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24/01/2024 | FRANCE | N°22PA02292

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 24 janvier 2024, 22PA02292


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société BNP Paribas a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la somme totale de 56 669 604 euros au titre des années 2009 et 2010 dont 28 416 303 euros d'impôt sur les sociétés, 937 737 euros de contributions additionnelles à l'impôt sur les sociétés, 650 824 euros de retenue à la source, 654 278 euros de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), 6 543 euros de frais d'assiette, 3 932 165 euros d'intérêts de retard e

t 22 071 754 euros de pénalités.



Par un jugement n° 1904701/1 du 3 mars 2022, le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société BNP Paribas a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la somme totale de 56 669 604 euros au titre des années 2009 et 2010 dont 28 416 303 euros d'impôt sur les sociétés, 937 737 euros de contributions additionnelles à l'impôt sur les sociétés, 650 824 euros de retenue à la source, 654 278 euros de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), 6 543 euros de frais d'assiette, 3 932 165 euros d'intérêts de retard et 22 071 754 euros de pénalités.

Par un jugement n° 1904701/1 du 3 mars 2022, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 mai et 3 octobre 2022, la SA BNP Paribas, représentée par Me Bruno Gouthière et Me Hélène Desforges-Aslan, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 3 mars 2022 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa réclamation du 28 décembre 2017 ;

3°) de prononcer la décharge, en droits et majorations, des impositions contestées devant le tribunal ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'opération en litige n'est pas fictive ;

- elle a fait une application de la doctrine administrative référencée D. Adm., 4 H 1422 n° 57, du 1er mars 1995 qui implique que les résultats de la société de personnes qui ne se rattachent pas à une entreprise exploitée en France par la société de personnes ne sont pas imposables en France ;

- la SNC Grenache et Cie, société en nom collectif luxembourgeoise, présentait les mêmes caractéristiques que les SNC françaises ;

- il n'est pas établi que la constitution de la SNC luxembourgeoise procède d'un montage artificiel, dénué de toute substance, et élaboré sans autre finalité que d'éluder ou d'atténuer l'impôt ;

- l'administration a la charge de la preuve compte tenu de l'avis du comité de l'abus de droit ;

- la SNC a une réelle substance économique et juridique ;

- le partage et tranchage structurel du risque de crédit sur le portefeuille d'actifs entre Barclays et BNP Paribas n'est pas équivalent à une vente de CDS par BNP Paribas à Barclays ;

- l'opération permettait à chacun des deux investisseurs de ne pas avoir de risque de contrepartie sur l'autre ;

- le partenariat permettait à BNP Paribas d'avoir un accès immédiat à un portefeuille diversifié en titres sous-jacents britanniques ;

- elle a bénéficié d'un traitement comptable de nature à lui permettre d'améliorer la présentation de ses comptes consolidés ;

- elle a bénéficié de l'implantation de Barclays au Luxembourg ;

- elle a supporté un risque réel de marché ;

- elle a réalisé en 2014 un profit inattendu ;

- elle n'a jamais vendu à Barclays des titres financiers " CDS " (Crédit Default Swap) et ne peut dès lors se voir reprocher de ne pas avoir réclamé une rémunération à cette société ;

- la répartition des bénéfices avec la SARL Grenache procède d'un choix économique et non d'un acte anormal de gestion ;

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que les avis de recouvrement qui lui avaient été notifiés ont été établis en violation de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration issu de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

-les avis de mise en recouvrement méconnaissent les prévisions des doctrines référencées BOI-REC-PREA-10-10-20 du 12 septembre 2012 et du 17 juillet 2015 ;

- les premiers juges ne pouvaient subordonner l'opposabilité d'une doctrine à la condition qu'elle a été appliquée par le contribuable ;

- les avis de mise en recouvrement auraient dû comporter la mention précise de l'article pertinent relatif aux pénalités infligées ;

- une lettre de motivation des pénalités distincte de la proposition de rectification aurait dû lui être adressée ;

- l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration issu de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 et l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales ont été méconnus.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 3 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au

27 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune du 1er avril 1958

modifiée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Magnard,

- les conclusions de M. Segretain, rapporteur public,

- et les observations de Me Gouthière, représentant la société BNP Paribas.

Une note en délibéré présentée pour la société anonyme BNP Paribas a été enregistrée le 11 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La société BNP Paribas a fait l'objet d'une vérification générale de comptabilité portant sur les exercices 2009 et 2010. Au cours de ces opérations l'administration a analysé un ensemble d'opérations juridiques et financières, qu'elle a identifié sous le nom de " montage Carignan ", pour lequel elle a mis en œuvre la procédure d'abus de droit fiscal en vue d'imposer la quote-part de la société BNP Paribas dans les bénéfices de la société en nom collectif luxembourgeoise " Grenache et Cie ". Elle a également intégré à son résultat imposable, sur le fondement de l'acte anormal de gestion, des avantages que la société BNP Paribas aurait consentis à des structures étrangères. Par la présente requête, la société BNP Paribas relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contributions additionnelles à l'impôt sur les sociétés, de retenue à la source, et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui lui ont été assignées en conséquence au titre des années 2009 et 2010.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Les premiers juges ont constaté que les sanctions étaient régulièrement motivées au sens de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales dans sa version applicable, laquelle se réfère expressément à la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public. Ils ont également statué sur le moyen tiré de ce que l'avis de mise en recouvrement était insuffisamment motivé au sens de la doctrine administrative relative aux obligations de motivation résultant de la loi du 11 juillet 1979. Ils ont par suite, et contrairement à ce qui est soutenu, répondu au moyen tiré de ce que les avis de recouvrement notifiés à la société requérante auraient été établis en violation de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration issu de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 : "Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales". Sont opposables à l'administration, dans les conditions prévues par le second alinéa de ce texte, les instructions ou circulaires publiées relatives à l'assiette ou au recouvrement de l'impôt, ainsi que celles relatives au bien-fondé ou au recouvrement des pénalités fiscales, mais non celles relatives à la procédure d'établissement de l'impôt, ni celles relatives à la procédure d'établissement des pénalités fiscales. Dès lors que l'avis de mise en recouvrement est l'acte par lequel l'administration établit sa créance sur le contribuable et rend celle-ci exigible, sans pour autant constituer un acte de poursuite, une instruction portant sur les mentions devant figurer sur l'avis de mise en recouvrement est relative à la procédure d'établissement de l'impôt ou des pénalités fiscales, et non au recouvrement de l'impôt.

4. La société requérante soutient que les avis de mise en recouvrement qui lui ont été adressés, et qui répondent aux exigences des articles L. 256 et R. 256-1 du livre des procédures fiscales, ne comportent ni référence au code général des impôts, ni indication de la base légale des rehaussements, méconnaissant ainsi le contenu des doctrines référencées BOI-REC-PREA 10-10-20 du 12 septembre 2012 et du 17 juillet 2015, lesquelles prévoient, respectivement en leur paragraphe 20 et 50 que " la nature exacte de l'imposition est donnée par la référence au Code Général des Impôts. En cas de rehaussements, la base légale de chacun d'eux doit figurer sur l'avis (...) ". Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'une telle instruction est relative à la procédure d'établissement de l'impôt ou des pénalités fiscales, et non au recouvrement de l'impôt. Par suite, la société ne pouvait l'opposer à l'administration sur le fondement du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Sur les opérations liées au montage " Carignan " :

5. La société Barclays Bank PLC (BB PLC) possédait en 2007 une filiale luxembourgeoise qui a elle-même créé au Luxembourg la SARL Grenache. Elle possédait également aux îles Caïmans une filiale, à laquelle elle a consenti, le 19 novembre 2007, un prêt d'environ 1,4 milliards d'euros, et qui a, le même jour, utilisé ces liquidités pour investir dans la société Britannique Wysteria, laquelle a elle-même acheté le même jour, à l'aide des mêmes liquidités, des titres " Euro Medium Term Notes " (titres de dettes à moyen terme négociables ou EMTN) émis par BB PLC. La société Wysteria et la SARL Grenache ont alors créé le 20 novembre 2007 la SNC Grenache et Cie dont l'objet social est de gérer un portefeuille d'investissements. Le capital de la société Grenache et Cie qui s'élève à 1,4 milliard d'euros, est divisé en parts A et B, à savoir 650 000 parts A de 1 000 euros chacune, soit 650 millions d'euros au total procurant un revenu fixe de 5,023 % distribué les 25 janvier et 25 juillet de chaque année si le résultat le permet, ce droit à distribution prioritaire étant, à défaut, reporté sur les trois années qui suivent, et d'autre part 750 000 parts B de 1 000 euros chacune, soit 750 millions d'euros au total procurant le reliquat du résultat de la société Grenache et Cie net des distributions aux parts A, les revenus attribués aux parts B étant systématiquement capitalisés. Le 21 novembre 2007, la société Grenache et Cie, qui dispose comme il vient d'être indiqué, de 1,4 milliard d'euros de liquidités, a souscrit des EMTN classiques de 450 millions d'euros émis par la société BNP Paribas, des titres obligataires liés (ou " Credit Linked Note " CLN) de 200 millions d'euros également émis par la société BNP Paribas, des EMTN classiques de 250 millions d'euros émis par la société Barclays Bank et des CLN en cours d'émission par la société Barclays Bank pour un total de 400 millions d'euros Enfin, elle a placé les 100 millions d'euros restant en liquidité sur un compte bancaire ouvert dans la succursale de la société BNPP à Londres. Ce même jour, la société requérante a acheté les parts B de la société Grenache et Cie pour 750 millions d'euros, la société Grenache achetant les parts A restantes pour 649 999 000 euros, acquisition financée par un prêt consenti par la société Barclays Bank. Pour financer ce dernier prêt, la société Barclays Bank emprunte 650 millions d'euros à la société Grenache et Cie via l'émission des titres de dettes susvisés, empruntant ainsi le même jour pour apporter à la société Grenache et Cie un montant identique via sa filiale indirecte la SARL Grenache. En conséquence, le groupe Barclays détient les parts A de la société Grenache et Cie d'une valeur de 650 millions d'euros qui lui procurent un revenu fixe de 5,023%, et la société requérante détient quant à elle les parts B de la société Grenache et Cie d'une valeur de 750 millions d'euros qui lui donnent droit au reliquat de ce résultat. Dans ce cadre, les sociétés BNP Paribas et Barclays Bank sont à la fois émettrices des titres de dettes susvisés (CLN et EMTN) et souscriptrices, par l'intermédiaire de la société Grenache et Cie de ces mêmes titres. L'acquisition par chacun des associés de leurs parts dans la société Grenache et Cie est donc financée par des prêts consentis par cette même société Grenache et Cie sous forme de souscriptions d'EMTN et de CLN que les associés ont eux-mêmes émis.

6. Différents instruments, à savoir des CDS et des échanges de taux (" swap "), sont mis en place à la fois sur les dettes émises par les deux associées (les sociétés BNP Paribas et Barclays Bank) et entre les trois acteurs de l'opération (société Grenache et Cie, groupe Barclays et société BNP Paribas) sur les flux entrants et sortant de la société Grenache et Cie. En particulier, le 21 novembre 2007, un contrat d'échange de taux est conclu entre la société Grenache et Cie et la société Barclays Bank d'un nominal de 1,4 milliard d'euros. Par la suite, la société Barclays Bank va vendre sur le marché des CDS de mêmes paramètres que les CDS intriqués dans les CLN BB, finançant ainsi le surcoût engendré par la prime de risque des CLN. Le 19 décembre 2007, la société Grenache et Cie vend à la société Barclays Bank quatorze des CDS qui revêtent exactement les mêmes paramètres que les CLN BB, à savoir ayant la même échéance, le même sous-jacent et la même marge, de même que leur caractère conditionnel et ne prenant effet que si les CLN font l'objet d'un remboursement anticipé à la demande de la société Grenache et Cie. Pour garantir la société Barclays Bank, la société Grenache et Cie place alors sur un compte courant bloqué en collatéral des CDS une somme égale à l'exposition nette des CDS. Enfin, le 25 janvier 2008, la société Grenache et Cie contracte avec la succursale anglaise de la société BNP Paribas un échange de taux d'un notionnel de 99 750 000 euros afin d'éliminer tout risque de taux et de transformer le revenu à taux fixe provenant des obligations en revenu à taux variable. De même un contrat d'échange de taux notionnel de 750 millions d'euros est conclu entre la société BNP Paribas et la société Barclays Bank en vertu duquel la société BNP Paribas verse à la société Barclays Bank un taux fixe de 4,373 % et la société Barclays Bank verse à la société BNP Paribas le taux Euribor 6 mois sans marge. En outre, tous les contrats d'échange de taux et les CDS sont résiliables avec une soulte limitée. Une fois l'opération réalisée, la société Grenache et Cie détient les actifs qui ont été souscrits par la société Wysteria et porte le risque de crédit afférent. Enfin, la société Barclays Bank et la société BNP Paribas disposent d'options réciproques d'achat des titres détenus dans la société Grenache et Cie qui peuvent être exercés à tout moment du 21 décembre 2007 au 21 décembre 2017.

7. En conséquence de ce montage, l'échange de taux entre la société Grenache et Cie et la société Barclays Bank PLC neutralise, pour la société Grenache et Cie, toute exposition en taux, et cette dernière reçoit donc une rémunération annuelle au taux fixe de 4,719% sur 1,4 milliard d'euros, soit plus de 66 millions d'euros. Par là même, la SARL Grenache perçoit un dividende prioritaire de 5,023% sur la base de 650 millions d'euros, et la société BNP Paribas perçoit le reliquat qui est mis en réserve puis incorporé au capital de la société Grenache et Cie par attribution à la société BNP Paribas de nouvelles parts B. En tenant compte de la capitalisation des dividendes provenant des parts B, les produits que génèrent les liquidités dégagées et réinvesties par la société Grenache et Cie laissent inchangé le dividende prioritaire servi à la SARL Grenache et viennent majorer la quote-part de résultat attribuée à la société BNP Paribas. D'un point de vue comptable, la société BNP Paribas enregistre en produits l'augmentation de la valeur de sa participation dans la société Grenache et Cie, soit les parts B qui lui sont attribuées après capitalisation du dividende des parts B, mais en revanche, elle ne comptabilise pas la quote-part de résultat de la société Grenache et Cie qui lui revient. D'un point de vue économique, l'opération est déficitaire pour la structure française à hauteur de 2,4 millions d'euros, dès lors que le profit attribué aux parts B, soit 33 415 100 euros, est inférieur aux charges générées par les instruments financiers (instruments dérivés de CLN et EMTN BNPP), à savoir 35 842 500 euros. Si ces produits sont localisés et non taxés au Luxembourg, les charges sont supportées et déduites par la structure française ; en conséquence la société BNP Paribas enregistre une charge déductible à raison de la rémunération des CLN et des EMTN qu'elle a émis, calculée sur un notionnel de 650 millions d'euros. Au niveau de la société Barclays Bank, par l'intermédiaire de la SARL Grenache, les conséquences sont les suivantes : d'un point de vue économique, en consolidant les produits, à savoir les profits attribués aux parts A et les charges du groupe Barclays au Royaume-Uni et au Luxembourg, l'opération est bénéficiaire de 4,22 millions d'euros avant impôt. Enfin, concernant les modalités de dénouement du montage par option d'achat ou dissolution de la société Grenache et Cie, chacun des associés dispose d'une option d'achat sur les parts de l'autre associé pouvant être exercée à tout moment entre le 21 décembre 2007 et le 21 décembre 2017.

La société Grenache et Cie peut être dissoute dans un délai de deux semaines sur demande de l'un des associés. Si tel est le cas, les associés ont la possibilité, soit de réaliser tous les actifs par remboursement anticipé ou ventes, et les sommes allouées à chaque associé sont réparties en argent, soit sur option d'un des associés, de se faire rembourser en nature.

8. Eu égard à ces éléments, l'administration a considéré que le montage en litige, mis en place par les sociétés BNP Paribas et Barclays Bank masquait une simple vente de série de CDS d'un notionnel de 400 millions d'euros, la société Barclays Bank étant l'acheteur de la protection et la société BNP Paribas le vendeur qui aurait dû percevoir à ce titre la prime correspondant au risque garanti. Elle a estimé que ce montage a permis à la société BNP Paribas de localiser au Luxembourg, dans une structure qui lui permettait d'échapper à toute imposition en France et au Luxembourg, les produits financiers générés par la cession de CDS et que l'opération ne mobilisait pas de capitaux pour les groupes bancaires impliqués dans le montage à l'exception du compte bancaire de 100 millions d'euros réinvesti en obligations. L'administration a par suite estimé que la part de la société BNP Paribas dans les résultats de la SNC Grenache devait être regardée comme dissimulant, par l'effet de l'abus de droit, la rémunération reçue par la société BNP Paribas de la vente de CDS. En outre l'administration a constaté que ces opérations, qui permettent un gain fiscal de plus de 11 millions d'euros, réalisé par la société BNP Paribas en réduisant son imposition en France, sont économiquement perdantes pour l'intéressée, représentant une perte d'environ 2,4 millions d'euros, alors qu'elles génèrent un gain pour la société Barclays Bank de 4,22 millions d'euros en raison de l'attribution à la SARL Grenache d'une rémunération fixe prioritaire en contrepartie de son implication, et qu'elles constituent par là même un acte anormal de gestion. En conséquence, l'administration a procédé aux redressements sur le fondement d'une part de l'abus de droit et d'autre part de l'acte anormal de gestion.

En ce qui concerne l'abus de droit :

9. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux exercices 2009 à 2010 : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Il incombe à l'administration, le Comité de l'abus de droit ayant émis, le 27 novembre 2015, l'avis que les opérations en litige ne constituaient pas un abus de droit au sens de ces mêmes dispositions, d'apporter la preuve du bien-fondé de ses rectifications.

10. Aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ". Aux termes de l'article 19 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 : " (...) chacun des deux Etats contractants conserve le droit d'imposer suivant les règles propres à sa législation les produits de participation dans des entreprises constituées sous forme (...) de sociétés en nom collectif (...) ".

11. Il résulte de l'instruction que, compte tenu de l'imbrication des produits financiers décrits ci-dessus, du fait des règles de répartition des actifs en cas de dissolution et des prix d'exercice des options d'achat, et eu égard aux rémunérations distinctes entre les parts A de la société Grenache et Cie détenues par la société Barclays Bank et les parts B détenues par la société BNP Paribas ainsi qu'aux accords d'échange de taux conclus respectivement entre la société Grenache et Cie et la société Barclays Bank et entre cette dernière société et la société requérante, l'investissement apparent dans la société Grenache et Cie se ramène à une vente à perte de CDS par la société BNP Paribas, alors même que le partage structurel des risques de crédit est réalisé selon des modalités légèrement différentes d'une vente de CDS et qu'il évitait à chacun des intervenants d'avoir un risque de contrepartie sur l'autre. Contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas de l'instruction que la société BNP Paribas, qui disposait d'une filiale au Royaume-Uni ait eu besoin de la société Barclays Bank pour améliorer son expertise dans ce pays, ni pour bénéficier d'un accès à un portefeuille de titre sous-jacents britanniques offrant des possibilités distinctes de la vente de CDS. En se bornant à produire un document général sur l'état de ses comptes en 2007, la société BNP Paribas ne fournit pas d'élément permettant à la Cour de s'assurer que l'opération en cause a eu un impact déterminant sur la présentation de ses comptes. Aucun élément ne permet d'identifier le rôle qu'aurait joué l'opération en cause pour permettre à la société BNP Paribas de s'implanter au Luxembourg. Notamment, elle n'établit pas, par les pièces qu'elle produit, les avantages économiques précis attendus d'un renforcement des liens avec la société Barclays Bank, ce alors même que ces deux sociétés disposaient d'ores et déjà de succursales au Luxembourg. La seule circonstance que les liquidités de la société Grenache et Cie aient été placées en titres ne saurait être regardée comme suffisante à cet égard. L'objectif de croissance et de rentabilité dont se prévaut la société BNP Paribas n'est pas établi et est d'ailleurs contredit par la perte économique réalisée. Une vente de CDS pouvant se solder par des profits ou par des pertes, les circonstances tirées de ce qu'elle encourait des pertes dans le cadre de l'opération réalisée et de ce qu'elle a réalisé un profit en 2014 n'est pas de nature à remettre en cause les considérations qui précèdent.

12. La société Grenache et Cie a été créée ad hoc en vue de loger les produits générés par les instruments financiers décrits au point 6, lesquels génèrent des charges financières déductibles du résultat fiscal de la société requérante en France. Cette dernière a ainsi diminué sa base fiscale imposable en France pour les années 2009 et 2010 par la non-imposition des profits attribués aux parts B qu'elle détenait dans la société Grenache et Cie située au Luxembourg, et par la déduction des charges financières résultant des opérations en litige. L'opération " Carignan " générait, pour la société BNP Paribas, une perte économique annuelle, chiffrée à 2 420 500 euros pour l'année 2009, tout en permettant une économie d'impôt constante s'élevant la première année à 33 422 000 euros en base (soit 11 millions d'euros au titre du seul impôt sur les sociétés). La finalité de ce montage ne pouvait par suite qu'être fiscale en ce qu'elle met en place, via des instruments financiers circulant en circuit fermé, sans réel mouvement de capitaux ni investissement effectif, une société luxembourgeoise, la SNC Grenache et Cie, qui permet à la société BNP Paribas d'échapper à l'impôt pour la rémunération de la seule vraie prestation rendue, la vente de CDS à la société Barclays Bank.

13. Si la société requérante fait valoir que la société Grenache et Cie, société en nom collectif luxembourgeoise, n'a pas de caractère fictif, qu'elle dispose de locaux, de personnel, au demeurant très réduit compte tenu de la surface financière de la structure, et d'une structure juridique élaborée, selon le droit luxembourgeois, permettant d'en assurer la gestion, qu'elle gère un portefeuille de titres et présente les mêmes caractéristiques que les SNC françaises, un tel moyen, dès lors qu'il est établi qu'elle a été constituée dans le cadre d'un montage artificiel destiné à éluder l'impôt, est sans influence sur l'issue du litige.

14. La société requérante fait valoir que la SNC Grenache et Cie est une société de personnes et qu'elle a fait une application de la doctrine administrative référencée D. Adm., 4 H 1422 n° 57, du 1er mars 1995 qui implique que les résultats qui ne se rattachent pas à une entreprise exploitée en France par la société de personnes ne sont pas imposables en France. Il résulte toutefois de ce qui a été dit précédemment que cette doctrine n'ajoute pas à la loi fiscale ni ne la contredit. La société requérante ne saurait par suite et en tout état de cause s'en prévaloir pour remettre en cause les constatations qui précèdent dont il ressort qu'elle a participé à un montage artificiel, ayant pour effet d'obtenir le bénéfice d'une application littérale de la loi fiscale et de la convention franco-luxembourgeoise à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et qui n'a pu être inspiré par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressée si elle n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles.

15. Il résulte de ce qui vient d'être dit que c'est à bon droit que l'administration a procédé aux redressements en litige sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

En ce qui concerne l'acte anormal de gestion :

16. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que les avantages consentis par une entreprise à un tiers constituent un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties. Dans l'hypothèse où l'entreprise apporte une telle justification, il incombe ensuite à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'apporter la preuve de ce que cette contrepartie est dépourvue d'intérêt pour l'entreprise ou que sa rémunération est excessive.

17. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les opérations décrites ci-dessus équivalent à des ventes de CDS. L'administration est, par suite, fondée à soutenir que la vente de CDS à un prix anormal sans contrepartie est constitutive d'un acte anormal de gestion. Les moyens tirés par la société requérante de ce qu'elle n'a jamais vendu à la société Barclays des titres financiers CDS et ne peut se voir reprocher de ne pas avoir réclamé une rémunération à Barclays et de ce que la répartition des résultats de la société Grenache et Cie procède d'un choix économique, ne sont par suite pas de nature à faire obstacle à un redressement sur ce fondement. Il résulte en outre de l'instruction que ces opérations, équivalentes à la vente de CDS, se sont soldées, en ce qui concerne la société BNP Paribas, par la renonciation à la prime de risques sur CDS et à une perte réalisée dans le cadre des opérations croisées au sein de la société Grenache et Cie. Ainsi, l'administration établit que la société requérante a effectivement, pour les années en litige, renoncé à des recettes d'une part auprès de la société Barclays Bank et d'autre part auprès de la société Grenache et Cie, sans que les montants retenus par l'administration ne soient valablement contestés par la société. Enfin, la société requérante ne justifie pas de contreparties équivalentes à ces renonciations de recettes. En conséquence, c'est à bon droit que l'administration a procédé aux redressements en litige en estimant que ces deux renonciations à recettes étaient constitutives d'un acte anormal de gestion.

Sur les pénalités :

18. Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction

applicable au litige : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. / Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations ".

Aux termes de l'article L. 80 E du même livre, dans sa rédaction applicable au litige : " La décision d'appliquer les majorations et amendes prévues aux articles 1729, 1732 et 1735 ter du code général des impôts est prise par un agent de catégorie A détenant au moins un grade fixé par décret qui vise à cet effet le document comportant la motivation des pénalités ". Selon l'article R. 80 E-1 du même livre, dans sa rédaction applicable au litige : " La décision d'appliquer les majorations et amendes mentionnées à l'article L. 80 E est prise par un agent ayant au moins le grade d'inspecteur divisionnaire ".

19. Il résulte de l'instruction que, dans la proposition de rectification du 30 décembre 2013, l'administration a fait connaître au contribuable, conformément aux dispositions des articles L. 80 D et L. 80 E du livre des procédures fiscales, les motifs de la sanction qu'elle se proposait d'appliquer et l'a informé de la possibilité dont il disposait de présenter ses observations dans un délai de trente jours. Les pénalités litigieuses n'ont été mises en recouvrement qu'en 2015 et 2016. Aucune disposition législative ou réglementaire ne faisait obligation à l'administration, avant de mettre en recouvrement ces pénalités, de notifier à la société requérante un nouveau document mettant à sa charge les pénalités. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut par suite qu'être écarté.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la société BNP Paribas n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Sa requête d'appel ne peut, par suite, qu'être rejetée, ensemble, par voie de conséquences, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société BNP Paribas est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société BNP Paribas et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction des vérifications nationales et internationales.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Topin, présidente assesseure,

- M. Magnard, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition le 24 janvier 2024.

Le rapporteur,

F. MAGNARDLe président,

I. BROTONS

Le greffier,

C. ABDI-OUAMRANE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

N° 22PA02292 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02292
Date de la décision : 24/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: M. Franck MAGNARD
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-24;22pa02292 ?
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