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05/07/2023 | FRANCE | N°21PA04983

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 05 juillet 2023, 21PA04983


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 4 949 552,41 euros ainsi qu'une rente de 1 368 euros par mois à compter du 1er juillet 2019 en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge par l'hôpital Henri Mondor à compter du

21 janvier 2015.

Par un jugement n°1905421 du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Melun a condamné l'AP- HP, d'une part, à verser à M. E... une

somme de 195 529 euros au titre des frais de santé restés à sa charge et d'autre part, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 4 949 552,41 euros ainsi qu'une rente de 1 368 euros par mois à compter du 1er juillet 2019 en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge par l'hôpital Henri Mondor à compter du

21 janvier 2015.

Par un jugement n°1905421 du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Melun a condamné l'AP- HP, d'une part, à verser à M. E... une somme de 195 529 euros au titre des frais de santé restés à sa charge et d'autre part, à le rembourser de ses dépenses de santé futures sur justificatifs, ainsi qu'à lui verser une somme de 533 247 euros sous réserve qu'il établisse ne plus résider en institution et de la déduction éventuelle de la prestation de compensation du handicap ou de l'allocation pour adulte handicapé, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2019 et capitalisés à compter du 21 juillet 2020.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée sous le n° 21PA04934, le 3 septembre 2021, et des mémoires enregistrés le 5 mai 2022 et 2 juin 2022, M. E... représenté par Me Dechezleprêtre, a demandé à la Cour de réformer le jugement du 5 juillet 2021 du tribunal administratif de Melun en ce qu'il a limité le montant de ses indemnisations et de condamner in solidum l'hôpital Henri Mondor et l'AP-HP à lui verser la somme de 4 951 218,32 euros, déduction faite de la provision de 44 000 euros ainsi qu'une rente de 1 368 euros par mois à compter du 1er juillet 2019.

Par des mémoires de reprise d'instance enregistrés le 9 janvier 2023 et 9 juin 2023, Mme C... E..., M. B... E... et M. A... E..., ayants-droit de M. D... E..., représentés par Me Dechezleprêtre, demandent à la Cour :

1°) d'annuler la décision de rejet du 19 avril 2019 du recours préalable de

M. E... ;

2°) de réformer le jugement du 5 juillet 2021 du tribunal administratif de Melun en ce qu'il a limité le montant des indemnisations de M. D... E... et de condamner in solidum l'hôpital Henri Mondor et l'AP-HP à leur verser la somme de 431 213,72 euros, déduction faite de la provision déjà versée de 44 000 euros ;

3°) subsidiairement, si un aléa thérapeutique était relevé, de condamner l'ONIAM à les indemniser selon la part revenant à l'office ;

4°) de condamner in solidum l'hôpital Henri Mondor et l'AP-HP à leur verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Ils soutiennent que :

- l'expert commis par la CCI d'Ile de France a retenu que la réalisation de l'acte chirurgical du 4 février 2015 à l'hôpital Henri Mondor n'avait pas été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science ; cette faute est à l'origine des préjudices de

M. D... E... dont l'indemnisation incombe intégralement à l'AP-HP ; les positions de cette dernière ne cessent de varier quant à sa responsabilité ;

- l'expert a également retenu un manquement à l'obligation d'information sur les risques d'amputation à la suite du traitement envisagé et à l'obligation de recueil du consentement ;

- dès lors que l'AP-HP ne remettait dans un premier temps pas en cause sa responsabilité, elle n'était pas fondée à demander l'application d'un taux de 20% à chaque poste de préjudice aux motifs que M. D... E... était malade avant sa prise à charge par l'hôpital et à invoquer la survenance d'un aléa thérapeutique ;

- au titre des préjudices patrimoniaux temporaires de M. D... E..., la Cour devra confirmer la somme de 130,91 euros allouée par le tribunal au titre de ses dépenses de santé, de 1 891,99 euros au titre des frais divers et indemniser sa perte de gains professionnels à hauteur de 14 274,20 euros ;

- au titre de ses préjudices patrimoniaux permanents de M. D... E..., l'indemnisation de ses dépenses de santé supportées entre la date de consolidation et le décès s'élèvent à 17 011,58 euros liées au renouvellement de son fauteuil roulant manuel en 2020 et aux frais de changes complets ; les frais d'assistance par une tierce personne définitive au sein de l'EPHAD Saint Laurent et de la Résidence Tiers Temps où il résidait en dernier lieu et les frais d'hébergement restés à sa charge se sont élevés à 147 772,50 euros à raison de 15 heures par jour et 9 heures par nuit ; ses pertes de gains professionnels entre la date de consolidation et le décès s'élèvent à 104 252,94 euros ;

- au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires de M. D... E..., l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire devra être portée à 10 320 euros ; l'indemnisation des souffrances endurées devra être portée à 50 000 euros et celle du préjudice esthétique temporaire à 10 000 euros ;

- au titre des préjudices extrapatrimoniaux permanents de M. D... E..., l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent doit être portée à 85 880,83 euros, celle du préjudice esthétique à 10 103,63 euros, celle du préjudice d'agrément à 10 103,63 euros, celle de son préjudice sexuel à 10 103,63 euros et le préjudice d'établissement doit être indemnisé à hauteur de 3 367,88 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 octobre 2021, le 3 février 2023 et le 15 juin 2023, la CPAM de l'Aisne représentée par Me de Berny conclut dans le dernier état de ses écritures à la réformation du jugement attaqué et à la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme de 1 403 038,04 au titre de ses débours définitifs exposés au bénéfice de

M. E... avec les intérêts à compter du 21 juillet 2019 pour la somme de 1 190 812,01 euros et à la date du 15 juin 2023 pour le reliquat avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière, au versement de la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et à ce que la Cour condamne l'AP-HP à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le jugement attaqué devra être confirmé en ce qu'il a déclaré

l'AP-HP responsable des préjudices subis par M. E... et en ce qu'il a condamné l'AP-HP à rembourser les débours exposés par la caisse au bénéfice de ce dernier.

Par des mémoires enregistrés le 8 avril 2022, le 3 juin 2022 et le 15 juin 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des infections nosocomiales (ONIAM) représenté par Me Welsch conclut au rejet de toute demande dirigée contre l'office, à ce que la Cour le mette hors de cause et à la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a condamné l'AP-HP à indemniser M. E... de ses préjudices, et à titre subsidiaire à ce que la Cour ordonne une nouvelle expertise, et à la condamnation de tout succombant à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il ressort du rapport d'expertise que si l'indication opératoire était formelle, le choix de traiter l'anévrisme de M. E... sous assistance circulatoire femoro-fémorale, soit par une technique de circulation extra-corporelle partielle n'est pas classique et la réalisation de l'acte n'a pas été conforme en ce que l'anticoagulation réalisée était largement insuffisante ; ce défaut d'anticoagulation est directement à l'origine de phénomènes thrombotiques per et post opératoires à l'origine d'une thrombose aigüe artérielle rénale bilatérale imposant une reprise chirurgicale immédiate sans récupération de la fonction rénale et qui a contribué de manière significative à l'installation d'une ischémie aigüe conduisant à une amputation des deux membres inférieurs ; si l'AP-HP fait valoir que la thrombopénie induite à l'héparine diagnostiquée au 16ième jour post-opératoire a concouru à la survenue du dommage et qu'il s'agit d'un aléa thérapeutique dont la prise en charge relèverait de la solidarité nationale, cette complication est largement postérieure au défaut de prise en charge résultant de l'anticoagulation non conforme mise en place lors de l'intervention du 4 février 2016 ; il s'agit donc d'un accident médical fautif et l'expert ne relève pas qu'il s'agit d'un aléa thérapeutique ; la CCI a également estimé que l'amputation et les troubles sphinctériens étaient également imputables au défaut d'anticoagulation initial ; à supposer que la thrombopénie induite par l'héparine (TIH) ait une participation partielle à l'ischémie aigüe bilatérale, cette complication est précédée d'un acte fautif engageant la responsabilité de l'AP-HP pour l'entier dommage ; l'existence d'une faute antérieure à tout accident médical exclut l'existence d'un aléa thérapeutique et impose la mise hors de cause de l'ONIAM ; en outre, en l'absence de biologie dans les pièces du dossier et d'observation médicale sur la période, aucun élément ne confirme la date d'apparition de la thrombopénie, ni si l'héparine a été arrêtée dès les premiers signes ni ne permet de conclure à la prise en charge correcte de cette TIH ;

- l'expertise non contradictoire de la CCI ne lui est pas opposable et il y a lieu d'ordonner une nouvelle expertise.

Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 4 mai 2022 et un mémoire récapitulatif enregistré le 9 juin 2023, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris

(AP-HP) représentée par Me Tsouderos demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler le jugement attaqué, de rejeter la requête et d'ordonner le remboursement de la provision versée et, subsidiairement, de ramener le montant des indemnisations à de plus justes proportions :

Elle soutient que :

- la posologie d'héparine retenue par l'expert à hauteur de 300 UI/Kg concerne celle requise pour une véritable circulation extra corporelle (CEC) et non pour une ECMO (Extra corporelle membrane oxygénation) nécessitant une moindre anti-coagulation et pour laquelle la dose recommandée est de 50 à 100 UI/Kg selon les recommandations de ELSO (Extracorporeal Life Support Organization) de 2014, en vigueur à la date de l'intervention litigieuse ; lors de son audition par la Cour, l'expert s'est référé à un article publié en 2009 par l'équipe de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, mais n'a pu répondre à l'objection selon laquelle dans le cas de M. E..., ce ne sont pas les éléments du circuit d'ECMO qui ont fait l'objet d'une thrombose, risque inhérent à la technique, mais les artères rénales ; rien n'explique que ce ne soit pas les artères digestives, plus fines et plus fragiles, qui aient thrombosé ; il résulte du compte rendu opératoire que le doppler des artères mésentériques, du tronc cœliaque, des artères rénales et de l'artère iliaque où était la canule artérielle, objectivait de bons flux postérieurement à l'ablation de l'ECMO ; il paraît donc exclu que ce soit l'insuffisance d'anticoagulation peropératoire qui puisse être à l'origine de la thrombose des artères rénales ; c'est vraisemblablement le geste de réimplantation vasculaire des artères rénales sur le tube en dacron à gauche par réimplantation directe et à droite, de manière indirecte par un pontage, qui explique que ce soit les artères rénales pourtant moins fines et moins fragiles que les artères digestives qui ont préférentiellement thrombosé, complications rares et malheureusement non exceptionnelles en postopératoire de chirurgie vasculaire ; c'est donc à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'une insuffisante anticoagulation peropératoire, constitutive d'une faute médicale, à l'origine de la thrombose des artères rénales ;

- il est douteux que la thrombose des deux artères rénales et l'insuffisance rénale qui en est résulté puissent être regardées comme résultant de manière directe, certaine et exclusive de l'insuffisance de l'anticoagulation qui n'a pu être à l'origine que d'une perte de chance ; cette insuffisante anticoagulation n'a également été à l'origine que d'une perte de chance d'éviter la survenue des phénomènes thrombotiques ; il résulte du rapport d'expertise que l'ischémie aigüe dépassée des membres inférieurs est également la conséquence d'une thrombopénie induite par l'héparine dont il est reproché l'insuffisante posologie ; c'est la raison pour laquelle l'expert avait retenu que l'amputation des membres inférieurs, tout comme les troubles périnéaux et sphinctériens, résultait à 50% de l'insuffisance du traitement anticoagulant per opératoire et à 50% d'une complication liée à l'administration même de l'héparine, ce qui constitue un aléa thérapeutique ; c'est donc à tort que le tribunal l'a condamnée à indemniser l'intégralité des préjudices liés à l'amputation des membres inférieurs et les troubles périnéaux et sphinctériens ;

- c'est à tort que les premiers juges ont procédé à la capitalisation de l'indemnité destinée à réparer le préjudice constitué par l'assistance par une tierce personne alors que

M. E... était hospitalisé en EHPAD et qu'il était susceptible de percevoir certaines sommes au titre de la compensation du handicap ou de l'allocation pour adulte handicapé, alors qu'il leur appartenait de lui allouer une indemnité versée annuellement sur production de justificatifs et sous déduction de ces prestations ;

- la demande des ayants-droit de M. E... au titre des gains professionnels ne pourra qu'être rejetée dès lors qu'ils n'apportent aucune justification comptable ou fiscale quant à l'activité professionnelle exercée par ce dernier antérieurement à l'intervention chirurgicale litigieuse ;

- les ayants-droit de M. E... ne produisent pas la facture du fauteuil roulant de 2020 et les frais de santé exposés du 13 janvier 2016 au 5 juin 2022 ne sont pas justifiés ;

- les ayants-droit de M. E... ne justifient pas des frais d'assistance par une tierce personne et d'hébergement qui seraient restés à sa charge alors qu'il était hébergé en EHPAD ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire accordée par les premiers juges doit être confirmée ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent accordée par les premiers juges doit être ramenée à 36 300 euros ;

- l'indemnisation des souffrances endurées accordée par les premiers juges doit être confirmée ;

- l'indemnisation du préjudice esthétique accordée par les premiers juges doit être ramenée à 7 000 euros ;

- l'indemnisation du préjudice sexuel accordée par les premiers juges doit être ramenée à 2 700 euros ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les demandes au titre du préjudice d'agrément et d'établissement qui ne sont pas établis.

Mme C... E..., M. B... E... et M. A... E... ayants-droit de M. D... E... ont produit un mémoire enregistré le 16 juin 2023.

II. Par une requête enregistrée sous le n° 21PA04983 le 7 septembre 2021 et des mémoires complémentaires enregistrés le 20 octobre 2021 et le 4 mai 2022, ainsi qu'un mémoire récapitulatif enregistré le 9 juin 2023, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris

(AP-HP) représentée par Me Tsouderos demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2021 du tribunal administratif de Melun et de rejeter la demande des consorts E... ;

2°) d'ordonner le remboursement de la provision versée ;

3°) subsidiairement, de ramener le montant des indemnisations à de plus justes proportions.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé et ne répond pas à l'ensemble des moyens qu'elle avait soulevés ;

- la posologie d'héparine retenue par l'expert à hauteur de 300 UI/Kg concerne celle requise pour une véritable circulation extra corporelle (CEC) et non pour une ECMO (Extra corporelle membrane oxygénation) nécessitant une moindre anti-coagulation et pour laquelle la dose recommandée est de 50 à 100 UI/Kg selon les recommandations de ELSO (Extracorporeal Life Support Organization) de 2014, en vigueur à la date de l'intervention litigieuse ; lors de son audition par la Cour, l'expert s'est référé à un article publié en 2009 par l'équipe de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, mais n'a pu répondre à l'objection selon laquelle dans le cas de M. E..., ce ne sont pas les éléments du circuit d'ECMO qui ont fait l'objet d'une thrombose, risque inhérent à la technique, mais les artères rénales ; rien n'explique que ce ne soit pas les artères digestives, plus fines et plus fragiles, qui aient thrombosé ; il résulte du compte rendu opératoire que le doppler des artères mésentériques, du tronc cœliaque, des artères rénales et de l'artère iliaque où était la canule artérielle, objectivait de bons flux postérieurement à l'ablation de l'ECMO ; il paraît donc exclu que ce soit l'insuffisance d'anticoagulation peropératoire qui puisse être à l'origine de la thrombose des artères rénales ; c'est vraisemblablement le geste de réimplantation vasculaire des artères rénales sur le tube en dacron à gauche par réimplantation directe et à droite, de manière indirecte par un pontage, qui explique que ce soit les artères rénales pourtant moins fines et moins fragiles que les artères digestives qui ont préférentiellement thrombosé, complications rares et malheureusement non exceptionnelles en postopératoire de chirurgie vasculaire ; c'est donc à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'une insuffisante anticoagulation peropératoire, constitutive d'une faute médicale, à l'origine de la thrombose des artères rénales ; il est douteux que la thrombose des deux artères rénales et l'insuffisance rénale qui en est résulté puissent être regardées comme résultant de manière directe, certaine et exclusive de l'insuffisance de l'anticoagulation qui n'a pu être à l'origine que d'une perte de chance ; cette insuffisante anticoagulation n'a également été à l'origine que d'une perte de chance d'éviter la survenue des phénomènes thrombotiques ; il résulte du rapport d'expertise que l'ischémie aigüe dépassée des membres inférieurs est également la conséquence d'une thrombopénie induite par l'héparine dont il est reproché l'insuffisante posologie ; c'est la raison pour laquelle l'expert avait retenu que l'amputation des membres inférieurs, tout comme les troubles périnéaux et sphinctériens, résultait à 50% de l'insuffisance du traitement anticoagulant per opératoire et à 50% d'une complication liée à l'administration même de l'héparine, ce qui constitue un aléa thérapeutique ; c'est donc à tort que le tribunal l'a condamnée à indemniser l'intégralité des préjudices liés à l'amputation des membres inférieurs et les troubles périnéaux et sphinctériens ;

- c'est à tort que les premiers juges ont procédé à la capitalisation de l'indemnité destinée à réparer le préjudice constitué par l'assistance par une tierce personne alors que

M. E... était hospitalisé en EHPAD et qu'il était susceptible de percevoir certaines sommes au titre de la compensation du handicap ou de l'allocation pour adulte handicapé, alors qu'il leur appartenait de lui allouer une indemnité versée annuellement sur production de justificatifs et sous déduction de ces prestations ;

- la demande des ayants-droit de M. E... au titre des gains professionnels ne pourra qu'être rejetée dès lors qu'ils n'apportent aucune justification comptable ou fiscale quant à l'activité professionnelle exercée par ce dernier antérieurement à l'intervention chirurgicale litigieuse ;

- les ayants-droit de M. E... ne produisent pas la facture du fauteuil roulant de 2020 et les frais de santé exposés du 13 janvier 2016 au 5 juin 2022 ne sont pas justifiés ;

- les ayants-droit de M. E... ne justifient pas des frais d'assistance par une tierce personne et d'hébergement qui seraient restés à sa charge alors qu'il était hébergé en EHPAD ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire accordée par les premiers juges doit être confirmée ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent accordée par les premiers juges doit être ramenée à 36 300 euros ;

- l'indemnisation des souffrances endurées accordée par les premiers juges doit être confirmée ;

- l'indemnisation du préjudice esthétique accordée par les premiers juges doit être ramenée à 7 000 euros ;

- l'indemnisation du préjudice sexuel accordée par les premiers juges doit être ramenée à 2 700 euros ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les demandes au titre du préjudice d'agrément et d'établissement qui ne sont pas établis.

Par des mémoires en défense enregistrés le 12 novembre 2021, le 5 mai 2022 et le

2 juin 2022, M. E..., représenté par Me Dechezleprêtre, a conclu à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il a limité le montant de ses indemnisations et à la condamnation in solidum de l'hôpital Henri Mondor et de l'AP-HP à lui verser la somme de 4 951 218,32 euros, déduction faite de la provision de 44 000 euros ainsi qu'une rente de 1 368 euros par mois à compter du 1er juillet 2019 et la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Par un mémoire de reprise d'instance enregistré le 9 janvier 2023 et un mémoire enregistré le 9 juin 2023, Mme C... E..., M. B... E... et M. A... E..., ayants-droit de M. D... E..., représentés par Me Dechezleprêtre, concluent au rejet de la requête et demandent à la Cour :

1°) d'annuler la décision de rejet du 19 avril 2019 du recours préalable de

M. E... ;

2°) de réformer le jugement du 5 juillet 2021 du tribunal administratif de Melun en ce qu'il a limité le montant des indemnisations de M. D... E... et de condamner in solidum l'hôpital Henri Mondor et l'AP-HP à leur verser la somme de 431 213,72 euros, déduction faite de la provision déjà versée de 44 000 ;

3°) subsidiairement, si un aléa thérapeutique était relevé, de condamner l'ONIAM à les indemniser selon la part revenant à l'office ;

4°) de condamner in solidum l'hôpital Henri Mondor et l'AP-HP à leur verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Ils soutiennent que :

- l'expert commis par la CCI d'Ile de France a retenu que la réalisation de l'acte chirurgical du 4 février 2015 à l'hôpital Henri Mondor n'avait pas été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science ; cette faute est à l'origine des préjudices de

M. D... E... dont l'indemnisation incombe intégralement à l'AP-HP ; les positions de cette dernière ne cessent de varier quant à sa responsabilité ;

- l'expert a également retenu un manquement à l'obligation d'information sur les risques d'amputation à la suite du traitement envisagé et à l'obligation de recueil du consentement ;

- dès lors que l'AP-HP ne remettait dans un premier temps pas en cause sa responsabilité, elle n'était pas fondée à demander l'application d'un taux de 20% à chaque poste de préjudice aux motifs que M. D... E... était malade avant sa prise à charge par l'hôpital et à invoquer la survenance d'un aléa thérapeutique ;

- au titre des préjudices patrimoniaux temporaires de M. D... E..., la Cour devra confirmer la somme de 130,91 euros allouée par le tribunal au titre de ses dépenses de santé, de 1 891,99 euros au titre des frais divers et indemniser sa perte de gains professionnels à hauteur de 14 274,20 euros ;

- au titre des préjudices patrimoniaux permanents de M. D... E..., l'indemnisation de ses dépenses de santé supportées entre la date de consolidation et le décès s'élèvent à 17 011,58 euros liées au renouvellement de son fauteuil roulant manuel en 2020 et aux frais de changes complets ; les frais d'assistance par une tierce personne définitive au sein de l'EPHAD Saint Laurent et de la Résidence Tiers Temps où il résidait en dernier lieu et les frais d'hébergement restés à sa charge se sont élevés à 147 772,50 euros à raison de 15 heures par jour et 9 heures par nuit ; ses pertes de gains professionnels entre la date de consolidation et le décès s'élèvent à 104 252,94 euros

- au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires de M. D... E..., l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire devra être portée à 10 320 euros ; l'indemnisation des souffrances endurées devra être portée à 50 000 euros et celle du préjudice esthétique temporaire à 10 000 euros ;

- au titre des préjudices extrapatrimoniaux permanents de M. D... E..., l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent doit être portée à 85 880,83 euros, celle du préjudice esthétique à 10 103,63 euros, celle du préjudice d'agrément à 10 103,63 euros, celle de son préjudice sexuel à 10 103,63 euros et le préjudice d'établissement soit indemnisé à hauteur de 3 367,88 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 janvier 2022, le 3 février 2023 et le

15 juin 2023, la CPAM de l'Aisne, représentée par Me de Berny, conclut dans le dernier état de ses écritures à la réformation du jugement attaqué et à la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme de 1 403 038,04 au titre de ses débours définitifs exposés au bénéfice de

M. E... avec les intérêts à compter du 21 juillet 2019 pour la somme de 1 190 812,01 euros et à la date du 15 juin 2023 pour le reliquat avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière, au versement de la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et à ce que la Cour condamne l'AP-HP à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le jugement attaqué devra être confirmé en ce qu'il a déclaré

l'AP-HP responsable des préjudices subis par M. E... et en ce qu'il a condamné l'AP-HP à rembourser les débours exposés par la caisse au bénéfice de ce dernier.

Par des mémoires enregistrés le 8 avril 2022, le 3 juin 2022 et le 15 juin 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des infections nosocomiales (ONIAM) représenté par Me Welsch conclut au rejet de toute demande dirigée contre l'office, à ce que la Cour le mette hors de cause et à la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a condamné l'AP-HP à indemniser M. E... de ses préjudices, et à titre subsidiaire, à ce que la Cour ordonne une nouvelle expertise, et à la condamnation de tout succombant à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il ressort du rapport d'expertise que si l'indication opératoire était formelle, le choix de traiter l'anévrisme de M. E... sous assistance circulatoire femoro-fémorale, soit par une technique de circulation extra-corporelle partielle n'est pas classique et la réalisation de l'acte n'a pas été conforme en ce que l'anticoagulation réalisée était largement insuffisante ; ce défaut d'anticoagulation est directement à l'origine de phénomènes thrombotiques per et post opératoires à l'origine d'une thrombose aigüe artérielle rénale bilatérale imposant une reprise chirurgicale immédiate sans récupération de la fonction rénale et qui a contribué de manière significative à l'installation d'une ischémie aigüe conduisant à une amputation des deux membres inférieurs ; si l'AP-HP fait valoir que la thrombopénie induite par l'héparine (TIH) diagnostiquée au 16ième jour post-opératoire a concouru à la survenue du dommage et qu'il s'agit d'un aléa thérapeutique dont la prise en charge relèverait de la solidarité nationale, cette complication est largement postérieure au défaut de prise en charge résultant de l'anticoagulation non conforme mise en place lors de l'intervention du 4 février 2016 ; il s'agit donc d'un accident médical fautif et l'expert ne relève pas qu'il s'agit d'un aléa thérapeutique ; la CCI a également estimé que l'amputation et les troubles sphinctériens étaient également imputables au défaut d'anticoagulation initial ; à supposer que la thrombopénie à l'héparine ait une participation partielle à l'ischémie aigüe bilatérale, cette complication est précédée d'un acte fautif engageant la responsabilité de l'AP-HP pour l'entier dommage ; l'existence d'une faute antérieure à tout accident médical exclut l'existence d'un aléa thérapeutique et impose la mise hors de cause de l'ONIAM ; en outre, en l'absence de biologie dans les pièces du dossier et d'observation médicale sur la période, aucun élément ne confirme la date d'apparition de la thrombopénie, ni n'indique si l'héparine a été arrêtée dès les premiers signes ni ne permet de conclure à la prise en charge correcte de cette TIH ;

- l'expertise non contradictoire de la CCI ne lui est pas opposable et il y a lieu d'ordonner une nouvelle expertise.

Mme C... E..., M. B... E... et M. A... E... ayants-droit de M. D... E... ont produit un mémoire enregistré le 16 juin 2023.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier et notamment :

- l'ordonnance n° 1906864 du 14 janvier 2020 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun a ordonné à l'AP-HP de verser une provision de 44 000 euros à M. E... ;

- le compte-rendu de l'audition de l'expert judiciaire du 24 mai 2023, réalisée en application des dispositions de l'article R. 621-10 du code de justice administrative, versé au dossier et notifié aux parties.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Julliard,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- les observations de Me Dechezleprêtre, représentant Mme C... E...,

M. B... E... et M. A... E..., ayants-droit de M. D... E...,

- les observations de Me Tsouderos, représentant l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris,

- et les observations de Me Welsch, représentant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des infections nosocomiales.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... alors âgé de 63 ans a été opéré le 4 février 2015 pour une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, un anévrisme de l'aorte sus et sous-rénale de 68 millimètres au Centre hospitalier Henri Mondor de Créteil, dépendant de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Les suites postopératoires immédiates ont été marquées par une thrombose des deux artères rénales qui, malgré une reprise chirurgicale, a abouti à une insuffisance rénale terminale nécessitant un recours définitif à l'hémodialyse. Les suites postopératoires ont également été marquées par la survenue d'une ischémie aiguë des deux membres inférieurs conduisant le 23 février 2015 à une amputation des membres à mi-cuisses, ainsi qu'à des troubles sphinctériens avec incontinence anale. M. E... a saisi la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI) d'Ile-de-France qui, après avoir diligenté une expertise médicale rendue le 2 novembre 2017, a rendu un avis le 14 juin 2018 selon lequel il incombait à l'AP-HP d'adresser une offre d'indemnisation à M. E... dans un délai de quatre mois. En l'absence d'offre de l'AP-HP, M. E... a adressé à cette dernière le 26 novembre 2019 une demande d'indemnisation, suivie de plusieurs relances, finalement rejetée par courrier du 19 avril 2019. Il a alors demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 4 949 552,41 euros, ainsi qu'une rente de 1 368 euros par mois à compter du 1er juillet 2019 en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge par l'hôpital Henri Mondor à compter du 21 janvier 2015. Par un jugement du 5 juillet 2021, le tribunal a condamné l'AP-HP, d'une part, à lui verser une somme de 195 529 euros au titre des frais de santé restés à sa charge et d'autre part, à lui rembourser ses dépenses de santé futures sur justificatifs ainsi qu'une somme de 533 247 euros sous réserve qu'il établisse ne plus résider en institution et de la déduction éventuelle de la prestation de compensation du handicap ou de l'allocation pour adulte handicapé, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2019 et capitalisés à compter du

21 juillet 2020. M. E... est décédé le 5 juin 2022. Ses ayants-droit, Mme C... E..., M. B... E... et M. A... E..., ainsi que l'AP-HP, relèvent appel de ce jugement. Le 24 mai 2023, la formation de jugement de la Cour a entendu, selon les modalités de l'article R. 621-10 du code de justice administrative, l'expert judiciaire en présence des parties afin de recueillir des explications complémentaires.

2. Les requêtes des ayants-droit de M. E... et de l'AP-HP sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

Sur la responsabilité pour faute de l'AP-HP :

En ce qui concerne le défaut d'information :

3. Si les consorts E... soutiennent en appel que le défaut d'information sur les risques d'amputation qu'encourait M. E... constitue une faute, ils ne contestent pas les motifs du jugement attaqué selon lesquels il n'était pas dans un état de conscience lui permettant de discuter la décision d'amputation qui s'imposait médicalement. Par suite, il y a lieu par adoption de ces motifs retenus à bon droit par les premiers juges, d'écarter la responsabilité de l'AP-HP à ce titre.

En ce qui concerne la prise en charge médicale :

4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé (...) tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

5. D'une part, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise judiciaire du 2 novembre 2017, que l'indication opératoire était peu discutable compte-tenu du diamètre de l'anévrisme aortique présenté par M. D... E... le 4 février 2015 et des risques de complications évolutives et que, s'il n'est pas habituel de traiter des anévrismes étendus en sus-rénal sous assistance circulatoire fémoro-fémorale, cette technique de circulation extracorporelle partielle n'étant, selon l'expert, proposée que pour les anévrismes aortiques d'extension plus proximale au niveau de l'aorte thoracique descendante, des difficultés opératoires inhérentes à l'anatomie des lésions, à la fragilité des tissus aortiques et au temps nécessaire pour la restauration aortique, ont pu faire retenir cette indication. Il résulte toutefois également de l'instruction, en particulier des questions posées à l'expert et des échanges entre les parties lors de la réunion organisée à la Cour administrative d'appel de Paris le 24 mai 2023, que si la dose d'héparinisation de 50 Ul/kg en début d'intervention sous ECMO était conforme aux doses préconisées par l'Extracorporeal Life Support Organization (ELSO) en 2014, le défaut de contrôle de l'activité anticoagulante par mesure de l'ACT ou dosage de l'héparinémie au cours de l'intervention, qui a duré deux heures, était fautif dès lors qu'il ne permettait pas d'ajuster la dose d'héparine nécessaire et était de nature à conduire à une insuffisance d'anticoagulation du patient. Toutefois, cette faute ne saurait être regardée ni comme la cause directe et certaine de la thrombose aiguë postopératoire des deux artères rénales dont a souffert M. D... E..., à l'origine d'une perte de fonction complète de ses deux reins, ni comme à l'origine d'une perte de chance d'éviter la réalisation de ce dommage dès lors qu'il résulte de l'instruction que cette thrombose a pu résulter du geste de réimplantation de ces artères sur un patient dont l'état antérieur était caractérisé par une intoxication tabagique importante et qui était pris en charge pour un anévrisme thoraco-abdominal englobant les artères rénales rendant l'opération très difficile.

6. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'ischémie aigüe dont a souffert

M. D... E..., conduisant à l'amputation de ses deux membres inférieurs le

23 février 2015 et à des troubles sphinctériens avec incontinence anale et dont la date de survenue est incertaine, doit être regardée comme d'origine multifactorielle impliquant l'artériopathie oblitérante des membres inférieurs initiale du patient, la survenue d'une thrombopénie induite par l'héparine de type II et l'utilisation de drogues vasoactives lors du séjour en réanimation.

7. Par suite et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, en l'absence de démonstration du lien de causalité direct et certain entre les dommages de

M. D... E... et la faute résultant du défaut de surveillance de la coagulation au cours de l'intervention du 4 février 2015, la responsabilité de l'AP-HP ne saurait être engagée.

Sur l'indemnisation de l'aléa thérapeutique :

8. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ".

9. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

10. Il résulte du rapport d'expertise que compte tenu du diamètre de 68 millimètres de l'anévrisme aortique dont souffrait M. E..., le risque d'évolution vers une rupture d'anévrisme aortique présentait un risque de mortalité supérieur à 50 %. Par suite, d'une part, en l'absence de traitement, le patient était exposé à des conséquences plus graves que celles que l'intervention a entraînées et, d'autre part, les dommages ont résulté de la réalisation d'un risque rare mais non exceptionnel de complication post-opératoire de chirurgie vasculaire et de la survenue d'une thrombopénie induite par l'héparine. Par suite, la condition d'anormalité du dommage à laquelle les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique subordonnent la prise en charge au titre de la solidarité nationale des dommages de M. E... par l'ONIAM n'est pas remplie en l'espèce.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions des consorts E... et de la CPAM de l'Aisne ne peuvent qu'être rejetées.

12. Par suite et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, l'AP-HP est fondée à demander l'annulation du jugement n° 1905421 du 5 juillet 2021 du tribunal administratif de Melun.

Sur les conclusions de l'AP-HP tendant au remboursement de l'allocation provisionnelle :

13. Il y a lieu de faire droit aux conclusions de l'AP-HP tendant au remboursement par les consorts E... de la provision de 44 000 euros versées à M. D... E... en application de l'ordonnance du 14 janvier 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Melun.

Sur les frais de l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que l'AP-HP qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser aux consorts E... et à la CPAM de l'Aisne une somme au titre des frais de l'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des consorts E... une somme à verser à l'AP-HP et à l'ONIAM au titre de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1905421 du 5 juillet 2021 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : Les conclusions des consorts E... sont rejetées.

Article 3 : Les consorts E... rembourseront l'allocation provisionnelle de 44 000 euros versées à M. D... E... en application de l'ordonnance du 14 janvier 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Melun.

Article 4 : Les conclusions de la CPAM de l'Aisne et de l'ONIAM sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme C... E..., M. B... E... et

M. A... E..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des infections nosocomiales et à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne.

Délibéré après l'audience publique du 21 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023.

La rapporteure,

M. JULLIARDLe président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

21PA04934, 21PA04983 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04983
Date de la décision : 05/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP UGGC ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-07-05;21pa04983 ?
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