La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/03/2024 | FRANCE | N°23PA02625

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 27 mars 2024, 23PA02625


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société " Espace Ma Boucherie " a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 7 octobre 2021 par laquelle le directeur général de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) lui a appliqué la contribution spéciale pour l'emploi de travailleurs étrangers et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger en situation irrégulière, pour un montant total de 160 108 euros et de mettre à la cha

rge de l'OFII une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de just...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société " Espace Ma Boucherie " a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 7 octobre 2021 par laquelle le directeur général de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) lui a appliqué la contribution spéciale pour l'emploi de travailleurs étrangers et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger en situation irrégulière, pour un montant total de 160 108 euros et de mettre à la charge de l'OFII une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2111258 du 30 mai 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés respectivement les 14 juin 2023 et

4 janvier 2024, la société " Espace Ma Boucherie ", représentée par Me Chergui, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2111258 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 7 octobre 2021 par laquelle le directeur général de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) lui a appliqué la contribution spéciale pour l'emploi de travailleurs étrangers et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger en situation irrégulière ;

3°) de mettre à la charge de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision litigieuse est insuffisamment motivée dès lors notamment que n'indique pas la nationalité des salariés concernés ;

- la décision a été prise au terme d'une procédure entachée d'irrégularité dès lors qu'elle n'a pas été informée de son droit à communication du procès-verbal fondant la décision de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) ;

- il appartient à l'OFII de démontrer l'emploi par la requérante des dix-sept salariés concernés et d'établir qu'ils sont d'une nationalité impliquant la nécessité d'un titre de travail spécifique ; .

- la requérante n'avait pas connaissance de la qualité d'étrangers sans titre de travail des salariés concernés, qui avaient tous présenté des documents établissant qu'ils étaient français ou ressortissants de pays pour lesquels n'existait pas d'obligation de détenir une autorisation de travail, ce qui excluait qu'elle ait à vérifier l'existence de titre autorisant les intéressés à travailler en France ;

- la décision attaquée se fonde sur l'emploi de dix-sept salariés, dont en réalité plusieurs ne faisaient plus partie des effectifs de la société requérante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2023, l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2500 euros soit mis à la charge de la société Espace Ma Boucherie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens de légalité externe sont irrecevables car relevant d'une cause juridique nouvelle en appel ;

- les autres moyens soulevés par la société " Espace Ma Boucherie " ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Degardin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 28 juillet 2021, les services de police ont, à l'occasion d'un contrôle effectué au sein de la société " Espace Ma Boucherie ", constaté la présence, en action de travail, de huit ressortissants étrangers, de nationalité algérienne et marocaine, dépourvus de titre les autorisant à travailler et à séjourner en France et ont constaté que le registre unique du personnel mentionnait neuf autres salariés qui étaient en situation irrégulière. Par une décision du 7 octobre 2021, le directeur général de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) a appliqué à cette société, à raison de l'emploi irrégulier de dix-sept salariés, la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail à hauteur de 124 100 euros et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - abrogé depuis lors par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration - à hauteur de 36 108 euros. La société " Espace Ma Boucherie " a dès lors saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de cette décision mais le tribunal a rejeté sa demande par un jugement du 30 mai 2023 dont cette société relève dès lors appel.

2. Il ressort des pièces du dossier que la société " Espace Ma Boucherie " avait, dans sa demande introductive d'instance présentée devant le tribunal, soulevé un moyen de légalité externe, tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du 7 octobre 2021. Dès lors le moyen, également de légalité externe, soulevé devant la Cour et tiré de l'irrégularité de la procédure ayant donné lieu à l'intervention de cette décision, du fait que l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration ne l'avait pas informée de son droit à demander communication du procès-verbal d'infraction, ne relève pas d'une cause juridique nouvelle en appel. Il est par suite recevable, contrairement à ce que soutient l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration.

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". La méconnaissance de cette interdiction expose l'employeur au versement de la contribution prévue par l'article L. 8253-1 du même code, après établissement de procès-verbaux dans les conditions prévues par l'article L. 8271-17 de ce code dont l'article L. 8253-3 dispose que : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ".

4. Si aucune de ces dispositions ne prévoient expressément que le procès-verbal constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler en France et fondant le versement de la contribution en cause, ainsi que celui de la contribution spéciale prévue par l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - abrogé depuis lors par la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration - soit communiqué au contrevenant, le respect du principe général des droits de la défense suppose, s'agissant des mesures à caractère de sanction, ainsi d'ailleurs que le précise l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, que la personne en cause soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus. Par suite, l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration est tenu d'informer l'intéressé de son droit de demander la communication du procès-verbal d'infraction sur la base duquel ont été établis les manquements qui lui sont reprochés.

5. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le courrier du 12 août 2021 par lequel l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration a informé la société " Espace Ma Boucherie " de son intention de mettre à sa charge une contribution spéciale et une contribution forfaitaire ne précisait pas que la société avait la possibilité de solliciter la communication du procès-verbal à l'origine des sanctions. Le vice de procédure tiré de cette absence d'information préalable de la société " Espace Ma Boucherie " est bien de nature à l'avoir privée d'une garantie et constitue, dès lors, une irrégularité de nature à entacher la légalité de la décision attaquée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société " Espace Ma Boucherie " est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

8. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre par l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration doivent être rejetées.

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration la somme que demande la société " Espace Ma Boucherie " au titre des frais liés à l'instance.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2111258 du tribunal administratif de Melun et la décision en date du

7 octobre 2021 sont annulés.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société " Espace Ma Boucherie ", à l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024.

La rapporteure,

M-I. A...Le président,

I. LUBENLe greffier,

E. MOULINLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02625


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02625
Date de la décision : 27/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : AN'KA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-27;23pa02625 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award