La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/01/2023 | FRANCE | N°20TL21373

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 4ème chambre, 19 janvier 2023, 20TL21373


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 avril 2020 sous le n° 20BX01373 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 20TL21373 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, puis un mémoire en réplique enregistré le 14 mai 2021, la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain, représentée par Me Guiheux, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 12 février 2020 par lequel la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale

pour l'exploitation d'un parc éolien composé de trois aérogénérateurs sur le territ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 avril 2020 sous le n° 20BX01373 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 20TL21373 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, puis un mémoire en réplique enregistré le 14 mai 2021, la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain, représentée par Me Guiheux, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 12 février 2020 par lequel la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour l'exploitation d'un parc éolien composé de trois aérogénérateurs sur le territoire de la commune de L'Isle-Jourdain ;

2°) à titre principal, de lui délivrer l'autorisation environnementale sollicitée, au titre de ses pouvoirs de plein contentieux, en l'assortissant des conditions nécessaires à l'exploitation du parc éolien ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'autorité préfectorale de lui octroyer l'autorisation sollicitée ou, à titre infiniment subsidiaire, de prendre une nouvelle décision ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé, notamment en ce qui concerne les atteintes portées par le projet au paysage et au patrimoine ;

- la préfète de la Vienne a commis une erreur de droit en se croyant liée par des avis simples défavorables au projet de parc éolien pour rejeter la demande d'autorisation ;

- la préfète a commis une erreur de droit ainsi qu'une erreur de fait en lui opposant l'insuffisance de l'étude d'impact s'agissant de la prise en compte des impacts cumulés de l'installation avec le parc éolien de La Croix de Mérotte récemment autorisé ;

- l'arrêté litigieux est entaché d'erreurs d'appréciation en ce qui concerne les impacts paysagers du projet alors que le site d'implantation ne présente pas un intérêt particulier ; le projet n'entraîne pas des incidences irréversibles sur le paysage ; les perceptions visuelles depuis les lieux de vie et les monuments historiques restent limitées ; les rapports d'échelle ne sont pas disproportionnés ; les impacts cumulés du projet avec les parcs éoliens voisins sont réduits ; les risques d'encerclement et de saturation visuelle sont mesurés ; les impacts du balisage lumineux et des mouvements de pales sont faibles ;

- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de fait en l'absence d'habitation implantée à moins de 500 mètres des lieux d'implantation des aérogénérateurs ;

- en outre, le motif invoqué par le ministre en défense tiré de l'augmentation de l'effet barrière sur l'avifaune ne figurait pas dans l'arrêté attaqué et n'est pas fondé.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 avril 2021, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens invoqués par la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain ne sont pas fondés et que le projet de parc éolien en litige est, en outre, de nature à augmenter l'effet barrière sur l'avifaune migratrice.

Par une ordonnance en date du 17 mai 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 juin 2021.

Par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 11 avril 2022, le jugement de la requête de la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain a été attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté ministériel du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- les observations de Mme A..., représentant la société requérante.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain projette d'implanter et d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent constituée de trois aérogénérateurs présentant une hauteur de 179,5 mètres et une puissance de trois mégawatts sur le territoire de la commune de L'Isle-Jourdain (Vienne). Elle a sollicité le 15 décembre 2017 l'autorisation environnementale nécessaire pour mener à bien ce projet. La société pétitionnaire a apporté des compléments au dossier de demande les 3 janvier 2018 et 30 août 2018. La mission régionale d'autorité environnementale a rendu son avis sur le dossier le 10 janvier 2019 et l'enquête publique s'est déroulée du 20 février 2019 au 26 mars 2019. Par la présente requête, la société Ferme éolienne de l'Isle-Jourdain demande l'annulation de l'arrêté du 12 février 2020 par lequel la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer cette autorisation environnementale.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué :

2. Il ressort de la motivation de l'arrêté du 12 février 2020 que, pour refuser de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée par la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain, la préfète de la Vienne s'est fondée, d'une part, sur ce que l'étude d'impact produite par la société pétitionnaire n'avait pas pris en compte les incidences cumulées du projet avec un parc éolien voisin récemment autorisé, d'autre part, sur ce que ledit projet était, tant par lui-même qu'en raison de ses impacts cumulés avec les parcs éoliens avoisinants, de nature à porter atteinte au paysage et au patrimoine environnants et, enfin, sur ce qu'une maison d'habitation était située à moins de 500 mètres de distance des lieux d'implantation envisagés pour les éoliennes.

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable à la date de la demande d'autorisation en litige : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / II. - En application du 2° du II de l'article L. 122-3, l'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : / (...) / 5° Une description des incidences notables que le projet est susceptible d'avoir sur l'environnement résultant, entre autres : / (...) e) Du cumul des incidences avec d'autres projets existants ou approuvés, en tenant compte le cas échéant des problèmes environnementaux relatifs à l'utilisation des ressources naturelles et des zones revêtant une importance particulière pour l'environnement susceptibles d'être touchées. Ces projets sont ceux qui, lors du dépôt de l'étude d'impact : / (...) - ont fait l'objet d'une évaluation environnementale au titre du présent code et pour lesquels un avis de l'autorité environnementale a été rendu public. (...) ".

4. Il n'est pas contesté que le projet de parc éolien de La Croix de Mérotte, prévoyant l'édification de quatre aérogénérateurs sur le territoire de la commune voisine de Millac, n'avait pas encore fait l'objet d'une évaluation environnementale lorsque la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain a déposé sa demande d'autorisation le 15 décembre 2017. La version initiale de l'étude d'impact n'a donc pas pris en considération ce projet dans le cadre de l'évaluation des incidences cumulées exigée par les dispositions précitées du 5° de l'article R. 122-5 du code de l'environnement. S'il est vrai que la préfecture de la Vienne a rendu public le 16 juillet 2018 l'avis de l'autorité environnementale concernant l'installation de La Croix de Mérotte et que la nouvelle version de l'étude d'impact produite par la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain le 30 août 2018 n'en faisait toujours pas état, il résulte de l'instruction que la société requérante a rédigé une note complémentaire en réponse aux questions préalables du commissaire enquêteur, laquelle comporte une actualisation de la cartographie et des photomontages incluant le projet de La Croix de Mérotte et a été intégrée dans le dossier soumis à enquête publique. La circonstance invoquée par la ministre en défense que cette note complémentaire n'a pas également procédé à la réédition de l'ensemble des cartes relatives aux risques d'effets d'encerclement n'est pas de nature à caractériser une lacune de l'étude d'impact, dès lors que les nouveaux photomontages permettaient d'apprécier les impacts cumulés du projet avec le parc de La Croix de Mérotte à partir des principaux points de vue potentiellement concernés. Dans ces conditions, l'autorité préfectorale a commis une erreur de fait en reprochant à la société pétitionnaire de n'avoir pas pris en compte le projet de La Croix de Mérotte dans l'analyse des impacts cumulés.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". Et aux termes de l'article L. 511-1 du même code, régissant les installations classées pour la protection de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

6. Pour statuer sur une demande d'autorisation environnementale, il appartient à l'autorité administrative compétente de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages et de conservation des sites et des monuments. Pour rechercher si l'existence d'une atteinte à un paysage ou à la conservation des sites et des monuments est de nature à justifier un refus d'autorisation environnementale ou les prescriptions spéciales accompagnant sa délivrance, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage au sein duquel l'installation concernée est projetée, puis d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le paysage ou sur les monuments.

7. D'une part, il résulte de l'instruction et notamment des indications contenues dans l'étude d'impact que les trois éoliennes projetées doivent être implantées sur un site localisé à près d'1,5 kilomètre à l'est du bourg de la commune de L'Isle-Jourdain, au sein d'un paysage rural et bocager caractéristique de la Charente limousine, situé entre la vallée de la Vienne et la vallée de la Grande Blourde. Les environs se caractérisent principalement par la présence de prairies et de haies boisées et l'aire d'étude rapprochée du projet ne comporte qu'un seul monument historique inscrit, à savoir l'église Saint-Paixent de L'Isle-Jourdain, les autres éléments patrimoniaux répertoriés se situant à au moins cinq kilomètres de l'emplacement projeté. Enfin, la zone d'implantation retenue par la société pétitionnaire est déjà marquée par la présence de deux sites éoliens comportant cinq aérogénérateurs chacun, le parc d'Adriers et le parc des Terres Froides, distants d'environ trois kilomètres de l'installation envisagée. Même s'il n'est pas dépourvu de tout intérêt, le paysage environnant ne présente donc pas un caractère remarquable. Il ne fait d'ailleurs l'objet d'aucune protection légale ou règlementaire.

8. D'autre part, il résulte également de l'instruction et notamment des trente-deux photomontages inclus dans l'étude d'impact, que les impacts paysagers des éoliennes projetées sont atténués par leur positionnement en ligne et par leur éloignement de 230 mètres les unes par rapport aux autres. En particulier, les photomontages n° 18 et n° 19, réalisés depuis les abords du viaduc de L'Isle-Jourdain et depuis le parcours pédestre aménagé sur cet ouvrage, révèlent que les trois aérogénérateurs n'y seront visibles que partiellement au-dessus du bourg-centre et de la vallée de la Vienne, sans engendrer un effet de surplomb vis-à-vis du noyau ancien et sans dégrader significativement les perspectives visuelles pour les promeneurs. Le photomontage n° 16, présenté à partir du hameau de Bourpeuil situé de l'autre côté de la vallée, ne fait pas non plus ressortir un impact paysager significatif, dès lors notamment que les machines sont en partie masquées par la végétation existante. De même, si l'arrêté attaqué rappelle la proximité de l'église de Saint-Paixent distante d'1,5 kilomètre du site d'implantation du projet, le photomontage n° 25 montre que seul le sommet des pales des éoliennes est susceptible d'être perçu depuis le cimetière adjacent à ce monument inscrit, lequel reste largement protégé par la présence de masques bâtis ou végétaux. La société pétitionnaire a également proposé, à titre de mesure de compensation, le renforcement des plantations aux abords de ladite église. Le projet n'apparaît en outre pas de nature à avoir une quelconque incidence sur les autres éléments de patrimoine, lesquels sont nettement plus éloignés du lieu d'implantation envisagé.

9. Par ailleurs, malgré leur hauteur culminant à 179,50 mètres en bout de pale, il ne résulte pas de l'instruction que les éoliennes prévues par la société requérante présenteraient un rapport d'échelle disproportionné par rapport à leur environnement immédiat. Il n'en résulte pas davantage que leur balisage lumineux ou les mouvements de leurs pales seraient de nature à provoquer des inconvénients excessifs pour les lieux de vie voisins. En outre, la mise en place de telles installations ne peut être regardée comme ayant un impact irréversible sur le paysage et le milieu naturel, dès lors que l'exploitant est légalement tenu à une obligation de remise en état du site au terme de l'autorisation, ce qui est au demeurant rappelé dans l'étude d'impact.

10. Enfin, s'il existe déjà cinq parcs éoliens installés ou en projet dans un rayon de dix kilomètres autour du site envisagé, l'étude d'impact et la note complémentaire mentionnée au point 4 du présent arrêt présentent une analyse des incidences cumulées de l'ensemble de ces installations, y compris le projet de La Croix de Mérotte ainsi qu'il a été rappelé. Il ressort notamment des photomontages produits que les impacts des covisibilités possibles entre les installations actuelles ou à venir restent modérés, compte tenu de la distance les séparant et de l'existence de masques végétaux. La société pétitionnaire a également procédé à une étude des risques d'effets d'encerclement et de saturation visuelle susceptibles d'être engendrés par la multiplication des éoliennes pour les lieux de vie les plus proches. Les indices calculés selon les méthodes préconisées par les pouvoirs publics ne mettent pas en évidence de tels effets pour les huit hameaux examinés. Il est vrai que ces analyses n'ont pas été intégralement actualisées avec la prise en compte du projet de La Croix de Mérotte, mais, d'une part, la note complémentaire sus-évoquée contient une simulation complète depuis le bourg de L'Isle-Jourdain et, d'autre part, les nouveaux photomontages réalisés depuis les lieux-dits Les Bordes et Chaumeil, lesquels sont les plus susceptibles d'être impactés compte tenu de leur proximité avec le site, ne permettent pas de retenir l'existence d'un réel effet d'encerclement ou de saturation visuelle.

11. Eu égard à l'ensemble des éléments exposés aux points 7 à 10 ci-dessus et alors au surplus que la mission régionale d'autorité environnementale n'avait émis aucune réserve sur ce point dans son avis rendu le 10 janvier 2019, la société requérante est fondée à soutenir que la préfète de la Vienne a commis une erreur d'appréciation en considérant que le projet était de nature à porter atteinte à l'exigence de protection des paysages et de conservation des sites et des monuments prescrite par les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 515-44 du code de l'environnement dont les dispositions ont remplacé sur ce point celles de l'ancien article L. 553-1 du même code : " (...) Les installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent dont la hauteur des mâts dépasse 50 mètres sont soumises à autorisation au titre de l'article L. 511-2, au plus tard le 12 juillet 2011. La délivrance de l'autorisation d'exploiter est subordonnée au respect d'une distance d'éloignement entre les installations et les constructions à usage d'habitation, les immeubles habités et les zones destinées à l'habitation définies dans les documents d'urbanisme en vigueur au 13 juillet 2010 et ayant encore cette destination dans les documents d'urbanisme en vigueur, cette distance étant, appréciée au regard de l'étude d'impact prévue à l'article L. 122-1. Elle est au minimum fixée à 500 mètres. (...) ". Par ailleurs, selon l'article 3 de l'arrêté du 26 août 2011 susvisé : " (...) II. - Les distances d'éloignement sont mesurées à partir de la base du mât de chaque aérogénérateur de l'installation. (...) ".

13. L'arrêté attaqué mentionne la présence d'une " habitation " située à proximité de l'étang des Grellières, à moins de 500 mètres de l'emplacement prévu pour le parc éolien en litige. Il ressort du rapport du commissaire enquêteur et des écritures de la ministre que le propriétaire de ce plan d'eau s'est manifesté au cours de l'enquête publique pour se prévaloir de l'existence d'une résidence secondaire implantée sur les rives de l'étang. Toutefois, d'une part, la société pétitionnaire soutient que la commune de L'Isle-Jourdain n'avait pas fait état de la présence d'un lieu habité lors des échanges préalables intervenus en 2015 et que la visite des lieux réalisée à l'époque avait permis d'exclure une telle qualification au vu des caractéristiques matérielles de la construction en cause, laquelle s'apparentait à une simple cabane. D'autre part, si le propriétaire de l'étang a prétendu que le bâtiment concerné datait du début du XXème siècle, la société requérante a produit une photographie aérienne du site datant de l'année 1950, sur laquelle aucune construction n'apparaît. Il est par ailleurs constant que le terrain d'assiette du bâtiment invoqué n'est pas desservi par les réseaux publics d'eau et d'assainissement. Enfin, bien que le commissaire enquêteur se soit rendu sur les lieux à la suite du signalement réalisé par le propriétaire, il n'a pas retenu la qualification d'habitation tout en soulignant que le cadastre identifiait cette construction comme un simple " bâtiment léger ". Dans ces conditions, la seule production d'une lettre dudit propriétaire datée du 9 novembre 2019, accompagnée de la copie de la déclaration effectuée le 7 mai 2019 auprès des services fiscaux, mentionnant une résidence secondaire d'une surface de 43,60 m2 raccordée au réseau d'électricité, mais alimentée en eau par un puits et dépourvue de tout assainissement, ne saurait être regardée comme suffisante pour retenir qu'il existerait une construction à usage d'habitation située à moins de 500 mètres de l'une des éoliennes projetées. Par conséquent, la société pétitionnaire est fondée à soutenir que la préfète de la Vienne a commis une erreur de fait en lui opposant une telle circonstance.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les motifs de refus tirés de l'insuffisance de l'étude d'impact, de l'atteinte portée au paysage et au patrimoine et de la présence d'une habitation n'étaient pas de nature à justifier légalement l'arrêté du 12 février 2020.

15. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge administratif que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif de droit ou de fait autre que ceux initialement indiqués, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision contestée, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif ainsi substitué.

16. La ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires peut être regardée comme demandant à la cour de substituer aux motifs énoncés dans l'arrêté préfectoral litigieux le motif tiré de ce que le projet de la société requérante est de nature à augmenter l'effet barrière pour l'avifaune migratrice. Il résulte cependant de l'instruction que les éoliennes n'ont vocation à empiéter que de manière réduite sur l'axe de migration de l'avifaune et qu'elles seront implantées sur une ligne parallèle à cet axe. Il en résulte également que le parc éolien de L'Isle-Jourdain sera suffisamment éloigné des parcs existants pour permettre le passage de l'avifaune. Ainsi, le projet litigieux n'apparaît pas susceptible d'avoir une incidence significative sur la circulation des oiseaux migrateurs. De surcroît, la société pétitionnaire s'est engagée à mettre en œuvre un suivi spécifique pour la population de grues cendrées et de mettre à l'arrêt les machines lors des vagues migratoires de cette espèce en cas d'impact avéré. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de substitution de motif présentée par la ministre.

17. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la présente requête, que la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain est fondée à demander l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Vienne du 12 février 2020.

Sur les conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation :

18. En vertu de l'article L. 181-17 du code de l'environnement, les décisions par lesquelles l'autorité administrative accorde ou refuse une autorisation environnementale sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. Lorsqu'il statue sur le fondement de cet article, le juge a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il estime indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour fixer ces conditions.

19. Eu égard aux motifs retenus par le présent arrêt pour prononcer l'annulation de l'arrêté en litige et alors qu'il ne résulte de l'instruction aucun autre motif de nature à justifier légalement le refus de l'autorisation sollicitée par la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain, il y a lieu pour la cour de mettre en œuvre ses pouvoirs de pleine juridiction en délivrant à ladite société l'autorisation d'exploiter l'installation présentée dans son dossier de demande déposé le 15 décembre 2017. Il y a lieu, par ailleurs, de renvoyer la société devant le préfet de la Vienne en vue de la détermination des conditions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il est enjoint au préfet de fixer les prescriptions nécessaires dans un délai de quatre mois suivant la date de notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain et non compris dans les dépens, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêté de la préfète de la Vienne du 12 février 2020 est annulé.

Article 2 : La société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain est autorisée à exploiter l'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent présentée dans sa demande du 15 décembre 2017 sur le territoire de la commune de L'Isle-Jourdain.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Vienne de fixer par arrêté les conditions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement et ce dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme éolienne de L'Isle-Jourdain, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

D. Chabert

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20TL21373


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL21373
Date de la décision : 19/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Energie.

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Florian JAZERON
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : CABINET VOLTA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-01-19;20tl21373 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award