La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/01/2024 | FRANCE | N°22TL20761

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 25 janvier 2024, 22TL20761


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Le jardin d'Emilie a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la restitution de la cotisation primitive de taxe sur les salaires qu'il a acquittée au titre de l'année 2018 à concurrence de 235 364 euros ainsi que le remboursement d'un crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi au titre de la même année à concurrence de 252 478 euros.



Par un jugement n° 2000291 d

u 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé la restitution à l'établissement Le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Le jardin d'Emilie a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la restitution de la cotisation primitive de taxe sur les salaires qu'il a acquittée au titre de l'année 2018 à concurrence de 235 364 euros ainsi que le remboursement d'un crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi au titre de la même année à concurrence de 252 478 euros.

Par un jugement n° 2000291 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé la restitution à l'établissement Le jardin d'Emilie de la cotisation primitive de taxe sur les salaires qu'il a acquittée au titre de l'année 2018 à concurrence de 235 364 euros, et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés 10 mars 2022 et le 20 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement ;

2°) d'ordonner le remboursement de la cotisation de taxe sur les salaires restituée à l'établissement Le jardin d'Emilie au titre de l'année 2018, pour un montant de 235 364 euros.

Il soutient que l'activité de cet établissement n'est pas assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée dès lors, d'une part, qu'il exerce son activité en agissant en tant qu'autorité publique et, d'autre part, que ce non-assujettissement ne crée pas de distorsion de concurrence d'une certaine importance, de sorte qu'il est assujetti à la taxe sur les salaires.

Par ordonnance du 5 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 30 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Restino,

- et les conclusions de M. Clen, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'établissement public d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Le jardin d'Emilie, situé à Caussade (Tarn-et-Garonne), a sollicité la restitution de la cotisation primitive de taxe sur les salaires qu'il a acquittée au titre de l'année 2018 à concurrence de 235 364 euros ainsi que le remboursement d'un crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi au titre de la même année à concurrence de 252 478 euros. Après le rejet de sa réclamation, l'établissement a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer cette restitution et ce remboursement. Par un jugement du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Toulouse a fait droit à sa demande de restitution de la cotisation de taxe sur les salaires, à hauteur de 235 364 euros, et rejeté le surplus de sa demande. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel de ce jugement en tant qu'il a accordé à l'établissement Le jardin d'Emilie la restitution de la cotisation primitive de taxe sur les salaires acquittée au titre de l'année 2018 à concurrence de 235 364 euros.

Sur le moyen de décharge retenu par le tribunal administratif de Toulouse :

2. D'une part, aux termes du 1 de l'article 231 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Les sommes payées à titre de rémunérations aux salariés sont soumises à une taxe au taux de 4,25 %. Les sommes prises en compte sont celles retenues pour la détermination de l'assiette de la contribution prévue à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, à l'exception des avantages mentionnés aux I des articles 80 bis et 80 quaterdecies du présent code. La réduction mentionnée au I de l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale n'est pas applicable. Cette taxe est à la charge des entreprises et organismes qui emploient ces salariés (...) qui paient ces rémunérations lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 13 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions. / Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance. (...) / 2. Les États membres peuvent considérer comme activités de l'autorité publique les activités des organismes de droit public, lorsqu'elles sont exonérées en vertu des articles 132 (...) ". Aux termes du g du 1 de l'article 132 de cette directive, les États membres exonèrent de la taxe sur la valeur ajoutée " les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'aide et à la sécurité sociales, y compris celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'État membre concerné (...) ".

4. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 256 B du même code : " Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services (...) sociaux (...) lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence ". Aux termes du b du 1° du 7 de l'article 261 du même code, sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée " les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient (...) ".

5. Il résulte des dispositions citées au point 3, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 29 octobre 2015 (C-174/14) Saudaçor - Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA, que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévu en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d'une part, à ce que l'activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et, d'autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.

6. La condition selon laquelle l'activité économique est réalisée par l'organisme public en tant qu'autorité publique est remplie, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, lorsque l'activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l'activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en œuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l'activité est accomplie en raison d'une obligation légale ou dans le cadre d'un monopole ou encore lorsqu'elle relève par nature des attributions d'une personne publique. Cette condition peut également, si la législation de l'Etat membre le prévoit, être regardée comme remplie lorsque l'activité exercée est exonérée en application, notamment, de l'article 132 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006. Si cette condition n'est pas remplie, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité économique, sans préjudice des éventuelles exonérations applicables.

7. Aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles : " I.- Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : (...) 6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées (...) ". Aux termes de l'article L. 314-2 du même code, les établissements assurant l'hébergement des personnes âgées mentionnées au 6° du I de l'article L. 312-1 du même code " sont financés par : (...) 3° Des tarifs journaliers afférents aux prestations relatives à l'hébergement, fixés par le président du conseil général, dans des conditions précisées par décret et opposables aux bénéficiaires de l'aide sociale accueillis dans des établissements habilités totalement ou partiellement à l'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées (...) ".

8. Par les dispositions de l'article 256 B du code général des impôts citées au point 4, la France a fait usage de la possibilité ouverte par le 2 de l'article 13 de la directive du 28 novembre 2006 citée au point 3 lu en combinaison avec le g du 1 de l'article 132 de cette même directive, de regarder comme une activité effectuée en tant qu'autorité publique le service social d'hébergement des personnes âgées dans des structures publiques.

9. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que les premiers juges ont, pour prononcer la restitution des cotisations de taxe sur les salaires en litige, estimé que les prestations fournies par l'établissement Le jardin d'Emilie n'étaient pas exercées par un organisme agissant en tant qu'autorité publique. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par cet établissement devant le tribunal administratif.

Sur l'autre moyen soulevé par l'établissement Le jardin d'Emilie :

10. Par un arrêt du 16 septembre 2008 (C-288/07) Commissioners of Her Majesty's Revenue et Customs contre Isle of Wight Council et autres, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les distorsions de concurrence d'une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu'autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l'activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d'entrer sur le marché pertinent soit réelle, et non purement hypothétique. Par un arrêt du 19 janvier 2017 (C- 344/15) National Roads Authority, la même juridiction a précisé que les distorsions de concurrence d'une certaine importance doivent être évaluées en tenant compte des circonstances économiques et que la seule présence d'opérateurs privés sur un marché, sans la prise en compte des éléments de fait, des indices objectifs et de l'analyse de ce marché, ne saurait démontrer ni l'existence d'une concurrence actuelle ou potentielle ni celle d'une distorsion de concurrence d'une certaine importance. Les distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 s'apprécient à la fois au regard de l'activité en cause et des conditions d'exploitation de cette activité. L'existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l'état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.

11. Eu égard au caractère social des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes publics qui sont habilités à accueillir entièrement ou principalement des personnes âgées à faibles ressources et qui, par suite, sont soumis en principe à une tarification administrée de leurs prestations relatives à l'hébergement de celles-ci, un opérateur privé exerçant cette activité à titre lucratif, libre de choisir sa clientèle et, par suite, de fixer ses tarifs en conséquence, ne saurait être empêché d'entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée qui lui permet, à la différence d'un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d'obtenir le remboursement de l'excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes. Par ailleurs, cette même activité exercée sans but lucratif par un opérateur privé est exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu du b du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts cité au point 4.

12. Il est constant que l'établissement Le jardin d'Emilie est habilité à accueillir des bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement pour la totalité des places qu'il offre. Par suite, et sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance qu'il s'en trouverait lui-même désavantagé, son non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée ne conduit pas à une distorsion de concurrence au sens et pour l'application de l'article 256 B du code général des impôts, lu à la lumière des dispositions de la directive du 28 novembre 2006 qu'il a pour objet de transposer.

13. Il résulte des points 2 à 12 que les prestations fournies par l'établissement Le jardin d'Emilie ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée. En conséquence, cet établissement est redevable de la taxe instituée à l'article 231 du code général des impôts et la cotisation primitive de taxe sur les salaires restituée à l'établissement Le Jardin d'Emilie en exécution du jugement attaqué doit ainsi être remise à sa charge.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé la restitution de la cotisation primitive de taxe sur les salaires acquittée par l'établissement Le jardin d'Emilie au titre de l'année 2018 à concurrence de 235 364 euros.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2000291 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : La demande présentée par l'établissement Le jardin d'Emilie devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à la restitution, à concurrence de 235 364 euros, de la cotisation primitive de taxe sur les salaires à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2018 est rejetée.

Article 3 : La cotisation primitive de taxe sur les salaires restituée à l'établissement Le jardin d'Emilie au titre de l'année 2018 est remise à sa charge.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Le jardin d'Emilie.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, où siégeaient :

- M. Barthez, président,

- M. Lafon, président assesseur,

- Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2024.

La rapporteure,

V. RestinoLe président,

A. Barthez

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22TL20761 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22TL20761
Date de la décision : 25/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-01-01 Contributions et taxes. - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. - Taxe sur la valeur ajoutée. - Personnes et opérations taxables. - Opérations taxables.


Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: Mme Virginie RESTINO
Rapporteur public ?: M. CLEN
Avocat(s) : NASSIET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-25;22tl20761 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award