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19/03/2024 | FRANCE | N°22TL22383

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 19 mars 2024, 22TL22383


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 août 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2204914 du 19 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregi

strée le 25 novembre 2022 et un mémoire en réplique, enregistré le 25 octobre 2023, Mme B..., représentée par Me Bachet, d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 août 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2204914 du 19 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2022 et un mémoire en réplique, enregistré le 25 octobre 2023, Mme B..., représentée par Me Bachet, doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 19 octobre 2022 ;

3°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 8 août 2022 ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la requête qui n'est pas tardive, est recevable ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français et celle fixant le pays de destination, sont insuffisamment motivées ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen de sa situation au regard, notamment, de l'intérêt supérieur de ses enfants ;

- cette décision méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de base légale ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2023, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que la requête est irrecevable et qu'aucun de ses moyens n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Beltrami.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante nigériane née le 16 septembre 1996, est entrée sur le territoire français le 16 juin 2019. Elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 8 juillet 2019. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'asile le 18 janvier 2021. La Cour nationale du droit d'asile a confirmé ce rejet par une décision du 27 mai 2022. Par un arrêté du 8 août 2022, le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 19 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 8 août 2022.

Sur les conclusions de Mme B... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente ou son président. / (...) ". Aux termes de l'article 61 du décret du 28 décembre 2020 : " L'admission provisoire peut être accordée dans une situation d'urgence, (...). / L'admission provisoire est accordée par (...) le président de la juridiction saisie, soit sur une demande présentée sans forme par l'intéressé, soit d'office si celui-ci a présenté une demande d'aide juridictionnelle ou d'aide à l'intervention de l'avocat sur laquelle il n'a pas encore été statué ".

3. L'appelante, déjà représentée par un avocat, n'a pas justifié du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle, n'a pas joint à son appel une telle demande et n'a pas davantage justifié d'une situation d'urgence. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de prononcer son admission à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

4. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 ".

5. Aux termes de l'article R. 776-9 de ce code, applicable aux contentieux des décisions portant obligation de quitter le territoire français : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. Cette notification mentionne la possibilité de faire appel et le délai dans lequel cette voie de recours peut être exercée ".

6. Si la lettre recommandée avec demande d'avis de réception contenant la notification du jugement n'est pas retirée alors même qu'un avis d'instance a été déposé pour informer le destinataire de ce que le pli était à sa disposition au bureau de poste, la notification de ce jugement est réputée avoir été faite à la date de sa présentation. Toutefois, si l'intéressé va retirer le pli pendant le délai durant lequel celui-ci est conservé à La Poste, le délai de recours commence à courir à la date du retrait.

7. Le jugement attaqué du 19 octobre 2022 a été notifié à l'intéressée par lettre recommandée avec accusé de réception n° 2C17865634097, qui porte la mention " pli avisé et non réclamé " mais aucune date de distribution ou de réexpédition. Il ressort des pièces du dossier, et, en particulier, des indications fournies par la Poste que le pli recommandé a été distribué le 24 octobre 2022 et mis en instance au bureau de poste pendant 15 jours. Il a été réexpédié le 9 novembre 2022 en l'absence de retrait pendant le délai de mise en instance.

8. Au vu de ces éléments, la notification du jugement attaqué est réputée avoir été faite à la date de présentation du pli recommandé, soit le 24 octobre 2022. Dès lors, la requête enregistrée le 25 novembre 2022, dans le délai franc d'un mois à compter de cette notification, n'est pas tardive. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête ne peut être accueillie.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne les moyens communs aux décisions attaquées :

9. Il y a lieu d'écarter les moyens tirés de l'insuffisance de motivation des décisions contestées et du défaut d'examen de sa situation par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal au point 4 de son jugement.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

11. L'intéressée se prévaut, d'une part, de craintes personnelles de persécutions, en cas de retour dans son pays d'origine, par les membres d'un réseau de traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle en raison de son appartenance au groupe social des femmes nigérianes et d'autre part, de craintes de voir sa fille exposée à un risque d'excision en cas de retour au Nigéria. Afin d'établir la crédibilité de son récit, elle se borne à reprendre les explications qu'elle a présentées devant les instances en charge des demandes d'asile. À cet égard, il ressort des décisions de la Cour nationale du droit d'asile du 28 octobre 2021 et du 27 mai 2022 que Mme B... n'a fourni que des déclarations très peu étayées et des pièces qui n'ont pas permis de tenir pour établis sa distanciation du réseau de prostitution dans lequel elle a été recrutée et le risque d'excision auquel sa fille serait exposée en cas de retour au Nigeria. En outre, alors que le rapport de mission conjoint de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et de la Cour au Nigéria, publié en décembre 2016, à la section intitulée " 6.3.4. Conséquences en cas de refus " indique que les parents peuvent, sans représailles, refuser l'excision de leur fille, l'appelante ne démontre pas son impossibilité à préserver sa fille de cette mutilation. Faute d'établir la réalité des risques allégués, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut qu'être écarté

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. Mme B..., qui est célibataire, est entrée récemment en France, à l'âge de 21 ans, pour y présenter une demande d'asile. Si ses deux jeunes enfants mineurs sont nés sur le territoire national, elle n'y dispose d'aucune autre attache personnelle ou familiale. Par ailleurs, dès lors qu'elle n'établit pas, comme cela a été dit au point 11, le risque de traitements inhumains ou dégradants personnellement encourus ainsi que par sa fille en cas de retour dans son pays d'origine, la cellule familiale pourra se reconstituer dans ce pays. Enfin, elle ne justifie pas de son insertion professionnelle ou sociale. Dès lors, compte tenu de ces éléments, l'arrêté attaqué n'a pas porté à son droit au respect d'une vie familiale normale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde et des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut qu'être écarté.

14. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

15. La décision attaquée n'implique pas, par elle-même, la séparation de la famille ni la rupture des liens entre l'appelante et ses enfants. Il existe, de plus, des possibilités de reconstitution de la cellule familiale au Nigéria, pays dont l'appelante et ses enfants ont la nationalité. Par suite, et faute pour l'appelante de faire valoir à cet égard des obstacles particuliers, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, doit être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

16. En premier lieu, faute pour l'appelante d'avoir établi l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de l'illégalité de la décision fixant le pays de renvoi, soulevé par voie d'exception, ne peut qu'être écarté.

17. En dernier lieu, pour les motifs exposés au point 11, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut qu'être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 8 août 2022.

Sur les conclusions accessoires :

19. Mme B... n'étant pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 8 août 2022, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE:

Article 1er : Les conclusions de Mme B... tendant à être admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont rejetées.

Article 2 : Le surplus de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2024 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL22383


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22383
Date de la décision : 19/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Karine BELTRAMI
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-19;22tl22383 ?
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