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27/09/2023 | FRANCE | N°22PA03903

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 27 septembre 2023, 22PA03903


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'EURL A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des prélèvements à la source et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015.

Par un jugement n° 2010068/1-2 du 21 juin 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoi

re enregistrés les 22 août 2022 et 4 janvier 2023, l'EURL A... B..., représentée par Me Eric Planchat, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'EURL A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des prélèvements à la source et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015.

Par un jugement n° 2010068/1-2 du 21 juin 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 août 2022 et 4 janvier 2023, l'EURL A... B..., représentée par Me Eric Planchat, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 21 juin 2022 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal s'est prononcé à tort sur la retenue à la source au titre de l'année 2013, qui avait fait l'objet d'un dégrèvement, ce qui démontre qu'il n'a pas pris connaissance du litige ;

- l'administration a procédé à un changement de base légale sans notifier une nouvelle proposition de rectification ;

- les motifs de fait opposés dans la réponse aux observations du contribuable ne figurent pas dans la proposition de rectification ;

- la divergence de jurisprudence à cet égard entre le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation méconnaît le droit à un procès équitable ;

- le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur ce point ;

- l'intervention de l'interlocuteur départemental a été privée d'effectivité ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a vocation à s'appliquer non seulement en matière de taxe sur la valeur ajoutée mais plus largement dans le cadre de procédures afférentes à des impôts directs qui contribuent aux ressources de l'Union ;

- en refusant de lui transmettre les documents sollicités au motif qu'ils n'ont pas fondés les redressements, l'administration a méconnu l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- on ne saurait, sans méconnaitre les droits de la défense et les règles liées à l'existence d'un procès équitable garanties par le Conseil constitutionnel, établir les pénalités, l'impôt sur les sociétés et l'intérêt de retard sans lui fournir l'intégralité des documents sollicités ;

- elle a été privée du droit au débat oral et contradictoire en raison de la différence entre les rectifications notifiées et celles évoquées dans la réunion de synthèse ;

- le passif de la société est justifié ;

- l'irrégularité dans la comptabilisation des stocks ne permet pas d'identifier des recettes dissimulées ;

- l'appréhension des recettes dissimulées n'a pas été établie ;

- le stock au bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit est intangible ;

- elle est fondée à se prévaloir de la diminution de résultat afférente à la variation négative de stock.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens présentés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 18 janvier 2023.

Les parties ont été informées le 26 juin 2023, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que le jugement attaqué est irrégulier en tant qu'il a statué, à hauteur du dégrèvement accordé le 24 août 2021, pour la somme de 169 euros en droits et 15 euros en pénalités, sur les cotisations d'impôt sur les sociétés mises à la charge de l'Eurl A... B... au titre de l'année 2014.

Par un mémoire enregistré le 7 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a présenté ses observations relatives au moyen d'ordre public soulevé par la Cour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Magnard,

- et les conclusions de M. Segretain, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'EURL E..., constituée le 1er décembre 2010 par apport du fonds de commerce de l'entreprise individuelle de M. A... B..., exerçait l'activité de négoce de pierres précieuses et de bijoux. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, étendue jusqu'au 31 juillet 2016 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Par des propositions de rectification du 22 décembre 2016 et du 27 mars 2017, l'administration, qui a rejeté sa comptabilité comme non probante et irrégulière, lui a notifié des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de retenues à la source ainsi que des pénalités. L'EURL A... B..., dont la liquidation judiciaire a été prononcée par le tribunal de commerce de Paris le 9 décembre 2021, relève appel du jugement n° 2010068/1-2 du 21 juin 2022 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'ensemble de ces impositions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Les premiers juges ne pouvaient statuer sur la retenue à la source mise à la charge de l'EURL A... B... au titre de l'année 2013, dès lors que cette imposition avait fait l'objet d'un dégrèvement au cours de l'instance. Ils ne pouvaient non plus statuer, pour le même motif, à hauteur du dégrèvement accordé le 24 août 2021, pour la somme de 169 euros en droits et

15 euros en pénalités, sur les cotisations d'impôt sur les sociétés mises à la charge de l'Eurl A... B... au titre de l'année 2014. Il y a par suite lieu d'annuler le jugement en tant qu'il s'est prononcé sur lesdites impositions. Contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que les premiers juges ont omis de constater ces dégrèvements ne saurait impliquer qu'ils ont statué sans prendre connaissance du litige.

3. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments soulevés par la société requérante à l'appui de ses moyens, ont statué sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, la société soutenant qu'au vu des arguments qu'elle avait développés dans la réponse aux observations du contribuable, lesquels constituaient un changement de base légale, l'administration aurait dû lui adresser une nouvelle proposition de rectification. Le jugement est par suite suffisamment motivé sur ce point, alors même que les premiers juges n'ont pas répondu à l'argument tiré de ce que la réponse aux observations du contribuable contenait à cet égard des faits qui n'avaient pas été cités dans les propositions de rectification. Le tribunal administratif, qui n'est pas juge de sa propre procédure, n'avait pas à statuer sur le moyen tiré de ce qu'une telle position, en tant qu'elle divergerait de celle adoptée par la Cour de cassation, entrainerait une violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Au surplus, et en tout état de cause, la seule circonstance tirée d'une divergence entre les deux ordres de juridiction ne saurait conduire à constater que les impositions en cause avaient été irrégulièrement établies. Un tel moyen était par suite inopérant à l'appui de conclusions tendant à la décharge de ces impositions.

Sur l'étendue du litige :

4. Par une décision du 24 août 2021, postérieure à l'introduction de la demande de première instance, le directeur de la direction nationale des vérifications de situations fiscales a prononcé le dégrèvement de la retenue à la source mise à la charge de l'EURL A... B... au titre de l'année 2013 et, à hauteur de 169 euros en droits et 15 euros en pénalités, des cotisations d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de l'année 2014. Par suite, les conclusions de la demande présentée devant les premiers juges et afférentes auxdites impositions sont devenues sans objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs du redressement envisagé. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la notification ".

6. Il résulte des termes de la proposition de rectification du 22 décembre 2016 que l'administration a constaté que le compte courant d'associé de M. A... B... présentait, au 1er janvier 2013, un à-nouveau de 528 948 euros et que, si le représentant de l'entreprise, lors des opérations de contrôle, avait indiqué que ce passif correspondait à une reprise du compte 108

" compte de l'exploitant " de l'entreprise individuelle apportée le 1er décembre 2010 par

M. A... B... lors de la transformation de l'entreprise individuelle en EURL, il n'en avait pas justifié pas les documents produits. Estimant qu'il s'agissait d'un passif injustifié, le service a procédé à la réintégration de cette somme dans les résultats de la société, sur le fondement du

2 de l'article 38 du code général des impôts. Si l'administration a fait valoir, dans la réponse aux observations du contribuable du 28 juillet 2017, que le passif repris était de nature personnelle et non un passif d'exploitation, et s'est prévalue à ce titre du régime de faveur prévu par l'article

809 I bis du code général des impôts, une telle argumentation a été développée pour répondre aux nouveaux éléments évoqués par la requérante dans ses observations à la proposition de rectification, et n'a entrainé aucune modification de la base légale du redressement, ni d'ailleurs aucun changement du motif de ce redressement tiré de ce que le passif litigieux n'était pas justifié. L'administration fiscale n'était par suite pas tenue d'adresser une nouvelle proposition de rectification à la société requérante ni de lui accorder un nouveau délai pour présenter ses observations. Dans ces conditions, et alors même que des faits nouveaux étaient évoqués dans la réponse aux observations du contribuable pour répondre auxdites observations, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la procédure serait entachée d'irrégularité au motif que l'administration ne lui pas adressé une nouvelle proposition de rectification.

7. En deuxième lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable : " Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration ". En vertu du paragraphe 5 du chapitre III de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, le contribuable peut saisir l'inspecteur principal pour obtenir des éclaircissements supplémentaires sur les redressements envisagés, maintenus par le vérificateur. Si des divergences importantes subsistent, il peut " faire appel à l'interlocuteur départemental ou régional qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ". Ces dispositions assurent au contribuable la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, puis, le cas échéant, dans un second temps, avec un fonctionnaire de l'administration fiscale de rang plus élevé. Ces garanties doivent pouvoir être exercées dans des conditions ne conduisant pas à ce qu'elles soient privées d'effectivité.

8. Contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que l'interlocuteur départemental a indiqué, dans son courrier du 25 novembre 2019, que les contrats de travail de MM. Alain et F... B..., qui prévoyaient la possibilité de versement de primes, ainsi que la certification du commissaire aux apports lors de la transformation de l'entreprise en EURL, n'étaient pas de nature à remettre en cause les impositions litigieuses, n'implique pas que le recours à ce fonctionnaire aurait été privé d'effectivité, alors même que son avis, intervenu après l'examen de ces pièces, était conforme à celui rendu auparavant par la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires.

9. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-199/11 Europese Gemeenschap c/ Otis NV et autres du 6 novembre 2012, que le principe de protection juridictionnelle effective figurant à cet article 47 est constitué de divers éléments, lesquels comprennent, notamment, les droits de la défense, le principe d'égalité des armes, le droit d'accès aux tribunaux ainsi que le droit de se faire conseiller, défendre et représenter. S'agissant du respect des droits de la défense invoqués dans un litige fiscal portant sur une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt C-189/18 Glencore Agriculture Hungary du 16 octobre 2019, que ce principe a pour corollaire le droit d'accès au dossier au cours de la procédure administrative et qu'une violation du droit d'accès au dossier commise lors de la procédure administrative n'est pas, en principe, régularisée du simple fait que l'accès au dossier a été rendu possible au cours de la procédure juridictionnelle concernant un éventuel recours visant à l'annulation de la décision contestée. La Cour de justice a également jugé dans ce même arrêt que, dans un tel litige de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, le respect des droits de la défense n'impose pas à l'administration fiscale une obligation générale de fournir un accès intégral au dossier dont elle dispose, mais exige que l'assujetti ait la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, les informations et les documents se trouvant dans le dossier administratif et pris en considération par cette administration en vue d'adopter sa décision, lesquels incluent en principe non seulement l'ensemble des éléments du dossier sur lesquels l'administration fiscale entend fonder sa décision mais aussi ceux qui, sans fonder directement sa décision, peuvent être utiles à l'exercice des droits de la défense.

10. La société soutient qu'en application de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'administration était tenue de lui communiquer l'ensemble des documents de la procédure. Toutefois, l'article 47 de la charte ne peut être invoqué que dans les hypothèses dans lesquelles le droit européen est applicable et donc, en l'espèce, uniquement en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée, les autres impositions en litige ne procédant pas de dispositions mettant en œuvre le droit de l'Union européenne. La circonstance que les impositions perçues par un Etat-membre contribuent au financement du budget de l'Union européenne ne saurait suffire à considérer que les principes de la charte sont applicables à toutes les procédures relatives à un impôt direct comme le soutient la requérante. En outre, et en tout état de cause, il résulte de l'instruction que les factures obtenues auprès des clients de la société requérante par l'administration n'ont pas été utilisées par cette dernière pour établir les redressements et que les documents administratifs uniques (DAU) issus des douanes et évoqués dans les propositions de rectification ont été présentés par la société elle-même lors des opérations de contrôle et étaient donc en sa possession. En se bornant à faire valoir de manière générale que les pièces non communiquées auraient pu lui servir à établir le caractère probant de sa comptabilité, elle ne met pas la Cour en état de constater que les documents qui n'étaient pas en sa possession auraient pu lui permettre de se défendre utilement. Ainsi, l'EURL A... B... n'est pas fondée à soutenir que la procédure d'imposition serait entachée d'irrégularité au regard des dispositions de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales. Pour les mêmes motifs, les moyens tirés de ce que les pénalités, l'impôt sur les sociétés et l'intérêt de retard auraient été établis en méconnaissance des droits de la défense ou des garanties liées à un procès équitables reconnues par le Conseil constitutionnel ne peuvent en tout état de cause qu'être écartés.

11. Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables ". Dans le cas où la vérification de comptabilité d'une entreprise a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux où sont déposés ses documents comptables, notamment dans les locaux du comptable ou d'une autre société, c'est au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat.

12. Il résulte de l'instruction que la première intervention s'est déroulée à la demande de l'EURL A... B..., dans les locaux de son conseil, Me Planchat, puis dans les locaux de la société Sofradom, où huit interventions ont eu lieu, au cours desquelles le vérificateur a pu régulièrement échanger avec Me Planchat. La requérante, qui se borne à soutenir, sans au demeurant le démontrer, que la reconstitution du chiffre d'affaires figurant dans la proposition de rectification ne correspond pas à celle évoquée lors de la réunion de synthèse du 9 mars 2017, n'établit pas comme cela lui incombe, ainsi qu'il a été dit au point précédent, que le vérificateur se serait refusé à tout échange de vues et qu'elle aurait été privée du bénéfice d'un véritable débat contradictoire. Par suite, le moyen doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne le caractère probant de la comptabilité et la charge de la preuve :

13. Il résulte de l'instruction que le vérificateur a constaté que l'EURL A... B... exerçait une activité de production de bijoux en ayant recours à des prestataires extérieurs installés en France ou à Hong-Kong pour le sertissage de diamants et brillants sur un support en or, et que cette activité n'était retracée ni en comptabilité en production vendue de biens ni par un suivi extra-comptable de matières premières, d'en-cours de production de biens et de produits finis. Il a également constaté que des encaissements globalisés par chèques étaient comptabilisés, sans que puissent être identifiés les règlements et factures correspondants. Pour ces motifs, le service était fondé à regarder la comptabilité de la société comme dénuée de sincérité et de valeur probante. La société requérante ne saurait par suite utilement faire valoir que de simples irrégularités dans la comptabilisation des stocks seraient insuffisantes pour écarter la comptabilité. Dès lors que sa comptabilité comportait de graves irrégularités et que les impositions ont été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la charge de la preuve lui incombe en vertu de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales.

En ce qui concerne la reconstitution de recettes :

14. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a reconstitué les produits des exercices en cause à partir des achats de la société, auxquels a été appliqué un taux de marge différent selon les années et n'a pas pris en compte la variation des stocks comptabilisés, la comptabilité étant ainsi qu'il a été dit ci-dessus dépourvue de valeur probante. La prise en compte des stocks comptabilisés aboutissait d'ailleurs à une marge négative importante et non expliquée, et la société n'apporte à la Cour aucun élément concret de nature à établir, au cours de chacun des exercices en cause, l'existence d'une variation de stocks négative à porter en déduction des produits reconstitués. Contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance que le bilan d'ouverture de l'exercice clos en 2013 serait intangible n'obligeait nullement le service à déduire de sa reconstitution, qui portait sur les produits constatés au compte de résultat, le montant des stocks comptabilisés à ce bilan. La société requérante n'établit ainsi pas le caractère radicalement vicié ou exagérément sommaire de la reconstitution. Le moyen tiré de ce que l'appréhension des recettes dissimulées n'a pas été établie est dépourvu à cet égard de toute portée.

En ce qui concerne le passif injustifié :

15. L'EURL A... B... soutient que les dettes inscrites au passif de son bilan, que l'administration a regardées comme des passifs injustifiés au titre de l'exercice clos en 2013 correspondent, d'une part, à une reprise du solde créditeur du compte 108 " compte de l'exploitant " de 1 057 992 euros de l'entreprise individuelle A... B... au 30 novembre 2010 et, d'autre part, à des primes exceptionnelles dues aux commerciaux de l'entreprise individuelle, M. C... et M. D..., non versées par cette dernière au

30 novembre 2010 et versées au cours des exercices clos en 2011, 2012 et 2013.

16. S'agissant du passif de 1 057 992 euros, il résulte de l'instruction que le contrat d'apport du fonds de commerce de M. A... B... à l'EURL A... B... ne faisait pas expressément mention de la reprise par la société du solde créditeur du compte 108

" compte de l'exploitant " et que la requérante n'avait pas produit le bilan de cessation de l'entreprise individuelle faisant apparaître la mention du solde de ce compte. En outre, aucune pièce n'est produite de nature à justifier de la réalité des apports réalisés par l'exploitant de l'entreprise individuelle et du bien-fondé des montants comptabilisés à cet égard compte tenu des prélèvements éventuellement effectués. Ainsi et en l'absence d'éléments concret susceptibles de justifier de l'existence d'une dette de l'EURL A... B... à l'égard de M. A... B... à la clôture de l'exercice clos en 2013, la société requérante ne saurait, en tout état de cause, faire valoir qu'elle justifie du passif litigieux au motif que la somme correspondante aurait figuré au crédit du compte de l'exploitant de l'entreprise individuelle à la date de sa transformation.

17. En se bornant à se prévaloir de ce que des sommes ont été versées à MM. Alain et F... B... et aux organismes sociaux au cours des exercices clos en 2010 et 2011 et que les comptes 428 et 438 ont été mouvementés en conséquence, à soutenir que les contrats de travail de ces derniers prévoyaient la possibilité de primes exceptionnelles, et à produire des fiches de paie, des documents manuscrits établis par elle-même récapitulant le montant des primes exceptionnelles accordées et des écritures extraites d'une comptabilité qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, est dépourvue de caractère probant, l'EURL A... B... ne met pas la Cour en état de constater le montant des sommes dues, à la date de l'apport, à MM. Alain et F... B... en leur qualité de salariés de l'entreprise individuelle, ainsi que des charges sociales correspondantes, non plus que le montant restant dû à ce titre à la clôture de l'exercice clos en 2013. Le contrat d'apport du fonds de commerce de M. A... B... ne mentionne d'ailleurs pas expressément les sommes en litige. La société requérante ne justifie par suite pas du passif comptabilisé à cet égard à la clôture de ce dernier exercice.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des impositions restant en litige. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de la société requérante présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2010068/1-2 du 21 juin 2022 du Tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a statué sur la retenue à la source mise à la charge de l'EURL A... B... au titre de l'année 2013 et, à hauteur de la somme de 169 euros en droits et 15 euros en pénalités, sur les cotisations d'impôt sur les sociétés mises à la charge de l'Eurl A... B... au titre de l'année 2014.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande présentée devant le Tribunal administratif de Paris à hauteur des dégrèvements prononcés au cours de l'instance devant ce tribunal et mentionnés à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le surplus des conclusions de l'EURL A... B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction nationale des vérifications de situations fiscales.

Délibéré après l'audience du 13 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Topin, présidente assesseure,

- M. Magnard, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2023.

Le rapporteur,

F. MAGNARDLe président,

I. BROTONS

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

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N° 22PA03903


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03903
Date de la décision : 27/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: M. Franck MAGNARD
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : CABINET NATAF et PLANCHAT

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-09-27;22pa03903 ?
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