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30/04/2015 | FRANCE | N°14VE00212

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 30 avril 2015, 14VE00212


Vu la requête, enregistrée le 20 janvier 2014, présentée pour Mme B...A..., demeurant..., par Me Athon Perez, avocat ;

Mme A... demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1102976 du 21 novembre 2013 en tant que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a limité la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de

5 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions ;

2° de condamner le rectorat de Versailles à lui verser la somme de 129 945,08 euros en réparation du préjudice subi du fait des discriminations et du harcèlement moral dont elle es

time avoir fait l'objet, cette somme portant intérêt au taux légal à compter du 15 déc...

Vu la requête, enregistrée le 20 janvier 2014, présentée pour Mme B...A..., demeurant..., par Me Athon Perez, avocat ;

Mme A... demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1102976 du 21 novembre 2013 en tant que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a limité la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de

5 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions ;

2° de condamner le rectorat de Versailles à lui verser la somme de 129 945,08 euros en réparation du préjudice subi du fait des discriminations et du harcèlement moral dont elle estime avoir fait l'objet, cette somme portant intérêt au taux légal à compter du 15 décembre 2010, date de réception de sa demande préalable et capitalisation des intérêts ;

3° de mettre à la charge du rectorat de Versailles une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier, la minute ne comportant pas la signature des membres de la formation de jugement ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- les premiers juges ont à tort considéré qu'il n'y avait pas discrimination pour nuisances sonores et qu'en raison de ces nuisances, l'article 6 sexies de la loi du 11 juillet 1983 n'était pas pour ce motif méconnu ;

- elle a été victime de harcèlement moral de la part du principal du collège ; elle a été victime d'agissements ciblés ; ses conditions de travail se sont dégradées ; la décision de mise en congé d'office a été brutale et inattendue ; le recteur a méconnu l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- les premiers juges n'ont pas statué sur le préjudice de santé alors qu'un tel préjudice existe et ont à tort statué sur l'existence d'un préjudice matériel qu'elle n'invoquait pas ;

- elle a subi un préjudice moral important qui doit être évalué à 36 mois de traitement ;

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 avril 2015 :

- le rapport de Mme Mégret, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Besson-Ledey, rapporteur public,

- et les observations de Me Athon-Perez pour Mme A...;

1. Considérant que MmeA..., professeur d'histoire et géographie en retraite, anciennement affecté au collège Renoir d'Asnières a saisi le Tribunal administratif de

Cergy-Pontoise le 13 avril 2011, d'une demande de condamnation du rectorat de Versailles à lui verser la somme de 129 945,08 euros pour discrimination fondée sur son handicap et pour harcèlement moral ; que par un jugement n° 1102976 en date du 21 novembre 2013, le tribunal a condamné l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi résultant de la seule reconnaissance de l'existence d'une discrimination fondée sur son handicap ; que Mme A...relève régulièrement appel de ce jugement en tant que les premiers juges ont limité la condamnation de l'Etat ; que, par un appel incident, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche demande l'annulation dudit jugement ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience " ; qu'il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué comporte la signature du président de la formation de jugement et du rapporteur ; qu'ainsi, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité ;

3. Considérant que la formation de jugement n'a pas à indiquer les pièces sur lesquelles elle se fonde pour motiver sa décision ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, le jugement contesté n'est pas insuffisamment motivé quant au moyen relatif à l'exposition de Mme A...aux nuisances sonores ;

4. Considérant que le moyen tiré de ce que les pièces produites par le rectorat étaient insuffisantes pour permettre aux premiers juges de forger leur conviction sur l'absence de toute faute de l'administration, relève non de la régularité du jugement mais de son bien-fondé ;

Sur la discrimination fondée sur le handicap :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 sexies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 issu de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 : " Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, les employeurs visés à l'article 2 prennent, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article L. 323-3 [devenu L. 5212-13] du code du travail d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer et d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, sous réserve que les charges consécutives à la mise en oeuvre de ces mesures ne soient pas disproportionnées, notamment compte tenu des aides qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur. " ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que pour justifier de son handicap, Mme A...se borne à produire des certificats médicaux ; qu'ainsi, Mme A...ne justifie pas de sa qualité de travailleur handicapé au sens des 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article

L. 5212-13 du code du travail ; que, par suite, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'une discrimination fondée sur le handicap au sens de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 et considéré que l'administration avait de ce fait commis une faute engageant sa responsabilité ;

7. Considérant qu'il y a lieu de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres moyens présentés par Mme A...devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

Sur la discrimination fondée sur l'état de santé :

8. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison (...) de leur état de santé, (...) de leur handicap (...) / Toutefois des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions. (...) " ;

9. Considérant que, de manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction ; que cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes ; que, s'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

10. Considérant qu'en l'espèce, les nuisances sonores dont se plaint la requérante étaient généralisées au collège Renoir et provenaient de la complète rénovation de l'établissement scolaire ; que même si ces nuisances sonores ont pu être importantes elles ont perturbé tous les usagers du collège et ont été ressenties au sein de tout l'établissement ; que s'il est vrai que l'état de santé de Mme A...la plaçait dans une situation plus particulière face à ces nuisances, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa santé, en particulier son audition, en ait été particulièrement altérée ; qu'en outre, le principal a pris en compte les difficultés rencontrées par MmeA..., qui s'en est plainte dès la fin de l'année 2008, et lui a fait bénéficier d'un allègement d'horaires à compter de la rentrée 2009 ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, Mme A...n'établit pas que l'administration a commis une faute en ce qui concerne ces nuisances ;

11. Considérant, en revanche, et alors même que l'affectation de la requérante dans la salle de cours 208 située au 2ème étage serait justifiée par l'implantation du pôle histoire géographie dans cette salle, l'administration ne démontre pas, alors qu'elle avait connaissance de l'état de santé de MmeA..., l'impossibilité d'affecter à cette dernière une salle située au rez-de-chaussée de l'établissement pour lui éviter d'emprunter quotidiennement et à plusieurs reprises un escalier, situation incompatible avec son état de santé ; qu'une telle affectation aurait constitué une distinction en vue de tenir compte des inaptitudes physiques de l'intéressée ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme ayant méconnu les dispositions de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 précitées et commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

Sur le harcèlement moral :

12. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) " ; qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

13. Considérant Mme A...fait valoir que ses conditions de travail se sont dégradées à compter de la rentrée 2008-2009 en raison d'agissements répétés du principal du collège Renoir, d'un comportement méprisant et vexatoire de sa part, éloigné du pouvoir normal de direction d'un chef d'établissement et de son affectation sans égard à ses difficultés physiques au deuxième étage du collège ;

14. Considérant, toutefois, que parmi les nombreux témoignages que Mme A... produit, seuls deux font état d'un agissement ponctuellement vexatoire à son encontre par le principal ; que pour le surplus, ils attestent d'un comportement peu amène du principal indistinctement envers tous ses collaborateurs ; qu'ils font également ressortir que la dégradation de l'état de santé de MmeA..., fragilisé depuis un grave accident en 1975, provient de l'organisation générale et de travaux de réhabilitation du service du collège ; qu'ainsi son affectation en salle de classe au 2ème étage de l'établissement ne peut être regardée, dans ces circonstances et pour inappropriée qu'elle put être au regard de son état de santé, comme un agissement pouvant être regardé comme un fait de harcèlement moral, non plus que la manière dont le rectorat a traité la situation médico-administrative de l'intéressée ; que, dans ces conditions, des faits de harcèlement moral à l'encontre de Mme A...ne sont pas caractérisés en l'espèce ;

Sur le préjudice :

15. Considérant que si la requérante sollicite réparation du préjudice de santé qu'elle estime avoir subi elle ne chiffre pas sa demande et ne met dès lors pas la Cour à même d'apprécier le bien fondé de sa demande ;

16. Considérant que Mme A...demande le versement d'une somme correspondant à 36 mois de traitement en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi, résultant de la non prise en compte de sa souffrance morale, de la dégradation de son état de santé et de l'absence de prise en compte de son état de santé dans l'exercice de ses fonctions dans des conditions normales ; qu'il sera fait une juste appréciation en les évaluant, dans les circonstances de l'espèce, à la somme de 10 000 euros ; qu'il y a donc lieu de condamner l'Etat au versement de cette somme au titre du préjudice moral ;

17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a limité la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 5 000 euros ;

Sur les intérêts :

18. Considérant que Mme A...a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 10 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2010, date de réception par l'administration de sa demande préalable ;

19. Considérant que la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année ; qu'en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 13 avril 2011 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 15 décembre 2011, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l'application au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. Considérant, qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à

Mme A...au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : L'Etat versera la somme de 10 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2010. Ces intérêts échus à la date du 15 décembre 2011, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire

eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.

Article 3 : Le jugement n° 1102976 du 21 novembre 2013 du Tribunal administratif de

Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 14VE00212


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 14VE00212
Date de la décision : 30/04/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. LE GARS
Rapporteur ?: Mme Sylvie MEGRET
Rapporteur public ?: Mme BESSON-LEDEY
Avocat(s) : ATHON-PEREZ

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2015-04-30;14ve00212 ?
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