer que les dommages causés au local de la société Belloy auraient eu un caractère isolé, ni qu'ils auraient été le fait d'individus sans lien avec les manifestants réunis ce jour-là. Par suite, et dès lors que les dégradations commises s'inscrivent dans le prolongement du rassemblement constitué à l'occasion de la manifestation du 1er décembre 2018, la responsabilité sans faute de l'Etat doit être engagée sur les fondements des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

4. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Belloy et Axa France sont fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leur demande. Il y a lieu pour la Cour de statuer sur le surplus de la requête par l'effet dévolutif de l'appel.

Sur les préjudices indemnisables :

5. En premier lieu, il ressort du rapport d'expertise établi par la société Eurexo le

17 décembre 2018 que les dégradations causées sur l'établissement de la société Belloy ont été évalués à 21 569,81 euros, vétusté et franchise contractuelle déduites. Il y a lieu, par suite, d'indemniser la société Axa France, subrogée dans les droits de la société Belloy, à hauteur de ce montant.

6. En second lieu, si la société Belloy sollicite le remboursement de l'abattement de vétusté des biens endommagés, cette demande ne présente aucun lien direct avec les dégradations commises à l'occasion de la manifestation du 1er décembre 2018 et ne peut, par suite, qu'être rejetée.

En revanche, la société Belloy est fondée à demander le remboursement de la franchise contractuelle laissée à sa charge, qui s'élève à 452,88 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

7. Les sociétés Belloy et Axa France ont droit aux intérêts au taux légal des sommes qui lui sont dues à compter du 28 mai 2019, date de la réception par le préfet de police de la réclamation préalable formée par ces sociétés. Conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à leur demande de capitalisation à compter du 28 mai 2020 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 750 euros à chacune des sociétés Belloy et Axa France en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 15 juillet 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à la société Axa France une indemnité d'un montant 21 569,81 euros et à la société Belloy une indemnité de 452,88 euros. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2019. Les intérêts échus à la date du 28 mai 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à chacune des sociétés Belloy et Axa France la somme de 750 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Belloy et Axa France et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 22 avril 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Briançon, présidente assesseure,

- Mme Portes, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mai 2022.

La présidente-rapporteure,

M. A...La présidente-assesseure,

C. BRIANÇON

La greffière,

V. BREME La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21PA04931


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04931
Date de la décision : 12/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Mireille HEERS
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : SELARL PHELIP et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-05-12;21pa04931 ?
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