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28/01/2020 | FRANCE | N°16VE02994

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 28 janvier 2020, 16VE02994


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA SOFINA a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la restitution de la somme de 2 793 011,18 euros correspondant à la retenue à la source ayant frappé en 2013 les dividendes qui lui ont été distribués par plusieurs sociétés françaises.

Par un jugement n° 1507659 du 31 mai 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et sept mémoires, enregistrés les 3 octobre 2016, 18 avril 2017,

4 août 201

7, 18 et 26 septembre 2017, 27 décembre 2018, 30 septembre 2019 et

15 octobre 2019, la SA SOFINA, rep...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA SOFINA a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la restitution de la somme de 2 793 011,18 euros correspondant à la retenue à la source ayant frappé en 2013 les dividendes qui lui ont été distribués par plusieurs sociétés françaises.

Par un jugement n° 1507659 du 31 mai 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et sept mémoires, enregistrés les 3 octobre 2016, 18 avril 2017,

4 août 2017, 18 et 26 septembre 2017, 27 décembre 2018, 30 septembre 2019 et

15 octobre 2019, la SA SOFINA, représentée par Mes Valentin et Brasart, avocats, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°d'annuler ce jugement ;

2° à titre principal, de prononcer la restitution sollicitée, assortie des intérêts moratoires conformément aux dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;

3° de mettre à la charge de l'État la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- par une décision du 22 novembre 2018 (C-575/17), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par décisions du Conseil d'Etat des 20 septembre 2017 et

20 décembre 2017 dans des affaires similaires concernant les retenues à la source qu'elle a supportées sur les dividendes de source française perçus au cours des années 2008 à 2012, a dit pour droit que les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation d'un Etat membre en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société résidente font l'objet d'une retenue à la source lorsqu'ils sont perçus par une société non-résidente, alors que, lorsqu'ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel ils ont été perçus qu'à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire depuis la perception de ces dividendes ;

- cette décision confirme ainsi que :

. les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts sont contraires au principe communautaire de libre circulation des capitaux posé aux articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dans la mesure où ces dispositions excluent un avantage de trésorerie dans une situation transfrontalière alors qu'un tel avantage est accordé dans une situation équivalente sur le territoire national ;

. l'appréciation de l'existence d'un éventuel traitement désavantageux des dividendes versés aux sociétés non-résidentes, par rapport aux dividendes versés aux sociétés résidentes, doit être effectuée pour chaque exercice fiscal pris individuellement ;

. la différence de traitement dans l'imposition des dividendes perçus par des sociétés résidentes et non-résidentes n'est pas justifiée par une différence de situation objective ;

. ni le fait que le taux de la retenue à la source applicable en l'espèce (15 %) soit inférieur au taux normal de l'impôt sur les sociétés de 33 % auquel sont en principe soumis les dividendes perçus par une société résidente, ni la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres, ni l'efficacité du recouvrement de l'impôt ne sont susceptibles de justifier la différence de traitement constatée ;

- la décision du Conseil d'Etat du 9 mai 2012 " société GBL Energy ", dont le raisonnement a été suivi par les premiers juges, ne peut donc être appliquée au cas d'espèce ;

- la SA SOFINA était en situation déficitaire au regard de la législation belge, Etat dans lequel elle a son siège, au titre de l'exercice 2013 en litige, ce dont elle justifie et ce qui faisait obstacle à l'application de la retenue à la source litigieuse aux dividendes qu'elle a perçus, nonobstant l'imposition des frais de véhicule de fonction engagés au profit d'un de ses salariés et la taxation de ses plus-values à long terme, lesquelles sont sans lien avec l'existence d'un quelconque bénéfice imposable au titre de cet l'exercice.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention signée le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique, tendant à éviter les doubles impositions et à établir les règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-575/17 du 22 novembre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me Valentin, avocat, pour la SA SOFINA.

Considérant ce qui suit :

1. La SA SOFINA, résidente fiscale belge, a perçu en 2013 des dividendes de plusieurs sociétés françaises, dans lesquelles elle détient des participations n'ouvrant pas droit au régime mère-fille. Ces dividendes, en application du 2. de l'article 119 bis du code général des impôts, ont fait l'objet de retenues à la source, au taux de 15 % prévu dans un tel cas par le 2. de l'article 15 de la convention fiscale franco-belge. Par réclamation du 22 décembre 2014, la SA SOFINA a sollicité la restitution de la somme ainsi acquittée, soit 2 793 011,18 euros, au titre de l'année 2013, au motif que les dispositions du 2. de l'article 119 bis du code général des impôts étaient contraires au principe communautaire de libre circulation des capitaux. A la suite du rejet de cette réclamation par décision en date du 5 mai 2015, elle a réitéré ses prétentions devant le Tribunal administratif de Montreuil. La SA SOFINA fait appel du jugement du 31 mai 2016 par lequel le tribunal a rejeté cette demande.

2. Aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". Les dividendes figurent au nombre des produits visés aux articles 108 à 117 bis de ce code. En application de l'article 187 du même code, le taux de la retenue à la source est fixé en principe à 30 % du montant de ces revenus. Il est réduit à 15 % par le paragraphe 2 de l'article 15 de la convention fiscale conclue le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique.

3. Par un arrêt Sofina SA, Rebelco SA, Sidro SA c/ ministre de l'action et des comptes publics du 22 novembre 2018 (C-575/17), la Cour de justice de l'Union européenne indique que, du fait de la différence de technique d'imposition des dividendes entre les sociétés

non-résidentes, qui sont imposées immédiatement et définitivement lors de leur perception par une retenue à la source, et les sociétés résidentes, qui sont imposées en fonction du résultat net bénéficiaire ou déficitaire enregistré, la législation française procure un avantage fiscal substantiel aux sociétés résidentes en situation déficitaire dont ne bénéficient pas les sociétés non-résidentes déficitaires et que cette différence de traitement dans l'imposition des dividendes, qui ne se limite pas aux modalités de perception de l'impôt, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux qui n'est pas justifiée par une différence de situation objective. En l'absence de justification pertinente à cette restriction, la Cour de justice a dit pour droit que " les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation d'un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société résidente font l'objet d'une retenue à la source lorsqu'ils sont perçus par une société non-résidente, alors que, lorsqu'ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel ils ont été perçus qu'à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire depuis la perception de ces dividendes ".

4. Il résulte de ce qui précède que le droit de l'Union européenne fait obstacle à ce qu'en application des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, une retenue à la source soit prélevée sur les dividendes perçus par une société non-résidente qui se trouve, au regard de la législation de son Etat de résidence, en situation déficitaire.

5. La SA SOFINA, à qui il appartient d'établir qu'elle aurait été dans une telle situation déficitaire, produit, d'une part, un avertissement-extrait du rôle à l'impôt des sociétés établi pour l'exercice clos en 2013 par le Service public fédéral des Finances belge faisant apparaître, après déduction de l'impôt dont elle était redevable des précomptes mobiliers dont elle bénéficiait en vertu de la législation belge, un montant de crédit d'impôt en sa faveur de 190 375,12 euros ainsi que, d'autre part, la déclaration de résultat qu'elle a souscrite auprès de cette même administration au titre de cet exercice et de laquelle il ressort que son bénéfice imposable était nul au titre de l'année 2013 et qu'elle disposait également, pour cette même année, d'un solde de " précompte remboursable ", assimilable à un déficit reportable en avant, d'un montant de 199 276,51 euros.

6. L'administration conteste le caractère déficitaire de la société appelante en raison d'une base imposable assignée à la SA SOFINA au titre de l'exercice en cause et constituée par des frais relatifs à un véhicule de fonction mis à la disposition d'un salarié de la société, qui s'élèvent à un montant imposable de 10 624,45 euros selon le détail du calcul de la cotisation correspondante. Toutefois, il est établi par la déclaration à l'impôt des sociétés belge, laquelle peut être prise en compte pour éclairer l'origine des montants figurant dans le détail du calcul de la cotisation, que ce montant correspond intégralement à la taxation d'un avantage en nature correspondant à un véhicule de fonction mis à la disposition de l'un de ses salariés par la

SA SOFINA et dont l'administration ne conteste pas qu'il est imposé de manière forfaitaire en Belgique dans le cadre de l'impôt sur les sociétés, indépendamment de la situation excédentaire ou déficitaire du résultat de la société, et ne saurait donc à elle seule établir que la situation de la société en cause n'aurait pas été déficitaire. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que la

SA SOFINA aurait effectivement dégagé au titre de l'exercice en cause un bénéfice imposable taxé à ce titre par l'administration fiscale belge. Au vu de ces éléments, et nonobstant par ailleurs le paiement par la société requérante d'une taxe sur des plus-values réalisées sur des actions et de cotisations supplémentaires de crise, la SA SOFINA se trouvait donc en situation déficitaire au regard de la législation de son état de résidence au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2013. Par suite, elle est fondée à soutenir que le droit de l'Union faisait obstacle à ce qu'en application des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, une retenue à la source soit prélevée sur les dividendes en litige.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la SA SOFINA est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les intérêts moratoires :

8. Les intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, sont, en vertu des dispositions de l'article R. 208-1 du même code, " payés d'office en même temps que les sommes remboursées par le comptable chargé du recouvrement des impôts ". Dès lors qu'il n'existe aucun litige né et actuel entre le comptable et la SA SOFINA quant au versement de ces intérêts moratoires, les conclusions de cette dernière formées sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SA SOFINA et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1507659 du Tribunal administratif de Montreuil du 31 mai 2016 est annulé.

Article 2 : Il est accordé à la SA SOFINA la restitution de la somme de 2 793 011,18 euros correspondant à la retenue à la source ayant frappé en 2013 les dividendes qui lui ont été distribués par plusieurs sociétés françaises.

Article 3 : L'Etat versera à la SA SOFINA une somme de 2 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SA SOFINA est rejeté.

5

N° 16VE02994


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 16VE02994
Date de la décision : 28/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-06-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur le revenu. Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers. Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : M. LIVENAIS
Rapporteur ?: Mme Nathalie RIBEIRO-MENGOLI
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : FRESHFIELDS BRUCKHAUS DERINGER LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-01-28;16ve02994 ?
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