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30/05/2023 | FRANCE | N°23PA01056

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, Juge unique, 30 mai 2023, 23PA01056


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 8 février 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer lui a refusé l'entrée en France au titre de l'asile, d'enjoindre au ministre de mettre fin à la mesure de privation de liberté dont il fait l'objet et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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ar un jugement n° 2302811 du 14 février 2023, la magistrate désignée par le pré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 8 février 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer lui a refusé l'entrée en France au titre de l'asile, d'enjoindre au ministre de mettre fin à la mesure de privation de liberté dont il fait l'objet et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2302811 du 14 février 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris, d'une part, a annulé la décision du 8 février 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer et lui a enjoint d'admettre M. A... au séjour et de lui délivrer l'attestation de demande d'asile lui permettant d'introduire sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, d'autre part, a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 13 mars 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, représenté par la SCP Saidji et Moreau, demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.

Il soutient que c'est à tort que le premier juge a annulé la décision en litige au motif que la menace grave à l'ordre public que constituerait M. A... n'était pas suffisamment caractérisée alors que les éléments qu'il a fournis permettent de considérer que l'accès de l'intéressé au territoire français constitue une telle menace.

Par une décision en date du 1er septembre 2022, la présidente de la cour administrative d'appel de Paris a désigné M. d'Haëm, président assesseur à la 4ème chambre, pour statuer, en application des dispositions de l'article L. 352-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur les requêtes d'appel relatives au contentieux des refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile et des décisions de transfert.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), notamment ses articles 6 et 14 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, notamment ses articles 31, paragraphe 8, j), et 43 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, rapporteur,

- et les observations de Me Ben Hamouda, avocate du ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant jamaïcain, né le 16 octobre 1996 et arrivé, le 4 février 2023, à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle par un vol en provenance de Bogota, a demandé, le 5 février 2023, le bénéfice de l'asile. Par une décision du 8 février 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a, au vu d'un avis du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 7 février 2023, refusé son entrée en France au titre de l'asile et a ordonné son réacheminement vers la Colombie ou vers tout pays où il sera légalement admissible. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait appel du jugement du 14 février 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 8 février 2023 et lui a enjoint d'admettre M. A... au séjour et de lui délivrer l'attestation de demande d'asile lui permettant d'introduire sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise que dans les cas suivants : / 1° L'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par ce règlement avec d'autres Etats ; / 2° La demande d'asile est irrecevable en application de l'article L. 531-32 ; / 3° La demande d'asile est manifestement infondée (...) ". Aux termes de l'article L. 352-2 du même code : " Sauf dans le cas où l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, la décision de refus d'entrée ne peut être prise qu'après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui rend son avis dans un délai fixé par voie réglementaire et dans le respect des garanties procédurales prévues au titre III du livre V. L'office tient compte de la vulnérabilité du demandeur d'asile. / L'avocat ou le représentant d'une des associations mentionnées à l'article L. 531-15, désigné par l'étranger, est autorisé à pénétrer dans la zone d'attente pour l'accompagner à son entretien dans les conditions prévues au même article. / Sauf si l'accès de l'étranger au territoire français constitue une menace grave pour l'ordre public, l'avis de l'office, s'il est favorable à l'entrée en France de l'intéressé au titre de l'asile, lie le ministre chargé de l'immigration ".

3. Pour annuler la décision du 8 février 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer refusant à M. A... l'entrée en France au titre de l'asile, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris, après avoir relevé que l'avis du 7 février 2023 du directeur général de l'OFPRA revêtait un caractère favorable à son entrée en France au titre de l'asile, a considéré que s'il ressortait des pièces du dossier " que l'intéressé a été incarcéré par les autorités allemandes durant six mois, entre le 27 juillet 2021 et le 20 janvier 2022, date à laquelle il a été expulsé d'Allemagne, pays qui lui avait reconnu la qualité de réfugié en 2019 et dans lequel il s'est rendu coupable de faits d'infraction à la législation en matière de stupéfiants, de nombreux vols, de coups et blessures, d'injures et de fraude ", " ces éléments, pour répréhensibles qu'ils doivent être considérés, ne suffisent pas à établir que la présence en France de M. A... constituerait une menace grave pour l'ordre public au sens des dispositions de l'article L. 352-2 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ".

4. Cependant, il ressort des pièces du dossier et, notamment, de la fiche SIRENE produite par le ministre de l'intérieur et il n'est d'ailleurs pas contesté par M. A... que celui-ci a fait l'objet de deux signalements aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, ayant pour motif " refuser l'entrée / interpeller pour éloignement ", par deux autorités allemandes, l'une à Darmstadt pour séjour illégal en Allemagne, valable du 18 février 2022 au 19 janvier 2024, l'autre à Wetzlar en vue d'établir sa localisation, valable du 1er mars 2022 au 1er mars 2025. Il ressort également de cette fiche que M. A..., qui est entré en Allemagne le 28 juin 2019 et qui s'est vu accordé le statut de réfugié le 5 septembre 2019, y a commis vingt-et-une infractions, notamment des faits de vol (cambriolage domestique, cambriolage de voiture et vol à l'étalage), de vol aggravé, d'infraction à la législation sur les stupéfiants, d'atteinte à l'intégrité physique de la personne et de fraude. De plus, pour des faits de cambriolage domestique, il a été incarcéré du 27 juillet 2021 au 20 janvier 2022. Enfin, le 20 janvier 2022, il a été expulsé du territoire allemand. Ainsi, compte tenu du comportement délinquant de l'intéressé lors de son séjour en Allemagne et, en particulier, du caractère récent et répété des faits qu'il a commis sur une période d'un an et demi et de la gravité de certains d'entre eux, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, en estimant que son accès au territoire français constituait une menace grave pour l'ordre public et, en conséquence, en refusant, par sa décision du 8 février 2023, son entrée en France au titre de l'asile, n'a pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce au regard des dispositions précitées. Par suite, le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cette décision au motif d'une méconnaissance de ces dispositions.

5. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif :

6. En premier lieu, si M. A... invoque les conditions matérielles de l'entretien dont il a bénéficié devant l'OFPRA le 7 février 2023, il n'apporte aucune précision, ni aucun élément de nature à considérer que cet entretien n'aurait pas été effectué dans le respect des garanties prévues par les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment celles prévues au titre III du livre V de ce code. Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien n'aurait pas été mené dans le respect de ces garanties doit, en tout état de cause, être écarté.

7. En deuxième lieu, il ne ressort d'aucune des pièces versées au dossier et, notamment, du compte-rendu de l'entretien dont il a bénéficié le 7 février 2023 que l'OFPRA n'aurait pas tenu compte de la vulnérabilité de M. A... et, en particulier, de son état de santé. Par suite, le moyen tiré de l'absence de prise en compte de la vulnérabilité de l'intéressé ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

8. En troisième lieu, si la confidentialité des éléments d'information détenus par l'OFPRA et relatifs aux personnes sollicitant l'asile en France constitue une garantie essentielle du droit d'asile, ce principe ne fait pas obstacle à ce que les agents habilités à mettre en œuvre ce droit aient accès à ces informations. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la procédure suivie aurait porté atteinte à ce principe dès lors que ces éléments n'ont été connus, étudiés et transmis que par les agents des autorités habilitées par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à traiter les demandes d'asile à la frontière, à savoir les agents de police ainsi que les agents de l'OFPRA et du ministère de l'intérieur, tous astreints au secret professionnel. En conséquence, le moyen doit être écarté.

9. En quatrième lieu et contrairement à ce que soutient M. A..., le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'a pas estimé que sa demande d'asile était manifestement infondée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'autorité ministérielle aurait excédé la compétence que lui confèrent les dispositions précitées du 3° de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile manque en fait et doit donc être écarté.

10. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas allégué que l'intéressé aurait conservé son statut de réfugié qui lui avait été accordé par les autorités allemandes, qui l'ont finalement expulsé à destination de son pays. Par ailleurs, si M. A... a fait état devant l'OFPRA de son orientation sexuelle, de son quotidien de vie en Jamaïque, de ses difficultés pour continuer son parcours scolaire ou trouver un emploi ainsi que de sa fréquentation d'un ghetto regroupant la communauté homosexuelle, il n'a fourni aucun développement sur son environnement familial, sur sa prise de conscience de son homosexualité et sur son évolution personnelle à l'aune de cette prise de conscience dans un contexte sociétal hostile. De même, il n'a livré aucune information circonstanciée et personnalisée sur son parcours et son quotidien de vie dans son pays jusqu'à son départ pour l'Allemagne en 2019, ni sur les agissements dont il aurait été personnellement victime en Jamaïque à raison de son orientation sexuelle. En outre, il n'a présenté aucun éclaircissement sur les conditions de son retour dans son pays en janvier 2022 et sur les difficultés auxquelles il aurait été confronté entre janvier 2022 et février 2023, alors que l'intéressé s'est présenté à la frontière, le 4 février 2023, en possession d'un passeport jamaïcain établi à son nom, valable du 28 avril 2022 au 27 avril 2032. Ainsi, M. A... n'apporte aucune précision crédible, ni aucun document probant de nature à établir la réalité, l'intensité et le caractère personnel des persécutions ou des atteintes graves dont il allègue avoir fait l'objet dans son pays d'origine, ou à justifier des risques qu'il prétend encourir en cas de retour dans ce pays. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée, en ce qu'elle prescrit son réacheminement vers la Colombie ou vers tout pays où il sera légalement admissible, méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni, en tout état de cause, de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

11. Il résulte de tout de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 8 février 2023 refusant l'entrée de M. A... en France au titre de l'asile et lui a enjoint d'admettre l'intéressé au séjour et de lui délivrer l'attestation de demande d'asile lui permettant d'introduire sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2302811 du 14 février 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2023.

Le magistrat désigné,

R. d'HAËMLa greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA01056 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : Juge unique
Numéro d'arrêt : 23PA01056
Date de la décision : 30/05/2023
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : SCP SAIDJI et MOREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-05-30;23pa01056 ?
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