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05/04/2024 | FRANCE | N°22PA03237

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 05 avril 2024, 22PA03237


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2007 à 2016.



Par un jugement n° 2012657 du 17 mai 2022, le tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements accordés au titre de l'amende prévue au IV de

l'article 1736 du code général des impôts, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2007 à 2016.

Par un jugement n° 2012657 du 17 mai 2022, le tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements accordés au titre de l'amende prévue au IV de l'article 1736 du code général des impôts, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 14 juillet 2022, 15 mai 2023, 25 juillet 2023 et 21 septembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. B..., représenté par Me Le Go, avocate, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2012657 du 17 mai 2022 du tribunal administratif de Paris, en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions maintenues à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Il soutient que :

- les éléments de preuve sur lesquels l'administration s'est fondée pour asseoir les impositions en litige ne satisfont pas au principe de loyauté de la preuve, dès lors qu'ils :

- lui ont été transmis par le Parquet dans le cadre d'une enquête préliminaire, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales ;

- ont été recueillis en violation des droits de la défense, ainsi que l'a jugé la Chambre de l'instruction d'Aix-en-Provence pour annuler les procès-verbaux d'audition du 22 mars 2017, lesquels ne peuvent donc servir de fondement aux impositions en litige ;

- sont irrecevables, car procédant d'un recel de données informatiques volées auquel ont participé les services fiscaux ;

- ont été confectionnés par l'administration elle-même, sous la forme de fiches de synthèse individuelles, préalablement même à la communication des éléments transmis par le Parquet ;

- l'article L. 10-0 AA du livre des procédures fiscales, qui n'était pas encore entré en vigueur, n'autorisait pas l'administration fiscale à fonder les impositions contestées sur des données volées ;

- l'article L. 16 du livre des procédures fiscales n'a pas été régulièrement mis en œuvre, dès lors que la demande d'éclaircissement et de justification n'était pas précise et ne renvoyait à aucun flux monétaire ;

- en ne le mettant pas en demeure de compléter sa réponse du 27 octobre 2017, qui a été à tort assimilée à un défaut de réponse, l'administration a méconnu les dispositions de l'article L. 16 A du livre des procédures fiscales, ainsi que leur interprétation par le paragraphe 140 du

BOI-CF-IOR-50-30 ;

- en lui notifiant des rectifications au titre des années 2007 et 2008, alors que celles-ci avaient déjà été contrôlées à l'occasion d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle engagé le 23 février 2010, l'administration, qui ne peut lui opposer la fourniture d'éléments inexacts ou incomplets faute d'avoir alors mis en œuvre les dispositions de l'article L.16 du livre des procédures fiscales, a méconnu les dispositions de l'article L. 50 du même livre ;

- l'administration n'est pas fondée à invoquer le bénéfice du délai de reprise spécial de dix ans, dès lors que les dispositions de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales mentionnées dans sa demande de justifications du 22 septembre 2017 ont été abrogées par la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 ; le bénéfice de ce délai spécial ne peut davantage être justifié par un manquement aux obligations déclaratives prévues à l'article 1649 A du code général des impôts, lequel est sanctionné par l'amende prévue au IV de l'article 1736 du même code, qui a fait l'objet d'un dégrèvement au cas d'espèce ; en ne se prévalant que d'éléments relatifs à la situation des comptes en 2007, l'administration ne démontre pas qu'ils ont continué à être utilisés sur les années 2008 à 2016 ; au demeurant, il est établi que ces comptes ont été clôturés en 2009 ;

- sa sœur était seule détentrice des comptes concernés, ainsi que le révèlent l'ordonnance du juge d'instruction du 8 mars 2022 constatant l'absence de charges suffisantes à son encontre, et le jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 30 novembre 2022 ; sa sœur est aujourd'hui la seule titulaire d'un compte ouvert en Suisse auprès de la Julius Bär ;

- l'extrapolation opérée par le service sur les années 2008 à 2016, à partir des données relatives aux années 2005 à 2007, est exagérée et non probante ; une attestation de la banque HSBC en date du 23 janvier 2020 établit que le profil client " 32575BT " ne disposait plus d'avoirs au 31 décembre 2008 et que le solde du profil client " Julis Asset Holdings Limited " s'élevait, à la même date, à 159 172 dollars américains ;

- les pénalités pour manquement délibéré sont injustifiées.

Par des mémoires en défense enregistrés les 27 octobre 2022, 29 juin 2023 et 8 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marjanovic ;

- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public ;

- et les observations de Me Le Go, pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'une demande d'entraide judiciaire présentée par les autorités suisses, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice a fait procéder, le 20 janvier 2009, à une perquisition au domicile d'un ancien informaticien de la filiale suisse de l'établissement britannique HSBC Private Bank, soupçonné d'avoir dérobé des données de la " base client " de cet établissement. Sur le fondement de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, il a communiqué les données saisies à l'administration fiscale, qui, après avoir analysé les fichiers recueillis et retranscrit les éléments d'informations qu'ils contenaient dans des fiches de synthèse individuelles, a estimé qu'il existait une présomption que M. B... soit détenteur de comptes ouverts en Suisse dans les livres de la banque HSBC Private Bank de Genève, via deux profils clients associés à des comptes bancaires. Sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, l'administration fiscale a déposé plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille le 20 décembre 2013 contre M. B... pour soupçons de minoration des déclarations d'impôt sur le revenu au titre des années 2009 à 2012 et d'impôt de solidarité sur la fortune au titre des années 2010 à 2012. A l'issue de l'enquête préliminaire, une information judiciaire a été ouverte contre X, le 15 janvier 2014, notamment des chefs de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. L'administration fiscale a exercé son droit de communication auprès des autorités judiciaires le 6 juillet 2017. Le 22 septembre 2017, elle a adressé à M. B... une demande de justifications portant sur les avoirs et revenus d'avoirs détenus auprès de HSBC Private Bank au titre des années 2007 à 2016. Assimilant le courrier de M. B... du 27 octobre 2017 à une absence de réponse de sa part, l'administration a reconstitué, en application de l'article 151 du code général des impôts, le montant des revenus issus d'avoirs à l'étranger non déclarés au titre des années 2007 à 2016 et taxé ces revenus d'office sur le fondement de l'article L. 69 du livre des procédures fiscales. M. B... relève régulièrement appel du jugement du 17 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements accordés au titre de l'amende prévue au IV de l'article 1736 du code général des impôts, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti à la suite de cette rectification, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, la seule circonstance qu'avant de mettre en œuvre à l'égard du contribuable les pouvoirs qu'elle tient du titre II du livre des procédures fiscales aux fins de procéder au contrôle de son dossier fiscal et de recueillir les éléments nécessaires pour, le cas échéant, établir des impositions supplémentaires, l'administration aurait disposé d'informations relatives à ce contribuable issues de documents obtenus de manière frauduleuse par un tiers est, par elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 50 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'elle a procédé à un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'un contribuable au regard de l'impôt sur le revenu, l'administration des impôts ne peut plus procéder à des rectifications pour la même période et pour le même impôt, à moins que le contribuable ne lui ait fourni des éléments incomplets ou inexacts (....) ".

4. Au soutien du moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point précédent, M. B... expose qu'il a fait l'objet, au titre des années 2008 et 2009, d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle engagé le 23 février 2010 et qui a été conclu sans rectifications alors même que l'administration fiscale avait reçu communication, les 2 septembre 2009 et 10 janvier 2010, d'éléments transmis par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice qui lui auraient permis de soupçonner qu'il était co-titulaire de comptes bancaires non déclarés ouverts en Suisse. Toutefois, il résulte de l'instruction et n'est pas sérieusement contesté par l'appelant qu'invité, à l'occasion de ce contrôle, à produire les relevés de ses comptes courants et comptes financiers de toute nature, il s'est borné à présenter les relevés de ses comptes financiers détenus en France, en niant la détention de comptes bancaires à l'étranger. Dans ces conditions, dès lors que l'exercice ultérieur de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire dans le cadre de la procédure pénale engagée à l'encontre de M. B... lui permettait d'établir le caractère inexact des éléments fournis par l'intéressé à l'occasion du contrôle engagé le 23 février 2010, l'administration fiscale n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article L. 50 du livre des procédures fiscales en procédant à un nouveau contrôle sur pièces du dossier du contribuable et en lui notifiant, par une proposition de rectification du 26 juin 2018, le rehaussement de ses bases d'imposition à l'impôt sur le revenu au titre, notamment, des années 2008 et 2009. Par suite, et sans que l'appelant puisse utilement se prévaloir du défaut de mise en œuvre des dispositions de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales à l'occasion de l'examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 50 du même livre doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes, d'une part, de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées (...) ". L'article L. 82 C de ce livre prévoit quant à lui : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances " et l'article L. 101 du même livre prévoit que : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu ". Aux termes, d'autre part, de l'article 49 du code de procédure pénale : " Le juge d'instruction est chargé de procéder aux informations (...) ". Aux termes de l'article 75 du même code : " Les officiers de police judiciaire et, sous le contrôle de ceux-ci, les agents de police judiciaire (...) procèdent à des enquêtes préliminaires soit sur les instructions du procureur de la République, soit d'office. / Ces opérations relèvent de la surveillance du procureur général. (...) ". Aux termes du 1 de l'article 1746 du code général des impôts, dans sa version applicable aux faits de l'espèce : " Le fait de mettre les agents habilités à constater les infractions à la législation fiscale dans l'impossibilité d'accomplir leurs fonctions est puni d'une amende de 25 000 €, prononcée par le tribunal correctionnel. En cas de récidive de cette infraction, le tribunal peut, outre cette amende, prononcer une peine de six mois d'emprisonnement ".

6. Il résulte des dispositions des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, dans leur rédaction applicable au présent litige, eu égard à leur objet et lues à la lumière des travaux parlementaires de la loi du 4 avril 1926 dont elles sont issues, que l'autorité judiciaire peut régulièrement transmettre à l'administration fiscale, spontanément ou sur demande adressée au ministère public, tous éléments révélés par une instance civile ou pénale ou recueillis par elle dans le cadre d'une procédure judiciaire et que si le législateur n'a mentionné, parmi ces procédures, que les informations criminelles ou correctionnelles, il ne saurait être regardé, compte tenu de l'évolution des règles de procédure pénale depuis l'adoption de ces dispositions, comme ayant entendu permettre l'exclusion du champ du droit de communication de l'administration fiscale les éléments recueillis dans le cadre d'une enquête préliminaire, alors même qu'elle aurait fait l'objet d'un classement sans suite.

7. Il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à soutenir que les éléments recueillis par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice dans le cadre d'une enquête préliminaire ont été transmis à l'administration fiscale, les 2 septembre 2009 et 10 janvier 2010, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration peut demander au contribuable des éclaircissements. Elle peut, en outre, lui demander des justifications au sujet (...) des avoirs ou revenus d'avoirs à l'étranger. ". Aux termes de l'article L. 16 A du même livre : " Les demandes d'éclaircissements et de justifications fixent au contribuable un délai de réponse qui ne peut être inférieur à deux mois. / Lorsque le contribuable a répondu de façon insuffisante aux demandes d'éclaircissements ou de justifications, l'administration lui adresse une mise en demeure d'avoir à compléter sa réponse dans un délai de trente jours en précisant les compléments de réponse qu'elle souhaite. ". Enfin, aux termes de l'article L. 69 de ce livre : " Sous réserve des dispositions particulières au mode de détermination des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles et des bénéfices non commerciaux, sont taxés d'office à l'impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications prévues à l'article L. 16 ".

9. En l'espèce, il résulte de l'instruction, d'une part, qu'en application des dispositions précitées de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a adressé à M. B..., le 22 septembre 2017, une demande de justification des avoirs et revenus d'avoirs détenus sur les sous-comptes bancaires des profils clients " 32575BT " et " Julis Asset Holdings Limited " créés auprès de la banque suisse HSBC Private Bank et dont les éléments recueillis dans le cadre de l'exercice par l'administration de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire permettaient de l'identifier comme co-titulaire de ces profils et sous-comptes. En sollicitant de l'intéressé, après avoir visé les textes applicables, longuement rappelé la teneur des informations transmises par l'autorité judiciaire et précisé les numéros des 21 sous-comptes concernés ainsi que le détail des soldes des profils clients constatés en février 2007, de justifier des avoirs et revenus d'avoirs détenus dans ce cadre, l'administration a suffisamment précisé l'objet de sa demande de justifications. Par suite, M. B..., qui ne peut sérieusement objecter que cette demande ne se rapportait à aucun flux financier précisément identifié, n'est pas fondé à soutenir que l'administration aurait irrégulièrement mis en œuvre à son endroit la procédure de demande de justifications prévue à l'article L. 16 du livre des procédures fiscales.

10. D'autre part, il résulte également de l'instruction que, dans sa réponse du 27 octobre 2017 à cette demande de justifications de l'administration, M. B... s'est borné à contester les conditions dans lesquelles des données dérobées par un salarié de la société HSBC Private Bank ont été mises à la disposition des autorités françaises et à réclamer la communication des éléments de la procédure judiciaire auxquels s'est référé le service, sans apporter aucun justificatif concernant les avoirs et revenus d'avoir détenus par lui sur les profils et sous-comptes mentionnés au point précédent. Dans ces conditions, l'administration fiscale était fondée à assimilier ce courrier de M. B..., qui n'a pas été complété ultérieurement, à un défaut de réponse et à taxer d'office l'intéressé en application des dispositions précitées de l'article L. 69 du livre des procédures fiscales sans être tenue de le mettre préalablement en demeure de compléter sa réponse. A cet égard, l'appelant ne peut en tout état de cause utilement invoquer le paragraphe 140 de la documentation administrative BOI-CF-IOR-50-30, qui est relatif à la procédure d'imposition et ne peut être regardé comme comportant une interprétation d'un texte fiscal au sens de l'article L. 80 A du même livre.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne la validité des éléments de preuve sur lesquels l'administration fiscale s'est fondée pour asseoir les impositions en litige :

11. D'une part, aux termes de l'article L. 10-0 AA du livre des procédures fiscales : " Dans le cadre des procédures prévues au présent titre, à l'exception de celles mentionnées aux articles L. 16 B et L. 38, ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine les documents, pièces ou informations que l'administration utilise et qui sont régulièrement portés à sa connaissance (...) en application des droits de communication qui lui sont dévolus par d'autres textes ". Par une décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, permettre aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge.

12. Si M. B... soutient qu'avant l'entrée en vigueur des dispositions citées au point précédent, l'administration fiscale n'était pas fondée à asseoir une imposition sur des éléments obtenus ou établis de manière déloyale, il n'établit toutefois, ni même n'allègue que les modalités d'obtention, décrites au point 1 du présent arrêt, des pièces régulièrement transmises par l'autorité judiciaire à l'administration fiscale en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, auraient été déclarées illégales par le juge compétent, la chambre criminelle de la Cour de cassation, par sa décision n° 13-85.042 du 27 novembre 2013, ayant au contraire confirmé la licéité de la perquisition menée par le procureur de la République de Nice le 20 janvier 2009. Dans ces conditions, les informations obtenues dans ce cadre, et qui sont opposées au contribuable dans le présent litige, ne peuvent être regardées comme ayant été obtenues par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge et la circonstance qu'elles proviennent de documents volés par la personne qui a fait l'objet de la perquisition est sans incidence sur leur valeur probante.

13. D'autre part, la circonstance que la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a, pour son arrêt n° 2020/03144 du 16 décembre 2020, prononcé la nullité du procès-verbal de son audition en date du 22 mars 2017 au motif qu'il a été établi en méconnaissance des droits de la défense n'a pas pour effet de priver l'administration fiscale du droit de s'en prévaloir pour établir les impositions et n'est, a fortiori, pas de nature à elle seule, contrairement à ce que soutient l'appelant, à justifier la décharge des impositions en litige.

14. Enfin, la circonstance qu'avant même leur communication par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice dans les conditions exposées au point 1 du présent arrêt, l'administration fiscale aurait utilisé les données dérobées par l'ancien informaticien de la filiale suisse de l'établissement britannique HSBC Private Bank pour établir des fiches de synthèse individuelles n'est pas davantage de nature à entrainer la décharge des impositions contestées, qui ne se fondent pas exclusivement sur lesdites fiches de synthèse mais sur l'ensemble des éléments recueillis par l'administration pour établir l'existence et la consistance d'avoirs détenus sur des comptes non déclarés utilisés à l'étranger.

En ce qui concerne le délai de reprise :

15. Si, dans sa demande d'éclaircissements et de justifications précitée, adressée le 22 septembre 2017 à M. B..., l'administration fiscale s'est prévalue des dispositions des articles L.170 et L.188 B du livre des procédures fiscales pour revendiquer le bénéfice du délai de reprise spécial de dix ans, elle a, au stade de la proposition de rectification du 21 décembre 2017, fondé l'application de ce délai sur celles du 4ème alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'article L. 170 du même livre, dans sa version mentionnée dans la demande précitée du 22 septembre 2017, a été abrogé par la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 doit être écarté comme inopérant.

16. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction antérieure à celle résultant de l'article 58 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 : " (...)/ Le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque les obligations déclaratives prévues aux articles (...) 1649 A (...) du même code n'ont pas été respectées et concernent un Etat ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales permettant l'accès aux renseignements bancaires. Ce droit de reprise concerne les seuls revenus ou bénéfices afférents aux obligations déclaratives qui n'ont pas été respectées ". Le a du 1° du I de l'article 58 de la loi de finances rectificative pour 2011, applicable aux délais de reprise venant à expiration postérieurement au 31 décembre 2011, a supprimé la condition tenant à ce que l'Etat ou le territoire concerné ait conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales permettant l'accès aux renseignements bancaires.

17. Aux termes de l'article 1649 A du code général des impôts dans sa rédaction antérieure à celle résultant de l'article 7 de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude : " (...) Les personnes physiques, les associations, les sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger (...) / Les sommes, titres ou valeurs transférés à l'étranger ou en provenance de l'étranger par l'intermédiaire de comptes non déclarés dans les conditions prévues au deuxième alinéa constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables ". Ces dispositions, qui instaurent l'obligation, pour tout contribuable domicilié en France, de déclarer à l'administration les références de tout compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger, prévoient qu'à défaut d'une telle déclaration, les fonds ayant transité par ce compte constituent des revenus imposables, sauf pour le contribuable à apporter la preuve que les sommes en question n'entraient pas dans le champ d'application de l'impôt ou en étaient exonérées, ou qu'elles constituaient des revenus qui avaient déjà été soumis à l'impôt. Entre dans le champ de l'obligation déclarative posée par ces dispositions tout compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger par une personne physique, une association ou une société n'ayant pas la forme commerciale, domiciliée ou établie en France, quel que soit le titulaire de ce compte, y compris notamment si ce titulaire est une société commerciale. Un compte bancaire ne peut être regardé comme ayant été utilisé pour une année donnée que si l'utilisateur du compte a, au cours de cette année, effectué au moins une opération de crédit ou de débit sur ce compte.

18. Eu égard à l'objet des dispositions mentionnées aux points 16 et 17, qui visent à lutter contre l'évasion et la fraude fiscales, lorsque l'administration fiscale dispose d'éléments établissant l'utilisation de comptes non déclarés à l'étranger au titre d'une ou plusieurs années, leurs détenteurs ou leurs ayants droit sont présumés, sauf preuve contraire, avoir continué de les utiliser les années suivantes et avoir méconnu, au titre de ces années, l'obligation déclarative prévue par l'article 1649 A du code général des impôts. L'administration fiscale est alors fondée à se prévaloir du délai de reprise spécial de dix ans prévu par l'article L. 169 du livre des procédures fiscales aux fins d'imposer, le cas échéant, au titre de ces années, tant les transferts réalisés en provenance ou au bénéfice de ces comptes dissimulés que les revenus issus des avoirs y figurant.

19. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment des mentions non sérieusement contestées de la proposition de rectification du 21 décembre 2017, que le solde créditeur des sous-comptes du profil client " 32575BT " dont M. B... était co-titulaire a été porté de 17 975,06 dollars américains en novembre 2005 à 26 987,35 dollars américains en février 2007, et que, sur la même période, le solde créditeur des sous-comptes du profil client " Julis Asset Holdings Limited ", dont l'appelant était également co-titulaire, a été porté de 7 663 984,13 à 11 503 021,53 dollars américains. Ces variations attestant, au titre des années 2006 et 2007, d'une utilisation, au sens des dispositions de l'article 1649 A du code général des impôts, de ces comptes non déclarés, il appartenait au contribuable d'établir, eu égard à la présomption énoncée au point 18, l'absence d'utilisation de ces comptes au titre des années ultérieures. A cet égard, si M. B..., qui ne s'était pas spontanément prévalu de cette circonstance dans sa réponse précitée du 27 octobre 2017, ni dans ses observations responsives du 26 janvier 2018 à la proposition de rectification précitée du 21 décembre 2017, établit par la production d'attestations de la société HSBC Private Bank des 31 juillet 2018 et 19 décembre 2019, dont le contenu est corroboré par les constats du jugement, devenu définitif, rendu le 30 novembre 2022 par le tribunal correctionnel de Marseille, que les profils clients mentionnés ci-dessus ont été respectivement clôturés le 6 janvier et le 18 février 2009, il n'établit pas, ce faisant, que les sous-comptes correspondants n'auraient pas été utilisés en 2008 et 2009, et n'établit pas davantage, ni même n'allègue que la clôture des comptes en cause aurait été déclarée à l'administration fiscale dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article 1649 A du code général des impôts. En outre, il ressort des motifs, non contestés, du jugement précité du 30 novembre 2022 que les fonds détenus auprès de la société HSBC Private Bank ont, postérieurement à la clôture des comptes litigieux, été transférés " vers d'autres comptes en Suisse ", alors que, dans la présente instance, M. B... n'établit ni même n'allègue que l'ouverture et l'utilisation de ces derniers comptes auraient été déclarées à l'administration fiscale française. Dans ces conditions, et alors même que l'administration a, en l'espèce, abandonné l'application de l'amende prévue au IV de l'article 1736 du code général des impôts, le moyen tiré de ce qu'elle ne bénéficiait pas du délai de reprise de dix ans prévu par l'article L. 169 du livre des procédures fiscales en cas de méconnaissance de l'obligation déclarative prévue par l'article 1649 A du code général des impôts doit être écarté.

En ce qui concerne l'existence et le montant des revenus d'avoirs détenus à l'étranger :

20. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office, la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". Aux termes de l'article 151 du code général des impôts : " Pour l'application de l'article L. 69 du livre des procédures fiscales, l'impôt sur les revenus des avoirs à l'étranger est établi sur le produit du montant de ces avoirs par la moyenne annuelle des taux de rendement brut à l'émission des obligations des sociétés privées ".

21. D'une part, si M. B... persiste à soutenir qu'il ignorait l'existence des comptes en litige, ouverts et gérés par sa sœur Odette, il est toutefois suffisamment établi par les pièces versées au dossier, y compris par celles qu'il a lui-même produites, à savoir notamment l'ordonnance du 8 mars 2022 du vice-président chargé de l'instruction près le tribunal judiciaire de Marseille et le jugement précité rendu le 30 novembre 2022 par le tribunal correctionnel de Marseille, qu'il était légalement co-titulaire des comptes rattachés au profil client " 32575BT " et titulaire d'un pouvoir d'administration sur le profil client " Julis Asset Holdings Limited ". Dans ces conditions, la circonstance que le juge d'instruction ait, en l'absence de charges suffisantes, ordonné à son égard un non lieu sur les faits pour lesquels il était pénalement poursuivi est sans incidence sur l'appréciation des conséquences fiscales à tirer de sa qualité de co-titulaire des comptes en cause.

22. D'autre part, il ne verse aux débats aucun élément de nature à établir le caractère inexact des flux et soldes financiers identifiés par l'administration fiscale, tels que rappelés au point 19 du présent arrêt.

23. Enfin, si, comme indiqué au même point 19 du présent arrêt, il établit que les profils clients litigieux ont été clôturés respectivement les 6 janvier et 18 février 2009 et s'il produit une attestation de la société HSBC Private Bank en date du 23 janvier 2020 indiquant que le profil client " 32575BT " ne disposait plus d'avoirs au 31 décembre 2008 et que le solde du profil client " Julis Asset Holdings Limited " s'élevait, à la même date, à 159 172 dollars américains, il ne fournit cependant aucun élément de nature à démontrer que les avoirs précédemment détenus sur les sous-comptes attachés à ces profils, et dont les juridictions répressives ont tenu pour établi qu'ils avaient été transférés " vers d'autres comptes en Suisse ", auraient généré, au titre des impositions supplémentaires qui lui ont été assignées au titre des années 2009 à 2016, des revenus inférieurs à ceux que l'administration a déterminés par application des dispositions précitées de l'article 151 du code général des impôts. A cet égard, l'attestation du directeur de la Julius Bär selon laquelle sa sœur Odette serait la seule titulaire, depuis le 24 novembre 2009, du compte " 167367 / 02/01. " est dépourvue de valeur probante quant au sort de l'ensemble des fonds qui étaient détenus en février 2007 auprès de la société HSBC Private Bank.

Sur les pénalités :

24. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de :

/ a. 40 % en cas de manquement délibéré. (...) ".

25. En relevant l'importance du montant des avoirs, à l'origine inconnue, transférés sur des comptes non déclarés ouverts dans un Etat pratiquant alors un secret bancaire très strict et en soulignant que le profil client " Julis Asset Holdings Limited " avait été créé le 19 juillet 2005 dans un contexte révélant la volonté d'échapper aux conséquences de la transposition de la directive européenne n° 2003/48/CE du 3 juin 2003, l'administration établit suffisamment l'intention délibérée de M. B... d'éluder l'impôt.

26. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction nationale de vérification de situations fiscales.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marjanovic, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Gobeill, premier conseiller,

- M. Dubois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 avril 2024.

Le président rapporteur,

V. MARJANOVIC L'assesseur le plus ancien,

J.F. GOBEILL

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 22PA03237


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03237
Date de la décision : 05/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. MARJANOVIC
Rapporteur ?: M. Vladan MARJANOVIC
Rapporteur public ?: M. PERROY
Avocat(s) : LE GO

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-05;22pa03237 ?
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