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29/06/2023 | FRANCE | N°21PA01073

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 29 juin 2023, 21PA01073


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Bouygues Télécom a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme de 2 285 000 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des manquements de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) dans le cadre de la régulation de l'accord d'itinérance conclu entre les sociétés Free Mob

ile et Orange.

Par un jugement n° 1605470/5-2 du 29 décembre 2020, le tribunal adm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Bouygues Télécom a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme de 2 285 000 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des manquements de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) dans le cadre de la régulation de l'accord d'itinérance conclu entre les sociétés Free Mobile et Orange.

Par un jugement n° 1605470/5-2 du 29 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 1er mars 2021, 28 juillet 2021 et 18 mars 2022, la société Bouygues Télécom, représentée par Me Savoie, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 29 décembre 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 1 855 000 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2015 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 4 décembre 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que sa minute n'est pas signée par le greffier d'audience ;

- ce jugement n'est pas suffisamment motivé, notamment en son point 10, dès lors que les premiers juges n'ont pas examiné la réalité et le montant du préjudice lié à l'effet anti-concurrentiel de l'avantage indu offert à la société Free Mobile ;

- le tribunal a méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve et s'est fondé sur des motifs inopérants pour estimer que l'accord d'itinérance n'avait pas eu d'effets anticoncurrentiels justifiant davantage d'encadrement par l'ARCEP ;

- la responsabilité de l'État est engagée pour faute du fait de la carence de l'ARCEP dans l'exercice de ses missions de régulation ; l'ARCEP a méconnu sa mission de veiller au respect du principe de concurrence par les infrastructures, en n'encadrant pas l'accord d'itinérance et les pratiques de la société Free Mobile ; l'ARCEP a également violé les principes de sécurité juridique, de confiance légitime et d'espérance légitime, en méconnaissance du droit de l'Union européenne et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité sans faute de l'État est engagée du fait du préjudice grave et spécial que lui ont causé les carences de l'ARCEP, en méconnaissance du principe d'égalité des opérateurs devant les charges publiques.

Par un mémoire enregistré le 19 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par deux mémoires enregistrés les 19 janvier 2022 et 21 avril 2022, l'ARCEP conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les conclusions indemnitaires de la société requérante sont irrecevables dès lors que la somme demandée en appel excède la somme demandée en première instance ;

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 31 mai 2022.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- le code des postes et des communications électroniques,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Savoie, représentant la société Bouygues Télécom.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 12 janvier 2010, l'ARCEP a autorisé la société Free Mobile à utiliser des fréquences pour établir et exploiter un réseau radioélectrique de troisième génération (3G) ouvert au public, et lui a reconnu le droit de conclure avec l'un des opérateurs de réseaux de téléphonie mobile de deuxième génération (2G) de son choix un accord d'itinérance métropolitaine pour une durée de six ans. Cette décision, par un cahier des charges annexé, prévoyait que la société Free Mobile devrait respecter des obligations de déploiement de réseau progressives. La société Free Mobile a conclu, le 2 mars 2011, un accord d'itinérance avec la société Orange, l'autorisant à accéder, contre rémunération, aux réseaux de téléphonie 2G et 3G de cette dernière jusqu'en 2016 ou 2018. Estimant que cet accord était à l'origine d'effets anti-concurrentiels, la société Bouygues Télécom a, par un courrier du 4 décembre 2015, adressé au Premier ministre une demande indemnitaire préalable tendant au versement d'une indemnité de 2 285 000 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de la carence de l'ARCEP à assurer la régulation de cet accord entre 2011 et 2015. Cette demande a été implicitement rejetée. La société Bouygues Télécom relève appel du jugement du 29 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 2 285 000 000 euros en réparation des préjudices causés par les manquements de l'ARCEP, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2015 et de leur capitalisation annuelle à compter du 4 décembre 2016.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, contrairement à ce que soutient la société Bouygues Télécom, la minute du jugement attaqué, produite devant la cour, comporte la signature manuscrite des magistrats qui l'ont rendu ainsi que du greffier d'audience.

3. D'autre part, il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges ont examiné l'ensemble des moyens soulevés devant eux et y ont répondu avec précision ; ils ont notamment indiqué pour quelles raisons ils ont estimé que l'accord d'itinérance litigieux n'avait pas eu d'effet anti-concurrentiel préjudiciant à la société Bouygues Télécom ; ils n'étaient dès lors pas tenus d'évaluer le montant du préjudice invoqué. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que ce jugement serait entaché d'irrégularité faute d'examen des effets anti-concurrentiels allégués.

4. Enfin, les moyens tirés de ce que le tribunal aurait méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve et se serait fondé sur des motifs inopérants pour estimer que l'accord d'itinérance conclu entre les sociétés Orange et Free Mobile n'avait pas eu d'effets anticoncurrentiels justifiant davantage d'encadrement par l'ARCEP, sont relatifs au bien-fondé du jugement et non à sa régularité.

5. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

6. Aux termes de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques : " (...) II.- Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées aux objectifs poursuivis et veillent : / (...) 2° A l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques. A ce titre, ils veillent (...), lorsque cela est approprié, à la promotion d'une concurrence fondée sur les infrastructures. ". Aux termes de l'article L. 42-1 du même code : " I.- L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes attribue les autorisations d'utilisation des fréquences radioélectriques dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires tenant compte des besoins d'aménagement du territoire. (...) / II. - L'autorisation précise les conditions d'utilisation de la fréquence ou de la bande de fréquences qui portent sur : / 1° La nature et les caractéristiques techniques des équipements, réseaux, technologies et services qui peuvent utiliser la fréquence ou la bande de fréquences ainsi que leurs conditions de permanence, de qualité, de disponibilité, leur calendrier de déploiement et leur zone de couverture, le cas échéant ; / 2° La durée de l'autorisation / (...) 8° Les engagements pris par le titulaire dans le cadre de l'appel à candidatures prévu à l'article L. 42-2 (...) ". Aux termes de l'article L. 36-7 de ce code : " L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes : / (...) 3°Contrôle le respect par les opérateurs des obligations résultant des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables en vertu du présent code, du règlement (UE) n° 531/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juin 2012, concernant l'itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l'intérieur de l'Union et des autorisations dont ils bénéficient et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues aux articles L. 36-10 et L. 36-11 ; / (...) 6° Assigne aux opérateurs et aux utilisateurs les fréquences nécessaires à l'exercice de leur activité dans les conditions prévues à l'article L. 42-1 et veille à leur bonne utilisation (...). ". Et en vertu de l'article L. 36-11 du même code, l'ARCEP peut sanctionner les manquements qu'elle constate, de la part des exploitants de réseaux ou des fournisseurs de services de communications électroniques, aux dispositions législatives et réglementaires afférentes à leur activité ou aux décisions prises pour en assurer la mise en œuvre, et notamment prononcer la suspension ou le retrait des décisions d'attribution de fréquences prises en application de l'article L. 42-1.

7. Par ces dispositions, le législateur a entendu conférer à l'ARCEP des missions de contrôle et de régulation du secteur des communications électroniques. Eu égard à la nature des pouvoirs qui lui sont dévolus à cette fin et aux intérêts en jeu, relatifs à la matière économique, et alors que la société Bouygues Télécom ne fonde pas son action, en l'espèce, sur l'autorisation délivrée à la société Free Mobile, la responsabilité que peut encourir l'État pour les dommages causés par les insuffisances ou carences de cette Autorité dans l'exercice de ses missions ne peut être engagée qu'en cas de faute lourde.

8. Par ailleurs, il appartient en principe au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge, outre la réalité du préjudice subi, l'existence de faits de nature à caractériser les fautes invoquées.

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que par un courrier du 3 février 2014, la société Bouygues Télécom a demandé au président de l'ARCEP de définir les modalités d'extinction de l'itinérance dont bénéficiait la société Free Mobile sur le réseau de la société Orange. Cette demande a été implicitement rejetée. Par un courrier du 5 mai 2014, la société Bouygues Télécom a réitéré cette demande et a, en outre, demandé à l'ARCEP de modifier sans délai la méthodologie retenue pour veiller au respect par la société Free Mobile des obligations résultant de l'autorisation délivrée le 12 janvier 2010. Par un courrier du 22 mai 2014, l'ARCEP a indiqué être " particulièrement attentive " au respect par la société Free Mobile des obligations de couverture définies dans l'autorisation, puis s'est déclarée " incompétente " pour définir les modalités d'une extinction progressive de l'itinérance, en précisant qu'une telle extinction ne saurait relever que des parties à l'accord conclu entre les deux sociétés Orange et Free Mobile ou, le cas échéant, d'une décision de l'Autorité de la concurrence. Par une décision du 9 octobre 2015, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé pour erreur de droit la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'ARCEP sur la demande que lui avait adressée la société Bouygues Télécom le 3 février 2014 ainsi que la décision de l'ARCEP du 22 mai 2014 ; il a estimé que, quand bien même elle n'était pas compétente, en l'état du droit alors applicable, pour mettre un terme ou modifier une convention d'itinérance déjà conclue, l'ARCEP, en se bornant, en réponse aux demandes de la société Bouygues Télécom, à se déclarer attentive au respect par la société Free Mobile des obligations de couverture définies dans la décision d'autorisation d'établir et d'exploiter un réseau radioélectrique qu'elle lui avait délivrée le

22 janvier 2010, et en refusant, par principe, de réexaminer, au vu de l'évolution de la concurrence entre les opérateurs, les conditions d'accès à l'itinérance dont bénéficiait la société Free, avait méconnu l'étendue de ses pouvoirs. Les motifs de cette décision d'annulation n'impliquaient qu'un examen effectif par l'ARCEP des conditions de l'itinérance, et non nécessairement, comme le soutient la société appelante, la mise en œuvre par cette dernière de mesures de régulation. Par suite, l'illégalité fautive commise par l'ARCEP consistant à avoir méconnu l'étendue de ses pouvoirs en refusant un réexamen dans le cadre de sa mission de régulation, à supposer même qu'elle puisse être qualifiée de faute lourde, est sans lien direct avec le préjudice invoqué par l'appelante, tiré des effets anti-concurrentiels produits, selon elle, par l'accord d'itinérance lui-même.

10. En deuxième lieu, la société Bouygues Télécom soutient que l'ARCEP aurait dû réguler l'accord d'itinérance conclu le 2 mars 2011 entre les sociétés Orange et Free Mobile, d'abord en mesurant plus finement les effets de cet accord, puis en intervenant pour qu'il y soit mis un terme ou qu'il soit effectivement modifié. Toutefois, contrairement à ce qu'elle soutient, il résulte du principe rappelé au point 8 du présent arrêt que l'ARCEP n'est pas tenue de démontrer en défense que le bilan concurrentiel de l'accord, de sa conclusion en 2011 au 31 décembre 2015, était positif. Par ailleurs, alors au demeurant que l'ARCEP ne disposait pas, durant cette dernière période, des pouvoirs plus larges que le législateur lui a ultérieurement confié en introduisant un article L. 34-8-1-1 dans le code des postes et des communications électroniques, par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, notamment celui de demander la modification des conventions déjà conclues en vue de permettre le respect des objectifs auxquels elle veille en application des dispositions citées au point 6, il résulte de l'instruction que les conditions de l'accord d'itinérance du 2 mars 2011 étaient compatibles avec la réalisation des objectifs de la régulation assurée par l'ARCEP. Le principe d'une concurrence par les infrastructures ne signifie ainsi pas qu'un nouvel entrant sur le marché de la téléphonie mobile soit tenu de construire préalablement ses propres infrastructures, en raison de l'intérêt général qui s'attache à l'entrée d'un quatrième opérateur sur le marché de la téléphonie mobile dans des conditions techniques et économiques susceptibles de lui permettre de concurrencer les opérateurs existants dans des conditions équitables. Il résulte en outre de l'instruction que l'itinérance dont la société Free Mobile a bénéficié n'a pas fait obstacle au déploiement de son propre réseau, de telle sorte qu'elle a effectivement respecté les obligations prévues notamment à l'article 1.4. " Couverture du territoire " du cahier des charges annexé à l'autorisation qui lui a été délivrée par décision du 12 janvier 2010. Il résulte également de l'instruction que l'ARCEP a suivi le respect de ces obligations, " hors itinérance ", au regard des échéances de couverture prévues par l'autorisation, et a constaté que la société Free Mobile avait atteint l'objectif de 27 % de couverture au 12 janvier 2012, de 75 % au 12 janvier 2015, et de 90 % au 12 janvier 2018, ce dernier objectif ayant même été dépassé par la société Free Mobile puisqu'à cette date il couvrait 93,4 % de la population par son réseau propre 3G. L'ARCEP a également procédé entre 2011 et 2015 à des campagnes de mesures ainsi qu'à des enquêtes de suivi de la qualité du service mobile fourni par les opérateurs ; en mai 2014, l'Autorité a instruit une enquête administrative, portant sur le déploiement du réseau 3G de la société Free Mobile, qui lui a permis de s'assurer du respect de ses obligations par la société Free Mobile. Dans ce cadre, aucun texte ni aucun principe n'exigeait de l'ARCEP qu'elle fixe, en vue de mesurer la couverture offerte par le réseau propre d'un opérateur, un taux de charge minimum. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que les modalités de déploiement par la société Free Mobile de son propre réseau, dit " en tâches de léopard ", aurait dû faire l'objet d'une intervention de la part de l'ARCEP. Si la société Bouygues Télécom se prévaut en outre d'un avis de l'Autorité de la concurrence du 11 mars 2013, il résulte de l'instruction que celui-ci se borne à examiner notamment les avantages et inconvénients de l'itinérance, ainsi que les modalités souhaitables de son extinction, et il ne peut en être déduit que l'accord conclu entre les sociétés Free Mobile et Orange aurait produit entre 2011 et 2015 des effets anti-concurrentiels au détriment de la société requérante. La circonstance que l'accord en cause a été prolongé est sans incidence à cet égard, de même que les déclarations de parlementaires, de ministres et de représentants de diverses autorités, cités par l'appelante. Par ailleurs, il n'est établi par aucune des pièces du dossier que la société Free Mobile aurait eu recours, dans le cadre de l'exécution de l'accord d'itinérance, à des pratiques de " bridage ciblé " susceptibles de fausser la concurrence. Enfin, il n'est pas démontré que la stratégie tarifaire proposée par le nouvel opérateur Free Mobile aurait été permise par la conclusion de l'accord d'itinérance du 2 mars 2011 et aurait présenté un caractère déloyal de nature à impliquer une intervention de l'ARCEP.

11. En troisième lieu, à supposer que la société Bouygues Télécom ait entendu invoquer une faute tirée d'un retard de l'ARCEP à adopter des lignes directrices relatives à la mise en œuvre des nouvelles dispositions introduites dans le code des postes et des communications électroniques par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, ce qu'elle a fait le 25 mai 2016 sans y être tenue, l'appelante ne saurait en tout état de cause invoquer une telle faute au titre de la période allant de 2011 à 2015.

12. En quatrième lieu, la circonstance alléguée par la société Bouygues Télécom, qui était en 2011, avant l'entrée sur le marché de la téléphonie mobile de la société Free Mobile, l'opérateur le plus récent, a dû déployer son réseau en investissant massivement sans avoir bénéficié d'un accord d'itinérance, est sans incidence sur l'engagement de la responsabilité de l'ARCEP entre 2011 et 2015, dans le cadre de ses missions de régulation et de contrôle s'agissant de l'accord conclu entre les sociétés Orange et Free Mobile.

13. En dernier lieu, la société appelante reproche à l'ARCEP d'avoir méconnu, par les carences dont elle a fait preuve dans l'exercice de ses missions de régulation, les principes garantis par le droit de l'Union européenne et par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatifs à la sécurité juridique, à la confiance légitime et à l'espérance légitime. Toutefois, comme il a été dit au point 10 du présent arrêt, la société Bouygues Télécom n'établit pas que l'accord d'itinérance du 2 mars 2011 aurait produit à son détriment des effets anti-concurrentiels de nature à la priver d'une espérance légitime de voir sa rentabilité se renforcer. L'appelante n'identifie en outre aucune évolution de la réglementation dont la prévisibilité aurait dû être favorisée par l'ARCEP au cours de la période allant de 2011 à 2015, le principe de la concurrence par les infrastructures n'ayant notamment pas été remis en cause par l'accord d'itinérance.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bouygues Télécom n'est pas fondée à soutenir que l'ARCEP aurait fait preuve d'une carence lourdement fautive de nature à engager sa responsabilité dans le cadre de la mission de régulation qui lui est dévolue par les dispositions citées au point 6 du code des postes et des communications électroniques.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques :

15. La société Bouygues Télécom soutient, à titre subsidiaire, que les carences de l'ARCEP lui ont causé un préjudice grave et spécial, rompant le principe d'égalité entre opérateurs de télécommunications devant les charges publiques. Toutefois, comme il a été dit aux points 6 à 14 du présent arrêt, la société appelante ne démontre aucune carence dont l'Autorité aurait fait preuve dans le cadre de ses missions. En tout état de cause, elle n'établit pas la réalité des bouleversements économiques dont elle se prévaut en se bornant à invoquer la stratégie tarifaire déployée par la société Free Mobile, ni a fortiori aucun lien de causalité entre le préjudice allégué et le comportement de l'ARCEP à l'égard de l'accord d'itinérance conclu entre les sociétés Free Mobile et Orange. Elle ne justifie ainsi d'aucune charge exorbitante de nature à créer une situation anormale à son détriment et elle n'est en conséquence pas fondée à soutenir que la responsabilité sans faute de l'ARCEP serait engagée à son égard pour rupture d'égalité devant les charges publiques.

16. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Bouygues Télécom n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Bouygues Télécom et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Bouygues Télécom est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bouygues Télécom, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente,

- Mme Isabelle Marion, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2023.

La rapporteure,

G. A...La présidente,

M. B...

Le greffier,

É. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA01073


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01073
Date de la décision : 29/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SAVOIE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-29;21pa01073 ?
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