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05/07/2023 | FRANCE | N°22PA03231

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 05 juillet 2023, 22PA03231


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Kerry a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme totale de 16 156 022,77 euros, assortie des intérêts à compter du 21 juillet 2020 et de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi du fait du refus d'admission de son pourvoi, par une décision du Conseil d'État n° 341007 du 30 mars 2011, contre un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 29 avril 2010.

Par un jugement n° 2018049/4-2 du 27 juin 2022, le tribu

nal administratif de Paris a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Kerry a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme totale de 16 156 022,77 euros, assortie des intérêts à compter du 21 juillet 2020 et de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi du fait du refus d'admission de son pourvoi, par une décision du Conseil d'État n° 341007 du 30 mars 2011, contre un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 29 avril 2010.

Par un jugement n° 2018049/4-2 du 27 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 juillet 2022 et 1er février 2023, la société Kerry, représenté par Me Doueb, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 27 juin 2022 ;

2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 16 156 022,77 euros, assortie des intérêts à compter du 21 juillet 2020 et de la capitalisation des intérêts.

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité de l'État est engagée du fait de la faute lourde commise par le Conseil d'État dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle, dès lors que son pourvoi en cassation n'a pas été admis malgré le détournement de procédure dont est entaché l'arrêté du 14 avril 2005, pris sur le fondement de la loi du 10 juillet 1970 par le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, portant déclaration d'utilité publique de l'acquisition d'un immeuble lui appartenant par la société immobilière d'économie mixte de la ville de Paris ;

- la décision de refus d'admission de son pourvoi en cassation est contraire aux principes de clarté et d'intelligibilité de la loi consacrés par le Conseil constitutionnel, la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'elle refuse de clarifier les conditions d'application de la loi du 10 juillet 1970 par une décision de principe au fond ;

- la décision de refus d'admission de son pourvoi en cassation viole manifestement la liberté d'établissement, garantie par l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ainsi que la liberté professionnelle et le droit de travailler, garantis par l'article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dès lors que par l'arrêté préfectoral du 14 avril 2005, l'État l'a empêchée d'exercer son activité et de valoriser ses biens immobiliers ;

- elle a subi des préjudices résultant de l'absence de restitution de son immeuble par le juge de l'expropriation, qui aurait eu lieu si l'arrêté préfectoral du 14 avril 2005 avait été annulé ;

- son préjudice immobilier doit être évalué à la somme de 15 000 000 euros au titre des pertes de loyer et de revente de l'immeuble, déduction faite de l'indemnité d'expropriation perçue ;

- elle a subi un préjudice financier à hauteur de 500 000 euros du fait de la dépréciation de la valeur boursière de son groupe ;

- les frais de procédure qu'elle a exposés doivent lui être remboursés à hauteur de 656 022,77 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 octobre 2022, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Doueb, représentant la société Kerry.

Considérant ce qui suit :

1. La société Kerry, qui exerce une activité de marchand de biens, a acquis le 30 novembre 1998 un immeuble situé 48, rue du faubourg Poissonnière, à Paris. Envisageant de rénover le bâtiment, qui avait fait l'objet d'arrêtés de péril en novembre 1997 et en février 1998, elle a saisi le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir l'expulsion de ses occupants sans droit ni titre. Cette expulsion a été ordonnée le 6 mai 1999 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris. Les occupants se sont maintenus dans les lieux et la société Kerry a vainement demandé au préfet de police, à plusieurs reprises, de lui accorder le concours de la force publique pour procéder à l'expulsion. Par un arrêté du 12 décembre 2000, le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, a, sur le fondement de la loi dite " Vivien " du

10 juillet 1970 tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre, déclaré d'utilité publique l'acquisition de l'immeuble par la ville de Paris, par voie d'expropriation, en vue de la réalisation de quatorze logements sociaux. Par un jugement définitif du 21 juin 2002, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté. Par un arrêté du 27 juillet 2004, le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, a déclaré l'immeuble irrémédiablement insalubre, l'interdisant définitivement à l'habitation. Par un arrêté du 14 avril 2005, pris sur le fondement de la loi précitée du 10 juillet 1970, ledit préfet a déclaré d'utilité publique l'acquisition de l'immeuble par la société immobilière d'économie mixte de la ville de Paris (SIEMP) en vue de sa démolition et de la construction de quinze logements sociaux, et l'a déclaré immédiatement cessible. Par un jugement du 27 février 2009, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté formée par la société Kerry. Par un arrêt du 29 avril 2010, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de la société Kerry contre ce jugement. Enfin, par une décision du 30 mars 2011, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a rejeté le pourvoi en cassation formé par la société Kerry contre cet arrêt.

2. Par un courrier du 21 juillet 2020, la société Kerry a formé auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, une demande indemnitaire préalable tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la faute lourde qu'aurait commise la juridiction administrative en rejetant sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 avril 2005 du préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris. Par un courrier du 8 septembre 2020, le ministre de la justice a rejeté cette demande. La société Kerry relève appel du jugement du 27 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 16 156 022,77 euros en réparation du préjudice que lui a causé le refus d'admission de son pourvoi par la décision du Conseil d'État du 30 mars 2011, ainsi que les intérêts sur cette somme et la capitalisation des intérêts.

Sur la responsabilité :

3. En vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité. Si l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de l'État peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

4. La société Kerry soutient que sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 avril 2005, par lequel le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, a déclaré d'utilité publique l'acquisition de l'immeuble lui appartenant par la SIEMP, a été rejetée en dépit d'un détournement de procédure qu'aurait commis l'administration en refusant de lui accorder de manière persistante le concours de la force publique pour l'expulsion de ses occupants sans titre, et en laissant ainsi " dépérir " ledit immeuble en vue de son acquisition par la SIEMP à moindre coût. Toutefois, d'une part et en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction, notamment de la chronologie des faits exposée au point 1 du présent arrêt, que la cause essentielle de la dégradation de l'immeuble tiendrait au refus d'accorder le concours de la force publique. Celui-ci était en effet déjà vétuste et irrégulièrement occupé au moment de son acquisition par la société Kerry en 1998 et, dès le mois de décembre 2000, l'État a engagé une première procédure en vue de son expropriation pour cause d'utilité publique, en raison de l'insalubrité de l'immeuble. D'autre part, en soutenant que le Conseil d'État aurait commis une faute lourde en refusant d'examiner les moyens de son pourvoi, la société appelante remet en cause le contenu de la décision juridictionnelle définitive de non-admission prise par cette juridiction le

30 mars 2011, lequel ne saurait, en vertu de l'autorité qui s'attache à la chose jugée, engager la responsabilité de l'État que dans les conditions précisées au point 3 du présent arrêt. Or, si la société Kerry estime que la décision de refus d'admission de son pourvoi en cassation serait contraire aux principes de clarté et d'intelligibilité de la loi consacrés par le Conseil constitutionnel, la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'appartenait pas au Conseil d'État, qui ne dispose ni d'un pouvoir législatif ni d'un pouvoir réglementaire, de " clarifier " les conditions d'application de la loi dite " Vivien " du 10 juillet 1970 " par une décision de principe au fond ". Enfin, ni la liberté d'établissement, garantie par l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ni la liberté professionnelle et le droit de travailler, garantis par l'article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, n'ont été manifestement violées par la décision de non-admission du 30 mars 2011 du Conseil d'État, dès lors que la société Kerry n'a invoqué aucun de ces moyens devant les juridictions administratives à l'occasion de sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 avril 2005, et alors en tout état de cause que ces libertés sont garanties sous réserve des limites qui peuvent leur être apportées, notamment par les lois régissant l'expropriation pour cause d'utilité publique, la société appelante ayant par ailleurs été indemnisée à plusieurs reprises en raison des refus de concours de la force publique qui lui ont été opposés pour l'exécution de l'ordonnance d'expulsion du tribunal de grande instance de Paris du 6 mai 1999. La société Kerry n'est dans ces conditions pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'État serait engagée du fait d'une faute lourde commise par le Conseil d'État dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle.

5. Il résulte de ce qui précède que la société Kerry n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme totale de 16 156 022,77 euros.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Kerry et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Kerry est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kerry et au garde des Sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023.

La rapporteure,

G. A...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA03231


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03231
Date de la décision : 05/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : DOUEB

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-07-05;22pa03231 ?
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