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21/06/2023 | FRANCE | N°22PA02654

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 21 juin 2023, 22PA02654


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Laïta a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 31 mai 2017 par laquelle le directeur des créances spéciales du Trésor a appliqué la majoration de 10 % prévue à l'article 55 de la loi du

29 décembre 2010 à la sanction pécuniaire qui lui a été infligée le 11 mars 2015 par l'Autorité de la concurrence, d'autre part, d'annuler la décision du 25 mai 2020 du ministre de l'action et des comptes publics, en tant qu

'elle ne fait que partiellement droit à sa demande de remise gracieuse de la majoration ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Laïta a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 31 mai 2017 par laquelle le directeur des créances spéciales du Trésor a appliqué la majoration de 10 % prévue à l'article 55 de la loi du

29 décembre 2010 à la sanction pécuniaire qui lui a été infligée le 11 mars 2015 par l'Autorité de la concurrence, d'autre part, d'annuler la décision du 25 mai 2020 du ministre de l'action et des comptes publics, en tant qu'elle ne fait que partiellement droit à sa demande de remise gracieuse de la majoration de 10 % pour retard de paiement, enfin, de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 50 000 euros laissée à sa charge après la décision de remise gracieuse prise par le ministre de l'action et des comptes publics le 25 mai 2020 et d'ordonner la restitution de cette somme ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de l'action et des comptes publics de réexaminer sa demande de remise gracieuse de la majoration de 10 % pour retard de paiement, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n°2011170 du 26 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 31 mai 2017 du directeur des créances spéciales du Trésor et la décision du 25 mai 2020 du ministre de l'action et des comptes publics, a déchargé la société Laïta de l'obligation de payer la somme de 50 000 euros laissée à sa charge par la décision du ministre de l'action et des comptes publics du 25 mai 2020 et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par un recours enregistré le 8 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour d'annuler les articles 1, 2 et 3 de ce jugement.

Il soutient que :

- le tribunal a entaché son jugement d'une insuffisance de motivation du rejet du moyen tiré de l'incompétence du directeur des créances spéciales du Trésor ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré que le courrier du 26 août 2015 emportait remise gracieuse de la majoration de 10 % et que les décisions litigieuses constituaient des décisions illégales de retrait d'un acte créateur de droits au sens de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 septembre 2022, la société Laïta, représentée par Me Aguila, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité et que les moyens du recours du ministre ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Julliard,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Hebert, représentant la société Laïta.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision n° 15-D-03 du 11 mars 2015, l'Autorité de la concurrence a infligé à la société Laïta une sanction pécuniaire d'un montant de 8 100 000 euros en raison de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le secteur des produits laitiers frais. L'amende litigieuse a été mise en recouvrement par un titre de perception émis le 28 avril 2015 par le directeur des créances spéciales du Trésor. Le 15 juin 2015, la société s'est acquittée de la somme de 4 050 000 euros, correspondant à la moitié de la créance. En réponse à une demande de la société, le directeur des créances spéciales du Trésor a, par un courrier du 26 août 2015, donné son accord à la mise en place d'un échéancier pour le paiement du reliquat de la créance, en prévoyant trois règlements semestriels de 1 000 000 euros aux 15 juin 2016, 15 décembre 2016, 15 juin 2017 et un dernier versement de 1 050 000 euros au 15 décembre 2017. Ce courrier précisait en outre qu'" aucune majoration ne sera exigée tant que cet échéancier sera respecté ". Par un arrêt du 23 mai 2017, la cour d'appel de Paris a réduit le montant de l'amende infligée à la société Laïta, fixée à 7 300 000 euros. Tirant les conséquences de cette décision, le directeur des créances spéciales du Trésor a informé la société, par un courrier 31 mai 2017, que le reliquat de sa dette s'établissait désormais à 1 250 000 euros au lieu de 2 050 000 euros et que la majoration de 10 % prévue à l'article 55 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 serait appliquée à la somme de 3 250 000 euros qui n'avait pas été réglée à la date limite de paiement fixée au 15 juin 2015, soit une majoration de 325 000 euros. La société Laïta ayant contesté l'application de cette majoration par un courrier du 13 juin 2017, le ministre de l'action et des comptes publics lui a accordé, par décision du 25 mai 2020, une remise gracieuse de cette majoration à hauteur de 275 000 euros, sous réserve que la somme de 50 000 euros maintenue à sa charge soit réglée avant le 15 août 2020. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel du jugement du 26 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 31 mai 2017 du directeur des créances spéciales du Trésor et la décision du 25 mai 2020 du ministre de l'action et des comptes publics et a déchargé la société Laïta de l'obligation de payer la somme de 50 000 euros laissée à sa charge par la décision du ministre de l'action et des comptes publics du 25 mai 2020.

Sur le moyen retenu par le Tribunal administratif de Paris :

2. Il résulte de l'instruction que le courrier du 26 août 2015, par lequel le directeur des créances spéciales du Trésor a donné à la société Laïta son accord à un échéancier de paiement pour régler l'amende infligée par l'Autorité de la concurrence comporte la mention suivante : " aucune majoration ne sera exigée tant que cet échéancier sera respecté ". Si la société intimée soutient que, par cette mention, le directeur des créances spéciales du Trésor lui a accordé une remise gracieuse de la majoration de 10 % conditionnée à son respect de l'échéancier, l'existence une telle décision ne résulte pas de ce courrier, dès lors que le directeur qui n'y statuait pas sur une demande de remise gracieuse, mais sur l'échéancier de paiement, ne formule aucune décision explicite de remise. Si la société Laïta se prévaut également du courrier du 14 juin 2017 par lequel ce dernier reconnaît, en réponse à la réclamation du 13 juin 2017, que la formulation utilisée dans le courrier du 26 août 2015 pouvait " s'interpréter comme l'annonce d'une décision de remise gracieuse conditionnée uniquement par le respect des modalités de règlement de la sanction ", il y indique également sans ambiguïté à la société Laïta que la mention litigieuse " signifie simplement que la majoration ne sera pas réclamée avant le terme de l'échéancier, tant qu'il est respecté ". Par suite, les décisions attaquées du 31 mai 2017 et du 25 mai 2020 ne retirant pas un acte créateur de droits, elles ne pouvaient être annulées pour ce motif et cette annulation ne pouvait emporter, par voie de conséquence, la décharge de l'obligation de payer la somme de 50 000 euros laissée à la charge de la société Laïta.

3. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que pour annuler les décisions du 31 mai 2017 et du 25 mai 2020, le Tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré de ce que ces décisions avaient illégalement retiré un acte créateur de droit et a déchargé en conséquence la société Laïta de l'obligation de payer la somme de 50 000 euros laissée à sa charge par la décision du ministre de l'action et des comptes publics du 25 mai 2020.

4. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Laïta devant le Tribunal administratif de Paris et devant la Cour.

Sur les autres moyens soulevés en première instance et devant la Cour par la société :

5. En premier lieu, aux termes du B du III de l'article 55 de la loi n° 2010-1658 du

29 décembre 2010 : " Donne lieu à l'application d'une majoration de 10 % tout retard dans le paiement des créances qui font l'objet d'un titre de perception que l'Etat délivre dans les conditions prévues à l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales pour le recouvrement des recettes de toute nature qu'il est habilité à recevoir. / Cette majoration, perçue au profit de l'Etat, s'applique aux sommes comprises dans le titre qui n'ont pas été acquittées le 15 du deuxième mois qui suit la date d'émission du titre de perception ".

6. Il ressort des dispositions précitées qui sont impératives, que la société Laïta n'est pas fondée à soutenir que la décision du directeur des créances spéciales du Trésor du 31 mai 2017 et la décision du ministre de l'action et des comptes publics du 25 mai 2020 seraient entachées d'erreurs de droit dès lors que l'application de la majoration de 10 % qu'elles prévoient en cas de paiement hors délai, ne serait pas automatique. Il résulte en outre de l'instruction que la société Laïta s'est vu accorder à sa demande, par la décision contestée du 25 mai 2020, une remise gracieuse d'une partie de cette majoration.

7. En deuxième lieu, la société Laïta soutient que la décision du ministre de l'action et des comptes publics du 25 mai 2020 est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard à ses difficultés financières. Toutefois, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 6, le ministre de l'action et des comptes publics a, par la décision litigieuse du 25 mai 2020, accordé une remise gracieuse d'un montant de 275 000 euros sur le montant de 325 000 euros mis à sa charge au titre de la majoration de 10% prévue par les dispositions précitées de l'article 55 III B de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, en prenant en compte les difficultés financières alléguées par la société Laïta dans ses courriers des 9 juin et 9 juillet 2015 et du 13 juin 2017. D'autre part, cette dernière n'établit pas devant la Cour par la production d'éléments pertinents, qu'en refusant la remise gracieuse intégrale de la majoration, le ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation. Enfin, et contrairement à ce que soutient la société intimée, il ne résulte pas de la réponse ministérielle du 20 septembre 2016 apportée à la question n° 66330 du député M. A..., que l'octroi de délais de paiement s'accompagnerait " dans la majorité des cas d'une remise totale de la majoration de retard de 10% ".

8. En dernier lieu, si la société Laïta soutient que les décisions litigieuses du 31 mai 2017 et du 25 mai 2020 ont été prises en méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, dès lors que les termes du courrier de l'administration du 26 août 2015 lui accordaient sans ambiguïté une remise gracieuse de la majoration de 10 % pour retard de paiement, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que l'administration, qui ne statuait pas sur une demande de remise gracieuse mais sur une proposition d'échéancier de paiement de sa dette qui lui était soumise par la société Laïta, n'a pas indiqué dans le courrier du

26 août 2015 accorder une telle remise. Par suite, et en tout état de cause, les décisions litigieuses n'ont pas méconnu les principes de sécurité juridique et de confiance légitime consacrés par le droit de l'Union européenne.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 31 mai 2017 du directeur des créances spéciales du Trésor et la décision du 25 mai 2020 du ministre de l'action et des comptes publics et a déchargé la société Laïta de l'obligation de payer la somme de 50 000 euros laissée à sa charge par la décision du ministre de l'action et des comptes publics du 25 mai 2020.

Sur les frais de l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à la société Laïta la somme qu'elle demande au titre des frais de l'instance.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1, 2 et 3 du jugement n°2011170 du 26 avril 2022 du tribunal administratif de Paris, sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par la société Laïta devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Laïta.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Isabelle Marion, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2023.

La présidente-rapporteure,

M. JULLIARDL'assesseure la plus ancienne,

I. MARION

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA02654 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02654
Date de la décision : 21/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : CABINET BREDIN PRAT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-21;22pa02654 ?
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