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05/12/2022 | FRANCE | N°19PA03660

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 05 décembre 2022, 19PA03660


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 8 000 euros au titre du préjudice d'impréparation et l'AP-HP ou, à défaut, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser les sommes respectivement de 25 000 euros et de 30 000 euros au titre de ses troubles dans ses conditions d'existence et de ses préjudices patrimoniaux

en lien avec sa prise en charge à l'hôpital Bichat en 2006.

Par un jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 8 000 euros au titre du préjudice d'impréparation et l'AP-HP ou, à défaut, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser les sommes respectivement de 25 000 euros et de 30 000 euros au titre de ses troubles dans ses conditions d'existence et de ses préjudices patrimoniaux en lien avec sa prise en charge à l'hôpital Bichat en 2006.

Par un jugement n° 1707372/6-1 du 24 mai 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant-dire droit du 26 février 2021, la Cour a décidé qu'il serait, avant de statuer sur la requête de Mme E... tendant à ce qu'elle soit indemnisée par l'AP-HP des préjudices qu'elle estime avoir subis lors de sa prise en charge à l'hôpital Bichat en 2006, procédé à une expertise en vue de donner toute précision à la Cour sur le point de savoir, d'une part, si les diagnostics établis et les traitements, interventions et soins prodigués à l'hôpital Bichat et leur suivi ont été consciencieux, attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science et s'ils étaient adaptés à l'état de la patiente et aux symptômes et, d'autre part, si le dommage corporel constaté présente un lien de causalité direct, certain et exclusif avec un manquement imputable à l'établissement et, enfin, si le dossier médical et les informations recueillies permettent de savoir s'il a été procédé de façon complète à l'information de Mme E..., et dans la négative, de préciser si Mme E... a subi une perte de chance de se soustraire au risque par un refus des actes de soins pratiqués si elle en avait connu tous les dangers ou si, compte tenu des douleurs dont elle souffrait, de leur évolution probable et aussi des risques d'échec ou de complications à court ou à plus long terme susceptibles d'être provoquées par ces interventions, elle aurait en toute probabilité accepté de subir ces interventions si elle avait correctement été informée des risques encourus.

Par une ordonnance du 22 avril 2021, la présidente de la Cour a désigné le docteur C... en qualité d'expert.

Par une ordonnance du 1er juin 2021, la présidente de la Cour a accordé au docteur C... une allocation provisionnelle d'un montant de 2 880 euros à valoir sur le montant des honoraires et débours devant être ultérieurement taxés et mise à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.

Le rapport d'expertise a été déposé le 26 juillet 2022.

Par une ordonnance du 5 août 2022, le premier vice-président de la Cour a liquidé et taxé les frais et honoraires du docteur C... à la somme de 2 610 euros, incluant l'allocation provisionnelle d'un montant de 2 880 euros accordée par l'ordonnance du 1er juin 2021 et a ordonné au docteur C... de rembourser à l'Assistance-Hôpitaux de Paris la somme de 270 euros.

Par un mémoire enregistré le 23 septembre 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Saumon, conclut, à titre principal, à sa mise hors de cause et, en tout état de cause, au rejet de la requête de Mme E... et à la condamnation de tout succombant aux dépens.

Il soutient que :

- Mme E... n'a pas présenté en cause d'appel de demande dirigée contre l'Office ;

- le rapport d'expertise du docteur A... doit être retenu dans l'ensemble de ses conclusions comme un élément d'information ;

- les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies ; le dommage subi par Mme E... n'est pas imputable à un accident médical ; en tout état de cause, les seuils de gravité d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas atteints.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 30 août 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., née en 1968, a été opérée d'un hallux valgus du pied droit le 19 juin 2006 à l'hôpital Bichat qui dépend de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le 21 août 2006, ont été pratiquées dans cet hôpital la même intervention au pied gauche ainsi qu'une reprise chirurgicale afin de traiter des métatarsalgies sur le matériel d'ostéosynthèse précédemment mis en place sur son pied droit. A compter de 2009, Mme E... a souffert de douleurs au niveau des pieds survenant lors de la marche. Un traitement par antalgiques ainsi que le port de semelles orthopédiques lui ont alors été prescrits. Entre 2013 et 2015, elle a réalisé des examens d'imagerie par résonance magnétique et consulté plusieurs chirurgiens, lesquels, face à la persistance des douleurs, ont proposé de réaliser une intervention chirurgicale correctrice, que l'intéressée a refusée. En mai 2015, Mme E... a sollicité du Tribunal administratif de Paris la désignation d'un expert. Le docteur D..., expert désigné par ordonnance du 6 juillet 2015, a rendu son rapport le 17 novembre 2015. Le 24 janvier 2017, Mme E... a présenté une demande indemnitaire préalable auprès de l'AP-HP qui a rejeté cette demande par une décision du 2 mars 2017. Par un jugement avant-dire droit du 22 juin 2018, le Tribunal administratif de Paris a ordonné une nouvelle expertise médicale avant de statuer sur les conclusions de la demande de Mme E.... Le rapport d'expertise du docteur A..., désigné par une ordonnance du 23 juillet 2018, a été déposé le 6 décembre 2018. Mme E... a, dans le dernier état de ses écritures, demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'AP-HP à lui verser, à titre principal, la somme de 88 000 euros et, à titre subsidiaire, si seul un défaut fautif d'information était retenu par le tribunal, la somme de 43 000 euros, en raison des préjudices qu'elle a subis dans les suites de sa prise en charge à l'hôpital Bichat en 2006, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2017 et avec la capitalisation des intérêts. Par un jugement du 24 mai 2019, dont Mme E... relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

2. Par un arrêt du 26 février 2021, la Cour a, avant-dire-droit sur les conclusions de Mme E..., décidé de procéder à une expertise aux fins notamment de donner toute précision à la Cour sur le point de savoir, d'une part, si les diagnostics établis et les traitements, interventions et soins prodigués à l'hôpital Bichat et leur suivi ont été consciencieux, attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science et s'ils étaient adaptés à l'état de la patiente et aux symptômes et, d'autre part, si le dommage corporel constaté présente un lien de causalité direct, certain et exclusif avec un manquement imputable à l'établissement et, enfin, si le dossier médical et les informations recueillies permettent de savoir s'il a été procédé de façon complète à l'information de Mme E..., et dans la négative, de préciser si Mme E... a subi une perte de chance de se soustraire au risque par un refus des actes de soins pratiqués si elle en avait connu tous les dangers ou si, compte tenu des douleurs dont elle souffrait, de leur évolution probable et aussi des risques d'échec ou de complications à court ou à plus long terme susceptibles d'être provoquées par ces interventions, elle aurait en toute probabilité accepté de subir ces interventions si elle avait correctement été informée des risques encourus. Le docteur C..., désigné en qualité d'expert par la présidente de la Cour, a déposé son rapport le 26 juillet 2022.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Le tribunal a, pour rendre le jugement du 24 mai 2019, pris en compte les conclusions du rapport d'expertise du docteur A..., expert qu'il avait désigné, qui s'est fondé notamment sur une radiographie du 27 septembre 2006 dont il avait demandé la communication à l'AP-HP lors de la réunion d'expertise du 6 novembre 2018. Or, il résulte de l'instruction que ce cliché radiographique n'a pas été transmis par l'expert à Mme E... avant la remise de son rapport et n'a pas non plus fait l'objet d'un pré-rapport. Dans ces conditions, ainsi que l'a jugé la Cour dans son arrêt avant-dire droit du 26 février 2021, le tribunal a, alors même que ce rapport avait été soumis au contradictoire devant lui, entaché son jugement d'irrégularité et, par suite, Mme E... est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tirés de l'irrégularité du jugement, à demander l'annulation du jugement attaqué.

4. Dès lors, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme E... devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur la responsabilité de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris :

En ce qui concerne la faute médicale :

5. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise diligentée par la Cour, que le diagnostic d'hallux valgus bilatéral symptomatique présenté par Mme E... a été correctement posé, que les interventions de chirurgie correctrice des 19 juin et 21 août 2006 étaient indiquées et que les médecins de l'hôpital Bichat ont pratiqué une ostéotomie de type scarf au niveau du premier métatarsien et de varisation au niveau de la première phalange du pied droit puis du pied gauche de Mme E... qui sont des techniques classiques de traitement d'un hallux valgus. La reprise chirurgicale au pied droit réalisée lors de l'intervention chirurgicale du 21 août 2006 était également indiquée afin de traiter des métatarsalgies sur le matériel d'ostéosynthèse mis en place le 19 juin 2006. Ces interventions de chirurgie correctrice ont été effectuées conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science. Il ressort notamment de la radiographie de contrôle post-opératoire du 27 septembre 2006 que le raccourcissement du premier métatarsien de chaque pied, lequel est l'un des objectifs de l'intervention pour éviter la récidive de l'hallux valgus, n'est pas excessif. Selon l'expert, les métatarsalgies de transfert apparues en 2009 chez Mme E... sont une conséquence classique des interventions chirurgicales subies en 2006. En effet, le raccourcissement du premier métatarsien, ainsi qu'il a été dit, permet de corriger l'hallux valgus, mais constitue également un des facteurs favorisant l'apparition de métatarsalgies secondaires sans pour autant que ces dernières résultent d'une faute médicale. Dans le cas de Mme E..., les métatarsalgies de transfert ont été également favorisées par les " anomalies architecturales constitutionnelles de ses avant-pieds " et la pathologie dégénérative des avant-pieds qui continue à évoluer pour son propre compte. Il s'ensuit que les médecins n'ont commis aucune faute médicale lors des interventions chirurgicales des 19 juin et 21 août 2006 à l'hôpital Bichat. Mme E... n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'AP-HP serait engagée sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

En ce qui concerne le défaut d'information :

7. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (... ). Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ".

8. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

9. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du docteur C..., que Mme E... n'a pas été préalablement informée par les médecins de l'hôpital Bichat du risque fréquent et normalement prévisible de développer des métatarsalgies secondaires à la suite des interventions chirurgicales correctrices de l'hallux valgus bilatéral des 19 juin et 21 août 2006. Ce défaut d'information des médecins, qui ne se trouvaient ni dans l'urgence ni dans l'impossibilité d'informer Mme E..., est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP.

10. Il résulte de l'instruction que Mme E... présentait un hallux valgus bilatéral symptomatique nécessitant un traitement médical par antalgiques et qui s'aggravait progressivement. Si Mme E... avait refusé les interventions chirurgicales correctrices, la pathologie des avant-pieds aurait continué à évoluer entraînant à la fois une aggravation de la déformation des pieds, de l'enraidissement et des douleurs engendrant une gêne à la marche majeure. Il ne résulte pas de l'instruction qu'une alternative thérapeutique était possible. Dans ces circonstances, il résulte de l'instruction que Mme E... n'aurait pas renoncé aux interventions chirurgicales correctrices de l'hallux valgus bilatéral si elle avait été informée du risque fréquent de développer ultérieurement des métatarsalgies de transfert. Dans ces conditions, le manquement des médecins à leur devoir d'information n'a privé Mme E... d'aucune chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé en renonçant aux opérations. Par suite, les conclusions indemnitaires de Mme E... présentées au titre de la perte de chance doivent être rejetées.

11. Enfin, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques encourus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

12. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 6, que dans le cas de Mme E..., le raccourcissement du premier métatarsien de chacun des pieds n'est pas le seul facteur de nature à favoriser l'apparition de métatarsalgies secondaires, lesquelles sont apparues trois ans après les interventions chirurgicales en cause. Dans ces conditions, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le défaut d'information des médecins de l'hôpital Bichat quant au risque fréquent de développer des métatarsalgies secondaires à la suite d'une intervention chirurgicale correctrice d'un hallux valgus serait à l'origine d'un préjudice d'impréparation.

13. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme E... dirigées contre l'AP-HP doivent être rejetées.

Sur l'engagement de la solidarité nationale :

14. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". L'article D. 1142-1 du même code dispose que : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du même code.

15. Il résulte de l'instruction que les métatarsalgies de transfert présentées par Mme E... sont à l'origine pour l'intéressée d'un déficit fonctionnel permanent de l'ordre de 5 % qui est inférieur au seuil de 24 % défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. Le dommage ne remplit pas par ailleurs les autres critères de gravité prévus par les dispositions de l'article L. 1142-1 de ce code. Par suite, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué du 24 mai 2019 du Tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa requête et que sa demande présentée devant le tribunal administratif et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Sur les frais d'expertise :

17. Aux termes du premier alinéa de l'article 24 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Les dépenses qui incomberaient au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle s'il n'avait pas cette aide sont à la charge de l'Etat ". Aux termes de l'article 40 de la même loi : " L'aide juridictionnelle concerne tous les frais afférents aux instances, procédures ou actes pour lesquels elle a été accordée, à l'exception des droits de plaidoirie. / (...) / Les frais occasionnés par les mesures d'instruction sont avancés par l'Etat". Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de tout autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsque la partie perdante bénéficie de l'aide juridictionnelle totale, et hors le cas où le juge décide de faire usage de la faculté que lui ouvre l'article R. 761-1 du code de justice administrative en présence de circonstances particulières de mettre les dépens à la charge d'une autre partie, les frais d'expertise incombent à l'Etat.

18. Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale en première instance par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 23 août 2017. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État les frais d'expertise de la présente affaire, liquidés et taxés à la somme de 1 800 euros en ce qui concerne le docteur D... et à la somme de 1 524 euros en ce qui concerne le docteur A... par ordonnances respectivement du 29 avril 2016 et du 17 décembre 2018 du vice-président du tribunal administratif de Paris

19. Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la procédure d'appel par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 30 août 2019. Dans les circonstances de l'espèce, les frais de l'expertise confiée au docteur C..., liquidés et taxés à la somme de 2 610 euros par une ordonnance du 5 août 2022 du vice-président de la Cour, sont mis à la charge de l'Etat.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le conseil de Mme E... demande sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1707372/6-1 du 24 mai 2019 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme E... devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 800 euros en ce qui concerne le docteur D... et à la somme de 1 524 euros en ce qui concerne le docteur A... par ordonnances respectivement du 29 avril 2016 et du 17 décembre 2018 du vice-président du tribunal administratif de Paris et à la somme de 2 610 euros en ce qui concerne le docteur C... par une ordonnance du 5 août 2022 du vice-président de la Cour sont mis à la charge définitive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis et à Me de Folleville.

Copie en sera envoyée pour information aux experts, MM. D..., A... et C....

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président de chambre,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2022.

La rapporteure,

V. F... Le président,

R. LE GOFF

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA03660


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA03660
Date de la décision : 05/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : TSOUDEROS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-05;19pa03660 ?
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