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27/09/2016 | FRANCE | N°15VE03971

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 27 septembre 2016, 15VE03971


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société RHODIA OPERATIONS a demandé au Tribunal administratif de Montreuil le rétablissement de ses déficits reportables à hauteur des montants remis en cause pour les sommes globales de 3 302 875 euros et 2 759 767 euros au titre des exercices clos en 2007 et 2008 correspondant, d'une part, au refus de l'administration d'admettre en déduction de ses résultats imposables les montants de retenue à la source dont la société s'était acquitté sur des rémunérations en provenance des Etats-Unis, du Cana

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société RHODIA OPERATIONS a demandé au Tribunal administratif de Montreuil le rétablissement de ses déficits reportables à hauteur des montants remis en cause pour les sommes globales de 3 302 875 euros et 2 759 767 euros au titre des exercices clos en 2007 et 2008 correspondant, d'une part, au refus de l'administration d'admettre en déduction de ses résultats imposables les montants de retenue à la source dont la société s'était acquitté sur des rémunérations en provenance des Etats-Unis, du Canada, d'Italie, de Corée du Sud, de Chine et de Nouvelle-Zélande et, d'autre part, de la réintégration dans ses résultats de redevances que la société avait renoncé à facturer à la société de droit espagnol Rhodia Iberia à hauteur de 659 550 euros pour 2007 et 529 920 pour 2008.

Par un jugement n°1403192 du 8 octobre 2015, le Tribunal administratif de Montreuil, estimant que les conventions fiscales franco-chinoises et franco-néo-zélandaises n'excluaient pas la possibilité, pour la société, de déduire, sur le fondement du 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, l'impôt supporté dans ces deux Etats sur les rémunérations en provenant, a fait droit, dans cette mesure, à la demande de la société RHODIA OPERATIONS, rétabli ses déficits reportables à due proportion pour les sommes de 943 220 euros et 449 262 euros au titre des exercices clos en 2007 et 2008 et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

I. Par un recours et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n°15VE03971, le

24 décembre 2015 et le 29 avril 2016, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS demande à la Cour :

1° d'annuler les articles 1er et 2ème de ce jugement en tant qu'il a admis la déduction des retenues à la source supportées sur des revenus de source chinoise et néo-zélandaise et rétabli les déficits reportables de la société RHODIA OPERATIONS à due concurrence, pour les sommes de 943 220 euros et 449 262 euros au titre des exercices clos en 2007 et 2008 ;

2° de rétablir la minoration des déficits reportables à hauteur des sommes précédentes dont la décharge a été prononcée ;

3° de rejeter l'appel incident de la société RHODIA OPERATIONS.

Il soutient que :

- si le 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts autorise la déductibilité des impôts mis à la charge des entreprises, il résulte tant de la jurisprudence du Conseil d'État que de la doctrine administrative qu'en cas de situation déficitaire, l'impôt frappant à l'étranger un bénéfice imposable en France n'est déductible des résultats de l'entreprise que dans la mesure où aucune stipulation conventionnelle n'y fait expressément obstacle ; au cas particulier, les stipulations des articles 22, paragraphe 2 b, de la convention fiscale franco-chinoise et

23, paragraphe 1-b, de la convention fiscale franco-néo-zélandaise, relatifs à l'élimination de la double imposition, s'opposent à la déduction des retenues à la source acquittées par la société RHODIA OPERATIONS sur des redevances de source chinoise et néo-zélandaise dès lors qu'elles prévoient que les revenus en provenant y sont, à défaut de crédits d'impôt imputables, imposables en France pour leur montant brut ; il en résulte nécessairement que l'impôt acquitté en Chine et en Nouvelle-Zélande ne peut être déduit des résultats déficitaires de la société RHODIA OPERATIONS, ainsi qu'en a jugé la Cour administrative d'appel de Paris en ce qui concerne la convention fiscale franco-gabonaise dont l'article 26, paragraphe 3, est rédigé dans des termes identiques (CAA Paris 23 mars 2007, n° 05PA02788, SA Colas) ; en jugeant du contraire, le tribunal administratif a inexactement interprété ces stipulations conventionnelles ;

- l'arrêt de la Cour n° 12VE00572 Société Egis du 18 juillet 2013, dont se prévaut la société défenderesse n'est pas transposable dès lors que l'article de la convention fiscale

franco-grecque ne prévoit pas expressément que l'attribution d'un crédit d'impôt au bénéficiaire français de revenus grecs prive ce dernier du droit de déduire, pour la détermination de son bénéfice imposable en France, l'impôt étranger prélevé dans l'Etat de la source ;

- s'agissant de l'examen par le juge d'appel, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, des autres moyens soulevés par la société RHODIA OPERATIONS, l'administration entend se référer à ses écritures de première instance ;

- les propositions de rectification des 20 décembre 2010 et 16 décembre 2011 ne sont entachées d'aucune contradiction de motifs, ni d'aucune insuffisance de motivation dès lors que l'administration fiscale s'est livrée à une démonstration explicite et circonstanciée permettant à la société de présenter utilement ses observations, ce qu'elle a d'ailleurs fait par lettres des

18 février 2011 et 15 février 2012.

.....................................................................................................................

II. Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et deux mémoire complémentaires, enregistrés sous le n° 15VE03792, le 8 décembre 2015, le 29 janvier 2016, le 8 août 2016 et le 22 août 2016, la société RHODIA OPERATIONS, représentée par Me Rielland, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler l'article 3 du jugement en tant que, par cet article, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge de la réintégration, dans ses résultats imposables, des redevances qu'elle avait renoncé à facturer à la société Rhodia Iberia, pour les sommes de 659 550 euros pour 2007 et 529 920 euros pour 2008, correspondant à 1 % du chiffre d'affaires de cette dernière, et au rétablissement, à due concurrence, de ses déficits reportables ;

2° de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.

Elle soutient que :

- la proposition de rectification du 20 décembre 2010 est insuffisamment motivée sur le chef de rectification relatif à sa renonciation, regardée comme anormale, à facturer des redevances à sa cliente Rhodia Iberia ; en effet, cette proposition ne précise ni les textes ni les règles de droit applicables au redressement ; ces éléments sont seulement précisés dans la décision de rejet de sa réclamation du 11 février 2014 ; pas davantage, l'administration ne justifie du quantum de redevance retenue à hauteur de 1 % du chiffre d'affaires de sa cliente espagnole ; or, il incombe à l'administration de justifier de ce taux par rapport aux taux susceptibles d'être retenus dans des circonstances comparables ; la proposition de rectification est également insuffisamment motivée sur ce point ;

- de même, en jugeant sur ce dernier point, qu'elle n'avait produit aucune pièce de nature à justifier l'allégation selon laquelle la société Rhodia Iberia connaissait de graves difficultés financières, le tribunal a entaché son jugement d'un défaut de motivation ;

- contrairement à ce que juge le tribunal, elle justifie, par la série de pièces transmises au service des impôts, que la société Rhodia Iberia était en grande difficulté financière, que sa survie était compromise dès lors que son principal client, la société Nylstar, avec lequel elle réalisait la moitié de son chiffre d'affaires, avait cessé de la payer, cumulant une dette se montant à une année de chiffre d'affaires et que la société Nylstar avait fini par être vendue aux enchères au mois de mars 2008 ; en outre, la société Rhodia Iberia cumulait des pertes s'élevant à

43,6 millions d'euros au 31 décembre 2008 tandis que son résultat d'exploitation était négatif au titre des exercices vérifiés ;

- la charge d'établir l'existence d'un acte anormal de gestion, constitutif d'un transfert de bénéfices à l'étranger, incombe à l'administration ; certes, si un abandon de créances laisse présumer l'existence d'une gestion anormale, le contribuable peut combattre cette présomption en rapportant la preuve que cet acte a été accompli dans son intérêt ; il appartient, par suite, à l'administration d'établir, si elle maintient sa contestation, que le contribuable était sans intérêt à abandonner sa créance ; la dévolution de la charge de la preuve est de même nature en ce qui concerne l'article 57 du code général des impôts relatif au transfert de bénéfices à l'étranger ; en l'espèce, elle démontre que l'abandon de créances résultant de sa renonciation à facturer des redevances à sa filiale espagnole a eu pour contrepartie sa volonté de maintenir ses relations commerciales avec la société Rhodia Iberia en difficulté, alors que le seul site de production de celle-ci, situé à Blanes, risquait de fermer en raison des difficultés du principal client Nylstar ; en outre, lorsque les perspectives d'avenir du site de production de Blanes se sont améliorées, à partir d'octobre 2008, grâce en particulier à la fermeture du site de son principal concurrent italien, elle a de nouveau facturé des redevances ; dès lors, sa renonciation temporaire à les facturer ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme dépourvue de contreparties, de surcroît dans un secteur d'activité - les polyamides - qu'elle n'avait aucun intérêt à abandonner ; l'administration ne démontre à aucun moment, en revanche, qu'elle aurait eu délibérément l'intention d'accorder un avantage indu à la société Rhodia Iberia ; elle ne démontre pas non plus que l'avantage consenti était hors de proportion en ce qu'il excédait manifestement ce qu'elle pouvait retirer de l'absence de facturation de redevances ; la situation à juger est ainsi proche de celle soumise au Conseil d'État dans l'affaire n° 306479 min c/ Sté Multimédia Finances du 31 décembre 2008 ; en l'absence de contestation de l'administration, ou de justification du quantum de la redevance retenue par elle, à raison de 1 % du chiffre d'affaires de la société Rhodia Iberia, aucun acte anormal de gestion ne peut être regardé comme constitué, ni a fortiori aucun transfert de bénéfices au profit de sa cliente espagnole ;

- sur ce dernier point en effet, et alors qu'elle n'entretient aucun lien capitalistique avec la société Rhodia Iberia, l'administration ne démontre aucun lien de dépendance entre elle et sa cliente espagnole au sens de l'article 57 du code général des impôts ;

- par ailleurs, les pièces, rédigées en langue étrangère dont elle fournit une traduction et versées au dossier, établissent suffisamment que la situation financière de sa cliente était dégradée, ce qui justifie l'aide qui a été accordée dans l'intérêt de sa propre exploitation et notamment la conservation d'un client sur un marché sur lequel elle souhaitait se maintenir ; c'est au surplus sans en justifier et donc, arbitrairement, que l'administration applique le taux minimal de redevances de 1 % prévu contractuellement.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention signée le 30 novembre 1979 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Nouvelle-Zélande tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu ;

- la convention signée le 30 mai 1984 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République Populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Locatelli,

- et les conclusions de M. Coudert, rapporteur public.

1. Considérant qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a diminué les déficits reportables que la société RHODIA OPERATIONS avait déclarés au titre des exercices clos en 2007 et 2008, pour les sommes respectives de 3 302 875 euros et

2 759 767 euros correspondant, d'une part, à son refus d'admettre en déduction des résultats imposables les retenues à la source dont la contribuable s'était acquitté sur ses revenus provenant des Etats-Unis, du Canada, d'Italie, de Corée du Sud, de Chine et de Nouvelle-Zélande et, d'autre part, à la réintégration dans ses résultats des redevances que la société RHODIA OPERATIONS avait renoncées à percevoir de sa cliente de droit espagnol Rhodia Iberia affiliée au groupe Rhodia, pour des montants, fixés à 1 % du chiffre d'affaires de cette dernière, de

659 559 euros et 529 920 euros au titre des deux exercices vérifiés ; que, par un jugement du

8 octobre 2015, le Tribunal administratif de Montreuil, après avoir estimé que la société RHODIA OPERATIONS avait déduit à bon droit les retenues à la source supportées sur ses revenus de source chinoise et néo-zélandaise, a rétabli, à due concurrence, ses déficits reportables pour les sommes de 943 220 euros et 449 262 euros au titre des exercices clos en 2007 et 2008, mis à la charge de l'État le versement, à cette société, d'une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, rejeté le surplus de sa demande ; que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS relève appel de ce jugement en tant que le tribunal a rétabli les déficits reportables de la société à hauteur des sommes précédentes ; que la société RHODIA OPERATIONS interjette appel de cette décision en tant que le tribunal a rejeté le surplus de sa demande ;

Sur la jonction :

2. Considérant que les requêtes enregistrées sous les numéros 15VE03971 et 15VE03792 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Considérant qu'en jugeant, après avoir rappelé les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, d'une part, qu'il résultait de l'instruction que les propositions de rectifications des 20 décembre 2010 et 16 décembre 2011 explicitaient les motifs ayant conduit à mettre à sa charge les retenues à la source en litige permettant à la société requérante de formuler ses observations et qu'il ne résultait pas de l'instruction, d'autre part, que ces rectifications ne reposaient pas sur des fondements conventionnels dont l'application aurait été entachée de contradiction de motifs, le Tribunal administratif de Montreuil, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments présentés par la société RHODIA OPERATIONS, ne peut être regardé comme ayant omis de répondre à un moyen ou entaché son jugement d'une insuffisance de motivation ; que les premiers juges, qui ont relevé que la société ne fournissait aucun justificatif à l'appui de ses allégations, n'ont également entaché leur jugement d'aucune insuffisance de motivation s'agissant du chef de redressement relatif à la renonciation de la société RHODIA OPERATIONS à percevoir des redevances sur la société Rhodia Iberia ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué n'est entaché d'aucune des irrégularités dont il lui est fait grief par la société RHODIA OPERATIONS ;

Sur la déduction des crédits d'impôts correspondant aux retenues à la source acquittées sur les revenus de source étrangère :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile ; qu'en revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs ;

6. Considérant qu'en ce qui concerne le chef de rectification relatif au refus de déduction des retenues à la source restant en litige, il résulte de l'instruction que les propositions de rectification des 20 décembre 2010 et 16 décembre 2011 précisent, d'une part, que le droit conventionnel, tel qu'interprété par la décision du Conseil d'État n° 57391 Société française des techniques Lummus du 11 juillet 1991, faisait obstacle à ce que l'entreprise RHODIA OPERATIONS, qui n'avait pu utiliser ses crédits d'impôt en raison de sa situation déficitaire, déduise de ses résultats les retenues à la source supportées sur ses revenus provenant, dans la première proposition, des Etats-Unis, du Canada, de Chine, de Corée du Sud, d'Italie et de Thaïlande pour une somme globale de 2 655 875,69 euros au titre de l'année 2007, et, dans la seconde proposition, également des Etats-Unis, du Canada, de Chine, de Corée du Sud, d'Italie mais aussi de Nouvelle-Zélande, pour une somme totale de 2 229 847,52 euros au titre de l'année 2008 ; que ces propositions de rectification indiquaient également que la contribuable ne pouvait être autorisée à éliminer une double imposition qui, en fait, n'existait pas au titre des exercices vérifiés, dès lors qu'elle ne s'était acquitté d'aucun impôt en France en raison de sa situation déficitaire ; qu'en outre, ces propositions de rectification indiquaient la nature des impôts, les années et les bases d'imposition concernés, permettant ainsi à la contribuable de comprendre la portée des rehaussements critiqués et de formuler utilement ses observations, ce qu'elle a d'ailleurs fait par lettres des 18 février 2011 et 15 février 2012 ; qu'ainsi, ces propositions de rectification sont suffisamment motivées quant à ce chef de rectification et ne méconnaissent pas les prescriptions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;

En ce qui concerne la déductibilité des retenues à la source :

7. Considérant, d'une part, qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) 4° Sous réserve des dispositions de l'article 153, les impôts à la charge de l'entreprise, mis en recouvrement au cours de l'exercice (...) " ; que, lorsqu'une entreprise industrielle ou commerciale réalise, dans un Etat étranger, des opérations dont le résultat entre dans ses bénéfices imposables en France, ce résultat doit, conformément à ces dispositions, être déterminé sous déduction de toutes charges ayant grevé la réalisation de ces opérations et que doivent, en principe, être regardées comme telles les impositions que l'entreprise a supportées, du fait de ces opérations, dans cet Etat ;

8. Considérant, d'autre part, que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition et si, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale, il appartient néanmoins au juge, après avoir constaté que les impositions qu'une entreprise a supportées dans un autre Etat du fait des opérations qu'elle y a réalisées seraient normalement déductibles de son bénéfice imposable en France en vertu la loi fiscale nationale, de faire application, pour la détermination de l'assiette de l'impôt dû par cette entreprise, des stipulations claires d'une convention excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet autre Etat d'un bénéfice imposable en France ; qu'il en va ainsi, alors même que la convention prévoirait par ailleurs un mécanisme de crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, dont cette entreprise ne serait pas en mesure de bénéficier du fait de sa situation déficitaire au cours de l'année en cause, dès lors que la convention interdit la déduction en toutes circonstances ;

9. Considérant que la convention fiscale signée le 30 novembre 1979 entre la France et la Nouvelle-Zélande, après avoir énoncé au b du 1 de son article 23 que, pour éviter les doubles impositions, " Les revenus (...) provenant de Nouvelle-Zélande sont imposables en France, conformément aux dispositions de ces articles, pour leur montant brut ", stipule que : " L'impôt néo-zélandais perçu sur ces revenus ouvre droit au profit des résidents de France à un crédit d'impôt qui correspond au montant de l'impôt néo-zélandais perçu mais qui ne peut excéder le montant de l'impôt français afférent à ces revenus. Ce crédit est imputable sur les impôts visés à l'alinéa a du paragraphe 3 de l'article 2, dans les bases d'imposition desquels les revenus en cause sont compris (...) " ; que, de même, le b du 2 de l'article 22 de la convention fiscale franco-chinoise du 30 mai 1984, après avoir énoncé que, pour éviter les doubles impositions " Les revenus (...) provenant de Chine sont imposables en France, conformément aux dispositions de ces articles, pour leur montant brut ", stipule que : " Il est accordé aux résidents de France un crédit d'impôt français correspondant au montant de l'impôt chinois perçu sur ces revenus mais qui ne peut excéder le montant de l'impôt français afférent à ces revenus (...) " ;

10. Considérant que ces stipulations n'excluent pas la possibilité pour une société de déduire de son bénéfice imposable en France les impôts acquittés en Nouvelle-Zélande et en Chine sur des redevances en provenance de l'un de ces deux Etats ; qu'en particulier, contrairement à ce que soutient le ministre, une telle exclusion ne résulte pas clairement de la seule mention que les redevances provenant de Nouvelle-Zélande ou de Chine sont imposables en France " pour leur montant brut " ; que, par suite, dès lors que les stipulations précitées ne font pas obstacle à l'application des dispositions du 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Montreuil a estimé que les impôts acquittés en Nouvelle-Zélande et en Chine étaient déductibles des résultats imposables en France de la société RHODIA OPERATIONS ;

11. Considérant que, de son côté, la société RHODIA OPERATIONS ne conteste pas le bien fondé des rectifications opérées en ce qui concerne les retenues à la source sur les revenus provenant de Thaïlande, des Etats-Unis, du Canada, d'Italie et de Corée du Sud ;

Sur la renonciation à facturer des redevances à la société Rhodia Iberia, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête sur ce point :

12. Considérant qu'aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions " et qu'aux termes de l'article 57 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France (...) / A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement " ;

13. Considérant qu'il est constant que, depuis la mise en oeuvre, en 2005, du projet dit " Athéna ", la société RHODIA OPERATIONS dispose de la propriété de l'ensemble des éléments incorporels issus de l'activité mondiale de recherche-développement du groupe Rhodia, qu'elle exploite sous diverses " marques ", en vertu du contrat dit " MLA " (Master Licence Agreements) la liant aux sociétés appartenant au périmètre du projet " Athéna ", au nombre desquelles figure la société de droit espagnol Rhodia Iberia affiliée au groupe Rhodia ; qu'il résulte de l'instruction que, en vertu de ce contrat, les sociétés utilisatrices de " marques " sont redevables, à la société RHODIA OPERATIONS, d'une redevance dont le montant est fixé, en principe, à 5 % du chiffre d'affaires hors distribution des sociétés utilisatrices, mais s'élève, en pratique, à 50 % de leur résultat opérationnel sous réserve d'être compris entre 1 % et 5 % de leur chiffre d'affaires ;

14. Considérant que le fait de renoncer à obtenir une contrepartie financière à une concession de licence de marque ne relève pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant un tel avantage, l'entreprise a agi dans son propre intérêt ; qu'il lui incombe, en ce cas, de justifier de l'existence d'une contrepartie à un tel choix, tant dans son principe que dans son montant ; que, pour rapporter la preuve qu'elle n'était pas sans intérêt à renoncer à la perception auprès de la société Rhodia Iberia de redevances prévues contractuellement, la société RHODIA OPERATIONS fait valoir, sans être sérieusement contredite, que son client de droit espagnol Rhodia Iberia connaissait une situation financière très dégradée, ce que corroborent les bilans et comptes de résultats de cette dernière communiqués et traduits, à la demande de la Cour, par la société RHODIA OPERATIONS ; qu'une telle situation résultait, pour l'essentiel, des difficultés du principal client, Nylstar, de la société Rhodia Iberia, qu'elle avait d'ailleurs cessé de livrer à compter de mai 2007 du fait de l'importance de ses impayés, dont il n'est pas contesté qu'ils représentaient les trois quarts de son chiffre d'affaires en 2007 et l'intégralité de celui-ci, l'année suivante ; que, surtout, et ainsi que le précisait la société RHODIA OPERATIONS dès sa réclamation, la société Rhodia Iberia assurait dans la péninsule ibérique, entre 17 % et 23 % de ses ventes d'acide adipique et, entre 20 % et 30 % de ses ventes de produits HMDA ressortissant à son secteur d'activité " polyamide " ; que ce dernier point n'ayant jamais été contesté par l'administration, la société RHODIA OPERATIONS doit dès lors être regardée comme établissant qu'elle n'était pas sans intérêt commercial substantiel et proportionné à renoncer totalement, de manière temporaire, à percevoir des redevances dans le but de préserver la distribution, effectuée par Rhodia Iberia, de produits " polyamide " en Espagne dans l'attente d'un retour à meilleure fortune de cette dernière, ce qui fut le cas à partir du mois de janvier 2009 où, à la suite de la fermeture du principal concurrent italien du distributeur espagnol, les redevances en cause lui ont effectivement été facturées ; qu'en conséquence, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'est pas fondé à soutenir qu'une redevance, même au taux réduit de 1 %, devait être perçue par la société RHODIA OPERATIONS, au titre des exercices clos en 2007 et 2008 ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'est pas fondé à demander la réforme du jugement qu'il attaque en tant que, par celui-ci, le Tribunal administratif de Montreuil a rétabli les déficits reportables de la société RHODIA OPERATIONS à hauteur des sommes respectives de 943 220 euros et 449 262 euros, correspondant à la déduction des retenues à la source dont l'entreprise s'était acquitté sur ses revenus d'origine chinoise et néo-zélandaise au titre des exercices clos en 2007 et 2008 ; que la société RHODIA OPERATIONS est seulement fondée à demander, quant à elle, le rétablissement de ses déficits à hauteur des sommes supplémentaires de 659 550 euros pour 2007 et 529 920 euros pour 2008 et à solliciter la réforme du jugement en ce qu'il a de contraire ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant qu'il ya lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'État le versement à la société RHODIA OPERATIONS d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS est rejeté.

Article 2 : Les déficits reportables de la société RHODIA OPERATIONS sont rétablis à hauteur des sommes complémentaires de 659 550 euros et 529 920 euros au titre des exercices clos en 2007 et 2008.

Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à la société RHODIA OPERATIONS la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société RHODIA OPERATIONS et de son appel incident est rejeté.

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N°s 15VE03971...


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 15VE03971
Date de la décision : 27/09/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Conventions internationales.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Bénéfices industriels et commerciaux - Détermination du bénéfice net - Acte anormal de gestion.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: M. Franck LOCATELLI
Rapporteur public ?: M. COUDERT
Avocat(s) : RIELLAND ; RIELLAND ; RIELLAND

Origine de la décision
Date de l'import : 11/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2016-09-27;15ve03971 ?
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