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13/02/2024 | FRANCE | N°23TL00905

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 13 février 2024, 23TL00905


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, sous le n° 2201675, d'annuler l'arrêté du 23 mars 2022 par lequel la préfète de l'Ariège lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et, d'autre part, sous le n° 2201767, de prononcer, sur le fondement de l'article L. 721-1 du co

de de justice administrative, la récusation de M. Franck Jozek, magistrat désigné par la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, sous le n° 2201675, d'annuler l'arrêté du 23 mars 2022 par lequel la préfète de l'Ariège lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et, d'autre part, sous le n° 2201767, de prononcer, sur le fondement de l'article L. 721-1 du code de justice administrative, la récusation de M. Franck Jozek, magistrat désigné par la présidente du tribunal appelé à statuer sur sa demande n° 2201675 précitée.

Par une décision n° 2201767 du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande de récusation. Par un jugement n° 2201675 du 4 mai 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de l'Ariège du 23 mars 2022 précité.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 avril 2023, M. D..., représenté par Me Brel, demande à la cour :

1°) d'annuler la décision du tribunal administratif de Toulouse n° 2201767 du 22 avril 2022 rejetant sa demande de récusation ainsi que le jugement n° 2201675 du 4 mai 2022 du magistrat désigné par la présidente de ce tribunal ;

2°) d'annuler l'arrêté du 23 mars 2022 par lequel la préfète de l'Ariège lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Ariège de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de procéder, dès la notification de l'arrêt à intervenir, à l'effacement de son signalement sur le système d'information Schengen ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il doit être regardé comme soutenant que :

- la décision refusant de faire droit à sa demande de récusation méconnaît l'article L. 721-1 du code de justice administrative dès lors que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse, ne pouvait, sans faire preuve d'impartialité fonctionnelle, statuer sur sa demande alors qu'il a eu à connaître de la situation de son épouse, laquelle appelait à apprécier les mêmes faits et les mêmes questions de droit que son dossier de sorte qu'il existait une raison sérieuse de mettre en doute l'impartialité de ce magistrat ;

- le jugement attaqué est irrégulier au regard des exigences issues de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-1 du code de justice administrative dès lors qu'il existait un doute sérieux sur l'impartialité de M. Jozek, magistrat désigné par la présidente du tribunal pour connaître de sa demande ;

- l'arrêté en litige est entaché d'incompétence de son signataire ;

- la préfète de l'Ariège n'était pas territorialement compétente pour édicter l'arrêté en litige dès lors que s'il est constant qu'il a été interpellé en Ariège le 22 mars 2022, il a néanmoins fait l'objet d'une procédure de retenue administrative aux fins de vérifications de son droit au séjour dans les locaux de la police aux frontières de Blagnac en Haute-Garonne à l'issue de laquelle l'irrégularité de sa situation administrative a été constatée de sorte que seul le préfet de la Haute-Garonne était compétent pour édicter l'arrêté en litige ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité entachant la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité entachant la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité entachant la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2023, la préfète de l'Ariège conclut au rejet de la requête.

Elle soutient, en se référant à ses écritures de première instance, que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 22 mars 2023, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Par un courrier du 23 janvier 2024, les parties ont été informées de ce que, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions par lesquelles M. D... demande l'annulation de la décision du tribunal administratif de Toulouse n° 2201767 du 22 avril 2022 rejetant sa demande de récusation du magistrat appelé à statuer sur sa demande.

Une pièce a été produite par M. D..., le 25 janvier 2024, soit postérieurement à la clôture de l'instruction fixée, par une ordonnance du 28 novembre 2023, au 19 décembre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;

- et les observations de Me Bachelet, représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant turc, né le 1er septembre 1987, déclare être entré en France le 28 janvier 2017. Sa demande d'asile, présentée le 27 mars 2017, a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 29 décembre 2017, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 26 octobre 2018. Par un arrêté du 12 juin 2019, dont la légalité a été confirmée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 17 novembre 2020, le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français. Le 22 mars 2022, l'intéressé a été contrôlé par les services de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Toulouse au niveau de la barrière de péage de l'autoroute A66 à Pamiers (Ariège), dans le cadre d'une réquisition aux fins de contrôle d'identité décidée, en application de l'article 78-62-2 du code de procédure pénale, par la substitute du procureur de la République de Foix. À l'issue de son audition, dans le cadre d'une procédure de retenue aux fins de vérification du droit au séjour intervenue le même jour, conduite, en application des articles L. 813-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans les locaux de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Toulouse à Blagnac (Haute-Garonne), la préfète de l'Ariège a, par un arrêté du 23 mars 2022, fait obligation à M. D... de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Par un arrêté du même jour, cette même autorité a prononcé son placement en rétention administrative. M. D... relève appel, d'une part, de la décision n° 2201767 du 22 avril 2022 par laquelle le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à la récusation, sur le fondement de l'article L. 721-1 du code de justice administrative, de M. Jozek, magistrat désigné par la présidente de ce tribunal appelé à statuer sur sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de l'Ariège du 23 mars 2022 précité et, d'autre part, du jugement n° 2201675 du 4 mai 2022 par lequel ce magistrat désigné a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 23 mars 2022 précité portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Sur l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision du 22 avril 2022 rejetant la demande de récusation du magistrat désigné par la présidente du tribunal :

2. Aux termes de l'article R. 721-9 du code de justice administrative : " Si le membre de la juridiction qui est récusé acquiesce à la demande de récusation, il est aussitôt remplacé. / Dans le cas contraire, la juridiction, par une décision non motivée, se prononce sur la demande. Les parties ne sont averties de la date de l'audience à laquelle cette demande sera examinée que si la partie récusante a demandé avant la fixation du rôle à présenter des observations orales. / La juridiction statue sans la participation de celui de ses membres dont la récusation est demandée. La décision ne peut être contestée devant le juge d'appel ou de cassation qu'avec le jugement ou l'arrêt rendu ultérieurement ".

3. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 721-9 du code de justice administrative que M. D... ne peut contester devant la cour la décision rendue le 22 avril 2022 par le tribunal administratif de Toulouse sous le n° 2201767 que dans le cadre de ses conclusions d'appel, dirigées contre le jugement n° 2201675 rendu le 4 mai 2022 par la formation de jugement présidée par le magistrat désigné dont il a demandé, en vain, la récusation. Par suite, la présente requête est irrecevable, en tant qu'elle comporte des conclusions tendant à l'annulation au principal de la décision n° 2201767 du 22 avril 2022 par laquelle le tribunal administratif de Toulouse a refusé de faire droit sa demande de récusation et doit, dès lors, être rejetée dans cette seule mesure.

Sur la régularité du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal n° 2201675 du 4 mai 2022 :

4. Aux termes de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et de caractère civil, du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ". Aux termes de l'article L. 721-1 du code de justice administrative : " La récusation d'un membre de la juridiction est prononcée, à la demande d'une partie, s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité ". Aux termes de l'article R. 721-2 du même code : " La partie qui veut récuser un juge doit, à peine d'irrecevabilité, le faire dès qu'elle a connaissance de la cause de la récusation. / En aucun cas la demande de récusation ne peut être formée après la fin de l'audience. " L'article R. 721-4 du même code dispose que : " La demande de récusation est formée par acte remis au greffe de la juridiction ou par une déclaration qui est consignée par le greffe dans un procès-verbal. / La demande doit, à peine d'irrecevabilité, indiquer avec précision les motifs de la récusation et être accompagnée des pièces propres à la justifier. (...) ".

5. La seule circonstance que M. Jozek ait, en sa qualité de magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse, précédemment statué sur la demande par laquelle l'épouse de M. D... a demandé l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 16 décembre 2021 lui faisant obligation de quitter le territoire français et qu'il ait fait état d'éléments de fait relatifs à la situation du couple dans le cadre de l'instance présentée par son épouse n'est pas, en l'absence d'autre circonstance particulière pouvant caractériser l'existence d'une raison sérieuse de mettre en doute l'impartialité objective ou subjective de ce magistrat, de nature à justifier sa récusation pour connaître de sa demande. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que les jugements rendus par ce magistrat désigné dans chacune des instances présentées par les époux D..., lesquelles constituent des litiges distincts dirigés contre des actes administratifs distincts, se bornent à faire état de simples éléments de fait relatifs à leurs situations respectives qui sont, en tout état de cause, contenus dans les arrêtés préfectoraux édictés à leur encontre et les pièces de la procédure de sorte qu'il n'existait aucun obstacle à ce que le magistrat désigné par la présidente du tribunal statuât sur la demande de l'appelante. Par suite, le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité au regard des exigences d'impartialité issues des stipulations précitées de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-1 du code de justice administrative.

Sur les moyens communs aux décisions en litige :

6. En premier lieu, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions contenues dans l'arrêté en litige doit être écarté par adoption des motifs retenus par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse au point 3 du jugement attaqué.

7. En second lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; / 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; / 6° L'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois a méconnu les dispositions de l'article L. 5221-5 du code du travail. / Lorsque, dans le cas prévu à l'article L. 431-2, un refus de séjour a été opposé à l'étranger, la décision portant obligation de quitter le territoire français peut être prise sur le fondement du seul 4° ". Aux termes de l'article R. 613-1 du même code : " L'autorité administrative compétente pour édicter la décision portant obligation de quitter le territoire français, la décision fixant le délai de départ volontaire et l'interdiction de retour sur le territoire français est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police ".

8. Le préfet territorialement compétent pour édicter la décision portant obligation de quitter le territoire français est celui qui constate l'irrégularité de la situation au regard du séjour de l'étranger concerné, que cette mesure soit liée à une décision refusant à ce dernier un titre de séjour ou son renouvellement, au refus de reconnaissance de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire, ou encore au fait que l'étranger se trouve dans un autre des cas énumérés à l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Tel est, en toute hypothèse, le cas du préfet du département où se trouve le lieu de résidence ou de domiciliation de l'étranger. En outre, si l'irrégularité de sa situation a été constatée dans un autre département, le préfet de ce département est également compétent.

9. S'il est constant que M. D... a déclaré résider à Toulouse, lors de son audition administrative, il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressé a été contrôlé, le 22 mars 2022, par les services de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Toulouse au niveau de la barrière de péage de l'autoroute A66 à Pamiers (Ariège), dans le cadre d'une réquisition aux fins de contrôle d'identité décidée, en application de l'article 78-62-2 du code de procédure pénale, par la substitute du procureur de la République de Foix. S'il est également constant que son audition, dans le cadre d'une procédure de retenue aux fins de vérification du droit au séjour intervenue le même jour, en application des articles L. 813-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a eu lieu dans les locaux de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Toulouse à Blagnac (Haute-Garonne), cette seule circonstance n'est pas de nature à faire obstacle, à la compétence territoriale de la préfète de l'Ariège pour édicter une mesure d'éloignement à son encontre dès lors que son interpellation et le constat de l'irrégularité de son droit au séjour ont débuté à Pamiers, soit dans les limites territoriales du département de l'Ariège, et que la compétence territoriale des autorités préfectorales ariégeoise et haut-garonnaise présentait, en l'espèce, un caractère cumulatif en application des dispositions et du principe rappelés aux points 7 et 8. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la préfète de l'Ariège était territorialement incompétente pour édicter l'arrêté en litige.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. M. D... indique être résider sur le territoire français depuis plus de cinq années à la date de la décision en litige en présence de son épouse et de son fils B... A... scolarisé à Toulouse. Il se prévaut, en outre, de ses attaches familiales, en particulier de la présence de son père, qui réside régulièrement en France et qu'il assiste dans les actes de la vie courante. Il indique, enfin, disposer de la possibilité d'exercer une activité professionnelle en France. Toutefois, par ces éléments, M. D... ne démontre pas l'intensité et la stabilité des liens privés et familiaux développés en France alors qu'il a vécu la majeure partie de sa vie, jusqu'à l'âge de 30 ans, en Turquie, pays dans lequel il ne démontre pas être dépourvu d'attaches familiales. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé est entré en France, en premier lieu, en vue d'y solliciter l'asile et qu'il s'y est maintenu en dépit du rejet définitif de sa demande d'asile dans les conditions rappelées au point 1, avant de faire l'objet d'une mesure précédente mesure d'éloignement par un arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 12 juin 2019 auquel il n'a pas déféré. Par ailleurs, si M. D... se prévaut de l'aide qu'il apporte au quotidien à son père, il ressort toutefois du certificat médical en date du 10 février 2016 que ce dernier présente seulement un état dépressif d'intensité modérée. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est pas davantage démontré que l'état de santé de ce dernier nécessiterait l'assistance d'une tierce personne pour l'accomplissement des actes de la vie courante ni que cette assistance, à la supposer nécessaire, ne pourrait pas lui être apportée par un autre membre de la famille ou dans le cadre de la solidarité nationale. Enfin, il ressort des mentions contenues dans l'arrêté en litige que la conjointe de M. D..., également de nationalité turque, a fait l'objet d'une mesure d'éloignement édictée par un arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 16 décembre 2021 dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Toulouse du 18 mars 2022. Par suite, il n'existe aucun obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue en Turquie où leur fils mineur, également de nationalité turque, pourra poursuivre sa scolarité. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, en particulier des conditions d'entrée et de séjour de l'intéressé en France, la préfète de l'Ariège n'a pas, en faisant obligation à M. D... de quitter le territoire français, porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis et n'a, dès lors pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, l'autorité préfectorale n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'elle emporte sur la situation personnelle de l'appelant.

12. En second lieu, aux termes de l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Dès lors que la décision en litige n'implique, par elle-même, aucune séparation entre l'appelant et son fils mineur de nationalité turque et que la cellule familiale pourra, ainsi qu'il a été dit au point précédent, se reconstituer en Turquie où ce dernier pourra poursuivre sa scolarité, la préfète de l'Ariège n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant en faisant obligation à M. D... de quitter le territoire français.

Sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :

13. En premier lieu, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas établie ainsi qu'il a été dit aux points 10 à 12, le moyen tiré de ce que la décision refusant à M. D... un délai départ volontaire serait, par voie de conséquence, illégale doit être écarté.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

14. En premier lieu, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas établie ainsi qu'il a été dit aux points 10 à 12, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays à destination duquel l'appelant est susceptible d'être éloigné serait, par voie de conséquence, illégale doit être écarté.

15. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dispositions dont M. D... doit être regardé comme se prévalant de la méconnaissance en lieu et place de celles de l'article L. 513-2 du même code : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

16. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative chargée de prendre la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français de s'assurer, sous le contrôle du juge, en application de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les mesures qu'elle prend n'exposent pas l'étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si elle est en droit de prendre en considération, à cet effet, les décisions qu'ont prises, le cas échéant, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile saisis par l'étranger de demandes de titre de réfugié politique, l'examen par ces dernières instances, au regard des conditions mises à la reconnaissance du statut de réfugié par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967, des faits allégués par le demandeur d'un tel statut et des craintes qu'il énonce, et l'appréciation portée sur eux, en vue de l'application de ces conventions, ne lient pas l'autorité administrative et sont sans incidence sur l'obligation qui est la sienne de vérifier, au vu du dossier dont elle dispose, que les mesures qu'elle prend ne méconnaissent pas les dispositions précitées de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

17. À l'appui de ses allégations selon lesquelles il serait exposé à des risques en cas de retour en Turquie en raison de son origine ethnique et de ses opinions politiques, M. D... se prévaut de ce que son père a été accusé d'avoir aidé le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) par la fourniture de vivres et de vêtements. Il indique, en outre, avoir été contraint de fuir son village par crainte pour sa sécurité et de se réfugier chez son oncle, dans un village proche du sien après avoir été désigné par des personnes affiliées au PKK, aux côtés de trois autres hommes de son village, pour participer à la construction d'un cimetière de martyrs. Il soutient enfin, avoir adhéré au parti démocratique des peuples (HDP) en 2015, période au cours de laquelle les autorités se sont présentées à deux reprises à son domicile en son absence, ce qui l'a contraint à fuir vers Istanbul. M. D... se prévaut également de rapports attestant de la dégradation de la situation sécuritaire et des droits de l'homme en Turquie depuis l'année 2015 et du harcèlement judiciaire des autorités turques envers les personnes qui revendiquent leur identité kurde. Ces éléments, qui présentent un caractère général et dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils n'ont pas déjà été portés à la connaissance des autorités en charge de l'asile, ne sont toutefois pas de nature à établir de manière précise et circonstanciée ni la nature des risques personnellement encourus par l'intéressé cas d'éloignement vers la Turquie ni leur actualité à la date de la décision en litige. Dès lors, en fixant la Turquie comme pays à destination duquel M. D... est susceptible d'être éloigné, la préfète de l'Ariège n'a méconnu ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

18. En premier lieu, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas établie, ainsi qu'il a été dit aux points 10 à 12, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait, par voie de conséquence, illégale doit être écarté.

19. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". L'article L. 612-10 du même code dispose que : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

20. Lorsqu'il est saisi d'un moyen le conduisant à apprécier les conséquences d'une mesure d'interdiction de retour sur la situation personnelle de l'étranger et que sont invoquées des circonstances étrangères aux quatre critères repris aux articles L. 612-6 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il incombe seulement au juge de l'excès de pouvoir de s'assurer que l'autorité compétente n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

21. En se bornant à soutenir que l'ancienneté de sa présence en France et les attaches personnelles et familiales qu'il y a développées constitueraient des circonstances humanitaires particulières de nature à faire obstacle au prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français, M. D... ne produit aucun élément circonstancié à l'appui de ses allégations alors qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, que l'intéressé se maintient en France en dépit du rejet définitif de sa demande d'asile par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 29 décembre 2017, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 26 octobre 2018, d'autre part, qu'il n'a pas déféré à une précédente mesure d'éloignement éditée par un arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 12 juin 2019, dont la légalité a été confirmée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 17 novembre 2020 et, enfin, qu'il vit en France de manière précaire et isolée tandis que son épouse fait également l'objet d'une mesure d'éloignement. Dès lors que M. D... fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et que sa situation ne fait pas apparaître de motifs humanitaires particuliers et alors même que sa présence sur le territoire français ne constituerait pas une menace pour l'ordre public, la préfète de l'Ariège n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'elle emporte sur la situation personnelle de l'intéressé en édictant une interdiction de retour d'un an à son encontre.

22. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de l'Ariège du 23 mars 2022. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE:

Article 1 : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Ariège.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL00905


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00905
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.

Procédure - Incidents - Récusation.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Nadia EL GANI-LACLAUTRE
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;23tl00905 ?
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