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21/02/2023 | FRANCE | N°20TL22624

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 21 février 2023, 20TL22624


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :

1°) d'annuler la décision du 28 juin 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Lavaur a abrogé la protection fonctionnelle qu'il lui avait octroyée, la décision du 4 juillet 2018 par laquelle il a refusé de prendre en charge une facture d'honoraires d'avocat et la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 30 juillet 2018 ;

2°) d'enjoindre au centre hospitalier de Lavaur de régler les factures don

t il a assumé le paiement conformément à ses demandes du 18 juin 2018 et de rembourse...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :

1°) d'annuler la décision du 28 juin 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Lavaur a abrogé la protection fonctionnelle qu'il lui avait octroyée, la décision du 4 juillet 2018 par laquelle il a refusé de prendre en charge une facture d'honoraires d'avocat et la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 30 juillet 2018 ;

2°) d'enjoindre au centre hospitalier de Lavaur de régler les factures dont il a assumé le paiement conformément à ses demandes du 18 juin 2018 et de rembourser les factures à intervenir pour sa défense dans la procédure d'appel en cours ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Lavaur à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1805693 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 août 2020 sous le n° 20BX02624 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 20TL22624, M. B... A..., représenté par Me Duverneuil, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 juin 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 28 juin 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Lavaur a abrogé la protection fonctionnelle qu'il lui avait octroyée, la décision du 4 juillet 2018 par laquelle il a refusé de prendre en charge une facture d'honoraires d'avocat et la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 30 juillet 2018 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lavaur une somme de 2 600 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'erreur d'appréciation des faits qui lui étaient soumis, en ce que les faits reprochés par certains agents de l'établissement étaient identiques à ceux qui avaient été pris en compte pour lui accorder la protection fonctionnelle le 3 mars 2017 et qu'il bénéficie encore à ce jour de la présomption d'innocence ; aucune faute personnelle ou disciplinaire ne peut être retenue à son encontre tant que le juge pénal ou disciplinaire n'a pas définitivement statué ;

- c'est à tort que le jugement considère que la décision du 28 juin 2018 n'a pas d'effet rétroactif illégal ;

- c'est également à tort qu'il considère comme infondée sa demande en annulation du courrier du 4 juillet 2018 refusant de faire droit à sa demande de prise en charge des honoraires de son avocat : le courrier du 18 mai 2017 et la décision du 3 mars 2017 n'ont pas subordonné la prise en charge de ses honoraires d'avocat à la présentation préalable de devis devant être acceptés.

Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse la requête de M. A....

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2022, le centre hospitalier de Lavaur, représenté par Me Hirtzlin-Pinçon, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de M. A... le versement de la somme de 3 500 euros hors taxes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par ordonnance du 23 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 18 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de Me Duverneuil, représentant M. A..., et de Me Hirtzlin-Pinçon, représentant le centre hospitalier de Lavaur.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., praticien hospitalier dans la spécialité anesthésiologie-réanimation chirurgicale, a été affecté à temps plein au centre hospitalier de Lavaur à compter de l'année 2000. Il a fait l'objet, à compter du mois de décembre 2016, de signalements et de plaintes initiés par plusieurs agents de l'établissement hospitalier pour des faits de harcèlement sexuel et moral. Le 2 février 2017, M. A... a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par décision du 3 mars 2017, le directeur du centre hospitalier a fait droit à sa demande. M. A... a été placé en garde à vue les 9 et 10 avril 2018. Par une ordonnance du 26 avril 2018, le vice-président du tribunal de grande instance de Castres l'a placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer la profession de médecin anesthésiste et d'entrer en relation avec quatre agents du centre hospitalier de Lavaur. Le 18 juin 2018, M. A... a demandé au centre hospitalier le remboursement de la facture d'honoraires qu'il avait acquittée au titre des diligences accomplies par son avocate lors de sa garde à vue. Le 28 juin 2018, le directeur du centre hospitalier de Lavaur a décidé, au vu des incriminations pénales ressortant de l'enquête du ministère public et du renvoi de l'intéressé devant le tribunal correctionnel, d'abroger la protection fonctionnelle octroyée à M. A.... Par une seconde décision du 4 juillet 2018, le directeur l'a informé de son refus de prendre en charge la facture d'honoraires de son avocate, en l'absence de devis accepté par le centre hospitalier. Le 30 juillet 2018, M. A... a formé, par l'intermédiaire de son conseil, un recours gracieux contre ces décisions. M. A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les décisions du 28 juin 2018 et du 4 juillet 2018 ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Il relève appel du jugement du 11 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.

Sur la légalité de la décision d'abrogation de la protection fonctionnelle :

2. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui est applicable aux praticiens hospitaliers en vertu des dispositions de l'article L. 6152-4 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. II.- Lorsque le fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d'attribution n'a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions n'est pas imputable au fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui. III.- Lorsque le fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. (...). La collectivité publique est également tenue de protéger le fonctionnaire qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale. IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté... ".

3. Si le caractère d'acte créateur de droits de la décision accordant la protection prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires fait obstacle à ce que l'administration puisse légalement retirer, plus de quatre mois après sa signature, une telle décision, hormis dans l'hypothèse où celle-ci aurait été obtenue par fraude, l'autorité administrative peut mettre fin à cette protection pour l'avenir si elle constate à la lumière d'éléments nouvellement portés à sa connaissance que les conditions de la protection fonctionnelle n'étaient pas réunies ou ne le sont plus, notamment si ces éléments permettent de révéler l'existence d'une faute personnelle ou que les faits allégués à l'appui de la demande de protection ne sont pas établis.

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite des signalements et plaintes initiés par plusieurs agents du centre hospitalier de Lavaur à l'encontre de M. A... à compter du mois de décembre 2016, l'appelant a été placé en garde à vue les 9 et 10 avril 2018, avant d'être placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer la profession de médecin anesthésiste et d'entrer en relation avec quatre agents de l'établissement par ordonnance du 26 avril 2018 du vice-président du tribunal de grande instance de Castres. Il résulte des termes de cette ordonnance que M. A... est prévenu des chefs d'avoir imposé à un agent du centre hospitalier de façon répétée des propos ou comportements à connotation sexuelle, en lui faisant notamment des propositions de nature sexuelle et des remarques dégradantes à connotation sexuelle devant des tiers, d'avoir commis des atteintes sexuelles avec violence, contrainte, menace ou surprise sur la personne de ce même agent, notamment en l'embrassant sur la bouche, et d'avoir harcelé trois autres agents, en dénigrant leur travail, en leur faisant des reproches injustifiés, en les faisant travailler sous une pression constante et en s'adressant à eux en criant. Au regard de ces éléments ainsi que des incriminations pénales ressortant de l'enquête du ministère public, du renvoi de M. A... devant le tribunal correctionnel de Castres le 4 septembre 2018 et en raison de l'extrême gravité des fautes retenues par le ministère public et du caractère détachable du service des fautes couvertes par ces incriminations, le directeur du centre hospitalier de Lavaur a décidé, le 28 juin 2018, d'abroger la décision du 3 mars 2017 qui lui avait octroyé la protection fonctionnelle. L'ensemble de ces événements, lesquels sont postérieurs à la décision accordant à M. A... le bénéfice de la protection fonctionnelle, constituent des éléments nouvellement portés à la connaissance de l'administration permettant de révéler l'existence de fautes personnelles à l'origine de l'engagement de la procédure pénale. Par suite, ces éléments permettaient au directeur du centre hospitalier de Lavaur de constater que les conditions de la protection fonctionnelle n'étaient plus réunies et d'abroger la décision du 3 mars 2017, sans qu'y fasse obstacle le principe de la présomption d'innocence reconnu par l'article 9-1 du code civil. Contrairement à ce que persiste à soutenir M. A..., le directeur du centre hospitalier n'était pas tenu d'attendre l'issue des poursuites pénales engagées à son encontre pour abroger la décision lui accordant la protection fonctionnelle.

5. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de l'article 2 de la décision du 28 juin 2018 que le retrait de la protection fonctionnelle précédemment octroyée à M. A... est " d'application immédiate au jour de la notification ". Dès lors, cette décision est dépourvue de tout effet rétroactif.

Sur la légalité de la décision de refus de prise en charge de frais d'honoraires de son avocate :

6. Il résulte des dispositions énoncées au point 2 que lorsque le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, il bénéficie d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. En l'absence de convention conclue entre la collectivité publique concernée, l'avocat désigné ou accepté par l'agent bénéficiaire de la protection fonctionnelle et, le cas échéant, cet agent, il ne ressort d'aucun texte ni d'aucun principe que cette collectivité publique pourrait limiter a priori le montant des remboursements alloués à l'agent bénéficiaire de la protection fonctionnelle. Ce montant est calculé au regard des pièces et des justificatifs produits et de l'utilité des actes ainsi tarifés dans le cadre de la procédure judiciaire. L'administration peut toutefois décider, sous le contrôle du juge, de ne rembourser à son agent qu'une partie seulement des frais engagés lorsque le montant des honoraires réglés apparaît manifestement excessif au regard, notamment, des pratiques tarifaires généralement observées dans la profession, des prestations effectivement accomplies par le conseil pour le compte de son client ou encore de l'absence de complexité particulière du dossier.

7. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier adressé à M. A... le 18 mai 2017, le directeur du centre hospitalier de Lavaur l'a informé des modalités de prise en charge de ses frais de conseil pris auprès d'un avocat dans le cadre de la protection fonctionnelle. Dès lors que l'appelant n'avait pas choisi de faire appel à l'avocat de l'assureur du centre hospitalier et sollicité un autre avocat, l'établissement indiquait qu'il pouvait négocier et payer directement les honoraires à l'avocat choisi, et qu'en cas de règlement par le bénéficiaire de la protection, la demande de remboursement des frais par le centre hospitalier s'effectuait sur la base d'un tarif accepté. Si M. A... a adressé au centre hospitalier le 18 juin 2018 une demande de remboursement des honoraires d'avocat dont il s'est acquitté au titre des diligences accomplies lors de sa garde à vue des 9 et 10 avril 2018, il ne justifie ni même n'allègue qu'il aurait préalablement recueilli l'accord de l'établissement sur les tarifs pratiqués par son conseil, ainsi qu'il lui avait été demandé. Par suite, le centre hospitalier de Lavaur pouvait refuser de prendre en charge les frais d'honoraires de son conseil pour ce motif.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.

Sur les frais de l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Lavaur, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Lavaur et non compris dans les dépens. En revanche, en l'absence de dépens au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les conclusions du centre hospitalier de Lavaur relatives à la charge des dépens ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... versera au centre hospitalier de Lavaur la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions du centre hospitalier de Lavaur relatives à la charge des dépens sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au centre hospitalier de Lavaur.

Délibéré après l'audience du 7 février 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 février 2023.

La rapporteure,

A. Blin

La présidente,

A. Geslan-Demaret La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N°20TL22624 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL22624
Date de la décision : 21/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers. - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Anne BLIN
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : CABINET VACARIE et DUVERNEUIL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-02-21;20tl22624 ?
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