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21/10/2022 | FRANCE | N°21PA02875

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 21 octobre 2022, 21PA02875


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) " Rock Hair Cut ", l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Laurence B..., et M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer, en ce qui concerne les deux sociétés, la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elles ont été assujetties au titre des exercices clos le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2014, ainsi que des rappels de

taxe sur la valeur ajoutée qui leur ont été réclamés pour la période du 1er janvie...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) " Rock Hair Cut ", l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Laurence B..., et M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer, en ce qui concerne les deux sociétés, la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elles ont été assujetties au titre des exercices clos le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2014, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui leur ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 et, en ce qui concerne M. et Mme B..., la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement nos 1904257, 1904259, 1905057 du 30 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et un mémoire enregistrés le 28 mai et le 8 décembre 2021, la société Rock Hair Cut, représentée par Me Crest, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 30 mars 2021 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2014, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires utilisée par l'administration fiscale est fondée sur les temps de travail pour chaque prestation de coiffure déterminés à partir des déclarations de la gérante de la société, Mme B..., qui correspondent aux temps de travail d'une coiffeuse expérimentée mais pas aux temps de travail réels des coiffeurs de la société, qui sont plus importants ;

- la méthode alternative qu'elle propose, reposant sur les doses de shampooing utilisées, démontre le caractère exagéré des chiffres retenus par l'administration.

Par un mémoire enregistré le 16 septembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête de la société Rock Hair Cut.

Il soutient que :

- les conclusions tendant à la décharge des rappels de TVA sont irrecevables, à défaut pour la requête d'être motivée sur ce point ;

- aucun des moyens soulevés par la société Rock Hair Cut n'est fondé.

II. Par une requête et un mémoire enregistrés le 28 mai et le 8 décembre 2021, la société Laurence B..., représentée par Me Crest, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 30 mars 2021 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2014, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires utilisée par l'administration fiscale est fondée sur les temps de travail pour chaque prestation de coiffure, déterminés à partir des déclarations de la gérante de la société, Mme B..., qui correspondent aux temps de travail d'une coiffeuse expérimentée mais pas aux temps de travail réels des coiffeurs de la société, qui sont plus importants ;

- la méthode alternative qu'elle propose, reposant sur les doses de shampooing utilisées, démontre le caractère exagéré des chiffres retenus par l'administration.

Par un mémoire enregistré le 16 septembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête de la société Laurence B....

Il soutient que :

- les conclusions tendant à la décharge des rappels de TVA sont irrecevables, à défaut pour la requête d'être motivée sur ce point ;

- aucun des moyens soulevés par la société Laurence B... n'est fondé.

III. Par une requête et un mémoire enregistrés les 28 mai et 8 décembre 2021, M. A... B... et Mme D... B..., représentés par Me Crest, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 30 mars 2021 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que la reconstitution du chiffre d'affaires des sociétés Rock Hair Cut et Laurence B... effectuée par l'administration, si elle n'est pas sommaire, est à tout le moins viciée et ne saurait servir de fondement à des distributions imposables à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales à leurs noms.

Par un mémoire enregistré le 16 septembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête de M. et Mme B....

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. et Mme B... n'est fondé.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique,

- et les observations de Me Crest, pour la société Rock Hair Cut, la société Laurence B... et Mme B..., cette dernière agissant en son nom propre et en sa qualité d'ayant-droit de M. B..., décédé le 24 août 2022.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée à associé unique (SASU) " Rock Hair Cut ", alors constituée sous la forme d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) et l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Laurence B..., exploitée sous l'enseigne commerciale " A la tête du client ", exercent une activité de salon de coiffure dans le 10ème arrondissement de Paris. Ces sociétés ont fait l'objet de vérifications de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, à l'issue desquelles l'administration fiscale les a assujetties, selon la procédure de rectification contradictoire, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2014 ainsi qu'à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. M. A... B..., associé unique de la société Rock Hair Cut, et son épouse Mme D... B..., associée unique et gérante de la société Laurence B..., par ailleurs gérante de la société Rock Hair Cut, ont été regardés par l'administration comme bénéficiaires des distributions correspondant aux rehaussements des bénéfices de ces deux sociétés, sur le fondement du 1° et du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. En conséquence de ces rectifications, M. et Mme B... ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, au titre des années 2013 et 2014, ainsi qu'à majorations de 40 %, au titre de l'article 1729 du code général des impôts, pour un montant total de 806 636 euros. Par trois requêtes enregistrées sous les nos 21PA02873, 21PA02874 et 21PA02875, la société Rock Hair Cut, la société Laurence B... et M. et Mme B... demandent à la Cour d'annuler le jugement du 30 mars 2021 par lequel le tribunal a rejeté leurs demandes tendant à la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires mises à leur charge.

2. Les requêtes susvisées nos 21PA02873, 21PA02874 et 21PA02875 présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n° 21PA02873 de la société Rock Hair Cut :

En ce qui concerne la charge de la preuve :

3. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission (...) ".

4. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, d'une part, l'administration a écarté la comptabilité de la société Rock Hair Cut au motif qu'elle présentait de graves irrégularités et que, d'autre part, la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui s'est réunie le 19 juin 2017, a confirmé les rehaussements et rappels en litige à la condition de retenir un " temps de travail non productif " du personnel de 30 % au lieu de 25 %. Il n'est pas contesté que l'administration a tenu compte des observations de la commission en diminuant le montant des rehaussements et rappels notifiés. Ainsi, les impositions litigieuses doivent être regardées comme ayant été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires. Il suit de là et n'est d'ailleurs plus contesté en appel que la société Rock Hair Cut supporte la charge de démontrer l'exagération de ces impositions.

En ce qui concerne la reconstitution des recettes :

5. Le contribuable à qui incombe la charge de prouver l'exagération de l'évaluation faite par l'administration fiscale peut, s'il n'est pas en mesure d'établir le montant exact de ses résultats en s'appuyant sur une comptabilité régulière et probante, soit critiquer la méthode d'évaluation que l'administration a suivie en vue de démontrer que cette méthode aboutit, au moins sur certains points et pour un certain montant, à une exagération des bases d'imposition, soit encore, aux mêmes fins, soumettre à l'appréciation du juge une nouvelle méthode d'évaluation permettant de déterminer les bases d'imposition avec une précision meilleure que celle qui pouvait être atteinte par la méthode primitivement utilisée par l'administration.

6. La société Rock Hair Cut, qui ne peut pas se fonder sur sa comptabilité qui est, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, dépourvue de valeur probante, critique la méthode de reconstitution de son chiffre d'affaire retenue par le service, en faisant valoir qu'elle conduit à un résultat exagéré, et propose une méthode alternative qu'elle estime plus précise, fondée sur les doses de shampooing consommées au cours des exercices vérifiés.

S'agissant de la méthode de reconstitution utilisée par le service :

7. Il résulte de l'instruction que, pour procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de la société Rock Hair Cut au titre des années contrôlées, la vérificatrice a, dans un premier temps, procédé à l'analyse des fiches clients portant sur les périodes du 2 au 30 avril 2013 et du 1er au 31 octobre 2013 puis sur celles du 1er au 31 mars 2014 et du 1er au 31 juillet 2014, afin de déterminer le nombre moyen de prestations réalisées au cours de chacune de ces périodes et les recettes correspondantes, après avoir écarté les fiches dont les renseignements ne permettaient pas d'établir avec certitude la nature de la prestation. Dans un second temps, après avoir déterminé contradictoirement avec la gérante la durée moyenne de chaque prestation proposée par le salon, elle a calculé le temps de travail total pour chaque période de l'échantillon et en a déduit un coefficient multiplicateur, en rapportant ce temps de travail au chiffre d'affaires réalisé au cours de la période. Pour obtenir le chiffre d'affaires imposable au titre de chacune des deux années vérifiées, le service a appliqué ce coefficient multiplicateur à la durée totale de travail du personnel sur l'année, à partir des données de déclarations sociales déposées par l'entreprise. Enfin, pour tenir compte des temps non productifs des coiffeurs au cours de la journée de travail, un abattement finalement fixé à 30 %, suivant l'avis de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires, a été appliqué sur la durée totale du travail.

8. La société Rock Hair Cut conteste les durées moyennes retenues pour les différentes prestations proposées par son salon, qui seraient selon elles inférieures aux durées réellement pratiquées, ce qui conduirait à une majoration du coefficient multiplicateur et à un chiffre d'affaires reconstitué trop important. A ce titre, après avoir soutenu, devant les premiers juges, que la vérificatrice se serait bornée à appliquer des moyennes nationales tirées de monographies professionnelles, sans tenir compte des éléments propres à l'entreprise, la société fait désormais valoir que ces temps de travail, dont l'administration indique qu'ils sont ceux qui lui ont été communiqués par la gérante, Mme B..., lors des opérations de contrôle, sont des temps pratiqués par cette dernière, en tant que coiffeuse expérimentée, qui ne correspondent pas à ceux réalisés par les salariés du salon de coiffure.

9. Toutefois, d'une part, ainsi que le tribunal l'a relevé au point 24 de son jugement, la méthode utilisée par l'administration repose sur les données, propres au salon, qui lui ont été communiquées par la gérante, concernant les tarifs et la durée des prestations. Ni les attestations de la gérante et de plusieurs salariés de la société, produites devant les premiers juges, ni les constats d'huissier de justice établis le 28 avril 2021, reprenant les temps de travail pour plusieurs prestations effectuées par différents coiffeurs, et les attestations de plusieurs coiffeurs, datées du mois d'août 2016, indiquant leurs temps de travail, établis postérieurement aux opérations de contrôle et produits pour la première fois en appel, ne permettent d'établir, eu égard à leur caractère imprécis et lacunaire et en l'absence de toute explication sur les temps de travail qui y sont mentionnés, que les temps de travail communiqués par Mme B... lors des opérations de contrôle et à partir desquels l'administration a reconstitué les recettes de la société correspondraient à des temps de travail minimum et non pas à des temps de travail moyens. Par suite, la société Rock Hair Cut n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'exagération des bases d'impositions résultant de la méthode de reconstitution utilisées par l'administration fiscale.

S'agissant de la méthode de reconstitution proposée par la société Rock Hair Cut :

10. La société Rock Hair Cut oppose au service une méthode alternative de reconstitution de son chiffre d'affaires, fondée sur les doses de shampooings consommées au cours des exercices vérifiés. Les chiffres d'affaires reconstitués ont été calculés à partir, d'une part, d'un prix moyen unitaire d'une prestation avec shampoing, déterminé à partir de l'échantillon utilisé par le service et, d'autre part du nombre de shampoings effectués, lui-même déterminé à partir des quantités de shampoing consommées par prestation.

11. Toutefois, la méthode ainsi proposée s'appuie, notamment, sur les hypothèses selon lesquelles, d'une part, aucun shampoing n'est effectué s'agissant des prestations " frange ", " soins " et plus généralement de toutes les prestations inférieures à 25 euros, alors que l'administration n'avait exclu de ses calculs que les prestations d'un montant de 10 ou 15 euros, et que d'une façon générale, comme indiqué dans la proposition de rectification, les mentions qui figurent sur les " fiches clients " ne permettent pas toujours d'identifier avec précision la nature de la prestation effectuée et, d'autre part, toutes les autres prestations comprennent deux shampoings, alors que dans sa réponse du 10 mai 2016 à la demande d'information sur ce point formulée par l'administration, Mme B... a indiqué que trois shampoings étaient nécessaires pour les prestations incluant des " décolorations ou mèches " et une " couleur ". Les hypothèses ainsi formulées postérieurement aux opérations de contrôle, alors que l'administration soutient sans être contredite que la société n'a pas répondu aux questions relatives aux quantités de shampoing utilisées par prestations qui lui ont été adressées dans ce cadre, et qui ne ressortent pas des constats d'huissier effectués le 25 mai 2021 à la demande de la société, ne sont pas assorties de précisions ou justifications. Par ailleurs, si la société a produit les inventaires manuscrits réalisés à la fin des exercices 2012, 2013 et 2014, elle n'a en revanche pas joint les documents comptables correspondants, retraçant les variations de stock, alors, notamment, que ces inventaires ne permettent pas de connaître le nombre de shampoings à l'amande de la marque Delorme en contenant de 5 litres en stock à la fin de l'année 2012 et donc au début de l'année 2013, le chiffre retenus par la société pour effectuer ses calculs n'étant ainsi étayé par aucune pièce justificative. Enfin, les écarts entre les chiffre d'affaires déclarés et les chiffres d'affaires reconstitués obtenus par la société grâce à cette méthode ne sont pas cohérents avec ceux dont elle se prévaut à partir de la méthode de reconstitution basée sur le temps de travail des salariés. Dès lors, la société Rock Hair Cut n'établit pas que la méthode dont elle se prévaut serait susceptible de conduire à des évaluations de ses recettes plus précises que celles résultant de la méthode utilisée par le service.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense par le ministre de l'économie, des finances et de la relance s'agissant des conclusions présentées par la société Rock Hair Cut tendant à la décharge des rappels de TVA mis à sa charge, que la société Rock Hair Cut n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'annulation et de décharge doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquences, celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête n° 21PA02874 de la société Laurence B... :

En ce qui concerne la charge de la preuve :

13. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission (...) ".

14. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, d'une part, l'administration a écarté la comptabilité de la société Laurence B... au motif qu'elle présentait de graves irrégularités et que, d'autre part, la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui s'est réunie le 19 juin 2017, a confirmé les rehaussements et rappels en litige à la condition de retenir un " temps de travail non productif " du personnel de 30 % au lieu de 25 %. Il n'est pas contesté que l'administration a tenu compte des observations de la commission en diminuant le montant des rehaussements et rappels notifiés. Ainsi, les impositions litigieuses doivent être regardées comme ayant été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires. Il suit de là et n'est d'ailleurs plus contesté en appel que la société Laurence B... supporte la charge de démontrer l'exagération de ces impositions.

En ce qui concerne la reconstitution des recettes :

15. Le contribuable à qui incombe la charge de prouver l'exagération de l'évaluation faite par l'administration fiscale peut, s'il n'est pas en mesure d'établir le montant exact de ses résultats en s'appuyant sur une comptabilité régulière et probante, soit critiquer la méthode d'évaluation que l'administration a suivie en vue de démontrer que cette méthode aboutit, au moins sur certains points et pour un certain montant, à une exagération des bases d'imposition, soit encore, aux mêmes fins, soumettre à l'appréciation du juge une nouvelle méthode d'évaluation permettant de déterminer les bases d'imposition avec une précision meilleure que celle qui pouvait être atteinte par la méthode primitivement utilisée par l'administration.

16. La société Laurence B..., qui ne peut pas se fonder sur sa comptabilité qui est, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, dépourvue de valeur probante, critique la méthode de reconstitution de son chiffre d'affaire retenue par le service, en faisant valoir qu'elle conduit à un résultat exagéré, propose une méthode alternative qu'elle estime plus précise, fondée sur les doses de shampooings consommées au cours des exercices vérifiés.

S'agissant de la méthode de reconstitution utilisée par le service :

17. Il résulte de l'instruction que, pour procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de la société Laurence B... au titre des années contrôlées, la vérificatrice a, dans un premier temps, procédé à l'analyse des fiches clients portant sur les périodes du 2 au 31 mai 2013 et du 1er au 31 octobre 2013 puis sur celles du 2 au 31 janvier 2014 et du 1er au 31 septembre 2014, afin de déterminer le nombre moyen de prestations réalisées au cours de chacune de ces périodes et les recettes correspondantes, après avoir écarté les fiches dont les renseignements ne permettaient pas d'établir avec certitude la nature de la prestation. Dans un second temps, après avoir déterminé contradictoirement avec la gérante la durée moyenne de chaque prestation proposée par le salon, elle a calculé le temps de travail total pour chaque période de l'échantillon et en a déduit un coefficient multiplicateur, en rapportant ce temps de travail au chiffre d'affaires réalisé au cours de la période. Pour obtenir le chiffre d'affaires imposable au titre de chacune des deux années vérifiées, le service a appliqué ce coefficient multiplicateur à la durée totale de travail du personnel sur l'année, à partir des données de déclarations sociales déposées par l'entreprise. Enfin, pour tenir compte des temps non productifs des coiffeurs au cours de la journée de travail, un abattement finalement fixé à 30 %, suivant l'avis de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires, a été appliqué sur la durée totale du travail.

18. La société Laurence B... conteste les durées moyennes retenues pour les différentes prestations proposées par son salon, qui seraient selon elles inférieures aux durées réellement pratiquées, ce qui conduirait à une majoration du coefficient multiplicateur et à un chiffre d'affaires reconstitué trop important. A ce titre, après avoir soutenu, devant les premiers juges, que la vérificatrice se serait bornée à appliquer des moyennes nationales tirées de monographies professionnelles, sans tenir compte des éléments propres à l'entreprise, la société fait désormais valoir que ces temps de travail, dont l'administration indique qu'ils sont ceux qui lui ont été communiqués par la gérante, Mme B..., lors des opérations de contrôle, sont des temps pratiqués par cette dernière, en tant que coiffeuse expérimentée, qui ne correspondent pas à ceux réalisés par les salariés du salon de coiffure.

19. Toutefois, d'une part, ainsi que le tribunal l'a relevé au 52 de son jugement, la méthode utilisée par l'administration repose sur les données, propres au salon, qui lui ont été communiquées par la gérante, concernant les tarifs et la durée des prestations. Ni les attestations de la gérante et de plusieurs salariés de la société, produites devant les premiers juges, ni les constats d'huissier de justice établis le 28 avril 2021, reprenant les temps de travail pour plusieurs prestations effectuées par différents coiffeurs, et les attestations de plusieurs coiffeurs, datées du mois d'août 2016, indiquant leurs temps de travail, établis postérieurement aux opérations de contrôle et produits pour la première fois en appel, ne permettent d'établir, eu égard à leur caractère imprécis et lacunaire et en l'absence de toute explication sur les temps de travail qui y sont mentionnés, que les temps de travail communiqués par Mme B... lors des opérations de contrôle et à partir desquels l'administration a reconstitué les recettes de la société correspondraient à des temps de travail minimum et non pas à des temps de travail moyens. Par suite, la société Laurence B... n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'exagération des bases d'impositions résultant de la méthode de reconstitution utilisées par l'administration fiscale.

S'agissant de la méthode de reconstitution proposée par la société Laurence B... :

20. La société Laurence B... oppose au service une méthode alternative de reconstitution de son chiffre d'affaires, fondée sur les doses de shampooing consommées au cours des exercices vérifiés. Les chiffres d'affaires reconstitués ont été calculés à partir, d'une part, d'un prix moyen unitaire d'une prestation avec shampoing, déterminé à partir de l'échantillon utilisé par le service et, d'autre part du nombre de shampoings effectués, lui-même déterminé à partir des quantités de shampoing consommées par prestation.

21. Toutefois, la méthode ainsi proposée s'appuie, notamment, sur les hypothèses selon lesquelles, d'une part, aucun shampoing n'est effectué s'agissant des prestations " frange ", " soins " et plus généralement de toutes les prestations inférieures à 25 euros, alors que l'administration n'avait exclu de ses calculs que les prestations d'un montant de 10 ou 15 euros, et que d'une façon générale, comme indiqué dans la proposition de rectification, les mentions qui figurent sur les " fiches clients " ne permettent pas toujours d'identifier avec précision la nature de la prestation effectuée et, d'autre part, toutes les autres prestations comprennent deux shampoings, alors que dans sa réponse du 10 mai 2016 à la demande d'information sur ce point formulée par l'administration, Mme B... a indiqué que trois shampoings étaient nécessaires pour les prestations incluant des " décolorations ou mèches " et une " couleur ". Les hypothèses ainsi formulées postérieurement aux opérations de contrôle, alors que l'administration soutient sans être contredite que la société n'a pas répondu aux questions relatives aux quantités de shampoing utilisées par prestations qui lui ont été adressées dans ce cadre, et qui ne ressortent pas des constats d'huissier effectués le 25 mai 2021 à la demande de la société, ne sont pas assorties de précisions ou justifications. Par ailleurs, si la société a produit les inventaires manuscrits réalisés à la fin des exercices 2012, 2013 et 2014, elle n'a en revanche pas joint les documents comptables correspondants, retraçant les variations de stock. Enfin, les écarts entre les chiffre d'affaires déclarés et les chiffres d'affaires reconstitués obtenus par la société grâce à cette méthode ne sont pas cohérents avec ceux dont elle se prévaut à partir de la méthode de reconstitution basée sur le temps de travail des salariés. Dès lors, la société Laurence B... n'établit pas que la méthode dont elle se prévaut serait susceptible de conduire à des évaluations de ses recettes plus précises que celles résultant de la méthode utilisée par le service.

22. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense par le ministre de l'économie, des finances et de la relance s'agissant des conclusions présentées par la société Laurence B... tendant à la décharge des rappels de TVA mis à sa charge, que la société Laurence B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'annulation et de décharge doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquences, celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête n° 21PA02875 de M. et Mme B... :

23. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". En cas de refus des propositions de rectifications par le contribuable, qu'elle entend imposer comme bénéficiaire des sommes regardées comme distribuées, comme c'est le cas en l'espèce, il incombe à l'administration d'apporter la preuve de l'existence et du montant des revenus distribués et de leur appréhension par le contribuable. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.

24. Il résulte de l'instruction que le service vérificateur a considéré que les sommes provenant des rectifications issues de la reconstitution du chiffre d'affaires des sociétés Rock Hair Cut et Laurence B... ont été appréhendées, d'une part, par feu M. A... B..., alors associé unique de la société Rock Hair Cut, et d'autre part, par Mme D... B..., associée unique de la société Laurence B..., par ailleurs gérante de ces deux sociétés, en leur qualité de seul maître de l'affaire, à l'égard de la société Rock Hair Cut en ce qui concerne feu M. B... et de la société Laurence B... en ce qui concerne Mme B..., et les a imposées entre leurs mains dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Les requérants, qui ne contestent pas être les bénéficiaires des sommes regardés comme distribués par l'administration fiscale, en contestent néanmoins le montant, en soutenant que la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires employée par l'administration est radicalement viciée et que les rehaussements en résultant sont erronés. Toutefois, il résulte de l'instruction que pour reconstituer les recettes de la société Rock Hair Cut et de la société Laurence B..., le service a utilisé une méthode qui repose sur les données, propres au salon, qui lui ont été communiquées par la gérante, concernant les tarifs et la durée des prestations. Les pièces produites au dossier des requêtes 21PA02873 et 21PA02874, auxquelles feu M. B... et Mme B... renvoient, ne permettent pas d'établir que les temps de travail communiqués par Mme B... lors des opérations de contrôle et à partir desquels l'administration a reconstitué les recettes de la société correspondraient à des temps de travail minimum et non pas à des temps de travail moyens ni, par suite, et alors qu'aucun autre grief n'est formulé à son encontre, de contester utilement la méthode utilisée par le service. Par ailleurs, si feu M. B... et Mme C... font valoir que les résultats obtenus par le recours à une méthode alternative de reconstitution du chiffre d'affaires des sociétés Rock Hair Cut et Laurence B..., fondée sur les doses de shampooing consommées au cours des exercices vérifiés, aboutissent à des bases d'imposition très largement inférieures, les hypothèses sur lesquelles cette méthode repose ont été formulées postérieurement aux opérations de contrôle, alors que l'administration soutient sans être contredite que les sociétés n'ont pas répondu aux questions relatives aux quantités de shampoing utilisées par prestation qui leur ont été adressées dans ce cadre, et qui ne ressortent pas des constats d'huissier effectués à la demande des sociétés, sont pour certaines contradictoires avec les déclarations de Mme B... lors des opérations de contrôle, s'agissant notamment du nombre de shampoings par prestation, et ne sont pas assorties de précisions ou justifications. Dès lors, ainsi que l'administration le fait valoir en défense, cette méthode n'est pas susceptible de conduire à des évaluations des recettes des sociétés plus précises que celles résultant de la méthode qu'elle a elle-même utilisée. Dès lors, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de l'existence et du montant des bénéfices distribués et, par suite, du bien-fondé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mises à la charge de M. et Mme B....

25. Il résulte de ce qui précède, et alors que feu M. B... et Mme B... ne contestent plus en appel ni la motivation, ni le bien fondé des majorations de 40 % mise à leur charge, que ceux-ci ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Par suite, leurs conclusions aux fins d'annulation et de décharge doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquences, celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de la société Rock Hair Cut, de la société Laurence B... et de feu M. A... B... et Mme D... B... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SASU Rock Hair Cut, à l'EURL Laurence B..., à Mme D... B..., aux ayants droit de feu M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Île de France et du département de Paris (pôle contrôle fiscal et affaires juridiques).

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à dispositions au greffe, le 21 octobre 2022.

La rapporteure,

C. E...La présidente,

H. VINOT

La greffière,

A. MAIGNAN

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Nos 21PA02873, 21PA02874, 21PA02875 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA02875
Date de la décision : 21/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : DU CREST

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-10-21;21pa02875 ?
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