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12/12/2022 | FRANCE | N°17PA03019

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 12 décembre 2022, 17PA03019


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. Le ministre des affaires étrangères et du développement international a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, de condamner solidairement la société Compagnie internationale d'engineering pour la construction (CIEC), le cabinet d'architecte Pierre E... et la société Union technique du bâtiment (UTB) à verser à l'Etat une indemnité de 1 044 722,03 euros, augmentée des intérêts de retard, avec capitalisation de ceux-ci, en réparation des préjudices résultant des désordres ayant

affecté le premier étage du bâtiment intérieur situé au 27-29 rue de la Conventio...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. Le ministre des affaires étrangères et du développement international a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, de condamner solidairement la société Compagnie internationale d'engineering pour la construction (CIEC), le cabinet d'architecte Pierre E... et la société Union technique du bâtiment (UTB) à verser à l'Etat une indemnité de 1 044 722,03 euros, augmentée des intérêts de retard, avec capitalisation de ceux-ci, en réparation des préjudices résultant des désordres ayant affecté le premier étage du bâtiment intérieur situé au 27-29 rue de la Convention à Paris (75015) et, d'autre part, d'ordonner une expertise aux fins, notamment, de déterminer l'importance et l'étendue des études et travaux nécessaires pour remédier à l'inconfort thermique dans les salles de réunion situées au rez-de-chaussée du bâtiment intérieur et de déterminer l'étendue et évaluer le montant du préjudice subi par l'Etat.

Par un jugement n° 1519940 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a :

- condamné la société CIEC à verser à l'Etat la somme de 777 235 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2015, capitalisés à compter du 7 décembre 2016,

- condamné le cabinet d'architecte Pierre E... à garantir la société CIEC à hauteur de 15% de la condamnation prononcée à son encontre,

- mis à la charge de la société CIEC et du cabinet E... les sommes respectives de 13 417 euros et 3 354 euros à verser à l'Etat au titre des frais d'expertise, taxés et liquidés par une ordonnance du vice-président du même tribunal du 10 avril 2014,

- ordonné, avant-dire droit sur les conclusions tendant à la réparation des préjudices correspondants, une expertise avec mission pour l'expert de fournir tout élément permettant de déterminer l'étendue et d'évaluer le coût des travaux nécessaires à la réparation des désordres affectant les locaux situés au rez-de-chaussée du bâtiment intérieur,

- rejeté le surplus des conclusions des parties.

II. Par de nouveaux mémoires, enregistrés postérieurement au dépôt de son rapport par l'expert désigné conformément au jugement du 7 juillet 2017, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la société CIEC à verser à l'Etat la somme de 1 093 310,38 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2015, avec capitalisation de ceux-ci, en réparation des préjudices résultant des désordres ayant affecté les salles de réunion et le couloir du rez-de-chaussée du bâtiment intérieur situé au 27-29 rue de la Convention à Paris (75015).

Par un jugement n° 1519940 du 8 octobre 2019, le tribunal administratif de Paris a :

- condamné la société CIEC à verser à l'Etat la somme de 413 237,62 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2015, capitalisés à compter du 7 décembre 2016,

- mis à la charge de la société CIEC la somme de 16 187,40 euros au titre des frais d'expertise, taxés et liquidés par une ordonnance du président du tribunal du 11 février 2019,

- rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 septembre 2017, le 29 novembre 2017, le 25 juin 2018 et le 10 septembre 2019 sous le n° 17PA03019, la société Compagnie internationale d'engineering pour la construction (CIEC), représentée par la SELAS LGH et Associés, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, de réformer le jugement n° 1519940 du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2017 en tant qu'il l'a condamnée à verser à l'Etat la somme de 777 235 euros, augmentée des intérêts moratoires au taux légal à compter du 7 décembre 2015, avec capitalisation de ceux-ci ;

2°) de rejeter les conclusions incidentes présentées par le ministre chargé des affaires étrangères ainsi que sa demande indemnitaire présentée devant le tribunal administratif de Paris ;

3°) de limiter en tout état de cause la condamnation susceptible d'être prononcée à l'encontre des parties au litige à 50 % du montant des préjudices allégués par l'Etat, compte tenu de l'imputation par l'expert des désordres aux locateurs d'ouvrages de la première phase de travaux à hauteur de 50 % ;

4°) à titre subsidiaire, de fixer à 50 % au moins la part de responsabilité de l'Etat et de condamner la société Union technique du bâtiment (UTB) à la garantir intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre au titre du montant des préjudices allégués par l'Etat, le cabinet Pierre E... à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre dans une proportion minimale de 50 % du même montant, la société Génie des lieux à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre dans une proportion minimale de 15 % de ce montant et la société Idex Energies à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre dans une proportion minimale de 5 % de ce montant ;

5°) à titre infiniment subsidiaire, de ramener le quantum du préjudice lié à la reprise définitive des désordres à la somme de 74 760 euros, montant du dispositif afférent au taux d'hygrométrie, seul indemnisable dès lors que les autres travaux définitifs emportent amélioration de l'existant ;

6°) de mettre à la charge solidaire de toutes les parties perdantes les dépens de l'instance ainsi que la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la matérialité des désordres allégués n'est pas établie en totalité ; notamment, l'expert n'a pas relevé des valeurs de température pouvant engendrer un inconfort ni constaté une insuffisance de chauffage ; au demeurant, le ministère n'a jamais entrepris la réparation définitive des désordres allégués ;

- ainsi que l'a relevé l'expert par une appréciation purement technique, 50 % des désordres sont imputables aux intervenants de la première vague de travaux au titre d'une erreur de conception dans la réalisation du réseau aéraulique ; en effet, les constructeurs de la première vague étaient nécessairement informés de la destination des locaux du premier étage en plateaux de bureaux prêts à être aménagés en espaces cloisonnés, le programme d'aménagement du ministère daté d'août 2007 le mentionnant expressément et ceux-ci ayant réalisé les câblages et la climatisation à cette fin ; en outre, la simple lecture des plans du dossier des ouvrages exécutés (DOE) ainsi que du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot n° 9 chauffage-ventilation-climatisation démontre que l'appelante a dû composer avec un réseau préexistant dont le ministre lui a contractuellement imposé l'adaptation et qu'il s'est refusé à déposer pour des raisons budgétaires ;

- aucun manquement à l'obligation d'information et de conseil ne saurait lui être opposé dès lors qu'à la date de la réception des travaux, les désordres invoqués, qui n'ont fait l'objet d'aucune réserve malgré de très nombreuses doléances des agents et des syndicats, étaient apparents et connus du maître d'ouvrage ;

- en tout état de cause, à supposer même qu'un tel manquement soit retenu contre elle, sa responsabilité ne saurait être engagée en l'absence de lien de causalité entre les préjudices allégués et la faute prétendue ;

- l'attitude insuffisamment précautionneuse du ministre lors de la réception des travaux doit être regardée comme totalement exonératoire de sa responsabilité en qualité de maître d'œuvre ;

- elle n'était pas tenue d'une obligation de résultat en sa qualité de bureau d'études, étant notamment dépourvue du pouvoir décisionnaire dont disposaient en revanche l'architecte principal et l'architecte d'intérieur ;

- sa responsabilité ne peut être recherchée par le maître d'ouvrage après la réception des travaux pour des manquements liés à la conception de l'ouvrage ; en tout état de cause, les défauts de conception du projet d'aménagement ne lui sont pas imputables mais relèvent des entreprises de la première vague de travaux, ainsi que l'expert l'a finalement admis ; en outre, les prétendus défauts de conception relatifs à l'implantation des cloisons ne lui sont pas non plus imputables dès lors qu'elle a réalisé cette implantation sur la base exclusive du schéma d'implantation des services réalisé par la société Polyprogramme qui agissait pour le compte du maître d'ouvrage ; elle ne disposait dès lors d'aucune marge d'appréciation ou de modification de cette implantation, dont le cabinet Polyprogramme ne pouvait ignorer qu'elle était incompatible avec le réseau de climatisation préexistant ;

- les désordres liés au repérage des éléments d'installation en place et à la distribution thermofrigorifique de l'ensemble des locaux ne lui sont pas imputables mais relevaient de la société UTB ;

- elle ne saurait se voir opposer des manquements au niveau de l'hygrométrie dès lors qu'il ne s'agissait pas d'une obligation contractuelle et que la recommandation de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) visée par l'expert est dépourvue de toute valeur juridique ; l'expert ne pouvait ainsi faire de l'hygrométrie un " élément de confort ", la notion de confort étant en tout état de cause subjective et indéfinie et ne pouvant servir de support à sa condamnation de par la seule interprétation de l'expert ; en outre, la valeur minimale de 40% d'humidité préconisée par l'INRS n'est pas communément admise par la communauté scientifique ; s'agissant des normes AFNOR NF X 35-102.1198 et NF EN ISO 7730, celles-ci, qui ne constituent pas des pièces contractuelles du lot n° 9, ne sauraient lui être opposables, à l'inverse des nombreuses autres normes NF insérées dans le CCTP de ce lot ; en tout état de cause, l'expert a reconnu que les désordres relatifs à l'hygrométrie relèvent des entreprises de la première vague de travaux ;

- elle n'a commis aucune faute dans la direction et le suivi des travaux, les défauts d'exécution de l'installation aéraulique relevant de la seule société UTB ;

- la quote-part de responsabilité retenue à l'égard de l'Etat, qui a fait preuve de négligence lors des opérations de réception de l'ouvrage et qui a participé au dommage en lui imposant l'implantation des cloisons, ne saurait être inférieure à 50 % du montant des préjudices allégués ;

- l'expert n'a développé aucun argument sérieux à l'appui de sa modification finale conduisant à accroître de 15 points de pourcentage sa part d'imputabilité des désordres ;

- à supposer que sa responsabilité soit reconnue dans l'imputation des désordres, celle des sociétés Génie des lieux et Idex énergies devrait l'être également ;

- la proportion dans laquelle le cabinet Pierre E..., qui a été impliqué dans les désordres du rez-de-chaussée comme dans ceux du premier étage, doit la garantir des condamnations prononcées contre elle ne saurait être inférieure à 50 % ; en effet, eu égard notamment à la nature des griefs qui sont opposés à ce cabinet, à savoir des erreurs de conception, la quote-part de 20% retenue par l'expert apparaît particulièrement faible ; en outre, sa qualité de mandataire du groupement conjoint, dans lequel chaque co-traitant demeure tenu des prestations qu'il s'est engagé à effectuer, ne saurait justifier l'exclusion de responsabilité du cabinet E... ;

- l'expert a mis en évidence la pleine responsabilité de la société UTB, s'agissant tant de ses obligations contractuelles de livraison d'une installation conforme aux règles de l'art que de son obligation d'information et de conseil du maître d'ouvrage ; celle-ci devra en conséquence la garantir intégralement des condamnations prononcées contre elle dès lors, d'une part, que l'obligation d'information et de conseil pesant sur la maîtrise d'œuvre ne décharge pas le titulaire du lot de sa propre obligation d'information et de conseil et, d'autre part, qu'elle est recevable et fondée à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de la société UTB à raison des fautes commises par elle, même en l'absence de condamnation solidaire ;

- la quote-part de responsabilité retenue à l'égard de la société Génie des lieux ne saurait être inférieure à 15 % quelle que soit l'hypothèse dans laquelle elle est intervenue ; en effet, l'expert a bien précisé que les défauts d'aéraulique étaient directement la conséquence d'un défaut de conception au niveau de la disposition des cloisons ; en outre, en s'abstenant de l'informer ainsi que le maître d'ouvrage des difficultés rencontrées, la société Génie des lieux a manqué à son obligation d'information et de conseil ; de plus, le moyen de la société Génie des lieux tiré de ce qu'il n'y a pas lieu de privilégier la première ébauche de répartition de responsabilité de l'expert figurant dans la note de synthèse aux parties n° 6, élaborée après plus d'un an et demi d'opérations d'expertise et pas moins de treize réunions, à celle figurant dans le rapport définitif est infondé, dès lors qu'il est incohérent que l'expert modifie sans la moindre justification la répartition des imputabilités à son détriment, à peine quinze jours après la production de cette note de synthèse ;

- la quote-part de responsabilité retenue à l'égard de la société Idex énergies ne saurait être inférieure à 5 %, dès lors qu'elle a failli dans son analyse du système aéraulique préalable à sa prise en charge de la maintenance de l'installation et a manqué à ses obligations d'information et de conseil envers le maître d'ouvrage ; en effet, elle ne pouvait ignorer que les plans DOE de la société UTB ne correspondaient pas à la réalité des installations et aurait dû attirer l'attention du maître d'ouvrage sur les erreurs de conception ou les défauts d'exécution nécessairement constatés par elle ;

- l'expert ne s'est pas prononcé sur la pertinence des préjudices allégués par le ministre, ainsi que le point 3. de sa mission le lui demandait ;

- le préjudice allégué par le ministre au titre des mesures conservatoires est infondé dès lors qu'elles constituent des travaux d'amélioration et se rapportent à de prétendues anomalies de température que l'expert n'a pas constatées ;

- le préjudice allégué par le ministre au titre des travaux définitifs est également infondé, tant dans son principe que dans son quantum, dès lors que ces travaux tendent essentiellement à une amélioration du système aéraulique qu'il ne lui incombe pas de prendre en charge ; seul le préjudice relatif au taux d'hygrométrie pourrait, le cas échéant, ouvrir droit à indemnisation à hauteur de 74 760 euros ; les frais relatifs à la mobilisation anormale des agents du ministère ne sont pas justifiés ; en outre, les frais de conseil doivent rester à la charge de la partie qui les a exposés, sauf à relever de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- en tout état de cause, le montant global des condamnations prononcées à l'encontre des parties au litige ne saurait excéder 50 % du montant global des préjudices retenus, dès lors que 50% des dommages invoqués sont imputables à des entreprises qui ne sont pas dans la cause ;

- aucun désordre consécutif à des variations de température ayant engendré un inconfort thermique n'a été constaté par les deux experts intervenus consécutivement ; par suite, les prétendus désordres liés à l'inconfort thermique des usagers doivent être rejetés ;

- aucun désordre de nature décennale n'a pu en outre être constaté ; notamment, l'expert n'a pas relevé des valeurs de température de nature à engendrer une impropriété à destination.

Par des mémoires, enregistrés le 6 novembre 2017 et le 16 octobre 2018, la société Génie des lieux conseil en management par l'espace (Génie des lieux), représentée par la SELAS Idrac et Associés puis par la SELAS Fusio Avocats, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de la société CIEC ;

2°) de rejeter les conclusions de l'ensemble des parties dirigées contre elle ;

3°) de mettre à la charge de toute partie perdante la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 761-1 du Code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'expert ne s'est pas contredit en l'excluant dans la répartition des responsabilités ; à cet égard, il n'y a aucune raison objective de privilégier la première ébauche de répartition de responsabilité de l'expert figurant dans la note aux parties n° 6 à celle figurant dans le rapport définitif ;

- la disposition des cloisons n'a jamais été évoquée au cours des opérations d'expertise comme une cause possible des désordres ; en tout état de cause et alors qu'elle n'est pas experte en génie climatique, elle n'a commis aucune faute, que ce soit dans le positionnement des cloisons ou relativement à son devoir d'information et de conseil qui doit s'apprécier au regard de son champ de compétences ; elle a en outre réalisé les plans de cloisonnement sur la base des orientations du programme réalisé par la société Polyprogramme pour le compte du maître d'ouvrage, le ministre ayant d'ailleurs donné son accord sur ce positionnement des cloisons dont il a été parfaitement informé ;

- les mesures effectuées par l'expert D... relatives aux vitesses de soufflage lui sont inopposables dès lors qu'elle n'était pas présente au cours des opérations de cette expertise judiciaire ; en tout état de cause, elle ne peut être tenue responsable d'une vitesse de soufflage trop importante, le cloisonnement étant étranger à ce dysfonctionnement et l'expert n'ayant d'ailleurs jamais préconisé une quelconque modification du cloisonnement afin de remédier aux désordres allégués ; aucun lien de causalité ne peut ainsi être établi entre les nuisances subies par les agents et le cloisonnement ;

- elle a réalisé le cloisonnement des locaux en fonction des plans du cabinet d'architecte et il ne lui appartenait pas de s'assurer du confort thermique des usagers ; il appartenait aux installateurs de la CVC de s'adapter aux volumes choisis et non l'inverse.

Par un mémoire enregistré le 21 février 2018, la société Idex Energies, représentée par Me Le Febvre, demande à la Cour :

1°) de rejeter les conclusions d'appel en garantie de la société CIEC dirigées contre elle ;

2°) de mettre à la charge de la société CIEC la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucune faute même négligeable n'a été retenue contre elle par l'expert, qui a en revanche souligné les difficultés rencontrées par elle au regard des erreurs de conception majeures commises par la société CIEC et le cabinet E... et des erreurs d'installation commises par la société UTB ;

- elle n'avait ni l'obligation ni la possibilité de procéder à des travaux d'envergure afin de remédier à des erreurs de conception ou des défauts d'exécution des installations aérauliques ;

- les réponses techniques qu'elle a apportées à l'expert ont permis à ce dernier de modifier son avis et de ne retenir à son encontre aucune quote-part de responsabilité.

Par un mémoire, enregistré le 28 février 2018, M. C... E..., représenté par la SELAS Larrieu et Associés, demande à la Cour :

1°) à titre principal, de rejeter les conclusions d'appel en garantie de la société CIEC dirigées contre lui ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du 7 juillet 2017 en tant qu'il l'a condamné à garantir la société CIEC à hauteur de 15 % de la condamnation prononcée à son encontre ;

3°) de rejeter les conclusions d'appel incident du ministre chargé des affaires étrangères en tant qu'elles sont dirigées contre lui ;

4°) à titre subsidiaire, de condamner la société CIEC, la société UTB, la société Génie des lieux et la société Idex Energies à le garantir intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre au titre du montant des préjudices allégués par l'Etat ;

5°) de mettre à la charge de toute partie perdante les dépens de l'instance ainsi que la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les conclusions de l'expert démontrent que les désordres trouvent leur cause dans des vitesses d'air trop importantes, lesquelles relèvent de dysfonctionnements de l'installation de climatisation qui ne relèvent pas de son champ d'intervention ;

- il ne saurait lui être opposé que le volume global n'était pas adapté à un usage de bureaux dès lors que le programme d'aménagement du ministère imposait la position des cloisons ; en outre, il est illogique de retenir un lien de causalité entre le positionnement des cloisons et les désordres, tout en considérant que leur réparation implique de réaliser des travaux uniquement sur l'installation de climatisation ;

- la quote-part de responsabilité retenue à l'égard de l'Etat, qui a fait preuve de négligence lors des opérations de réception de l'ouvrage et pour le compte duquel les plans de cloisonnement ont été établis par la société Polyprogramme, ne saurait être inférieure à 50 % du montant des préjudices allégués ;

- il devra être intégralement garantie par la société CIEC, à qui il incombait de réaliser la synthèse des missions dévolues à la maîtrise d'œuvre ; notamment, celle-ci devrait répondre seule d'une éventuelle responsabilité de la maîtrise d'œuvre au titre de l'implantation des cloisons ;

- la responsabilité des sociétés Génie des lieux, UTB et Idex Energies devra également être retenue au titre de leurs manquements respectifs retenus par l'expert ;

- s'agissant de l'évaluation des préjudices, il s'associe à l'argumentation développée par la société CIEC ; notamment, 50 % du montant global des préjudices retenus devront rester à la charge de l'Etat à raison des dommages imputables à des entreprises qui ne sont pas dans la cause.

Par des mémoires, enregistrés le 28 février 2018 et 18 octobre 2018, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, représenté par le cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de la société CIEC ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande de première instance ;

3°) de condamner solidairement la société CIEC, le cabinet Pierre E... et la société UTB à verser à l'Etat une indemnité de 1 044 722,03 euros à parfaire, augmentée des intérêts légaux, avec capitalisation de ceux-ci, en réparation des préjudices résultant des désordres ayant affecté le système de climatisation du premier étage du bâtiment intérieur situé au 27-29 rue de la Convention à Paris (75015) ;

4°) de condamner solidairement la société CIEC, le cabinet Pierre E... et la société UTB à verser à l'Etat la somme de 22 360,97 euros, en remboursement des frais d'expertise avancés par l'Etat ;

5°) de mettre à la charge solidaire de la société CIEC, du cabinet Pierre E... et de la société UTB la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'inconfort thermique subi par les occupants du site a été parfaitement caractérisé par l'expert ; en outre, la matérialité des désordres à l'origine de l'inconfort subi est confirmée par les opérations d'expertise en cours relatives au rez-de-chaussée du CCM ;

- c'est à tort que l'expert A... a considéré que la conception du système de climatisation du premier étage du bâtiment intérieur relevait de la première vague de travaux et non des travaux complémentaires réalisés sous la maîtrise d'œuvre de la société CIEC ; l'expert D... commis par le TGI de Paris a en effet considéré que l'installation de climatisation livrée au ministre par la société CEREP était parfaitement conforme aux stipulations du contrat de VEFA et que le désordre d'inconfort résultait d'une erreur de conception commise par la société CIEC lors des travaux de la seconde phase ; au demeurant, les locateurs d'ouvrage de la première vague ignoraient la destination et les conditions d'occupation des bâtiments et n'étaient pas en mesure de savoir que la Halle centrale et la salle plénière allaient présenter des caractéristiques et des charges thermiques très différentes ; ces caractéristiques spécifiques devaient être uniquement prises en compte par le groupement de maître d'œuvre dans la conception et la mise en œuvre des installations à réaliser ;

- la zone centrale du rez-de-chaussée du centre de conférences ministérielles (CCM) ne comportait aucune installation de climatisation préexistante ; la société CIEC était donc tenue contractuellement de concevoir et de créer un réseau de climatisation à cet emplacement ;

- s'agissant du premier étage, à supposer même que la conception de l'installation aéraulique relevât de la première vague de travaux, il appartenait à la maîtrise d'œuvre de composer avec cette installation préexistante et, si besoin, de prévoir ou de préconiser des travaux d'adaptation afin de corriger les erreurs de conception initiales ; en outre, il n'a jamais imposé contractuellement à la société CIEC de réutiliser l'installation et le réseau existants pour des raisons financières ; celle-ci devait donc, en tout état de cause, concevoir et créer un réseau de climatisation permettant d'assurer le confort thermique des usagers ;

- la prétendue exigence contractuelle de réutiliser l'installation et le réseau existants constitue en réalité un choix fait par le groupement de maîtrise d'œuvre dans le cadre de la conception des installations ; ce choix s'est toutefois révélé être une grave erreur de conception, ainsi qu'il ressort du rapport de l'expert ; en tout état de cause, alors même qu'il aurait demandé à la société CIEC la réutilisation des installations existantes, ce qui ne ressort toutefois d'aucune pièce contractuelle, cette dernière aurait dû attirer l'attention du maître d'ouvrage sur le risque d'incompatibilité des installations existantes ou préconiser la réalisation de travaux d'envergure sur ces installations pour atteindre les objectifs recherchés en matière de confort thermique ;

- en ayant maintenu un réseau aéraulique unique pour la Halle centrale et la salle plénière alors que ces deux zones présentent des caractéristiques d'occupation et de charges thermiques très différentes, la société CIEC a commis une erreur majeure de conception à l'origine de l'inconfort subi par les usagers ;

- l'absence totale de prise en compte de l'hygrométrie constitue également un défaut de conception de l'installation imputable à la société CIEC ; cette dernière ne saurait au demeurant se prévaloir de l'absence de norme relative au confort thermique dans le CCTP du lot n° 9 alors qu'il lui incombait précisément de prendre en compte le taux d'humidité ambiante au moment de la conception du système et dans la rédaction de ce CCTP ; la société CIEC aurait en outre dû intégrer dans le CCTP les normes AFNOR NX 35-102.1198 et NF EN ISO 7730, constamment citées dans les notes techniques de l'INRS et relatives au confort thermique dans les lieux de travail et qu'elle ne saurait sérieusement contester ;

- en ayant conçu un projet d'aménagement et un agencement de locaux dans des volumes non adaptés ne permettant pas de garantir un confort thermique aux usagers, sans attirer l'attention du ministre sur cette problématique, la société CIEC a également commis une erreur de conception à l'origine des désordres ;

- la responsabilité de la société CIEC et du cabinet E... est engagée dès lors qu'ils ont manqué à leurs obligations, notamment à leur devoir de conseil, tant concernant la conception du projet, le suivi de l'exécution du marché que la réception des travaux réalisés par la société UTB ; s'agissant notamment de la réception, la société CIEC s'est en effet bornée à préconiser de simples " prises de mesure à refaire " alors que le désordre caractérisé par l'expert nécessitait la réalisation d'importants travaux de reprise ; en outre, la société CIEC n'a pas vérifié la bonne conformité des installations avec les stipulations du marché conclu avec la société UTB, ni avec les plans du DOE.

- le système de climatisation installé par la société UTB comporte de nombreuses anomalies et non-conformités au regard des pièces contractuelles ; en s'abstenant d'attirer l'attention du ministre, au moment de la réception des travaux, sur le défaut de conception de l'installation et les risques d'inconfort présentés, la société UTB a manqué à son obligation de conseil et engagé sa responsabilité contractuelle vis-à-vis du maître d'ouvrage ;

- en tout état de cause, les désordres constatés par l'expert sont de nature à engager la responsabilité solidaire de la société CIEC, du cabinet E... et de la société UTB sur le fondement de la responsabilité décennale ; en effet, le système de chauffage-ventilation- climatisation (CVC) installé, par sa complexité et son ampleur, doit être qualifié d'" ouvrage " au sens des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil ; en outre, l'inconfort thermique subi par les usagers du site rend ce dernier impropre à sa destination, alors même qu'il n'a pas cessé d'être occupé depuis l'apparition des désordres ;

- aucune part de responsabilité ne saurait être laissée à la charge de l'Etat dès lors que, d'une part, les réserves formulées lors de la réception des travaux par CIEC étaient très imprécises et que, d'autre part, il n'était pas informé, à la date de cette réception, de l'ampleur et des causes des désordres liés à l'inconfort thermique des occupants du site ; il ne pouvait ainsi connaître à cette date l'erreur majeure de conception du système de climatisation à l'origine des désordres ;

- l'Etat n'est pas à l'origine des désordres d'inconfort, qui résultent de la seule erreur de conception de l'installation ;

- la société CIEC, le cas échéant conjointement et solidairement avec M. E... et avec la société UTB, doivent l'indemniser de l'ensemble des coûts qu'il a dû avancer pour disposer d'un système de climatisation permettant de garantir le confort thermique des occupants, soit 1 050 273,06 euros (947 399,16 euros + 88 914,60 euros + 13 959,30 euros), correspondant aux travaux du premier étage de la halle centrale et de la salle plénière du CCM, aux frais de conseil et à la mobilisation anormale de ses agents ; en particulier, l'utilité des travaux conservatoires, validés de manière contradictoire par l'expert, est établie ;

- les frais d'expertise, qui s'élèvent à la somme de 22 360,97 euros, doivent incomber aux parties perdantes.

Par des mémoires, enregistrés le 1er mars 2018 et le 12 octobre 2018, la société Union technique du bâtiment (UTB), représentée par la SELAS Chevalier Marty Pruvost, demande à la Cour :

1°) à titre principal, de rejeter les conclusions d'appel incident du ministre chargé des affaires étrangères en tant qu'elles sont dirigées contre elle ;

2°) de rejeter les conclusions d'appel en garantie de la société CIEC et du cabinet Pierre E... dirigées contre elle ;

3°) à titre subsidiaire, de réformer le jugement du 7 juillet 2017 pour porter la part de responsabilité de l'Etat à 50 % ;

4°) de condamner la société CIEC, M. E... et la société Idex Energies à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre au titre du montant des préjudices allégués par l'Etat ;

5°) de mettre à la charge de la société CIEC la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- s'agissant de la responsabilité décennale, les zones concernées par d'éventuels désordres sont limitées, circonscrites et utilisées, de sorte qu'il n'y a pas impropriété à destination mais seulement gêne ponctuelle ; les travaux en cause ne constituent pas un ouvrage de bâtiment ; en outre, à supposer même que l'immeuble soit regardé comme impropre à sa destination, le maître d'ouvrage, qui dispose de services techniques très compétents et était informé des dysfonctionnements de l'installation aéraulique depuis début 2009, avait connaissance de ceux-ci dans toute leur ampleur et conséquences à la date de la réception ; par suite et alors même qu'il n'aurait pas connu à cette date l'origine de ces désordres, qui ne se sont pas aggravés ultérieurement, la responsabilité décennale ne saurait trouver application en l'espèce ;

- sa responsabilité contractuelle ne peut être recherchée dès lors que les réserves assortissant le procès-verbal de réception des travaux ont été levées et que les désordres aérauliques invoqués par le maître d'ouvrage, pourtant connus par lui, n'ont pas fait l'objet de réserves ; en tout état de cause, aucune faute de sa part en relation avec les dysfonctionnements allégués par le maître d'ouvrage ni aucun lien de causalité entre ces derniers et les griefs mineurs formulés à son encontre n'ont été établis par l'expert ;

- les préjudices invoqués résultant de la mobilisation anormale des agents et du trouble de jouissance ne sont pas établis ;

- la quote-part de responsabilité retenue à l'égard de l'Etat, qui a fait preuve de négligence lors des opérations de réception de l'ouvrage, ne saurait être inférieure à 50 % du montant des préjudices allégués ;

- à supposer qu'une quote-part de responsabilité soit retenue contre elle, la société CIEC, le cabinet E... et la société Idex Energies, dont les manquements ont été mis en évidence par l'expert, devront la garantir de toute condamnation prononcée contre elle ;

- la société CIEC ne peut utilement invoquer à son encontre, sur un fondement quasi-délictuel, un manquement à son obligation de livraison d'une installation conforme, de nature contractuelle ; en tout état de cause, aucune faute contractuelle ne peut être retenue contre elle, qu'il s'agisse des variations de température alléguées, de la problématique de l'hygrométrie ou du désordre lié aux courants d'air, alors en outre que la société CIEC n'a, en cours de chantier, à aucun moment dénoncé ou signalé des défauts d'exécution de sa part.

II - Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 4 décembre 2019 et le 25 septembre 2020 sous le n° 19PA03911, la société Compagnie internationale d'engineering pour la construction (CIEC), représentée par la SELAS LGH et Associés, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, de réformer le jugement n° 1519940 du tribunal administratif de Paris du 8 octobre 2019 en tant qu'il l'a condamnée à verser à l'Etat la somme de 413 237,62 euros, augmentée des intérêts moratoires au taux légal à compter du 7 décembre 2015, avec capitalisation de ceux-ci et a rejeté ses conclusions ;

2°) de rejeter les conclusions incidentes du ministre chargé des affaires étrangères ainsi que sa demande indemnitaire présentée devant le tribunal administratif de Paris ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter la condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre à une somme qui ne saurait excéder 218 991,37 euros, sur la base du rapport Corétude, au titre des désordres ayant affecté les salles de réunion et le couloir du rez-de-chaussée du bâtiment intérieur ;

4°) à titre encore plus subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise sous couvert d'un expert économiste de la construction avec mission d'arrêter le montant exact des travaux de réparation ;

5°) de mettre à la charge solidaire de toutes les parties perdantes les dépens de l'instance, ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'expert a méconnu le principe d'impartialité, ainsi que le montrent le contenu de la note de synthèse, la formulation d'un jugement de valeur sur l'argumentation de l'économiste de la construction, la mention de propos erronés au regard des opérations d'expertise et des notes qu'elle a produites, la prise en compte du préjudice de jouissance du ministère sans aucune analyse ni aucun débat contradictoire et le caractère très peu motivé de son rapport ;

- dès lors que le système de désenfumage était conforme, l'expert aurait dû retenir le projet de la société Corétude qui évitait de remettre en cause ce système et était donc moins onéreux ; le choix de l'expert en faveur de la société Energypro revient à entériner le coût de travaux d'amélioration et non de simples travaux de réparation, permettant à l'Etat de procéder à la remise à neuf de ses installations aux frais des locateurs d'ouvrage ;

- contrairement à ce qu'a retenu l'expert, il n'y a pas de relation étroite entre les installations de ventilation de confort et celles de désenfumage ;

- l'avis favorable des commissions de sécurité et l'usage des locaux par le personnel ministériel constituent la preuve de la parfaite conformité du réseau de désenfumage ; il appartient au ministre de produire l'ensemble des avis émis par les commissions de sécurité au titre du respect de la réglementation de sécurité contre les risques d'incendie ;

- le montant des travaux valorisé par le ministre à la somme de 550 983,50 euros est considérablement surévalué, à la lumière des conclusions du cabinet B2M, spécialisé dans l'économie de la construction, qui les ramène à juste titre à la somme de 224 601,82 euros ; le rapport du cabinet B2M a en outre été écarté de manière expéditive par l'expert qui lui a notamment refusé toute demande de délai ;

- le préjudice d'immobilisation de ses salles invoqué par le ministre, apparu dans son dernier dire récapitulatif et repris par l'expert en dehors de tout débat contradictoire, n'est aucunement justifié et revêt un caractère purement éventuel ;

- elle n'a nullement renoncé à ses appels en garantie dirigées contre la société UTB, le cabinet Pierre E..., la société Génie des lieux et la société Idex Energies, lesquels relèvent de l'instance n° 17PA03019 ;

- les sociétés Génie des lieux et Idex Energies n'ont pas été contraintes d'assister aux opérations d'expertise consacrées à l'évaluation des préjudices du rez-de-chaussée, de sorte qu'elle ne saurait être tenue pour responsable des coûts induits par cette participation volontaire à ces opérations.

Par un mémoire, enregistré le 29 juillet 2020, M. C... E..., représenté par la SELAS Larrieu et Associés, demande à la Cour de rejeter toute demande de condamnation formée par les parties à son encontre.

Il soutient que :

- sa responsabilité a été écartée par le jugement du 7 juillet 2017, s'agissant des désordres ayant affecté le rez-de-chaussée du bâtiment intérieur ;

- il s'associe aux demandes de la société CIEC quant au rejet du prétendu préjudice d'immobilisation des salles pendant les travaux de reprise ;

- l'Etat devra assumer, a minima, la charge de 25 % du montant des travaux de reprise des désordres affectant les locaux du rez-de-chaussée du bâtiment intérieur.

Par un mémoire, enregistré le 31 juillet 2020, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, représenté par le cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de la société CIEC ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande de première instance ;

3°) de condamner la société CIEC à verser à l'Etat une indemnité de 964 685,62 euros, assortie des intérêts légaux, avec capitalisation de ceux-ci, en réparation des préjudices résultant des désordres ayant affecté les locaux du rez-de-chaussée du centre de conférences ministériel, sans préjudice des conclusions de la requête n° 17PA03019 tendant à ce que la CIEC soit reconnue entièrement responsable ;

4°) de condamner la société CIEC à payer à l'Etat la somme de 16 187,40 euros, en remboursement des frais d'expertise avancés par lui ;

5°) de mettre à la charge de la société CIEC la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- aucun des propos de l'expert dont entend se prévaloir la société CIEC ne saurait établir une quelconque partialité de l'expert ;

- l'expert a, à juste titre, considéré que les travaux préconisés par la société Energypro étaient strictement nécessaires pour remédier aux désordres ; à cet égard, l'analyse réalisée, à la demande de l'expert, par le groupe Cetab, bureau d'études spécialisé dans les systèmes de sécurité incendie, a démontré que les solutions réparatoires proposées par les sociétés Energypro et Corétude ayant toutes deux une incidence sur le système de désenfumage existant, il convenait de mettre en conformité ce dernier ;

- la société CIEC ne saurait se prévaloir de ce qu'il utilise ses locaux ni de ce que la commission de sécurité procède à un examen ponctuel et non exhaustif de l'établissement et des installations techniques de sécurité incendie pour soutenir que l'installation de désenfumage est parfaitement conforme à l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires en vigueur ;

- l'expert a très légitimement retenu le projet de la société Energypro, seul adapté dès lors qu'il permet de traiter la non-conformité identifiée sur le système de désenfumage existant ;

- la société CIEC ne saurait contester le descriptif et le chiffrage des travaux préconisés par la société Energypro pour remédier aux désordres, qui ont fait l'objet d'importantes discussions contradictoires et de corrections, notamment à la baisse ;

- la note produite en toute fin d'expertise par la société CIEC, manquant à l'évidence de sérieux, a été écartée par l'expert qui a, à juste titre, établi le montant des travaux réparatoires à la somme de 550 938,50 euros ;

- le préjudice de jouissance tenant à l'immobilisation des salles, qui a fait l'objet de nombreuses discussions contradictoires lors des opérations d'expertise, est justifié à hauteur de la somme de 735 264 euros, validée par l'expert.

Par des mémoires, enregistrés le 31 juillet 2020 et le 5 octobre 2020, la société Idex Energies, représentée par Me Le Febvre, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de rejeter toutes conclusions d'appel en garantie de la société CIEC dirigées contre elle ;

2°) de mettre à la charge de la société CIEC la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 761-1 du Code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa responsabilité ayant été écartée par le jugement du 7 juillet 2017, sa mise hors de cause doit être confirmée s'agissant des travaux de reprise des désordres ayant affecté les locaux du rez-de-chaussée du CCM ;

- elle a été contrainte de participer aux opérations de la seconde expertise de M. A... et d'assurer sa défense devant le tribunal administratif de Paris puis la Cour.

Par un mémoire, enregistré le 16 septembre 2020, la société Génie des lieux conseil en management par l'espace, représentée par la SELAS Fusio Avocat, demande à la Cour :

1°) de rejeter toute demande de condamnation ou d'appel en garantie formée par les parties à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de toute partie perdante la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 761-1 du Code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle a été contrainte de participer aux opérations de la seconde expertise et d'assurer sa défense devant le tribunal administratif de Paris puis la Cour et s'en remet à la sagesse de celle-ci quant à la demande d'indemnisation complémentaire formée par l'Etat, l'évaluation faite par l'expert du préjudice de l'Etat, incluant un préjudice de jouissance, apparaissant toutefois manifestement excessive.

La requête a été communiquée à la société UTB, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code des marchés publics,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- les observations de Me Canavaggio, représentant la société Compagnie internationale d'engineering pour la construction (CIEC), et de Me Carenzi, représentant le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Considérant ce qui suit :

1. L'Etat a vendu à la société d'investissements CEREP Imprimerie, le 31 janvier 2006, un immeuble vétuste ayant abrité les locaux de l'Imprimerie nationale, situé au 27/29 rue de la Convention à Paris 15ème. Par acte du 18 juin 2007, la société précitée a revendu à l'Etat, sous la forme d'une vente en état futur d'achèvement (VEFA), cet immeuble, destiné à accueillir différents services et directions du ministère chargé des affaires étrangères et européennes. A ces deux ventes successives du même immeuble ont correspondu deux phases de travaux, la première, sous la maîtrise d'ouvrage de la société CEREP Imprimerie, consistant dans la réalisation de travaux banalisés et la seconde, sous la maîtrise d'ouvrage de l'Etat, consistant dans la réalisation de travaux d'aménagement spécifiques, en adéquation avec les besoins du ministère. S'agissant de la seconde phase de travaux, par un acte d'engagement signé le 9 octobre 2007, l'Etat a confié la maîtrise d'œuvre de l'opération à un groupement composé, notamment, de la société CIEC en qualité de bureau d'études mandataire de ce groupement, du cabinet d'architecte Pierre E... et de la société Génie des lieux, en qualité de planificateur d'espace. Il a également confié à la société UTB, par acte d'engagement notifié le 9 janvier 2009, le lot n° 9, ayant notamment pour objet les travaux d'installation du système de chauffage-ventilation-climatisation (CVC) du rez-de-chaussée et du premier étage du bâtiment intérieur, ce dernier niveau, dénommé " halle centrale ", abritant des bureaux et des espaces de réunion, dont la salle d'assemblée plénière du centre de conférences ministériel (CCM). La société Idex Energies s'est vue ultérieurement confier la maintenance du système de CVC. Le maître d'ouvrage a prononcé la réception des travaux du lot n° 9 par une décision du 19 mars 2012 avec effet au 15 mars 2010.

2. Il résulte de l'instruction que les travaux de la seconde phase ont été achevés en mars 2009 et que, peu après leur installation dans les nouveaux locaux, de nombreux agents du ministère se sont plaints d'un inconfort induit par le système de climatisation, caractérisé notamment par des courants d'air excessifs et une sensation de froid dans les postes de travail ainsi que par un air trop sec, notamment dans la halle centrale, entraînant des problèmes oculaires. A la suite de l'apparition de ces désordres, l'Etat a sollicité, d'une part, du tribunal de grande instance de Paris, la désignation d'un expert en vue de leur examen dans le cadre de la première phase de travaux. Cet expert, M. D..., a déposé son rapport le 28 juin 2012. D'autre part, l'Etat a sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Paris la désignation d'un expert en vue d'examiner les désordres dans le cadre de la seconde phase de travaux. Ce dernier expert, M. A..., a déposé son rapport le 30 janvier 2014. Par un jugement n° 1519940 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a, en premier lieu, condamné la société CIEC à verser à l'Etat une somme de 777 235 euros, en réparation des préjudices nés des désordres ayant affecté le premier étage du bâtiment intérieur, laissant à la charge du maître de l'ouvrage un quart de ses préjudices, et a condamné le cabinet Pierre E... à garantir la société CIEC à hauteur de 15 % de sa condamnation. Il a, d'autre part, ordonné, avant-dire droit, une expertise complémentaire en vue de déterminer le coût des travaux nécessaires à la réparation des désordres affectant les locaux situés au rez-de-chaussée du bâtiment intérieur. Au titre de cette dernière mesure, M. A..., de nouveau mandaté par le tribunal administratif de Paris, a déposé son rapport le 7 janvier 2019. A la suite de ce dernier rapport, le même tribunal a, par un jugement n° 1519940 du 8 octobre 2019, condamné la société CIEC à verser à l'Etat une somme de 413 237,62 euros, compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus mentionné, en réparation des préjudices nés des désordres affectant le rez-de-chaussée du bâtiment intérieur.

3. La société CIEC relève appel, en premier lieu, du jugement du 7 juillet 2017 en tant qu'il l'a condamnée à verser à l'Etat, à titre principal, une somme de 777 235 euros en réparation des désordres ayant affecté le système aéraulique du premier étage du bâtiment intérieur et, en second lieu, du jugement du 8 octobre 2019 en tant qu'il l'a condamnée à verser à l'Etat, à titre principal, une somme de 413 237,62 euros, en réparation des désordres ayant affecté les installations de climatisation du rez-de-chaussée du bâtiment intérieur. Elle demande en outre à la Cour d'être garantie de toute condamnation prononcée à son encontre, au titre des deux instances, par la société UTB, le cabinet Pierre E..., la société Génie des lieux et la société Idex Energies, dans des proportions diverses. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande, par la voie de l'appel incident, la condamnation solidaire de la société CIEC, du cabinet Pierre E... et de la société UTB à verser à l'Etat une indemnité de 1 044 722,03 euros en réparation des préjudices résultant des désordres ayant affecté le système de climatisation du premier étage du bâtiment intérieur et la condamnation de la société CIEC à verser à l'Etat une indemnité de 964 685,62 euros en réparation des préjudices résultant des désordres ayant affecté les locaux du rez-de-chaussée du CCM. Sous le n° 17PA03019, le cabinet d'architecte Pierre E... demande, également par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement du 7 juillet 2017 en tant qu'il l'a condamné à garantir la société CIEC à hauteur de 15 % de la condamnation prononcée à son encontre et demande à être garanti de toute condamnation prononcée à son encontre par les sociétés CIEC, UTB, Génie des lieux et Idex Energies. Sous le même numéro, la société UTB demande à être garantie de toute condamnation prononcée à son encontre par la société CIEC, le cabinet Pierre E... et la société Idex Energies.

4. Les requêtes de la société CIEC présentent à juger des questions identiques et concernent l'exécution du même marché public. Il y a lieu, par suite, de les joindre afin qu'il soit statué par un seul arrêt.

Sur les conclusions de l'appel principal de la société CIEC et de l'appel incident du ministre de l'Europe et des affaires étrangères enregistrées sous le n° 17PA03019 :

En ce qui concerne la responsabilité :

S'agissant de la responsabilité contractuelle :

5. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. En l'absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ne se poursuivent qu'au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves. Pour le reste, elle interdit au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation.

Quant à la responsabilité contractuelle de la société UTB :

6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise de M. A... du 30 janvier 2014, ainsi que du rapport d'expertise de M. D... du 28 juin 2012, retenu à titre d'information par la Cour dès lors que ce rapport a été versé au dossier et soumis, de ce fait, au débat contradictoire entre les parties, qu'ont été constatés d'importants dysfonctionnements du système de ventilation et de climatisation sur le site " Convention ", provoquant un inconfort thermique de nombreux personnels travaillant dans les bureaux et salles de réunion du premier étage du bâtiment intérieur, notamment dans la salle plénière du centre de conférences ministériel, ainsi que dans les salles de réunion du rez-de-chaussée. Il résulte toutefois du procès-verbal du 19 mars 2012 que le maître d'ouvrage a prononcé la réception des travaux du lot n° 9 attribué à la société UTB avec effet à la date du 15 mars 2010, " sous réserve de l'exécution des travaux ou prestations concernant (voir annexe 1) avant le 15/01/2011 ". L'annexe à ce procès-verbal, intitulée " Liste de réserves et de travaux à finir - Mise à jour du 22 septembre 2010 ", comprend une liste de cinq réserves, qui doivent être regardées comme émises à la date du 22 septembre 2010, dont deux seulement concernent l'installation de climatisation, au demeurant au seul niveau " rez-de-chaussée ". Il résulte de cette même annexe que les prestations correspondant à ces deux réserves, à savoir une prise de mesure et une vérification à effectuer, ont été exécutées en 2011 par la société UTB. Par suite et dès lors que le procès-verbal de réception a été signé par la personne responsable du marché, ces réserves doivent être regardées, contrairement à ce que soutient le ministre, comme ayant été levées à la date de ce procès-verbal, soit le 19 mars 2012, en l'absence de production de toute pièce de nature à infirmer cette appréciation. Cette réception a, compte tenu de ce qui a été dit au point 5, mis fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et la société UTB, titulaire du lot n° 9 " chauffage-ventilation-climatisation-plomberie-sanitaires ", en ce qui concerne la réalisation de l'installation de climatisation. Le ministre ne saurait dès lors utilement invoquer des fautes d'exécution de cette société et une violation de son devoir de conseil au cours de l'exécution du marché.

Quant à la responsabilité contractuelle de la société CIEC et du cabinet d'architecte Pierre E... :

7. La responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier. Toutefois, d'une part, cette responsabilité peut être atténuée lorsque le maître d'ouvrage avait lui-même une connaissance suffisante des défectuosités affectant l'ouvrage et a accepté d'en prononcer la réception. D'autre part, la réception de l'ouvrage mettant fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage, la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre ne peut plus être engagée au titre de fautes qu'il aurait commises dans la conception de l'ouvrage.

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des deux rapports d'expertise précités, que les désordres ci-dessus mentionnés résultent en particulier d'erreurs de conception de la société CIEC et du cabinet d'architecte Pierre E..., concernant tant l'installation du réseau aéraulique proprement dit que l'aménagement des locaux destinés à devenir des bureaux, notamment l'implantation du cloisonnement, qui a eu des incidences sur le fonctionnement de ce réseau. Toutefois et ainsi qu'il a été dit au point 6, le maître d'ouvrage a procédé à la réception des ouvrages en levant le 19 mars 2012 les réserves antérieurement émises quant à l'installation de climatisation, concernant le seul rez-de-chaussée. Par suite, le ministre n'est pas fondé à rechercher la responsabilité contractuelle de la société CIEC et du cabinet d'architecte Pierre E..., maîtres d'œuvre des travaux, à raison des vices de conception des travaux réalisés.

9. En second lieu, et pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8, le ministre n'est pas davantage fondé à invoquer des manquements des maîtres d'œuvre dans le suivi de l'exécution des travaux et dans leur obligation de conseil et de préconisation envers le maître d'ouvrage aux stades de la conception et de l'exécution de l'ouvrage, toutes prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage.

10. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 30 janvier 2014, que s'ils résultent pour partie d'erreurs de conception de la société CIEC et du cabinet Pierre E..., les désordres affectant l'installation de climatisation ont été aggravés par des défauts d'exécution imputables à la société UTB. Ces derniers consistent dans de nombreux dysfonctionnements aérauliques dans les salles de réunion périphériques à la salle plénière ainsi que dans les couloirs desservant ces salles, des vitesses d'air excessives sur six diffuseurs à déplacements, une absence de réserves émises par cette société au regard de la réalisation d'une installation de conditionnement d'air présentant d'importantes anomalies de conception, alors qu'elle intervenait en qualité d'entreprise spécialisée dans ce type d'installation, la présence d'un débit d'extraction sur des bouches réservées au désenfumage, des débits très faibles sur les bouches d'extraction ainsi qu'une absence totale de débit d'extraction dans le couloir et dans les salles 2A et 3, des débits théoriques non portés sur les plans d'UTB et non communiqués à l'expert et, enfin, des vitesses d'air résiduelles à plus de 0,80 m/s, bien au-dessus du critère de confort de 0,20 m/s. Il résulte par ailleurs du cahier des clauses particulières (CCP) du marché de maîtrise d'œuvre que la société CIEC et le cabinet d'architecte Pierre E... étaient titulaires d'une mission complète de maîtrise d'œuvre impliquant notamment une assistance au maître d'ouvrage lors des opérations de réception. Au titre de cette assistance, les maîtres d'œuvre devaient notamment, en vertu des articles 7-2.4 et 8-1 de l'annexe 1, " (établir) un calendrier détaillé des opérations préalables à la réception intégrant notamment les essais, les contrôles divers et la mise en service des équipements techniques (...), (planifier) et (coordonner) les travaux à effectuer pour la levée des réserves ; (...) reconnaître la conformité des ouvrages exécutés avec les documents contractuels, par une visite systématique et détaillée ; réaliser les essais de réception (...) ; vérifier que les épreuves, analyses et essais imposés par le marché ont été exécutés par l'entreprise (...) ; faire connaître à l'entrepreneur dans un délai de cinq jours... s'il a ou non proposé au maître de l'ouvrage la réception des ouvrages avec mention des réserves éventuelles (...) ".

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 que, d'une part, au regard des missions précitées des maîtres d'œuvre dans le cadre des opérations de réception, si ceux-ci avaient procédé aux divers contrôles qui leur incombaient selon les règles de l'art, ils auraient pu avoir connaissance, à tout le moins, des vices entachant l'exécution de l'ouvrage. D'autre part, il resulte de l'instruction que les réserves relatives au système de climatisation émises le 22 septembre 2010 ont été levées le 19 mars 2012 à la suite d'une simple prise de mesure et de vérifications effectuées en 2011 par la société UTB et n'ont en tout état de cause pas permis d'éclairer utilement le maître d'ouvrage sur la nature et l'ampleur des désordres, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges. Dans ces conditions, en proposant la réception des travaux sans autre réserve, alors qu'ils auraient dû identifier au moins les désordres mentionnés au point 10, la société CIEC et le cabinet d'architecte Pierre E..., qui ne soutiennent ni même n'allèguent ne pas avoir participé aux opérations de réception, ont commis un manquement à leur obligation de conseil lors de ces opérations. Par suite, la société CIEC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a jugé que sa responsabilité et celle du cabinet d'architecte Pierre E... étaient engagées sur le fondement du manquement à leur devoir de conseil lors des opérations de réception des travaux, au titre des désordres affectant les installations de climatisation du bâtiment intérieur.

12. En quatrième lieu, les maîtres d'œuvre soutiennent qu'ainsi que l'a retenu l'expert, 50 % des désordres allégués doivent être imputés aux locateurs d'ouvrage de la première phase de travaux, ces derniers ayant commis, selon l'expert, " une erreur majeure de conception " du réseau aéraulique, préexistante à la leur. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 11, la faute retenue à l'encontre des maîtres d'œuvre ne consiste pas dans un vice de conception de l'ouvrage mais dans un manquement à leur devoir de conseil lors des opérations de réception des travaux, au regard duquel l'erreur de conception des locateurs d'ouvrage de la première vague reste sans incidence. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que les maîtres d'œuvre étaient en mesure de constater cette erreur de conception, qu'il leur appartenait de porter à la connaissance du maître de l'ouvrage.

13. Enfin, il résulte de l'instruction que le ministre était au courant, dès l'année 2009, du désordre d'inconfort affectant l'ouvrage dont se plaignaient les agents qui lui ont ensuite, de manière récurrente, demandé d'intervenir pour le faire cesser. A cet égard, il a d'ailleurs fait valoir, dans sa requête en référé expertise devant le tribunal administratif de Paris, enregistrée le 6 juin 2012, que : " De nombreux désordres sont apparus postérieurement à la livraison des locaux et notamment des désordres affectant la climatisation des locaux. Outre les désordres dans la régulation et l'enregistrement des variations de températures, la climatisation provoque un effet "douche froide" très inconfortable et qui rend les conditions de travail particulièrement difficiles et inacceptables. Les agents du ministère se plaignent d'un véritable inconfort : ils sont frigorifiés l'hiver et se plaignent de souffle d'air froid, leur causant, pour certains des maux de tête (...) / Il est ainsi versé à la procédure les réclamations des agents du MAEE (ministère de l'Europe et des affaires étrangères) qui, depuis 2009, se plaignent à répétition de leur inconfort et interrogent régulièrement le Ministère, via les syndicats, sur les mesures prises pour améliorer la situation ". Par suite, ce désordre pouvait être appréhendé dans toute son étendue et ses conséquences par un maître d'ouvrage normalement précautionneux, alors même qu'il n'en connaissait pas l'origine précise. Les représentants du maître de l'ouvrage ont, dès lors, commis une grave imprudence en se bornant, lors de la réception des travaux, à émettre des réserves limitées à une prise de mesure au niveau rez-de-chaussée et à la vérification d'un problème d'extraction d'air, d'ailleurs levées le 19 mars 2012, qui étaient sans rapport avec la consistance et l'ampleur de ces désordres.

14. Au total, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en estimant que, en raison du manquement à leur devoir de conseil lors des opérations de réception des travaux, les maîtres d'œuvre doivent être regardés comme responsables à hauteur de 50 % des désordres liés à l'installation de climatisation du bâtiment. Il suit de là que la société CIEC, mandataire solidaire de chacun des membres du groupement, cotraitants groupés conjoints, pour ses obligations contractuelles à l'égard de la personne publique, et à ce titre condamnée par le tribunal administratif à supporter la totalité des conséquences dommageables imputées aux maîtres d'œuvre, est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge 75% des préjudices résultant des désordres ayant affecté le bâtiment intérieur. Il convient de ramener cette part à 50 %.

S'agissant de la responsabilité décennale des constructeurs :

15. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Ces constructeurs sont responsables de plein droit sur le fondement de ces principes dès lors que les désordres en cause n'étaient ni apparents ni prévisibles à la date de réception de l'ouvrage.

16. Il résulte de l'instruction que le ministre a fait état lui-même de nombreux éléments, relatifs notamment à des notes internes de chefs de services opérant sur le site " Convention ", aux plaintes répétitives des agents, parfois accompagnées d'une pétition, à diverses interventions syndicales ainsi qu'à ses propres déclarations, telles que mentionnées au point 13, de nature à établir qu'il ne pouvait ignorer, à la date de la réception des travaux, et dans toute leur ampleur, les dysfonctionnements importants du système aéraulique du rez-de-chaussée et du premier étage du bâtiment intérieur. Par suite, les désordres tenant à la défectuosité de l'installation de climatisation étaient apparents à cette date. En conséquence, et sans qu'il soit besoin de se prononcer, notamment, sur le fait de savoir si ce désordre d'inconfort thermique était de nature à rendre les locaux concernés impropres à leur destination, le ministre n'est pas fondé à rechercher la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale.

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :

17. En premier lieu, le ministre fait valoir qu'il s'est trouvé, face aux nombreuses réclamations des agents et des syndicats, dans l'obligation de trouver, en cours d'expertise, une solution provisoire de nature à améliorer rapidement les conditions de travail des agents et des occupants des bureaux et des salles de réunion du CCM. Il soutient ainsi qu'il a engagé des coûts d'études, au travers d'un marché de maîtrise d'œuvre passé avec la société Technibat, ayant pour objet " le raccordement, la mise en service et le suivi d'une installation conservatoire de ventilation pour amélioration du confort des agents du site Convention du ministère des affaires étrangères ", pour un montant de 11 711,23 euros TTC, et des travaux " conservatoires ", par un marché de travaux passé avec la société Idex Energies, pour un coût final, suivant facture de cette dernière, de 228 275,53 euros TTC. La société CIEC soutient que ces mesures provisoires constituent en réalité des travaux d'amélioration, insusceptibles d'ouvrir droit à indemnisation, au motif notamment qu'ils ont eu pour objet d'accroître les performances de l'installation en termes de chauffage alors que l'expert n'a relevé aucune insuffisance à cet égard. Toutefois, ces travaux visaient à remédier au désordre global d'inconfort thermique subi par les personnels et occupants du site, pour la période transitoire allant du 22 octobre 2012 au 26 juillet 2013, date de dépose du matériel qui a fait l'objet d'une location simple, pendant que les désordres constatés faisaient l'objet de l'expertise ordonnée le 1er août 2012 et que les travaux définitifs ne pouvaient pas encore être réalisés, et ont ainsi revêtu un caractère nécessaire et utile. Par suite, le ministre est fondé à demander à la société CIEC le versement, au titre de cette solution provisoire, dont le montant global est de 239 986,76 euros TTC, et compte tenu du partage de responsabilité mentionné au point 14, la somme de 119 993,38 euros TTC.

18. En second lieu, en réparation du préjudice résultant des désordres affectant l'ouvrage réalisé, le maître d'ouvrage est fondé à demander à être indemnisé à hauteur des frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 30 janvier 2014, que les travaux nécessaires à la réparation des désordres ont fait l'objet d'un marché de maîtrise d'œuvre conclu avec la société Technibat, pour un montant global, incluant l'avenant n° 1, de 34 526,13 euros TTC, d'un marché de travaux conclu avec la société Cogeef, pour un montant global, incluant l'avenant n° 1, de 658 846,69 euros TTC, ainsi que de diverses prestations consistant dans les rémunérations du coordinateur sécurité protection de la santé et du contrôleur technique, une prestation de réarmement du système de sécurité incendie suite à un essai de clapets ainsi qu'une mise à jour du logiciel GTB (Gestion technique du bâtiment), le tout pour un montant global de 707 412,40 euros TTC. La société CIEC soutient que ces travaux définitifs constituent également des travaux d'amélioration, insusceptibles d'ouvrir droit à indemnisation, dès lors qu'en visant à dissocier l'alimentation aéraulique de la salle plénière et celle de la Halle par reconnexion du réseau de soufflage de la Halle sur une centrale de traitement d'air neuve, ils reportent la totalité du débit d'air existant de 28 000 mètres cube par heure sur la Halle, ce qui constitue une amélioration des performances du système de chauffage/ventilation/climatisation. Toutefois, il résulte de l'instruction que ces travaux de reprise, qui ont été validés en tous points par l'expert, tant dans leur principe que dans leur montant, correspondent aux travaux strictement nécessaires pour rendre l'ouvrage conforme à sa destination en usant des procédés de remise en état les moins onéreux possibles. Par suite et compte tenu du partage de responsabilité mentionné au point 14, il sera fait une exacte appréciation du montant de ces travaux de reprise, dont le ministre est fondé à demander le versement, en l'évaluant à la somme de 353 706,20 euros TTC.

19. En troisième lieu, le ministre invoque des frais de conseil, pour un montant total de 88 914,60 euros. S'il produit au soutien de cette demande une série de notes d'honoraires d'un cabinet d'avocats, datées du 27 août 2012 au 15 octobre 2015, période au cours de laquelle se sont déroulées les opérations d'expertise relatives aux deux procédures mentionnées au point 2, seules trois de ces notes d'honoraires, en date des 27 février 2013, 14 mai 2013 et 16 juillet 2013, portant le même numéro de dossier et la mention " Prestations effectuées en matière de droit de la construction (litige climatisation) " doivent être regardées comme en lien direct et certain avec les désordres subis par le ministre relatifs à l'installation de climatisation du site " Convention ". Par suite, ce dernier est seulement fondé à demander le remboursement de ces trois notes, pour un montant global, compte tenu du partage de responsabilité susmentionné, de 7 141,48 euros.

20. Enfin, si le ministre invoque, à hauteur d'une somme de 13 959,30 euros, une " mobilisation anormale " de ses agents " du fait des opérations d'expertise mais également des nombreuses démarches qui ont dû être réalisées pour essayer de remédier à l'inconfort ", une telle demande, au caractère imprécis et qui n'est en tout état de cause accompagnée d'aucun justificatif, doit être rejetée.

21. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la société CIEC est seulement fondée à demander que la somme mise à sa charge en réparation des préjudices résultant des désordres ayant affecté le premier étage du bâtiment intérieur soit ramenée à la somme de 480 841,06 euros TTC et, d'autre part, que les conclusions d'appel incident du ministre de l'Europe et des affaires étrangères doivent être rejetées.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

22. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article 1231-6 du même code, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'Etat a droit aux intérêts moratoires au taux légal correspondant à l'indemnité mentionnée au point précédent à compter de la date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Paris, soit le 7 décembre 2015. Par ailleurs, l'Etat a demandé la capitalisation de ces intérêts le 7 décembre 2015. En application de l'article 1343-2 du code civil, cette demande prend effet à compter du 7 décembre 2016, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière.

Sur les appels en garantie :

En ce qui concerne les conclusions de la société CIEC tendant à ce que le cabinet d'architecte Pierre E... soit appelé à la garantir à hauteur de 50 % de la totalité des condamnations prononcées à son encontre :

23. Lorsque le juge administratif est saisi d'un litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics opposant le maître d'ouvrage à des constructeurs qui ont constitué un groupement pour exécuter le marché, il est compétent pour connaître des actions en garantie engagées par les constructeurs les uns envers les autres si le marché indique la répartition des prestations entre les membres du groupement. Si tel n'est pas le cas, le juge administratif est également compétent pour connaître des actions en garantie entre les constructeurs, quand bien même la répartition des prestations résulterait d'un contrat de droit privé conclu entre eux, hormis le cas où la validité ou l'interprétation de ce contrat soulèverait une difficulté sérieuse.

24. Il résulte de l'instruction, notamment de l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre du 9 octobre 2007, auquel six cotraitants conjoints étaient parties, formant le groupement de maîtrise d'œuvre dont la société CIEC était le mandataire solidaire, que le cabinet d'architecte Pierre E... a signé cet acte en qualité de deuxième contractant. Il résulte en particulier de l'annexe 1 à cet acte, comprenant le tableau de répartition des honoraires entre les membres du groupement, que le cabinet E... a perçu des honoraires pour l'ensemble des postes de mission relatifs au chantier n° 1, incluant le plateau de bureaux du rez-de-chaussée, et relatifs au chantier n° 2, incluant la partie centrale du rez-de-chaussée. Par suite, la société CIEC est fondée à soutenir que le cabinet d'architecte Pierre E..., contrairement à ce qu'il soutient, est impliqué tant dans les désordres du premier étage que dans ceux du rez-de-chaussée du bâtiment intérieur.

25. Toutefois, en premier lieu, au soutien de ses conclusions tendant à ce que le cabinet d'architecte Pierre E... soit appelé à la garantir à hauteur de 50 % de toutes les condamnations prononcées à son encontre, la société CIEC invoque les erreurs de conception que celui-ci aurait commises et qui ont été retenues par l'expert. Or les fautes retenues à l'encontre de la société CIEC pour engager sa responsabilité contractuelle envers le maître d'ouvrage étant étrangères à la réalisation de l'ouvrage, ainsi qu'il a été dit au point 7, la société CIEC ne peut utilement invoquer des erreurs de conception du cabinet d'architecte Pierre E... au soutien de son appel en garantie.

26. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment de l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre du 9 octobre 2007, que figure en annexe de cet acte deux tableaux de répartition des honoraires entre les différents membres du groupement, respectivement relatifs au chantier n° 1, qui concerne les plateaux de bureaux du rez-de-chaussée et des 1er, 2ème et 3ème étages, et au chantier n° 2, qui concerne la Halle centrale du 1er étage, la partie centrale du rez-de-chaussée et les deux bâtiments annexes. Ces tableaux, s'ils indiquent les honoraires alloués globalement par mission et individuellement pour chacun des membres du groupement et chacune des missions, ne valent toutefois pas répartition des travaux entre les membres, s'agissant en particulier de la mission " Assistance aux opérations de réception (AOR) ". Par suite, cette seule annexe à l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre ne peut fonder les conclusions d'appel en garantie de la société CIEC dirigées contre le cabinet Pierre E.... En outre, en réponse à la mesure diligentée par la Cour dans le cadre de son pouvoir général d'instruction auprès de la société CIEC, du cabinet d'architecte Pierre E... et de la société Génie des lieux, aucun de ceux-ci n'a produit de document utile de nature à permettre à la Cour d'apprécier la répartition des travaux entre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre, notamment concernant la mission AOR. Dans ces conditions, la société CIEC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a condamné le cabinet Pierre E... à la garantir à hauteur de 15 % seulement de la condamnation prononcée à son encontre au titre des désordres ayant affecté le premier étage du bâtiment intérieur.

En ce qui concerne les conclusions du cabinet d'architecte Pierre E... dirigées contre le jugement en tant qu'il le condamne à garantir la société CIEC :

27. Le cabinet d'architecte Pierre E... fait valoir que les désordres trouvent leur cause dans des vitesses d'air trop importantes, lesquelles relèvent de dysfonctionnements de l'installation de climatisation qui ne relèvent pas de son champ d'intervention, que le programme d'aménagement du ministère imposait la position des cloisons et qu'il incombait à la société CIEC de réaliser la synthèse des missions dévolues à la maîtrise d'œuvre et de répondre seule d'une éventuelle responsabilité de la maîtrise d'œuvre au titre de l'implantation des cloisons. Toutefois, ces circonstances sont sans incidences sur la part respective de responsabilité des maîtres d'œuvres dans le manquement à leur devoir de conseil à l'égard du maître d'ouvrage lors des opérations de réception des travaux. Le cabinet d'architecte Pierre E... n'apportant, pas plus que la société CIEC, d'élément pertinent de nature à permettre à la Cour d'apprécier la répartition des travaux entre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre, notamment concernant la mission AOR, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamné à garantir la société CIEC à hauteur de 15 % de la condamnation prononcée à son encontre au titre des désordres ayant affecté le premier étage du bâtiment intérieur.

En ce qui concerne les conclusions d'appel en garantie de la société CIEC et du cabinet d'architecte Pierre E... à l'encontre de la société Génie des lieux :

28. Au soutien de leurs conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société Génie des lieux, membre du groupement de maître d'œuvre, la société CIEC et le cabinet d'architecte Pierre E... invoquent les fautes d'exécution que celle-ci aurait commises, notamment dans l'implantation des cloisons et l'agencement des bureaux. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction, au vu notamment du rapport de l'expert, que la société Génie des lieux aurait commis dans l'exercice de sa mission des fautes qui seraient à l'origine des désordres. En tout état de cause, la faute retenue à l'encontre de la maîtrise d'œuvre pour engager sa responsabilité contractuelle envers le maître d'ouvrage étant étrangère à la réalisation de l'ouvrage, ils ne peuvent utilement invoquer des fautes d'exécution au soutien de leurs conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société Génie des lieux.

En ce qui concerne les conclusions d'appel en garantie de la société CIEC et du cabinet d'architecte Pierre E... à l'encontre de la société UTB et de la société Idex Energies :

29. Le préjudice subi par le maître d'ouvrage qui a été privé de la possibilité de refuser la réception des ouvrages ou d'assortir cette réception de réserves, du fait d'un manquement du maître d'œuvre à son obligation de conseil, et dont ce dernier doit réparer les conséquences financières, n'est pas directement imputable aux manquements aux règles de l'art commis par les entreprises en cours de chantier. Par suite, les conclusions présentées par la société CIEC et par le cabinet d'architecte Pierre E..., tendant à ce que la société UTB, chargée de la réalisation des travaux, et la société Idex Energies, chargée de la maintenance de l'installation de climatisation, soient condamnées à les garantir des condamnations mises à leur charge, ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne l'appel en garantie de la société UTB à l'encontre de la société CIEC, du cabinet E... et de la société Idex Energies :

30. Aucune condamnation n'étant prononcée par le présent arrêt à l'encontre de la société UTB, ses conclusions d'appel en garantie sont sans objet.

Sur les frais d'expertise :

31. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...). Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

32. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser les frais et honoraires de l'expertise de M. A... du 30 janvier 2014, taxés et liquidés à la somme de 22 360, 97 euros TTC par une ordonnance du 10 avril 2014 du vice-président du tribunal administratif de Paris, pour moitié à la charge de l'Etat et, par suite, de ramener les sommes que la société CIEC et le cabinet d'architecte Pierre E... doivent rembourser à l'Etat à ce titre à respectivement 9 503 euros et 1 677 euros.

33. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société CIEC est seulement fondée à demander que, d'une part, la somme mise à sa charge en exécution du marché de travaux soit ramenée à 480 841,06 euros TTC assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter du 7 décembre 2015 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 7 décembre 2016, puis à chaque échéance annuelle, et, d'autre part, que la somme mise à sa charge au titre des frais d'expertise soit ramenée à la somme de 9 503 euros TTC. Le cabinet d'architecte Pierre E... est seulement fondé à demander que la somme mise à sa charge au titre des frais d'expertise soit ramenée à 1 677 euros TTC. Les conclusions d'appel incident de l'Etat doivent être, quant à elles, rejetées.

Sur les conclusions de l'appel principal de la société CIEC et de l'appel incident du ministre de l'Europe et des affaires étrangères enregistrées sous le n° 19PA03911 :

En ce qui concerne la régularité de l'expertise :

34. En premier lieu, la société CIEC fait valoir que l'expert, d'une part, a mentionné que le projet de la société Energypro, mandatée par le ministre, lui " est apparu, d'entrée le plus complet ", en comparaison de celui du cabinet Corétude, qu'elle avait mandaté, d'autre part, a évoqué, s'agissant du rapport de la société B2M, également mandatée par elle, la " pauvreté " de ses arguments techniques, et, enfin, a considéré que l'étude d'Energypro ne proposait que des travaux de remise en état, " sous le contrôle des représentants de CIEC d'ailleurs, qui n'ont rien trouvé à redire ", ce qui a été contredit par la suite des opérations d'expertise. Toutefois, ces éléments ne sont pas de nature à caractériser un manquement par l'expert à son devoir d'impartialité dans la conduite des opérations d'expertise, ni à révéler un parti pris en faveur du ministre. De même, la brièveté de son rapport, qui s'appuie au demeurant sur de nombreuses notes aux parties figurant en annexes avec les dires de celles-ci et les études qui les fondent, n'est pas de nature à révéler un manquement de l'expert dans l'accomplissement de sa mission ni en tout état de cause à remettre en cause son impartialité.

35. En deuxième lieu, s'il résulte de l'instruction que le poste de préjudice relatif au coût de location des salles de remplacement n'a été invoqué par le ministre que par un dire du 12 décembre 2018, réceptionné le jour même par les autres parties, alors que le délai ultime de communication des dires récapitulatifs des parties avait été fixé par l'expert au 18 décembre 2018, la société CIEC, qui avait été rendue destinataire de la note n° 9 du ministre du 28 septembre 2018 fixant le planning prévisionnel des travaux, a été mise à même de présenter utilement des observations sur ce poste de préjudice, ce qu'elle pouvait en outre encore faire avant la remise du rapport de l'expert au greffe du tribunal si elle estimait notamment que celui-ci se fondait sur des faits matériellement inexacts. Il s'ensuit que la société CIEC n'est pas fondée à soutenir que l'évaluation par l'expert du préjudice tenant au coût de location des salles de remplacement n'aurait pas été précédée d'une procédure contradictoire.

36. Enfin, s'il n'entrait pas dans la mission de l'expert, telle que prévue par l'article 4 du jugement précité du 7 juillet 2017, d'évaluer le préjudice invoqué par le ministre tenant au coût de location de salles de remplacement résultant de l'immobilisation des salles du rez-de-chaussée du bâtiment intérieur pendant la durée des travaux de reprise, cette seule circonstance n'est pas, par elle-même, de nature à entacher cette expertise d'irrégularité. Elle ne fait pas obstacle à ce que, dès lors qu'ils ont été soumis au débat contradictoire en cours d'instance, les éléments de l'expertise par lesquels l'expert se prononce au-delà des termes de sa mission soient régulièrement pris en compte par le juge à titre d'éléments d'information, sous réserve qu'ils ne soient pas infirmés par d'autres éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige. Par suite, la société CIEC n'est pas fondée à demander que le rapport d'expertise soit écarté comme irrégulier.

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :

37. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert, que ce dernier a évalué le montant des travaux de reprise des désordres affectant le rez-de-chaussée du bâtiment intérieur à la somme de 550 983,50 euros TTC, sur la base du projet proposé par la société Energypro. La société CIEC conteste le bien-fondé de cette évaluation en soutenant que la solution proposée par cette société est la plus onéreuse en ce qu'elle conduit notamment à une réfection complète du système de désenfumage, non nécessaire dès lors que les installations relatives à ce système sont conformes à la réglementation. Elle fait valoir à cet égard que les évaluations proposées par la société Corétude, et en dernier lieu par la société B2M, qui n'ont pas d'incidence sur le système de désenfumage et permettent donc d'éviter de le remettre en cause, permettraient une solution réparatoire satisfaisante et moins onéreuse. Elle n'apporte toutefois au soutien de cette argumentation, déjà soulevée, dans des termes similaires, devant le tribunal administratif de Paris, aucun élément nouveau susceptible de remettre en cause l'appréciation que les premiers juges ont, à bon droit, portée sur celle-ci, qui doit, dès lors, être écartée par adoption des motifs retenus par le tribunal. Par suite, il sera fait une exacte appréciation du coût de ces travaux de reprise en le fixant à la somme de 550 983,50 euros TTC retenue par le tribunal. Compte tenu du partage de responsabilité mentionné au point 14, la somme mise à la charge de la société CIEC au titre de ces travaux de reprise doit être ramenée à 275 491,75 euros TTC.

38. En second lieu, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères invoque un préjudice tenant au coût de location de salles de remplacement résultant de l'immobilisation des salles du rez-de-chaussée pendant la durée des travaux de reprise, soit une durée de douze semaines, à hauteur de la somme de 735 264 euros. Il fait notamment valoir que, compte tenu de la spécificité des salles de conférence du CCM qui sont utilisées par des agents diplomatiques et hauts dignitaires dans le cadre de conférences d'envergure, l'Etat ne dispose pas de locaux similaires permettant de continuer à accueillir, dans des conditions équivalentes, les différentes réunions et conférences ministérielles ou diplomatiques. Toutefois, si le ministre se prévaut d'un devis de l'organisme UIC-P Espace Congrès, il ne produit aucune pièce aux fins d'établir le préjudice qu'il aurait effectivement subi pendant la période des travaux concernés, non plus qu'aucun élément de nature à établir l'absence, aux fins d'accueillir des réunions ou conférences pendant cette période, de solution alternative à la location de salles auprès d'un prestataire extérieur, notamment au sein d'autres administrations de l'Etat ou collectivités publiques. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

39. Compte tenu de ce qui a été dit au point 22, l'Etat a droit aux intérêts moratoires au taux légal sur l'indemnité mentionnée au point 37 à compter de la date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Paris, soit le 7 décembre 2015. Par ailleurs, l'Etat a demandé la capitalisation de ces intérêts le 7 décembre 2015. En application de l'article 1343-2 du code civil, cette demande prend effet à compter du 7 décembre 2016, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière.

En ce qui concerne les frais d'expertise :

43. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, tendant à ce que les frais et honoraires de l'expertise de M. A... du 7 janvier 2019 soit mis en totalité à la charge de la société CIEC.

44. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que la société CIEC est seulement fondée à soutenir que la somme mise à sa charge en en réparation des préjudices nés des désordres affectant le rez-de-chaussée du bâtiment intérieur doit être ramenée à 275 491,75 euros TTC, assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter du 7 décembre 2015 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 7 décembre 2016, puis à chaque échéance annuelle. L'appel incident de l'Etat doit, quant à lui, être rejeté.

Sur les frais des instances :

45. Il résulte de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société CIEC et non compris dans les dépens des deux instances. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par l'Etat à ce titre. Enfin, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les autres parties au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 777 235 euros TTC que la société CIEC a été condamnée à verser à l'Etat par le jugement n° 1519940 du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2017 est ramenée à la somme de 480 841,06 euros TTC, avec intérêts moratoires au taux légal à compter du 7 décembre 2015. Les intérêts échus à la date du 7 décembre 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La somme de 413 237,62 euros TTC que la société CIEC a été condamnée à verser à l'Etat par le jugement n° 1519940 du tribunal administratif de Paris du 8 octobre 2019 est ramenée à la somme de 275 491,75 euros TTC, avec intérêts moratoires au taux légal à compter du 7 décembre 2015. Les intérêts échus à la date du 7 décembre 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Les sommes que la société CIEC et le cabinet d'architecte Pierre E... ont été condamnées à verser à l'Etat par le jugement n° 1519940 du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2017 au titre des frais d'expertise taxés et liquidés par ordonnance du 10 avril 2014 du vice-président du tribunal administratif de Paris sont ramenées aux sommes de respectivement 9 503 euros TTC et 1 677 euros TTC.

Article 4 : Les articles 1er et 3 du jugement n° 1519940 du 7 juillet 2017 et l'article 1er du jugement n° 1519940 du 8 octobre 2019 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société CIEC au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Article 6 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'appel en garantie présentées par la société UTB dans l'instance n° 17PA03019.

Article 7 : Le surplus des conclusions d'appel des parties au titre des instances n° 17PA03019 et n° 19PA03911 est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la société Compagnie internationale d'engineering pour la construction (CIEC), à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, au cabinet d'architecte Pierre E..., à la société Union technique du bâtiment (UTB), à la société Génie des lieux conseil en management par l'espace et à la société Idex Energies.

Délibéré après l'audience du 18 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- Mme Heers, présidente de chambre,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2022.

Le rapporteur,

P. B...

La présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

N° 17PA03019-19PA03911 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA03019
Date de la décision : 12/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SELAS CHEVALIER MARTY CORNE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-12;17pa03019 ?
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