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18/10/2022 | FRANCE | N°20TL02310

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 18 octobre 2022, 20TL02310


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à lui verser une indemnité de 75 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait des manquements commis par l'administration pénitentiaire.

Par un jugement n° 1805630 du 17 juin 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 juill

et 2022, sous le n° 20MA02310, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à lui verser une indemnité de 75 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait des manquements commis par l'administration pénitentiaire.

Par un jugement n° 1805630 du 17 juin 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2022, sous le n° 20MA02310, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 20TL02310, M. B..., représenté par Me Robert, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 17 juin 2020 ;

2°) de condamner l'État, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à l'indemniser à hauteur de 75 000 euros en raison du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait des manquements commis par l'administration pénitentiaire.

3°) de mettre à la charge du département de l'Hérault une somme de 2 500 € sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le tribunal a omis de se prononcer sur le moyen tiré de l'acquiescement aux faits.

Sur le bien-fondé du jugement :

- l'administration pénitentiaire à laquelle la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 impose une obligation sécurité, de protection effective de l'intégrité physique et de respect de la dignité des personnes privées de liberté et les articles D. 266 et suivants du code de procédure pénale, a commis une illégalité fautive en manquant à son devoir de surveillance et de sécurité en sa qualité de détenu ;

- l'administration pénitentiaire a également commis une illégalité fautive en méconnaissant son devoir de placement adapté des détenus garanti par les articles 717-2 et 716 du code de procédure pénale et par la circulaire du 14 avril 2011 relative à l'encellulement individuel des personnes détenues dès lors que bien qu'il soit primo délinquant et ne montrant aucun signe de dangerosité, il a partagé la même cellule de jour comme de nuit avec un détenu ayant déjà subi des incarcérations, ayant été condamné pour des faits de meurtre et présentant un comportement violent ;

- le défaut de surveillance de la part de l'administration et son placement inadapté constitue une illégalité fautive au regard de son droit à la protection de sa vie, garanti par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors que l'administration avait connaissance de la dangerosité de son codétenu ;

- l'illégalité fautive de l'administration pénitentiaire est également constituée au regard de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales lui imposant d'assurer l'intégrité physique et psychologique des détenus et de prévenir les cas de violence entre codétenus dans les prisons qu'elle aurait pu raisonnablement prévoir ;

- il a subi un préjudice moral qu'il évalue à 75 000 euros ; il ne sollicite pas la réparation de son préjudice corporel dans la présente instance.

Par une ordonnance du 22 août 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 5 septembre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique

- et les observations de Me Robert, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., écroué à la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault) le 17 janvier 2014, a été victime le 22 février, vers 2h00 du matin, d'une agression de la part de son codétenu, lequel lui a infligé une blessure à la gorge à l'aide de lames de rasoir. Il relève appel du jugement du 17 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à l'indemniser à hauteur de 75 000 euros en raison du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait des manquements commis par l'administration pénitentiaire.

Sur la régularité du jugement :

2. D'un part, en vertu de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, lorsqu'une des parties appelées à produire un mémoire dans le cadre de l'instruction n'a pas respecté le délai qui lui a été imparti à cet effet, le président de la formation de jugement du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel peut lui adresser une mise en demeure. Aux termes de l'article R. 612-6 du même code : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ".

3. D'autre part, devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci.

4. Il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif qu'ayant été mis en demeure, le 21 mai 2019, de produire en application des dispositions de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, le garde des sceaux, ministre de la justice n'a transmis un mémoire en défense que le 17 janvier 2020, soit après la clôture de l'instruction intervenue le 30 septembre 2019. Toutefois, ce mémoire du 17 janvier 2020 ayant été communiqué, l'instruction a été rouverte et clôturée le 27 février 2020.

5. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en omettant de répondre au moyen tiré de l'acquiescement aux faits, qui était inopérant, le tribunal aurait entaché son jugement d'irrégularité.

Sur la responsabilité pour faute de l'État :

6. Toute illégalité commise par l'administration constitue une faute de nature à engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice certain et que ce préjudice soit directement lié à la faute.

7. En premier lieu, M. B... se prévaut de la responsabilité pour faute de l'État du fait de manquements de l'administration pénitentiaire à ses obligations légalement garantis tant par le droit interne que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. D'une part, en vertu d'un principe rappelé par la première phrase de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ".

9. D'autre part, aux termes de l'article 12 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Les personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire constituent, sous l'autorité des personnels de direction, l'une des forces dont dispose l'État pour assurer la sécurité intérieure. / Dans le cadre de leur mission de sécurité, ils veillent au respect de l'intégrité physique des personnes privées de liberté et participent à l'individualisation de leur peine ainsi qu'à leur réinsertion. (...) ". Aux termes de l'article 44 de cette loi, alors en vigueur : " L'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels. (...) ".

10. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que la loi du 24 novembre 2009.

11. Enfin, aux termes de l'article D. 272 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Des rondes sont faites après le coucher et au cours de la nuit, suivant un horaire fixé et quotidiennement modifié par le chef de détention, sous l'autorité du chef d'établissement ". Aux termes de l'article D. 273 de ce code, alors en vigueur : " Les détenus ne peuvent garder à leur disposition aucun objet, médicament ou substance pouvant permettre ou faciliter un suicide, une agression ou une évasion, non plus qu'aucun outil dangereux en dehors du temps de travail. Au surplus, et pendant la nuit, les objets laissés habituellement en leur possession, et notamment tout ou partie de leurs vêtements, peuvent leur être retirés pour des motifs de sécurité ".

12. L'État engage sa responsabilité pour faute simple du fait du manquement de l'administration à son obligation légale de surveillance et de sécurité des détenus.

13. Il résulte de l'instruction qu'au cours de la nuit du 22 février 2014, M. B..., qui était incarcéré à la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone depuis le 17 janvier 2014, a subi des coups et blessures infligés par son codétenu au moyen de lames de rasoir alors qu'il était sous la surveillance des agents pénitentiaires. Il résulte également de l'instruction que l'intéressé partageait depuis le 28 janvier 2014 la même cellule que son agresseur conformément à la volonté exprimée par les deux protagonistes, sans qu'aucune tension particulière ait éclaté entre eux avant l'agression du 22 février 2014. En outre, il n'est pas allégué qu'elle aurait été précédée d'autres incidents perpétrés à son encontre par son codétenu ou d'informations données par l'intéressé à l'administration sur des menaces dont il aurait pu faire l'objet de la part de ce dernier. Par ailleurs, la circonstance que celui-ci avait précédemment manifesté un comportement violent à l'égard d'autres détenus et réfractaire à l'autorité, ne suffit pas à caractériser un risque certain et immédiat pour l'intégrité physique de M. B... justifiant la mise en œuvre de mesures de surveillance renforcée ou de déplacement dans une autre cellule. À cet égard, même si l'administration pénitentiaire n'ignorait pas, au vu de ses antécédents judiciaires et disciplinaires, le comportement potentiellement violent du codétenu de M. B..., elle ne pouvait cependant pas raisonnablement prévoir, compte tenu de l'absence de tensions préalables entre les deux codétenus et du caractère soudain de l'agression, que ce dernier présentait un risque d'être exposé à une atteinte portée à son intégrité physique de la part de son codétenu.

14. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que cette agression n'aurait pu être possible qu'en raison d'un défaut de surveillance des locaux concernés dès lors qu'il n'est pas même allégué que les rondes réglementaires prévues après le coucher des détenus n'auraient pas été effectuées par le personnel pénitentiaire la nuit de l'agression. En outre, l'allégation selon laquelle la première surveillante pénitentiaire aurait déclaré lors du procès de cour d'assises qui s'est tenu du 15 au 17 octobre 2018, qu'un " défaut de surveillance lui aurait été reproché par sa hiérarchie ", n'est pas établie. Enfin, la possession par l'auteur de l'agression de lames de rasoir, et le fait qu'il les a utilisées comme une arme contre M. B... ne révèle aucune faute du personnel de surveillance, y compris en ce qui concerne le respect des règles de fouille des détenus dès lors, notamment, ainsi que le préconise l'Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, qu'il est d'usage que les hommes détenus aient à disposition des outils de rasage pour pouvoir entretenir leur barbe.

15. Il résulte de tout ce qui précède que compte tenu des informations dont elle disposait, qui ne pouvaient laisser présager une agression imminente, l'administration pénitentiaire n'a commis aucun manquement à son obligation légale de surveillance et de sécurité propre à assurer l'intégrité physique de M. B.... Par suite, ce dernier n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de l'État pour faute à ce titre.

16. En second lieu, l'appelant se prévaut de la responsabilité pour faute de l'État du fait de son placement en cellule collective par l'administration pénitentiaire en méconnaissance des articles 717-2 et 716 du code de procédure pénale et de la circulaire du 14 avril 2011 relative à l'encellulement individuel des personnes détenues.

17. Aux termes de l'article 717-2 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Les condamnés sont soumis dans les maisons d'arrêt à l'emprisonnement individuel du jour et de nuit, et dans les établissements pour peines, à l'isolement de nuit seulement, après avoir subi éventuellement une période d'observation en cellule. Il ne peut être dérogé à ce principe que si les intéressés en font la demande ou si leur personnalité justifie que, dans leur intérêt, ils ne soient pas laissés seuls, ou en raison des nécessités d'organisation du travail ". Aux termes de l'article 716 de ce code : " Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés en cellule individuelle. Il ne peut être dérogé à ce principe que dans les cas suivants : 1° Si les intéressés en font la demande ; (...) ". La circulaire du 14 avril 2011 relative à l'encellulement individuel des personnes détenues qui réaffirme pour les condamnés le principe énoncé à l'article 717-2 alinéa 1 du code de procédure pénale aux termes duquel les personnes condamnées sont soumises, dans les maisons d'arrêt, à l'emprisonnement individuel de jour et de nuit et prévoit qu'il peut être dérogé à ce principe pour les personnes détenues qui demandent à être placée en cellule collective, n'apporte pas d'interprétation de la loi pénale différente de celle dont fait application les articles 717-2 et 716 du code de procédure pénale.

18. Il résulte de l'instruction que M. B... partageait depuis le 28 janvier 2014 la même cellule que son agresseur conformément à la demande des deux protagonistes. Dès lors et en tout état de cause, sans méconnaître les dispositions des articles 717-2 et 716 du code de procédure pénale, il pouvait être dérogé au principe de l'emprisonnement individuel de jour et de nuit. Il en résulte que l'administration n'a commis aucune illégalité fautive du fait du placement de M. B... en cellule collective. Par suite, M. B... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de l'État pour faute à ce titre.

19. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander la condamnation de l'État, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à l'indemniser à hauteur de 75 000 euros en raison du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait des manquements commis par l'administration pénitentiaire. Dès lors, sa requête doit être rejetée et il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président de chambre,

M. Bentolila, président assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2022.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20TL02310


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL02310
Date de la décision : 18/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-091 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Services pénitentiaires.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Karine BELTRAMI
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : SELARL GAILLARD ROBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-10-18;20tl02310 ?
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