La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/09/2016 | FRANCE | N°15VE03791

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 27 septembre 2016, 15VE03791


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société RHODIA OPERATIONS a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des retenues à la source mises à sa charge au titre des exercices clos en 2007 et 2008 pour un montant global, en droits, intérêts de retard et majorations, de

973 898 euros.

Par un jugement n°1403287 du 8 octobre 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et quatre mémoires, enregistrés le 8 décembre

2015 et les

22 février, 8 juillet, 25 juillet et 22 août 2016, la société RHODIA OPERATIONS, représe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société RHODIA OPERATIONS a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des retenues à la source mises à sa charge au titre des exercices clos en 2007 et 2008 pour un montant global, en droits, intérêts de retard et majorations, de

973 898 euros.

Par un jugement n°1403287 du 8 octobre 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et quatre mémoires, enregistrés le 8 décembre 2015 et les

22 février, 8 juillet, 25 juillet et 22 août 2016, la société RHODIA OPERATIONS, représentée par Me Rielland, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de prononcer la décharge des retenues à la source sollicitée ;

3° de mettre à la charge de l'État une somme de 15 000 euros au titre de l'article

L.761-1 du code de la justice administrative.

Elle soutient que :

- les propositions de rectification des 20 décembre 2010 et 16 décembre 2011 sont insuffisamment motivées sur le chef de rectification relatif à l'abandon de créance consenti à la société Rhodia Poliamida Especialidades LTDA ; en effet, le service a retenu l'existence d'un acte anormal de gestion et a appliqué le c) de l'article 111 du code général des impôts sans justifier que les conditions de leur application étaient, en l'espèce, réunies ;

- de même, en jugeant sur ce même point, que les propositions de rectification étaient suffisamment motivées au motif du rappel des textes applicables et de l'indication des motifs retenus par l'administration pour caractériser la distribution de revenus occultes et procéder à la retenue à la source contestée, le tribunal a entaché le jugement d'un défaut de motivation ;

- elle n'a commis aucun acte anormal de gestion ; en effet, elle a agi dans son propre intérêt et obtenu une contrepartie proportionnée à l'abandon de créance grâce à la remontée des droits d'actionnaires dénommés dans la législation brésilienne " TJLP " ; il n'existe donc aucune distribution occulte susceptible de justifier l'application de la retenue à la source, l'intention de consentir à un avantage et de recevoir une libéralité n'étant, par ailleurs, nullement caractérisée ;

- les propositions de rectification des 20 décembre 2010 et 16 décembre 2011 sont insuffisamment motivées sur le chef de rectification relatif à sa renonciation, regardée comme anormale, à facturer des redevances à sa cliente, Rhodia Iberia dès lors qu'elles ne précisent ni les textes ni les règles de droit applicables au redressement ; pas davantage, l'administration ne justifie du quantum de redevance retenue à hauteur de 1 % du chiffre d'affaires de son client espagnol ; or, il incombait à l'administration de justifier de ce taux par rapport aux taux susceptibles d'être retenus dans des circonstances comparables ;

- en jugeant sur ce même point, qu'elle n'avait produit aucune pièce de nature à justifier l'allégation selon laquelle la société Rhodia Iberia connaissait de graves difficultés financières, le tribunal a entaché le jugement d'un défaut de motivation ;

- contrairement à ce que juge le tribunal, elle justifie, par les pièces transmises au service des impôts, que sa cliente Rhodia Iberia était en grande difficulté financière, que la survie de celle-ci était compromise dès lors que le principal client de cette dernière, la société Nylstar, avec lequel elle réalisait la moitié de son chiffre d'affaires, avait cessé de la payer, cumulant une dette se montant à une année de chiffre d'affaires de Rhodia Iberia et que la société Nylstar avait fini par être vendue aux enchères au mois de mars 2008 ; en outre, la société Rhodia Iberia cumulait des pertes s'élevant à 43,6 millions d'euros au 31 décembre 2008, tandis que son résultat d'exploitation était négatif au titre des exercices vérifiés ;

- la charge d'établir l'existence d'un acte anormal de gestion, constitutif d'un transfert de bénéfices à l'étranger, incombe à l'administration ; certes, si un abandon de créances laisse présumer l'existence d'une gestion anormale, le contribuable peut combattre cette présomption en rapportant la preuve que cet acte a été accompli dans son intérêt ; il appartient, par suite, à l'administration d'établir, si elle maintient sa contestation, que le contribuable était sans intérêt à abandonner sa créance ; la dévolution de la charge de la preuve est de même nature en ce qui concerne l'article 57 du code général des impôts relatif au transfert de bénéfices à l'étranger ; il appartient à l'administration d'établir l'existence d'un avantage consenti par la société française à une société étrangère et si elle y parvient, à la société française, de rapporter la preuve d'une contrepartie suffisante à cet avantage ; en l'espèce, elle démontre que l'abandon de créances résultant de sa renonciation à facturer des redevances à son client espagnol a eu pour contrepartie sa volonté de maintenir ses relations commerciales avec la société Rhodia Iberia en difficulté alors que le seul site de production de celle-ci, situé à Blanes, risquait de fermer en raison des difficultés du principal client Nylstar ; en outre, lorsque l'avenir du site de production de Blanes s'est éclairci, à partir d'octobre 2008, grâce en particulier à la fermeture du site de son principal concurrent italien, elle a alors de nouveau facturé des redevances ; dès lors, sa renonciation temporaire à les facturer ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme dépourvue de contreparties ; en l'absence de contestation de l'administration, ni de justification du quantum de la redevance retenue par elle à raison de 1 % du chiffre d'affaires de la société Rhodia Iberia, aucun acte anormal de gestion ne peut être regardé comme constitué, ni, a fortiori, aucun transfert de bénéfices en Espagne au profit de celle-ci ;

- le chef de rectification relatif à la société de droit brésilien ayant été abandonné par l'administration, n'est plus en litige que le chef de rectification relatif à la société Rhodia Ibéria, dont la portée financière s'élève à 260 283 euros.

..........................................................................................................

Vu :

- l'avis de dégrèvement du 22 janvier 2016, transmis le 25 mai 2016

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Locatelli,

- les conclusions de M. Coudert, rapporteur public.

1. Considérant qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a notifié à la société RHODIA OPERATIONS des retenues à la source assises sur le montant de revenus qu'elle a regardés comme distribués à l'étranger à raison de la réintégration dans ses résultats imposables, d'une part, d'un abandon de créance consenti à la société de droit brésilien Rhodia Poliamida Especialidades et, d'autre part, de redevances que la contribuable avait renoncé à percevoir de la société de droit espagnol Rhodia Iberia ; que la société RHODIA OPERATIONS relève appel du jugement du 8 octobre 2015 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des retenues à la source ainsi mises à sa charge à hauteur d'une somme globale, en droits, intérêts de retard et pénalités, de 973 898 euros, au titre des exercices clos en 2007 et 2008 ;

Sur l'étendue du litige :

2. Considérant que, par une décision du 22 janvier 2016, postérieure à l'introduction de la requête, l'administration a prononcé le dégrèvement intégral, à concurrence d'une somme de 713 615 euros, en droits, intérêts de retard et pénalités, des retenues à la source prélevées au titre de l'abandon de créance consenti à la société Rhodia Poliamida Especialidades ; que les conclusions en décharge des retenues à la source portant sur ce chef de rectification sont, dans cette mesure, devenues sans objet ; que, dès lors, il n'y a pas lieu, pour la Cour, d'y statuer ;

Sur le surplus des conclusions de la requête :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions " et qu'aux termes de l'article 57 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France (...) / A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement " ;

4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 111 du même code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes (...) " et qu'aux termes de l'article 119 bis dudit code, dans sa version alors en vigueur : " (...) 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) " ;

5. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les transferts de bénéfices à l'étranger visés à l'article 57 doivent, en application de celles du c de l'article 111, être regardés comme des revenus distribués qui, dès lors que leur bénéficiaire a son siège hors de France, sont passibles de la retenue à la source mentionnée au 2 de l'article 119 bis, au taux prévu au 1 de l'article 187 du code général des impôts ;

6. Considérant qu'il est constant que, depuis la mise en oeuvre, en 2005, du projet dit " Athéna ", la société RHODIA OPERATIONS dispose de la propriété de l'ensemble des éléments incorporels issus de l'activité mondiale de recherche-développement du groupe Rhodia, qu'elle exploite sous diverses " marques ", en vertu du contrat dit " MLA " (Master Licence Agreements) la liant aux sociétés appartenant au périmètre du projet " Athéna ", au nombre desquelles figure la société de droit espagnol Rhodia Iberia affiliée au groupe Rhodia ; qu'il résulte de l'instruction que, en vertu de ce contrat, les sociétés utilisatrices de " marques " sont redevables, à la société RHODIA OPERATIONS, d'une redevance dont le montant est fixé, en principe, à 5 % du chiffre d'affaires hors distribution des sociétés utilisatrices, mais s'élève, en pratique, à 50 % de leur résultat opérationnel sous réserve d'être compris entre 1 % et 5 % de leur chiffre d'affaires ;

7. Considérant que le fait de renoncer à obtenir une contrepartie financière à une concession de licence de marque ne relève pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant un tel avantage, l'entreprise a agi dans son propre intérêt ; qu'il lui incombe, en ce cas, de justifier de l'existence d'une contrepartie à un tel choix, tant dans son principe que dans son montant ; que, pour rapporter la preuve qu'elle n'était pas sans intérêt à renoncer à la perception de redevances auprès de la société Rhodia Iberia de redevances prévues contractuellement, la société RHODIA OPERATIONS fait valoir, sans être sérieusement contredite, que son client de droit espagnol connaissait une situation financière très dégradée, ce que corroborent les bilans et comptes de résultats de cette dernière ; qu'une telle situation résultait, pour l'essentiel, des difficultés du principal client, Nylstar, de la société Rhodia Iberia, qu'elle avait d'ailleurs cessé de livrer à compter de mai 2007 du fait de l'importance de ses impayés, dont il n'est pas contesté qu'ils représentaient les trois quarts de son chiffre d'affaires en 2007 et l'intégralité de celui-ci, l'année suivante ; que, surtout, et ainsi que le précisait la société RHODIA OPERATIONS dès sa réclamation, la société Rhodia Iberia assurait dans la péninsule ibérique, entre 17 % et 23 % de ses ventes d'acide adipique et, entre 20 % et 30 % de ses ventes de produits HMDA ressortissant à son secteur d'activité " polyamide " ; que ce dernier point n'ayant jamais été contesté par l'administration, la société RHODIA OPERATIONS doit, dès lors, être regardée comme établissant qu'elle n'était pas sans intérêt commercial substantiel et proportionné à renoncer totalement, de manière temporaire, à percevoir des redevances dans le but de préserver la distribution, effectuée par Rhodia Iberia, de produits " polyamide " en Espagne dans l'attente d'un retour à meilleure fortune de cette dernière, ce qui fut le cas à partir du mois de janvier 2009 où, à la suite de la fermeture du principal concurrent italien du distributeur espagnol, les redevances en cause lui ont effectivement été facturées ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société RHODIA OPERATIONS est fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des retenues à la source ainsi mises à sa charge au titre des exercices clos en 2007 et 2008 pour un montant, en droits, intérêts de retard et majorations, de 260 283 euros ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'État le versement à la société RHODIA OPERATIONS d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la société RHODIA OPERATIONS tendant à la décharge, en droits, intérêts de retard et pénalités, des retenues à la source prélevées au titre de l'abandon de créance consenti à la société Rhodia Poliamida Especialidades.

Article 2 : La société RHODIA OPERATIONS est déchargée des montants de retenues à la source maintenues à sa charge à hauteur d'une somme de globale, en droits, intérêts de retard et pénalités, de 260 283 euros au titre des exercices clos en 2007 et 2008.

Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil n° 1403287, en date du

8 octobre 2015, est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à la société RHODIA OPERATIONS la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société RHODIA OPERATIONS est rejeté.

''

''

''

''

2

N°15VE03791


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 15VE03791
Date de la décision : 27/09/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Conventions internationales.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Bénéfices industriels et commerciaux - Détermination du bénéfice net - Acte anormal de gestion.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: M. Franck LOCATELLI
Rapporteur public ?: M. COUDERT
Avocat(s) : RIELLAND

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2016-09-27;15ve03791 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award