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30/06/2023 | FRANCE | N°22PA04159

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 30 juin 2023, 22PA04159


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La succession de Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de l'obligation de payer des cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à la charge de Mme D... au titre des années 2010 et 2011, ainsi que les majorations correspondantes, résultant d'un avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 15 avril 2021.

Par un jugement n° 2113524 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la

succession de Mme D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La succession de Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de l'obligation de payer des cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à la charge de Mme D... au titre des années 2010 et 2011, ainsi que les majorations correspondantes, résultant d'un avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 15 avril 2021.

Par un jugement n° 2113524 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la succession de Mme D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 septembre 2022 et le 2 juin 2023, la succession de Mme D..., représentée par la SELARL Delpeyroux et associés, agissant par Me Henry-Stasse, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2113524 du 12 juillet 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer résultant de l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 15 avril 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La succession de Mme D... soutient que :

- l'administration fiscale a méconnu le délai de prescription de quatre ans applicable en l'espèce ;

- la circonstance que le Brésil a émis des réserves à l'application de la convention multilatérale de l'Organisation de coopération et de développement économiques du 25 janvier 1988 concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale ne prive pas d'effet son adhésion à cette convention ;

- la mise en demeure du 15 mars 2021 est intervenue plus de quatre ans après la précédente mise en demeure, datée du 12 mai 2016 ;

- la mise en demeure du 15 mars 2021 n'a pu interrompre le cours de la prescription de l'action en recouvrement dès lors que M. C... D... n'avait pas accepté la succession, que l'accusé de réception comporte la signature d'un tiers, et non de M. C... D..., et que la notification n'avait pas été faite au parquet.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la succession requérante aurait dû soulever le moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement à l'encontre de la mise en demeure datée du 15 mars 2021 ;

- le délai de prescription doit en l'espèce être étendu à six ans.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention multilatérale de l'OCDE du 25 janvier 1988 concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale ;

- la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Aggiouri ;

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Henry-Stasse, avocate de la succession de Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. L'administration fiscale a mis à la charge de Mme D... des cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales à hauteur de 645 792 euros au titre l'année 2010 et de 70 859 euros au titre de l'année 2011, mises en recouvrement respectivement le 31 décembre 2013 et le 30 avril 2013. Faute d'avoir été réglées dans les délais légaux, ces impositions ont été assorties d'une majoration de 10 %. Mme D... est décédée le 2 juin 2014. Le comptable de la direction des impôts des non-résidents a émis, le 15 avril 2021, un avis de saisie administrative à tiers détenteur, pour avoir paiement du montant restant dû à la caisse du comptable, soit 785 791,11 euros. La succession de Mme D... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer résultant de l'avis de saisie administrative à tiers détenteur ainsi émis.

2. Aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. / Le délai de prescription de l'action en recouvrement prévu au premier alinéa est augmenté de deux années pour les redevables établis dans un Etat non membre de l'Union européenne avec lequel la France ne dispose d'aucun instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures ".

3. Aux termes de l'article 8 de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures : " 1. À la demande de l'autorité requérante, l'autorité requise notifie au destinataire l'ensemble des documents, y compris ceux comportant une dimension judiciaire, qui émanent de l'État membre requérant et qui se rapportent à une créance visée à l'article 2 ou au recouvrement de celle-ci / [...] /2. L'autorité requérante n'introduit de demande de notification au titre du présent article que si elle n'est pas en mesure de procéder à la notification conformément aux dispositions régissant la notification du document concerné dans l'État membre requérant [...] ".

4. Il appartient au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative au recouvrement d'une créance fiscale auprès d'un débiteur qui ne réside habituellement ni en France, ni dans un autre Etat membre de l'Union européenne, de déterminer si un instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 est applicable à l'intéressé, auquel cas celui-ci n'est soumis qu'au délai de prescription de quatre années prévu par le premier alinéa de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales.

5. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a émis, le 12 mai 2016, une mise en demeure tendant au paiement d'une somme totale de 785 791,11 euros correspondant aux cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi qu'aux majorations correspondantes, demeurant à la charge de la succession de Mme D.... Cette mise en demeure, envoyée, à une adresse située à Dunkerque, " à Mme D... A... née B... par M. D... C... ", a été notifiée le 18 mai 2016, ainsi qu'en atteste l'accusé de réception produit par l'administration fiscale. A cet égard, si elle soutient que " l'héritier n'a pas accepté la succession ", la succession de Mme D..., qui n'apporte aucune précision ni élément de preuve au soutien de ses allégations, n'établit pas que M. C... D... aurait renoncé à la succession de Mme A... D..., sa mère. Ainsi, la mise en demeure de payer datée du 12 mai 2016 a valablement interrompu le cours de la prescription de l'action en recouvrement des impositions dont le paiement était poursuivi.

6. Il résulte de l'instruction que M. C... D... s'est ensuite installé au Brésil. Or, le Brésil est un Etat partie, à compter du 1er octobre 2016, à la convention multilatérale de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) du 25 janvier 1988 concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, dont l'article 1 prévoit, en son 1, que " [les] Parties s'accordent mutuellement, sous réserve des dispositions du chapitre IV, une assistance administrative en matière fiscale ", comprenant notamment, selon le c du 2 de cet article, " la notification de documents ", et dont l'article 17 prévoit, en son 3, qu' " une partie peut faire procéder directement par voie postale à la notification d'un document à une personne se trouvant sur le territoire de l'autre Partie ". Ainsi, ces stipulations, qui prévoient une assistance mutuelle en matière de recouvrement, ont une portée similaire à celle de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010. Toutefois, le gouvernement du Brésil a consigné trois réserves dans l'instrument de ratification déposé auprès du secrétaire général de l'OCDE, le 1er juin 2016, selon lesquelles, d'une part, en application du e du paragraphe 1 de l'article 30 de la convention, il n'acceptera pas les notifications par voie postale prévues à l'article 17, paragraphe 3, de la convention, d'autre part, en application du d du même paragraphe, il n'accordera pas d'assistance en matière de notification de documents pour tous les impôts et enfin, en application du b du même paragraphe, il n'accordera pas d'assistance en matière de recouvrement de créances fiscales quelconques, pour tous impôts. Compte tenu de ces réserves, la France ne disposait, à l'égard du Brésil, d'aucun instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures, au sens de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales. Le délai de prescription de l'action en recouvrement prévu au premier alinéa de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales doit donc être en l'espèce, et en application du deuxième alinéa de cet article, augmenté de deux années, et ainsi porté à six ans.

7. En l'espèce, l'avis de saisie administrative à tiers détenteur en litige a fait l'objet d'une réclamation préalable datée du 21 mai 2021, reçue par l'administration fiscale le 3 juin 2021, et rejetée par celle-ci par un courrier daté du 2 août 2021. La succession de Mme D... est, dès lors, réputée avoir eu connaissance acquise de cet avis au plus tard le 21 mai 2021. Or, le délai de prescription de l'action en recouvrement ayant été, ainsi qu'il a été dit précédemment, interrompu par la notification, le 18 mai 2016, de la mise en demeure de payer datée du 12 mai 2016, ce délai n'était pas expiré le 21 mai 2021, date à laquelle la succession de Mme D... est réputée avoir eu connaissance acquise de l'avis de saisie administrative à tiers détenteur en litige. A cet égard, si la succession de Mme D... soutient que la mise en demeure datée du 15 mars 2021, notifiée à l'adresse de M. C... D... au Brésil, n'aurait pas valablement interrompu le cours de la prescription de l'action de mise en recouvrement, dès lors que, selon elle, l'intéressé n'avait pas accepté la succession, que l'accusé de réception comporte la signature d'un tiers, et non de M. C... D..., et que la notification n'avait pas été faite au parquet, ces circonstances sont en l'espèce sans incidence, dès lors que, ainsi qu'il a été dit précédemment, le cours de la prescription de l'action de mise en recouvrement a été valablement interrompu, à la suite de la notification de la mise en demeure datée du 12 mai 2016, par l'avis de saisie administrative à tiers détenteur du 15 avril 2021, dont la succession requérante a eu connaissance acquise le 21 mai 2021 au plus tard. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance du délai de prescription doit être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la succession de Mme D... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la succession de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la succession de Mme A... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2023, où siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 juin 2023.

Le rapporteur,

K. AGGIOURILa présidente,

H. VINOT

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04159


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04159
Date de la décision : 30/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-05-01-005 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - GÉNÉRALITÉS. - RECOUVREMENT. - ACTION EN RECOUVREMENT. - PRESCRIPTION. - DÉBITEUR RÉSIDANT À L'ÉTRANGER - 1) APPRÉCIATION, POUR DÉFINIR LE DÉLAI DE PRESCRIPTION APPLICABLE SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE L. 274 DU LPF, DE LA PORTÉE DES STIPULATIONS DE LA CONVENTION MULTILATÉRALE DE L'OCDE DU 25 JANVIER 1988 CONCERNANT L'ASSISTANCE ADMINISTRATIVE MUTUELLE EN MATIÈRE FISCALE (1) - PORTÉE SIMILAIRE À CELLE DE LA DIRECTIVE 2010/24/UE DU CONSEIL DU 16 MARS 2010 - EXISTENCE - 2) DESTINATAIRE D'UN ACTE DE POURSUITE RÉSIDANT AU BRÉSIL - APPLICATION DU DÉLAI DE PRESCRIPTION DE QUATRE ANS PRÉVU PAR LE PREMIER ALINÉA DE L'ARTICLE L. 274 DU LPF - ABSENCE, COMPTE TENU DES RÉSERVES CONSIGNÉES PAR LE GOUVERNEMENT DU BRÉSIL DANS L'INSTRUMENT DE RATIFICATION DE LA CONVENTION.

19-01-05-01-005 Il appartient au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative au recouvrement d'une créance fiscale auprès d'un débiteur qui ne réside habituellement ni en France ni dans un autre Etat membre de l'Union européenne, de déterminer si un instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 est applicable à l'intéressé, auquel cas celui-ci n'est soumis qu'au délai de prescription de quatre années prévu par le premier alinéa de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales (LPF) [RJ1].......1) Le Brésil est un Etat partie, à compter du 1er octobre 2016, à la convention multilatérale de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) du 25 janvier 1988 concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, qui, prévoyant une assistance mutuelle en matière de recouvrement, a une portée similaire à celle de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010. ......2) Toutefois, compte tenu des réserves consignées par le gouvernement du Brésil dans l'instrument de ratification de la convention déposé auprès du secrétaire général de l'OCDE, le 1er juin 2016, la France ne dispose, à l'égard du Brésil, d'aucun instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010, au sens de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales (LPF). Le délai de prescription de l'action en recouvrement prévu au premier alinéa de l'article L. 274 du LPF doit donc être en l'espèce, et en application du deuxième alinéa de cet article, augmenté de deux années, et ainsi porté à six ans.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 26 janvier 2021, M. Tribel et Ministre de l'action et des comptes publics, 429381 429410, T.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: M. Khalil AGGIOURI
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : CABINET DELPEYROUX

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-30;22pa04159 ?
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