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07/06/2018 | FRANCE | N°16VE01468

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 07 juin 2018, 16VE01468


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle aurait été victime au sein du groupement d'établissements publics locaux d'enseignement pour adultes (GRETA) Est-Essonne.

Par un jugement n° 1203531 du 17 mars 2016, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregist

rés respectivement les 17 mai 2016,

le 6 novembre 2017 et le 3 janvier 2018, MmeA..., représ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle aurait été victime au sein du groupement d'établissements publics locaux d'enseignement pour adultes (GRETA) Est-Essonne.

Par un jugement n° 1203531 du 17 mars 2016, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés respectivement les 17 mai 2016,

le 6 novembre 2017 et le 3 janvier 2018, MmeA..., représentée par Me Renard, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait du harcèlement moral dont elle a été victime au GRETA Est-Essonne ;

3° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable dès lors que ses conclusions sont bien dirigées ;

- le jugement attaqué est irrégulier, le tribunal administratif n'ayant pas communiqué son mémoire enregistré le 16 février 2016 après la clôture d'instruction alors qu'elle avait fait état d'éléments postérieurs à la clôture ;

- l'administration n'établit pas que les agissements dont elle se prévaut sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ;

- principalement, elle fait valoir que ses plannings d'intervention ne lui sont pas communiqués ou sont communiqués en retard ; aucun motif de refus de réévaluation de sa rémunération ne lui a été communiqué ; sa demande de congés payés de 2011 a été refusée alors qu'elle a suivi la procédure applicable ; elle a subi des difficultés de reprise en juin 2012 après son arrêt de travail ; elle a eu des difficultés à obtenir l'autorisation de cumul d'activités pour l'année 2013/2014 ; la régularisation du supplément familial de traitement a été opérée avec retard ; le calcul de ses jours de carence ou de maladie n'a pas été régularisé ; le remboursement de ses frais de transport a été plafonné à tort à 25 % de leur montant ; elle fait l'objet d'un traitement différent des autres formateurs en ce qui concerne le déroulement de ses entretiens annuels ; elle n'a pas été soutenue après le refus des stagiaires d'assister à sa formation le 11 décembre 2015 ; elle a été convoquée à un entretien préalable de licenciement à deux reprises ; elle a sollicité un report et n'a obtenu aucune réponse ; la procédure n'a pas été menée à terme ; elle reste dans l'incertitude ; elle n'a plus aucune heure attribuée au titre de l'année 2016/2017 et n'a pas eu d'entretien annuel au titre de l'année 2017 ; elle a subi une atteinte à ses droits et à sa dignité, une altération de sa santé physique ou mentale et son avenir professionnel est compromis ; la situation de harcèlement moral est ainsi caractérisée ;

- subsidiairement, l'Etat a commis une faute dans la gestion de sa carrière et dans l'exécution de son contrat de travail ;

- elle a subi un préjudice moral et professionnel qu'elle évalue à 20 000 euros.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 93-412 du 19 mars 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Camenen,

- les conclusions de Mme Mégret, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., substituant Me Renard, pour MmeA....

1. Considérant que Mme A...a été recrutée le 6 juillet 2007 par un contrat à durée indéterminée pour exercer des fonctions de formateur à temps incomplet au sein du GRETA Est-Essonne ; qu'elle relève appel du jugement du 17 mars 2016 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime dans l'exercice de ses fonctions ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que, devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci ; qu'il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser ; que, s'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser ; que, dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que, par une ordonnance du 22 septembre 2014, le magistrat rapporteur a fixé la clôture d'instruction au 27 octobre 2014 ; que, dans un mémoire enregistré au greffe du tribunal le 16 février 2016, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, Mme A...a soutenu que le harcèlement dont elle faisait l'objet s'était poursuivi notamment au cours de l'année 2015 et s'est en particulier prévalue de l'absence de soutien de ses responsables hiérarchiques alors qu'elle avait dû faire face, le 11 décembre 2015, à une action collective des stagiaires refusant d'assister à son cours ; que cette production, ainsi que les pièces venant au soutien de cette argumentation, concernaient ainsi des circonstances de fait que Mme A...n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui étaient susceptibles d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire ; que le tribunal administratif ne pouvait donc régulièrement statuer sans rouvrir l'instruction et, après l'avoir analysé et soumis au débat contradictoire, tenir compte de ce mémoire ; que, faute de l'avoir fait, les premiers juges ont entaché le jugement attaqué d'irrégularité ; que ce jugement doit, par suite, être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif ;

Sur les conclusions indemnitaires :

5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travaux susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) " ;

6. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

7. Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;

8. Considérant que Mme A...fait valoir qu'elle a dû faire face à des retards et des silences de l'administration dans la gestion de sa situation administrative et dans l'exercice de ses fonctions d'enseignante au sein du GRETA Est-Essonne, constitutifs d'un harcèlement moral ; que, toutefois, il n'est pas établi, en particulier par les pièces concernant la situation d'un autre agent, que Mme A...aurait personnellement fait l'objet de mesures vexatoires dans l'exercice de ses fonctions au sein de ce GRETA ; que si Mme A...fait valoir qu'elle a rencontré des difficultés pour obtenir ses fiches de ventilation de services, il n'est pas établi, ni même allégué, que ces fiches doivent impérativement être remises aux enseignants à une date précise ; que la requérante n'établit pas, en particulier par son courrier du 15 juillet 2011 et ses courriels des 21 mars 2014 et 1er novembre 2015, que l'administration se serait abstenue de lui fournir son emploi du temps dans un délai raisonnable lui permettant de prendre ses dispositions pour assurer les enseignements qui lui étaient confiés ; que Mme A...indique d'ailleurs elle-même avoir notamment reçu une fiche de ventilation dans un courriel du 1er novembre 2015 ; qu'en outre, il ressort d'un courriel du 12 septembre 2014 que les fiches de ventilation sont établies en fonction des disponibilités des enseignants et que Mme A...n'était pas présente lors de la réunion de rentrée au cours de laquelle elle devait faire connaître les siennes pour l'année à venir ; qu'il n'est pas davantage établi, ni même allégué, que l'emploi du temps annuel des enseignants contractuels à temps incomplet n'est pas susceptible d'évoluer annuellement en fonction des besoins du GRETA Est-Essonne lui-même ; qu'ainsi, la seule circonstance que les heures d'enseignement confiées à Mme A...ont été réduites ou ont été supprimées ne suffit pas à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, Mme A...ne soutenant d'ailleurs pas avoir été privée des avantages liés à l'exécution de son contrat, en particulier de sa rémunération ; que, par ailleurs, l'absence de motif au rejet de sa demande de revalorisation de son traitement indiciaire résultant d'un courrier de l'ordonnateur du GRETA Est-Essonne du 11 octobre 2012 n'est pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, Mme A...ne justifiant d'aucun droit à telle revalorisation ; que, si la requérante a dû assurer une formation le 22 février 2012 alors qu'elle aurait souhaité s'absenter, d'une part, il résulte d'un courriel du GRETA du 16 février 2012 qu'elle a accepté le planning de ses interventions qui lui avait été envoyé par courriel le 5 octobre 2011 et, d'autre part, qu'elle ne justifie pas avoir demandé un congé à cette date selon la procédure applicable, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elle lui a été communiquée le 13 octobre 2011 ; qu'il ne résulte pas non plus de l'instruction, en particulier du compte rendu d'entretien du 18 septembre 2012, que Mme A...aurait dû faire face à des difficultés faisant présumer l'existence d'un harcèlement moral lors de sa reprise d'activité à la suite de son congé maladie en juin 2012 ; qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que l'administration aurait commis des erreurs ou aurait tardivement répondu aux demandes de Mme A...concernant son autorisation de cumul d'activités, le bénéfice du supplément familial de traitement, le calcul de ses jours de carence ou de maladie et le remboursement de ses frais de transport ; que les conditions dans lesquelles Mme A...a été convoquée aux entretiens professionnels annuels, en dehors des jours au cours desquels elle assurait des enseignements et des périodes d'entretien retenues pour les autres formateurs, ne suffisent nullement à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que si Mme A...a dû faire face au refus des stagiaires d'assister à son cours le 11 décembre 2015, il résulte notamment d'un courriel du 11 décembre 2015 qu'elle a été reçue en entretien par le proviseur adjoint à la suite de cet incident et que le proviseur du Lycée Corot l'a également conviée à un entretien le 21 décembre 2015 ; que, dans ces conditions, Mme A...n'est pas fondée à soutenir que sa hiérarchie n'a pas répondu à ces demandes et ne lui a pas accordé le soutien nécessaire à la suite de cet incident ; que le seul certificat médical du 18 novembre 2011, dépourvu de précisions suffisantes, ne suffit pas à établir que la pathologie dont souffrirait Mme A...présenterait un caractère professionnel, l'intéressée n'alléguant d'ailleurs pas avoir sollicité la reconnaissance d'une maladie imputable au service ; qu'ainsi, l'atteinte aux droits et à la dignité de Mme A...n'est pas établie ; qu'enfin, la circonstance qu'elle a été convoquée en 2016 à un entretien préalable en vue de son licenciement pour motif économique ne suffit pas à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les éléments de fait invoqués par Mme A...ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral dont elle aurait été victime ; que l'existence d'une faute liée à un tel harcèlement ne pouvant être retenue, Mme A...n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'administration serait engagée de ce chef ;

10. Considérant, en second lieu, que Mme A...soutient, pour la première fois en appel, à titre subsidiaire, que les faits dont elle se prévaut à l'appui de ses conclusions indemnitaires reposant sur le harcèlement moral dont elle aurait fait l'objet, sont également constitutifs d'une faute dans la gestion de sa carrière ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, notamment des échanges de courriels figurant au dossier, qu'un retard fautif en lien direct avec un préjudice que Mme A...aurait personnellement subi soit imputable à l'administration, en particulier concernant la perception du supplément familial de traitement, les demandes de pièces qui lui ont été adressées sur ce point les 13 mars 2012 et 9 octobre 2012 n'ayant aucun caractère fautif ; qu'en outre, ainsi qu'il est dit au point 8 ci-dessus, il n'est pas établi que l'administration aurait commis une faute en s'abstenant d'informer dans un délai raisonnable Mme A...de son emploi du temps et en réduisant le nombre de ses heures d'enseignement ; que les activités de Mme A...étant définies annuellement de manière prévisionnelle dans son contrat de travail, cette dernière ne bénéficie d'aucun droit à leur maintien et n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait commis une faute en les diminuant voire en les supprimant compte tenu de l'évolution des besoins du GRETA ; qu'une telle situation ne saurait par elle-même caractériser une mise à l'écart fautive de MmeA... ; qu'enfin, le caractère fautif des convocations dont Mme A...a fait l'objet en vue de son licenciement pour motif économique n'est pas établi ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen du ministre de l'éducation nationale tiré de ce que les conclusions sont mal dirigées, Mme A...n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 20 000 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que, l'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de Mme A...présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1203531 du Tribunal administratif de Versailles du 17 mars 2016 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme B...A...devant le Tribunal administratif de Versailles et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

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N° 16VE01468


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 16VE01468
Date de la décision : 07/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Garanties et avantages divers.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: M. Gildas CAMENEN
Rapporteur public ?: Mme MEGRET
Avocat(s) : RENARD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2018-06-07;16ve01468 ?
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