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27/01/2023 | FRANCE | N°18PA03739

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 27 janvier 2023, 18PA03739


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Euro Cargo Rail a demandé au tribunal administratif de Paris, par deux demandes, d'annuler les dispositions des documents de références " Horaires de service " pour les années 2012, 2013 et 2014, adoptées par Réseau ferré de France (RFF), devenu SNCF Réseau, relatives à la redevance de " sûreté " sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun, le refus d'abroger ces dispositions, la décision du 26 octobre 2012 par laquelle RFF a rejeté sa demande tendant à ce qu'il renonce à lui appl

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Euro Cargo Rail a demandé au tribunal administratif de Paris, par deux demandes, d'annuler les dispositions des documents de références " Horaires de service " pour les années 2012, 2013 et 2014, adoptées par Réseau ferré de France (RFF), devenu SNCF Réseau, relatives à la redevance de " sûreté " sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun, le refus d'abroger ces dispositions, la décision du 26 octobre 2012 par laquelle RFF a rejeté sa demande tendant à ce qu'il renonce à lui appliquer la redevance et les décisions rejetant les recours formés contre seize factures relatives à la redevance, et d'enjoindre à RFF de lui adresser les avoirs correspondant à ces factures.

Par un jugement nos 1306517, 1402804 du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 15PA00819 du 28 juin 2017, rectifié pour erreur matérielle par un arrêt n° 17PA02279 du 24 octobre 2017, la Cour a, sur appel de la société Euro Cargo Rail, annulé ce jugement ainsi que les dispositions des documents de référence " Horaires de service " de 2012 modifié, de 2013 version 1 et de 2014 version 2 relatives à la redevance de " sûreté ", le refus de Réseau ferré de France d'abroger ces dispositions, condamné SNCF Réseau à verser à la société Euro Cargo Rail la somme de 53 726,72 euros correspondant aux sommes acquittées par cette dernière au titre de la redevance de " sûreté " sur le faisceau tunnel de Calais-Fréthun et a rejeté le surplus des conclusions présentées par la société Euro Cargo Rail devant le tribunal.

Par une décision n° 413839 du 28 novembre 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi par SNCF Réseau, annulé l'arrêt n° 15PA00819 du 28 juin 2017 et a renvoyé l'affaire à la Cour désormais enregistrée sous le n° 18PA03739.

Procédure devant la Cour avant cassation :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 février 2015,

15 avril 2016, 30 mars 2017 et 30 mai 2017, la société Euro Cargo Rail, représentée par Me Entremont, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris nos 1306517/2-1 et 1402804/2-1 du 19 décembre 2014 ;

2°) d'annuler la décision du 26 octobre 2012 par laquelle Réseau ferré de France a rejeté son recours gracieux du 11 septembre 2012 tendant à ce qu'il renonce à lui appliquer la redevance de " sûreté " sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun ;

3°) d'annuler la décision du 16 avril 2013 par laquelle Réseau ferré de France a refusé d'annuler trois factures relatives à cette redevance pour un montant global de 285 560 euros et de " supprimer " les dispositions relatives à cette redevance contenues dans les documents de référence " horaire de service " 2012 et 2013 ;

4°) d'annuler la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 21 janvier 2014 par laquelle Réseau ferré de France a refusé d'annuler treize factures relatives à cette redevance pour un montant global de 724 066,38 euros HT ;

5°) d'annuler les dispositions figurant dans les documents de référence " horaire de service " 2012 modifié, 2013 version 1 et 2014 version 2 relatives à la redevance concernant les prestations de " sûreté " sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun ;

6°) d'enjoindre à Réseau ferré de France, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, d'adresser à la société Euro Cargo Rail les avoirs correspondant aux seize factures précitées, pour un montant total de 1 066 738,38 euros ;

7°) de mettre à la charge de Réseau ferré de France une somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions énoncées par l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que ni elle ni son conseil n'ont été convoqués à l'audience du tribunal ;

- le jugement est entaché d'une méconnaissance du principe du contradictoire dès lors que, s'agissant de l'instance n° 1402804/2-1, le premier mémoire en défense de RFF ne lui a pas été communiqué non plus qu'à son mandataire et, s'agissant de l'instance n° 1306517/2-1, le mémoire de Réseau ferré de France (RFF) du 11 juillet 2014, qui comportait des éléments nouveaux, ne lui a pas été communiqué non plus qu'à son mandataire ;

- la mise en œuvre de la prestation de " sûreté " par RFF ressortissant par nature à des prérogatives de puissance publique, les premiers juges se sont considérés à tort incompétents pour examiner les conclusions à fin d'annulation des décisions par lesquelles RFF a refusé de l'exonérer de la redevance litigieuse et de constituer des avoirs correspondant au montant total des factures y afférentes ;

- les conclusions tendant à l'annulation des dispositions des documents de référence " horaire de service " 2012 modifié, 2013 version 1 et 2014 version 2, relatives à la redevance de " sûreté ", n'étaient pas tardives, en l'absence d'une publication suffisamment fiable de nature à permettre de déterminer avec certitude le point de départ du délai de recours contentieux ;

- RFF n'était pas fondé à instaurer la redevance litigieuse en application de l'article 3 du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 dès lors que les prestations de " sûreté " ne constituent pas des " prestations complémentaires " au sens du II de cet article 3, et n'entrent donc pas dans la liste limitative figurant au deuxième alinéa du I du même article 3 ;

- RFF ne pouvait légalement instaurer une redevance relative aux prestations de " sûreté ", eu égard à leur caractère régalien tel qu'il résulte des stipulations des articles 13 et 15 du traité de concession organisant les conditions relatives à la conception, au financement, à la construction et à l'exploitation de la liaison fixe à travers la Manche ;

- RFF ne pouvait prendre en charge des prestations incombant à la SNCF et instaurer, sans fondement légal, une redevance visant à transférer aux entreprises ferroviaires des obligations pesant sur elle, en méconnaissance des articles L. 2111-9 du code des transports et 11 du décret du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de Réseau ferré de France ;

- la prestation de " sûreté " en cause, qui vise à mettre en œuvre des mesures d'intérêt général relevant de la police ou de la sécurité, ne pouvait faire l'objet d'une redevance pour service rendu ;

- l'établissement de la redevance en litige aurait dû être précédé de la saisine pour avis de l'autorité de régulation des activités ferroviaires et des régions concernées ;

- le montant de la redevance litigieuse est en tout état de cause injustifié et disproportionné au regard de la prestation de " sûreté " mise en œuvre.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 juillet 2015, 11 octobre 2016, 10 mai 2017 et 31 mai 2017, la société SNCF Réseau, anciennement dénommée Réseau ferré de France, représentée par la SCP UGGC, Me Philippe Hansen, demande à la Cour :

1°) à titre principal, de rejeter l'intégralité des conclusions de la requête présentée par la société Euro Cargo Rail ;

2°) de condamner la société Euro Cargo Rail à lui verser une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est incompétente pour connaître des conclusions de la société Euro Cargo Rail tendant à l'annulation de la prétendue décision implicite par laquelle RFF aurait rejeté sa demande du 21 janvier 2014 et tendant à enjoindre à RFF de lui adresser des avoirs correspondant aux factures émises au titre de la redevance de " sûreté " sur le faisceau tunnel de Calais-Fréthun ;

- les demandes tendant à contester les dispositions des documents de référence " horaire de service " 2012, 2013 et 2014 relatives à cette redevance sont tardives et par suite, irrecevables ;

- s'agissant du surplus des conclusions, aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé.

Procédure devant la Cour après cassation :

Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 janvier 2019 et le 20 novembre 2019, la société SNCF Réseau, représentée par la SCP UGGC, Me Philippe Hansen, conclut au rejet de la requête, par les mêmes moyens déjà soulevés, et demande en outre que soit mise à la charge de SNCF Réseau la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par des mémoires, enregistrés le 6 novembre 2019 et le 9 décembre 2019, la société Euro Cargo Rail, représentée par Me Entremont, maintient ses conclusions par les mêmes moyens déjà soulevés, et demande en outre que soit mise à la charge de la société SNCF Réseau la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une lettre du 2 novembre 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que les conclusions dirigées contre la décision de Réseau ferré de France du 16 avril 2013, en tant qu'il refuse d'abroger les dispositions des documents de référence " Horaire de service " 2012 modifié et 2013 version 1 relatives à la redevance de " sûreté ", sont sans objet dès lors que ces dispositions ne sont plus applicables.

Par un mémoire, enregistré le 10 novembre 2022, la société DB Cargo France, anciennement dénommée Euro Cargo Rail, a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord concernant la construction et l'exploitation par des sociétés concessionnaires d'une liaison fixe transmanche, signé le 12 février 1986 à Cantorbéry, publié par le décret n° 87-757 du 8 septembre 1987 ;

- la directive n° 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 ;

- le règlement de la Commission intergouvernementale concernant l'utilisation du tunnel sous la Manche, signé à Londres le 23 juillet 2009, publié par le décret n° 2010-21 du

7 janvier 2010 ;

- le code des transports ;

- la loi n° 97-135 du 13 février 1997 ;

- le décret n° 97-444 du 5 mai 1997 ;

- le décret n° 97-446 du 5 mai 1997 ;

- le décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 ;

- l'arrêté du 14 avril 2008 du ministre chargé de l'énergie et du développement durable relatif au certificat de sécurité requis en matière ferroviaire ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de Mme Saint-Macary, rapporteure publique,

- les observations de Me Entremont pour la société Euro Cargo Rail et de Me Hansen pour SNCF Réseau.

Considérant ce qui suit :

1. Le traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord concernant la construction et l'exploitation par des sociétés privées concessionnaires d'une liaison fixe transmanche, signé à Cantorbéry le 12 février 1986, prévoit que les deux gouvernements prendront des mesures relatives aux contrôles frontaliers et à la sûreté de la liaison et met en place une commission intergouvernementale chargée de suivre, au nom des deux gouvernements et par délégation de ceux-ci, l'ensemble des questions liées à la construction et à l'exploitation de cette liaison. Sur le fondement de ce traité, les gouvernements français et britannique ont fixé des règles de sûreté, qui imposent en particulier aux entreprises ferroviaires de procéder à des contrôles visant notamment à prévenir la présence de personnes non autorisées à bord des trains empruntant la liaison fixe transmanche. L'article 6 du règlement de la Commission intergouvernementale concernant l'utilisation du tunnel sous la Manche, signé à Londres le 23 juillet 2009, prévoit ainsi que les entreprises ferroviaires ne peuvent exercer leur droit d'accès à cette liaison que si elles satisfont, notamment, " aux dispositions en matière de sûreté édictées par les gouvernements ".

2. Pour permettre la mise en œuvre de ces exigences et après que la SNCF a décidé, en 2011, de ne plus assurer, au bénéfice de l'ensemble des entreprises ferroviaires, les prestations de contrôle et de sûreté des rames circulant sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun, point de passage obligatoire pour tous les trains empruntant la liaison fixe transmanche, l'établissement public Réseau ferré de France (RFF) a, à partir de l'horaire de service 2012, proposé aux entreprises ferroviaires de marchandises circulant sur ce site une prestation dite " de sûreté ", comprenant la détection de personnes non autorisées à bord des trains, la surveillance par le poste de vidéosurveillance ainsi que le gardiennage de la rame après contrôle et jusqu'au départ du train. Cette prestation a notamment été prévue à l'article 6.4 des conditions particulières du contrat d'utilisation de l'infrastructure du réseau ferré national, passé entre RFF et l'entreprise de transport ferroviaire de marchandises Euro Cargo Rail SAS le 18 juin 2012. En contrepartie de cette prestation, RFF a institué une " redevance relative aux prestations de sûreté sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun ", dite redevance de " sûreté ", introduite dans les documents de référence (DRR) pour les horaires de service 2012, 2013 et 2014. La société Euro Cargo Rail a contesté auprès de RFF, par lettre du 11 septembre 2012, le bien-fondé de cette redevance. Par lettre du 26 octobre 2012, RFF a refusé d'exonérer la société du paiement de cette redevance pour la période allant de janvier à août 2012. Par lettre du 10 janvier 2013, la société Euro Cargo Rail a demandé à RFF, d'une part, de " supprimer " les dispositions relatives à la redevance incluses dans les DRR 2012 et 2013, demande qui doit être regardée comme tendant à l'abrogation de ces dispositions et, d'autre part, de lui faire parvenir les avoirs correspondant à trois factures reçues par elle. Par un courrier du 16 avril 2013, RFF a rejeté ces demandes. Par une lettre du 21 janvier 2014, la société Euro Cargo Rail a également contesté auprès de RFF le bien-fondé de treize autres factures reçues par elle au titre de cette redevance, sans recevoir de réponse.

3. La société Euro Cargo Rail a, d'une part, demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation des dispositions des DRR " Horaire de service " 2012, 2013 et 2014 relatives à la redevance de " sûreté " sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun, ainsi que celle de la décision du 16 avril 2013 par laquelle Réseau ferré de France a, s'agissant des DRR 2012 et 2013, refusé d'abroger ces dispositions et, d'autre part, contesté les redevances mises à sa charge et demandé qu'il soit enjoint à Réseau ferré de France de constituer à son profit des avoirs correspondant aux seize factures émises à son encontre. Par un jugement du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, rejeté les conclusions à fin d'annulation et d'injonction relatives au paiement de la redevance comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, d'autre part, rejeté pour tardiveté les conclusions dirigées contre les dispositions relatives à la redevance de " sûreté " figurant dans les DRR "Horaire de service" 2012, 2013 et 2014 et, enfin, rejeté au fond les conclusions dirigées contre le refus d'abroger ces dispositions concernant les DRR " Horaire de service " 2012 et 2013.

4. Par une décision n° 413839 du 28 novembre 2018, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt n° 15PA00819 du 28 juin 2017 par lequel la Cour s'était prononcée sur l'appel formé contre ce jugement par la société Euro Cargo Rail. Le Conseil d'Etat a en outre renvoyé devant la Cour l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 18PA03739.

Sur la régularité du jugement :

5. Aux termes de l'article R. 711-2 du code de justice administrative : " Toute partie est avertie, par une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la voie administrative mentionnée à l'article R. 611-4, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience (...) ". Aux termes de l'article R. 431-1 du même code : " Lorsqu'une partie est représentée devant le tribunal administratif par un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2, les actes de procédure, à l'exception de la notification de la décision prévue aux articles R. 751-3 et suivants, ne sont accomplis qu'à l'égard de ce mandataire. ". Et aux termes de l'article R. 751-4-1 de ce code, dans sa rédaction applicable : " Par dérogation aux articles R. 751-2, R. 751-3 et R. 751-4, la décision peut être notifiée par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 aux administrations de l'Etat, aux personnes morales de droit public et aux organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public qui sont inscrits dans cette application. / Ces parties sont réputées avoir reçu la notification à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de huit jours à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, à l'issue de ce délai. Sauf demande contraire de leur part, les parties sont alertées de la notification par un message électronique envoyé à l'adresse choisie par elles ".

6. La société Euro Cargo Rail soutient que ni elle, ni son mandataire n'ont été convoqués à l'audience du tribunal qui s'est tenue le 9 décembre 2014, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 711-2 du code de justice administrative. Il ressort des pièces du dossier que, par lettre en date du 29 décembre 2014, le mandataire de la société requérante, Me Entremont, a informé le greffe du tribunal administratif de Paris qu'il n'avait pas reçu d'avis d'audience, à laquelle il n'avait ainsi pu être présent, ainsi que le confirment les mentions portées sur le jugement. Il résulte en outre de la réponse adressée par courriel du 19 janvier 2015 par le greffier en chef adjoint du tribunal administratif que le cabinet Loubeyre Entremont Pornin s'est inscrit dans l'application informatique dédiée " Télérecours ", prévue à l'article R. 414-1 du code de justice administrative, le 20 mai 2013. Il lui a été délivré à cette occasion le numéro d'entrée TR 931, accessible au moyen d'un mot de passe confidentiel. Le cabinet s'est ensuite inscrit une seconde fois dans l'application, le 13 mai 2014, recevant à cette occasion le numéro d'entrée TR 15021, accessible au moyen d'un nouveau mot de passe confidentiel. Or l'ensemble des éléments de procédure adressés par le greffe au cabinet ont continué à être rattachés par erreur à l'entrée TR 931, à laquelle le cabinet n'avait plus accès et qui n'était par ailleurs reliée à aucune adresse électronique lui permettant d'être alerté des notifications en instance. Le service informatique de la juridiction administrative a finalement procédé à la suppression de cette entrée le 24 décembre 2014, postérieurement à l'audience du tribunal. Il résulte de ce qui précède que le mandataire de la société Euro Cargo Rail n'a pu recevoir la convocation à l'audience du 9 décembre 2014, ainsi que le confirme le courriel précité du greffier en chef adjoint. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens dirigés contre la régularité du jugement, la société Euro Cargo Rail est fondée à soutenir que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière et, en conséquence, à en demander l'annulation.

7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par la société Euro Cargo Rail devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les demandes de la société Euro Cargo Rail :

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre le refus de Réseau ferré de France d'exonérer la société Euro Cargo Rail du paiement de la redevance de " sûreté " et de constituer des avoirs correspondant aux factures émises à son encontre :

8. Lorsqu'un établissement tient de la loi la qualité d'établissement public à caractère industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l'exception de ceux qui sont relatifs à celles de ces activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature à des prérogatives de puissance publique.

9. Ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat par sa décision n° 413839 du 28 novembre 2018, d'une part, l'article L. 2111-9 du code des transports confère à l'établissement public Réseau ferré de France un caractère industriel et commercial. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la prestation de " sûreté " sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun prévue par les documents de référence " Horaire de service " 2012, 2013 et 2014, en contrepartie de laquelle a été perçue la redevance litigieuse, consiste à contrôler et surveiller les installations et les trains de marchandises, à l'aide d'un système de détection fondé sur la vidéo-surveillance, et à effectuer des rondes sur le site, notamment pour prévenir la présence éventuelle de personnes non autorisées à bord des trains devant emprunter le tunnel sous la Manche. En outre, lorsque la présence de personnes non autorisées est détectée, les agents de sécurité sont conduits à faire appel aux forces de police compétentes, sans pouvoir exercer de contrainte envers celles qui refuseraient d'obtempérer. Par suite, les opérations matérielles en cause ne relèvent pas de l'exercice, par l'établissement public Réseau ferré de France, de prérogatives de puissance publique. Il s'ensuit que les conclusions susvisées ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative. Dès lors, l'exception d'incompétence soulevée par RFF à l'encontre de ces conclusions doit être accueillie. Ces dernières doivent ainsi être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre les dispositions des documents de références " Horaire de service " 2012 modifié, 2013 version 1 et 2014 version 2 relatives à la redevance de " sûreté " sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun :

10. Aux termes de l'article 17 du décret du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferré national, dans sa rédaction applicable : " Réseau ferré de France élabore un document de référence du réseau ferré national qui contient l'ensemble des informations nécessaires à l'exercice des droits d'accès au réseau ferré national mentionnés au titre Ier. (...) / Le document de référence comprend notamment : (...) e) Les principes de tarification et le projet de tarification de l'infrastructure ferroviaire mentionné à l'article 9 du décret n° 97-446 du 5 mai 1997 susvisé (...) ". Aux termes du document de référence du réseau ferré national " horaire de service " 2012 modifié : " 6.3.3.8 Redevance relative aux prestations de sûreté sur le site du Faisceau Tunnel de Calais-Frethun. / L'usage du site du Faisceau Tunnel de Calais-Frethun pour couvrir les frais de prestation de sûreté donne lieu à la facturation d'une redevance d'un montant par train en euros HT, indiqué en annexe 10.3 en sus de l'usage des voies de service tel que prévu à l'article 6.3.2.5. / La prestation de sûreté contient la détection de la présence éventuelle de migrants à bord du train, la surveillance par le poste de vidéosurveillance et le gardiennage de la rame après contrôle et jusqu'au départ du train. Elle ne couvre pas la fourniture du matériel aux douanes dans le cadre de leur mission liées à la détection d'explosifs, ni les coûts liés aux mesures de protection en cas d'alerte liée à la suspicion de présence d'explosifs (rame de sable ou autre solution à venir). Seuls les trains de fret à l'export vers la Grande Bretagne empruntant le site de Calais-Frethun sont concernés par cette redevance ".

11. En premier lieu, une redevance pour service rendu peut être légalement établie à la condition, d'une part, que les opérations qu'elle est appelée à financer ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l'Etat et, d'autre part, qu'elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d'usagers déterminés.

12. D'une part, les dispositions précitées du DRR " horaire de service " 2012 modifié relatives à la redevance de " sûreté " relative au faisceau tunnel de Calais-Fréthun, ainsi que les dispositions du point 6.2.3.7 du DRR " horaire de service " 2013 version 1 et du point 6.2.2.4 du DRR " horaire de service " 2014 version 2 ayant le même objet, ont un caractère réglementaire. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun sur lequel s'exerce la prestation de " sûreté " qui fait l'objet de la redevance litigieuse est une infrastructure située sur la section frontière du réseau ferré national, entre, d'une part, la limite du réseau concédé tel que défini par le traité de Cantorbéry et par la concession de la liaison fixe transmanche et, d'autre part, les voies de réception des gares de Calais-Frethun et Frethun comprises, ainsi qu'il résulte de l'annexe 3 de l'arrêté du 14 avril 2008 du ministre chargé de l'énergie et du développement durable relatif au certificat de sécurité requis en matière ferroviaire, dédiée au traitement frontalier des convois internationaux entre la France et la Grande-Bretagne via la liaison fixe transmanche. Par suite et contrairement à ce que soutient la société Euro Cargo Rail, les prestations de sûreté qui font l'objet de la redevance litigieuse relèvent de l'utilisation du réseau ferré national et les DRR précités pouvaient donc inclure les principes de tarification de cette prestation. Ainsi qu'il a été dit au point 9, d'une part, cette prestation consiste dans le contrôle, la surveillance et le gardiennage des trains de marchandises stationnés sur le site précité, comprenant notamment la détection de la présence éventuelle de personnes non autorisées à bord des trains et, d'autre part, cette prestation et les opérations matérielles qu'elle implique ne relèvent pas de l'exercice, par l'établissement public Réseau ferré de France, de prérogatives de puissance publique. En outre et comme le prévoit l'article 6 du règlement de la Commission intergouvernementale concernant l'utilisation du tunnel sous la Manche signé à Londres le 23 juillet 2009, la réalisation de cette prestation de " sûreté ", qu'il est loisible aux entreprises ferroviaires de prendre directement en charge, est indispensable pour l'accès des trains de marchandises au tunnel sous la Manche. Dans ces conditions, la redevance litigieuse doit être regardée comme finançant des opérations qui ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l'Etat et comme trouvant sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre des entreprises qui veulent faire circuler des trains de marchandise dans le tunnel sous la Manche. Par suite, la société Euro Cargo Rail n'est pas fondée à soutenir que la prestation de sûreté ci-dessus analysée ne pouvait faire l'objet d'une redevance pour service rendu.

13. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 1 du décret n° 97-446 du 5 mai 1997 relatif aux redevances d'utilisation du réseau ferré national perçues au profit de Réseau ferré de France, dans sa rédaction applicable : " Le présent décret a pour objet de définir les modalités suivant lesquelles Réseau ferré de France perçoit à son profit, en application de l'article 13 de la loi du 13 février 1997 susvisée... des redevances en contrepartie, d'une part, de l'accès au réseau ferré national de la réservation de capacités d'infrastructure et de la circulation sur ce réseau, d'autre part, des prestations complémentaires fournies sur ce réseau. (...) / Réseau ferré de France est chargé d'établir et de percevoir les redevances conformément aux règles définies dans le présent décret et le décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferré national et rappelées dans le document de référence du réseau prévu par l'article 17 de ce dernier décret. Il doit être en mesure de justifier les redevances facturées (...) ". Et aux termes de l'article 3 du décret du 7 mars 2003 précité, dans sa rédaction applicable, en vigueur du 29 juillet 2011 au 23 janvier 2012 : " (...) I. - Le droit d'accès au réseau ferré national comprend pour toute entreprise ferroviaire mentionnée à l'article 2 le droit aux prestations minimales suivantes (...) / Le droit d'accès au réseau ferré comporte également le droit d'accès aux équipements suivants : les installations de traction électrique, y compris les installations de transport et de distribution de l'électricité de traction, les infrastructures d'approvisionnement en combustible, les gares de voyageurs comprenant leurs bâtiments et les autres infrastructures, les terminaux de marchandises, les gares de triage, les gares de formation, les gares de remisage, les centres d'entretien et les autres infrastructures techniques. (...) / II. - Toute entreprise ferroviaire mentionnée à l'article 2 peut demander à bénéficier des prestations complémentaires suivantes : la fourniture du courant de traction, le préchauffage des voitures, la fourniture du combustible, les services de manœuvre et tous les autres services fournis aux installations dont l'accès est prévu au I, des contrats sur mesure pour le contrôle du transport de marchandises dangereuses ou l'assistance à la circulation de convois spéciaux (...) ".

14. D'autre part, aux termes du deuxième alinéa de l'article 1er de la loi du 13 février 1997 portant création de l'établissement public " Réseau ferré de France " en vue du renouveau du transport ferroviaire, repris, à la date des décisions attaquées, par l'article L. 2111-9 du code des transports: " (...) Compte tenu des impératifs de sécurité et de continuité du service public, la gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national ainsi que le fonctionnement et l'entretien des installations techniques et de sécurité de ce réseau sont assurés par la Société nationale des chemins de fer français pour le compte et selon les objectifs et principes de gestion définis par Réseau ferré de France qui la rémunère à cet effet ". Et aux termes de l'article 11 du décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de Réseau ferré de France, dans sa rédaction applicable : " Dans le cadre des objectifs et principes de gestion du réseau ferré national définis à l'article 7, la SNCF exerce les missions prévues à l'article 1er de la loi du 13 février 1997 susvisée. / Ces missions comportent en particulier : (...) - la surveillance, l'entretien régulier, les réparations, dépannages et mesures nécessaires au fonctionnement du réseau et à la sécurité de l'ensemble des plates-formes, ouvrages d'art, voies, quais, réseaux, installations et bâtiments techniques s'y rattachant ".

15. Il ressort des pièces du dossier que les redevances facturées par RFF au titre de la prestation de " sûreté ", intitulées " redevances d'utilisation du réseau ferré national ", ainsi qu'il résulte de la facture n° FAM 120191 émise le 26 octobre 2012 par RFF pour la période courant de janvier à août 2012, ont été prises en " application du décret n° 97-446 du 5 mai 1997 ". En vertu des dispositions précitées de l'article 1 de ce décret, RFF établit et perçoit des redevances en contrepartie, notamment, des prestations complémentaires fournies sur le réseau ferré national, conformément aux règles définies dans ce même décret et dans le décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferré national. Il ressort en outre de la décision n° 2012-011 de l'Autorité de régulation des entreprises ferroviaires (ARAF) du 9 mars 2012 portant sur la demande formée par la société Europorte Channel dans le cadre d'un différend l'opposant à RFF relatif aux prestations de " sûreté " sur le faisceau de Calais-Fréthun que ce dernier, qui est une infrastructure faisant partie intégrante du réseau ferré national ainsi qu'il a été dit, constitue une gare de formation au sens des dispositions du deuxième alinéa du I de l'article 3 du décret du 7 mars 2003, dont la vocation est notamment de servir de point d'échange entre entreprises ferroviaires. Par suite, la prestation de " sûreté " décrite au point 9 doit être regardée comme étant au nombre des prestations supplémentaires visées par les dispositions du II de ce même article 3, celles-ci ne pouvant se limiter, ainsi que le fait valoir la société Euro Cargo Rail, à des prestations d'ordre purement matériel et technique et exclure cette prestation dès lors qu'elle s'exerce dans l'enceinte de cette infrastructure dont l'accès est prévu au I du même article.

16. En outre, il résulte des dispositions qui précèdent, notamment celles de l'article 11 du décret du 5 mai 1997, que les obligations de sécurité mises à la charge de la SNCF, dans sa mission de gestionnaire d'infrastructure exercée pour le compte de RFF, sont uniquement relatives aux infrastructures ferroviaires et non au matériel roulant. Par suite, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de confier à la SNCF des prestations de sûreté visant au contrôle des rames de fret aux fins de détecter la présence de personnes non autorisées, lesquelles incombent, ainsi qu'il a été dit au point 1, aux entreprises ferroviaires en vertu du traité de Cantorbéry signé le 12 février 1986. Par suite, la société Euro Cargo Rail n'est pas fondée à soutenir que l'institution de la redevance litigieuse aurait pour effet de transférer sur les entreprises ferroviaires des obligations mises à la charge de la SNCF en vertu de la loi.

17. Enfin, si RFF, nouvellement dénommé SNCF Réseau, invoque l'ordonnance n° 2019-78 du 6 février 2019 relative à la préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne en matière de transport routier de personnes et de marchandises et de sûreté dans le tunnel sous la Manche, qui a ouvert la possibilité aux gestionnaires d'infrastructure et à certains exploitants empruntant le tunnel sous le Manche d'effectuer certains contrôles de sûreté, cette ordonnance, sans rapport avec les dispositions mentionnées aux points 13 et 14, n'est pas de nature à établir que RFF n'aurait pas été compétent pour effectuer la prestation de " sûreté " litigieuse et imposer une redevance à ce titre.

18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 15 à 17 que la société Euro Cargo Rail n'est pas fondée à soutenir que RFF ne pouvait légalement mettre à sa charge la redevance de "sûreté " litigieuse sur le fondement des dispositions combinées de l'article 1 du décret n° 97-446 du 5 mai 1997 et de l'article 3 du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003.

19. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2133-5 du code des transports, dans sa rédaction applicable : " L'Autorité de régulation des activités ferroviaires émet un avis conforme sur la fixation des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national, au regard des principes et des règles de tarification applicables sur ce réseau, tels qu'ils résultent notamment de l'article L. 2111-25 ". Aux termes de l'article L. 2133-6 du même code, dans sa rédaction applicable : " L'Autorité de régulation des activités ferroviaires émet un avis motivé sur le document de référence du réseau dans un délai de deux mois suivant sa publication. Les modifications qui, au vu de cet avis, sont nécessaires pour rendre les dispositions conformes à la réglementation sont apportées sans nouvelle consultation des parties intéressées ".

20. Il résulte des dispositions de l'article L. 2133-5 du code des transports que l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) n'est tenue d'émettre un avis conforme que sur la fixation des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national, qui correspondent notamment, ainsi qu'il résulte des dispositions du III de l'article 3 du décret du 7 mars 2003, aux " prestations minimales " visées au I du même décret. Par suite, la prestation de sûreté litigieuse, qui relève, ainsi qu'il a été dit, des " prestations complémentaires " au sens du II de l'article 3 du décret du 7 mars 2003, n'avait pas, contrairement à ce que soutient la société Euro Cargo Rail, à être précédée d'un avis conforme de l'ARAF. En outre, si la société requérante soutient que cet organisme était tenu d'émettre un avis motivé sur le DRR " horaire de service " 2012 concernant la modification relative à la redevance litigieuse, qui, en l'absence d'une publication suffisamment fiable de nature à permettre de déterminer avec certitude le point de départ du délai de recours contentieux, doit être regardée comme ayant été publiée le 1er janvier 2012, date d'entrée en vigueur du DRR 2012 modifié, il résulte des dispositions susvisées de l'article L. 2133-6 du code des transports que cet avis motivé, qui doit intervenir dans un délai de deux mois suivant la publication du DRR, est sans incidence sur la légalité des dispositions attaquées qui doit s'apprécier au jour de leur édiction. Par suite le moyen tiré de ce que RFF ne pouvait modifier le DRR " horaire de service " 2012 sans requérir un nouvel avis de l'ARAF doit être écarté.

21. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 2111-24 du code des transports, dans sa rédaction applicable : " Les ressources de Réseau ferré de France sont constituées par :

1° Les redevances liées à l'utilisation du réseau ferré national ; 2° Les autres produits liés aux biens qui lui sont apportés ou qu'il acquiert ; 3° Les concours financiers de l'Etat (...) ;

4° Tous autres concours, notamment ceux des collectivités territoriales (...) ". Aux termes de l'article L. 2111-25 du même code, dans sa rédaction applicable : " Le calcul des redevances liées à l'utilisation du réseau ferré national mentionnées au 1° de l'article L. 2111-24 tient notamment compte du coût de l'infrastructure, de la situation du marché des transports et des caractéristiques de l'offre et de la demande, des impératifs de l'utilisation optimale du réseau ferré national et de l'harmonisation des conditions de la concurrence intermodale ; il tient compte, lorsque le marché s'y prête, de la valeur économique, pour l'attributaire du sillon, de l'utilisation du réseau ferré national et respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires ; les principes d'évolution de ces redevances sont fixés de façon pluriannuelle. / Tout projet de modification des modalités de fixation de ces redevances fait l'objet d'une consultation et d'un avis de la ou des régions concernées ".

22. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la redevance contestée, qui est la contrepartie de la prestation de " sûreté " analysée au point 9, laquelle relève des " prestations complémentaires " au sens du II de l'article 3 du décret du 7 mars 2003 précité, aurait fait l'objet d'un projet de modification de ses modalités de fixation postérieurement à la publication du DRR " horaire de service " 2012 modifié. Par suite, la société Euro Cargo Rail n'est pas fondée à soutenir que cette redevance méconnaîtrait les dispositions susvisées de l'article L. 2111-25 du code des transports, du fait de l'absence de consultation et d'avis des régions concernées.

23. Enfin, une redevance pour service rendu, pour être légalement établie, doit essentiellement trouver une contrepartie directe dans la prestation fournie par le service ou le cas échéant l'utilisation d'un ouvrage public, et par conséquent doit correspondre à la valeur de la prestation ou du service. Si l'objet du paiement que l'administration peut réclamer à ce titre est en principe de couvrir les charges de service public, il n'en résulte pas nécessairement que le montant de la redevance ne puisse excéder le coût de la prestation fournie. Il s'ensuit que le respect de la règle d'équivalence entre le tarif d'une redevance et la valeur de la prestation ou du service peut être assuré non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire. Dans tous les cas, le tarif doit être établi selon des critères objectifs et rationnels, dans le respect du principe d'égalité entre les usagers du service public et des règles de la concurrence.

24. Il ressort des pièces du dossier qu'aux termes de l'annexe 10.3 du document de référence " horaire de service " 2012 modifié, la redevance " relative aux prestations de sûreté sur le site du faisceau tunnel de Calais-Frethun " s'élève à un montant par train de 590 euros HT. Une mention de renvoi précise que ce prix peut être régularisé en fonction des charges supportées par RFF. Aux termes de la même annexe 10.3 des documents de référence " horaire de service " 2013 et 2014, ont été fixées des redevances respectives d'un montant par train de 615,37 euros HT s'agissant du DRR 2013 version 1 et de 644,91 euros HT s'agissant du DRR 2014 version 2, ce dernier montant ayant été ramené à 615,37 euros HT par décision de Réseau ferré de France du 31 décembre 2013. La société Euro Cargo Rail soutient que le montant de ces redevances, dont RFF n'a pas, selon elle, justifié, est disproportionné.

25. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, en premier lieu, lors d'une réunion qui s'est tenue le 3 novembre 2011 dans le cadre de la consultation des entreprises ferroviaires concernant le DRR 2012 modifié et le DRR 2013, RFF a présenté la redevance de " sûreté " litigieuse et explicité sa tarification, basée sur les coûts " réellement supportés " par l'établissement public et " répartis sans discrimination entre tous les utilisateurs du site ". Il a par ailleurs annoncé le lancement d'un appel d'offres et s'est engagé à modifier à la baisse le tarif indicatif de 1 500 euros HT d'environ 40 % après finalisation d'un marché de gardiennage du site. En second lieu, il résulte de l'article 6.4 des conditions particulières du contrat d'utilisation de l'infrastructure du réseau ferré national passé entre RFF et la société Euro Cargo Rail que " le recours aux prestations de sûreté sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun fait l'objet d'une déclaration par ECR ", que " ECR s'engage à déclarer à RFF, pour chaque mois M, le recours à ces prestations via le formulaire de déclaration... sur l'espace client du site rff.fr " et que, " Si ce formulaire n'est pas communiqué à RFF dans les délais prévus, RFF facturera à ECR le montant forfaitaire mensuel de 28 556 euros ". S'agissant des DRR 2013 et 2014, les articles respectifs 6.5.1.3 et 6.5.2.4 disposent, s'agissant de la redevance litigieuse, que " le calcul de son montant est basé sur les relevés statistiques du prestataire de RFF qui réalise la prestation de sûreté ". A cet égard, SNCF Réseau a, dans le cadre de la présente instance, produit le détail du calcul des sommes facturées à ECR de janvier à novembre 2013, sur la base des relevés statistiques de la société Mondial Protection, prestataire de RFF. Par suite, Réseau ferré de France, devenu SNCF Réseau, doit être regardé comme ayant, ainsi que l'exige l'article 1 du décret n° 97-446 du 5 mai 1997 mentionné au point 13, justifié les redevances facturées à la société Euro Cargo Rail.

26. D'autre part, en premier lieu, en vertu des dispositions du III de l'article 3 du décret du 7 mars 2003, les prestations complémentaires au sens de cet article, dont relève la prestation de " sûreté ", donnent lieu au versement d'une rémunération qui est égale au coût du service lorsque celui-ci est rendu par un fournisseur en situation de monopole. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, s'agissant de la fourniture de la prestation de " sûreté ", Réseau ferré de France n'était pas en situation de monopole, dès lors qu'il était loisible aux entreprises ferroviaires de la prendre directement en charge, notamment de la faire exécuter par un prestataire choisi par elles. Dans ces conditions, RFF n'était pas tenu de fixer la redevance au coût du service généré par l'exécution de la prestation. En second lieu, si la société Euro Cargo Rail soutient que le montant de la redevance représente, entre 2% et 6% du prix du transport facturé par elle à ses clients et correspond à une augmentation de 15% de l'ensemble des coûts fixes à la charge des opérateurs transmanche, situation qui, selon elle, caractérise le caractère totalement disproportionné de la redevance et menace la pérennité des trafics ferroviaires transmanche, elle n'apporte aucun élément précis au soutien de ces allégations. En troisième lieu, la société Euro Cargo Rail invoque la circonstance que le groupe Eurotunnel, exploitant du tunnel sous la Manche et en charge de la prestation de " sûreté " à compter de juin 2014, a indiqué, dans le document de référence du réseau Eurotunnel " horaire de service " 2015, qu'il proposerait la " prestation de sûreté Calais Fréthun Tunnel ", via sa filiale Europorte Channel, pour un coût d'environ 150 euros par train, soit inférieur de deux tiers à celui facturé par SNCF Réseau. Toutefois, la disproportion alléguée doit être appréciée à la date de la redevance de " sûreté " litigieuse, qui doit être regardée comme ayant été publiée le 1er janvier 2012 s'agissant du DRR 2012 modifié, ainsi qu'il a été dit au point 20, et doit être regardée comme étant entrée en vigueur, s'agissant des DRR 2013 version 1 et DRR 2014 version 2, aux dates respectives du 1er janvier 2013 et 1er janvier 2014. La seule circonstance que la société Europorte Channel aurait mis en œuvre la prestation de " sûreté " à compter du 15 février 2014 au tarif de 150 euros par train, à la supposer même établie, n'est pas de nature à révéler, sur le seul fondement d'une comparaison de tarifs différents pratiqués par des opérateurs placés dans des situations différentes, notamment au regard des économies d'échelle susceptibles d'être réalisées par la société Europorte Channel, filiale du groupe Eurotunnel, concessionnaire de l'exploitation du tunnel sous la Manche, une disproportion du montant de la redevance litigieuse, alors en outre qu'une telle analyse n'est pas de nature à tenir compte de la valeur économique procurée à la société requérante par l'utilisation du réseau ferré national, ainsi que le prévoient les dispositions mentionnées au point 19 de l'article L. 2111-25 du code des transports. En cinquième lieu, si la société Euro Cargo Rail soutient que le montant de la redevance a été appliqué indistinctement sans tenir compte de la catégorie de trains devant faire l'objet de contrôles, certains trains circulant à vide ne nécessitant pas, selon elle, le même degré de contrôle que d'autres trains beaucoup plus chargés, le caractère forfaitaire de la redevance ne saurait en lui-même caractériser une disproportion de son montant, alors en outre que SNCF Réseau fait valoir, sans être sérieusement contredite, qu'aucune situation objectivement différente ne saurait résulter des différents wagons utilisés par les entreprises ferroviaires, les charges fixes engendrées par la prestation ne différant pas substantiellement en fonction de la composition des trains circulant sur le site et du temps de reprise du train sur le faisceau. En septième lieu, la société Euro Cargo Rail fait valoir que l'examen des conditions financières du contrat passé entre FFF et son prestataire, la société Mondial Protection, pour la réalisation des missions de sûreté, révèle également le caractère disproportionné du montant de la redevance réclamée. Toutefois, la seule invocation par la société requérante du montant des factures au titre des prestations de " sûreté " entre décembre 2012 et novembre 2013, soit 690 000 euros environ, comparé au montant annuel de la rémunération du prestataire, soit 1 000 000 d'euros, ne saurait suffire à caractériser la disproportion alléguée, dès lors que la rémunération du prestataire ne constitue pas la seule dépense prise en compte pour le calcul de la redevance, ainsi que le soutient SNCF Réseau en appel sans être sérieusement contredite, et qu'en tout état de cause, ainsi qu'il a été dit précédemment, cette analyse ne tient pas compte de la valeur économique procurée à la société Euro Cargo Rail par l'utilisation du réseau ferré national. Il résulte de l'ensemble de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que la redevance de sûreté litigieuse serait entachée d'une disproportion de son montant doit être écarté.

27. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par SNCF Réseau, la société Euro Cargo Rail n'est pas fondée à demander l'annulation des dispositions des documents de références " Horaire de service " 2012 modifié, 2013 version 1 et 2014 version 2 relatives à la redevance concernant les prestations de " sûreté " sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun.

Sur les conclusions dirigées contre la décision de RFF du 16 avril 2013 en tant qu'elle refuse d'abroger les dispositions des documents de référence " Horaire de service " 2012 modifié et 2013 version 1 relatives à la redevance de " sûreté " sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun :

28. Ainsi qu'il a été dit au point 2, la société Euro Cargo Rail, qui a demandé à RFF, par lettre du 10 janvier 2013, de " supprimer " les dispositions relatives à la redevance incluses dans les DRR 2012 et 2013 doit être regardée comme ayant demandé leur abrogation. Par suite, ses conclusions dirigées contre la décision de RFF du 16 avril 2013 doivent être regardées comme tendant notamment à l'annulation du refus d'abroger ces dispositions.

29. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la requête introductive d'instance de la société Euro Cargo Rail, le 30 avril 2013, les dispositions du document de référence " horaire de service " 2012 modifié n'étaient plus applicables. Les conclusions dirigées contre ces dispositions sont donc sans objet et, par suite, irrecevables. S'agissant des dispositions du document de référence " horaire de service " 2013 version 1, elles ont cessé d'être applicables à compter du 1er janvier 2014. Il n'y a, dès lors, pas lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre ces dispositions, qui sont devenues sans objet en cours d'instance.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

30. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation présentées par la société Euro Cargo Rail, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par la société requérante doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de SNCF Réseau, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Euro Cargo Rail demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société Euro Cargo Rail, la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par SNCF Réseau et non compris dans les dépens de la présente instance.

D E C I D E :

Article 1 : Le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1306517/2-1 et 1402804/2-1 du 19 décembre 2014 est annulé.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la société Euro Cargo Rail dirigées contre la décision de Réseau ferré de France du 16 avril 2013 en tant qu'elle refuse d'abroger les dispositions du document de référence " Horaire de service " 2013 version 1 relatives à la redevance concernant les prestations de " sûreté " sur le site du faisceau tunnel de Calais-Fréthun.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La société Euro Cargo Rail versera la somme de 3 000 euros à SNCF Réseau au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société DB Cargo France et à la société SNCF Réseau.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- M. d'Haëm, président assesseur,

- M. Mantz, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 janvier 2023.

Le rapporteur,

P. B...

La présidente,

M. A...

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 18PA03739 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03739
Date de la décision : 27/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-08-02 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - PARAFISCALITÉ, REDEVANCES ET TAXES DIVERSES. - REDEVANCES. - REDEVANCE POUR SERVICE RENDU ÉTABLIE PAR UN EPIC - FONDEMENT - DÉCRET.

19-08-02 A la condition, d'une part, que les opérations qu'elle est appelée à financer ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l'Etat et, d'autre part, qu'elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d'usagers déterminés [RJ1], peut être légalement établie, par un établissement public à caractère industriel et commercial tel que Réseau ferré de France, une redevance pour service rendu, dès lors qu'elle a son fondement dans un décret. En l'espèce, les redevances facturées par RFF au titre de la prestation de « sûreté », qui financent le contrôle, la surveillance et le gardiennage des trains de marchandises stationnés sur le site « faisceau du tunnel » et sont prévues par un « document de référence du réseau ferré national » élaboré par Réseau ferré de France, trouvent leur fondement dans le décret n° 97-446 du 5 mai 1997 relatif aux redevances d'utilisation du réseau ferré national perçues au profit de Réseau ferré de France.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 28 novembre 2018, SNCF Réseau, n° 413839, rec. p. 425.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme SAINT-MACARY
Avocat(s) : CABINET LOUBEYRE-ENTREMONT-PORNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-01-27;18pa03739 ?
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